Mondial 2002 des moins de 18 ans

 

Grâce à un dénouement haletant - chose rare dans cette compétition - et à une superstar naissante - Aleksandr Ovechkhin - les championnats du monde des moins de 18 ans, auxquels le monde entier prend maintenant part avec l'arrivée du Canada, ont acquis cette année leurs lettres de noblesse.

Une phase finale en matches de poule, cela ne favorise pas forcément les duels épiques et les grands moments de sport. Les championnats du monde des moins de 18 ans - même à l'époque où ils étaient encore championnats d'Europe - n'échappaient habituellement pas à cette règle. On a en effet eu droit à une vraie finale le dernier jour avec le match entre la Russie et les Etats-Unis, un duel au sommet qui a tenu toutes ses promesses.

Les Américains devaient s'imposer par au moins deux buts d'écart pour empocher le trophée, et la première période leur apportait le scénario idéal. Leur attaquant Ryan Booth, qui n'avait pas marqué un seul but du tournoi jusque là, marquait en effet à deux reprises et les plaçait en orbite. Mais par la suite, les hommes à la bannière étoilée accumulaient les pénalités et donnaient aux Russes les bâtons pour se faire battre. Cependant, leur gardien James Howard arrêtait tout et leur "penalty killing" confirmait qu'il était bien le meilleur de la compétition... jusqu'à une prison de Ryan Suter, à cinq minutes de la fin, qui permettait au virtuose du patinage Nikolaï Zherdev de réduire la marque. Mais les Russes ont alors sans doute voulu trop en faire en cherchant l'égalisation et se sont avérés moins capables que leurs adversaires de supporter la pression. Au lieu de se contenter de dégager le palet, ils se sont exposés au rush américain. C'est ainsi que, alors qu'on entrait dans la dernière minute, Suter se rattrapait en offrant à Zach Parise le but du titre.

Les Etats-Unis n'étaient que sixièmes l'an passé et ils n'avaient jamais gagné une couronne mondiale chez les juniors - même pas aux championnats du monde des moins de 20 ans qui existent depuis plus longtemps. Pourtant, cette toute première victoire apparaît tout à fait logique. Avec le programme de formation sur cinq ans mis en place par USA Hockey, ces joueurs évoluent toute l'année ensemble, il est donc logique que leur collectif soit le plus au point.

Dès lors, les Américains peuvent mettre en place leur système habituel, qui consiste à foncer vers le but sans se poser de questions. Cela donne un hockey extrêmement rapide, pratiqué par des joueurs qui ne le sont pas moins, comme Mark Stuart, Pat Eaves, et surtout l'excellent Patrick O'Sullivan. De fait, la formation russe était probablement plus attrayante avec ses somptueuses chorégraphies. Elles lui ont valu de gagner les cœurs... mais pas le trophée.

La génération 84 d'Elektrostal

Pourtant, cette deuxième place est déjà assez inespérée pour cette équipe de Russie qui n'avait pas les faveurs des pronostics. On prétendait en effet qu'il est rare que deux bonnes générations se succèdent, et qu'après les exploits de Kovalchuk et consorts la cuvée suivante serait forcément moins exceptionnelle. Pourtant, le successeur de Plyushchev, Ravil Iskhakov, a réussi à conduire à la médaille d'argent une équipe qui comprend pas moins de onze joueurs de l'Elemash Elektrostal, club dont il est également l'entraîneur. Pour autant, on ne peut pas dire qu'il ait fait du favoritisme puisqu'il a laissé à la maison un autre de ces protégés, Anton Kadeykin, pourtant très coté chez les recruteurs nord-américains.

D'où vient cette génération spontanée dans le club peu réputé d'Elektrostal ? D'une part d'un indéniable travail de formation, mais pas seulement. Ses deux principaux fers de lance sont en effet des pièces rapportées : le très prometteur Anton Babchuk et l'enchanteur Nikolaï Zherdev vivaient à Kiev et ont été repérés dans une sélection ukrainienne (non officielle, sinon ils ne pourraient pas représenter la Russie) lors d'un tournoi au Canada en février 1998. Elektrostal y était également invité en tant que champion de Russie de sa catégorie d'âge, et la prestation de ces deux éléments n'a pas échappé à Iskhakov. Il les a ajoutés aux produits déjà excellents de la formation locale et a ainsi regroupé tous les meilleurs de la génération 1984. Il a favorisé leur développement en leur permettant de faire leur classe en équipe senior - en deuxième division - alors que les jeunes Russes sont souvent contraints de cirer le banc dans leurs clubs. Et on a pu voir le résultat.

Ceci dit, la vraie star de l'équipe russe - et de ces championnats - ne fait pas partie de la génération 84 d'Elektrostal. Il est né et septembre 1985 et a été formé au Dinamo Moscou. Il s'appelle Aleksandr Ovechkin. Ce fils d'une championne olympique de basket a malgré ses seize ans été placé sur une bonne ligne, et il a profité de cette confiance pour exploiter à merveille son bon lancer en marquant quatorze buts. Ce faisant, il a battu le record - treize buts - de la légende vivante du Dinamo, Aleksandr Maltsev. Du coup, il a promis de présenter ses excuses à son glorieux aîné pour ce crime de lèse-majesté.

A se focaliser sur le duel entre Russes et Américains, on en a un petit peu oublié la République Tchèque, qui a pourtant terminé à égalité de points avec ces deux équipes. Mais elle avait une différence de buts particulière défavorable (3-5 contre la Russie où un deuxième tiers raté lui a coûté très cher, et 1-0 contre les Etats-Unis avec un grand match du gardien Lukas Mensator) et savait avant même le dernier match qu'elle ne pourrait pas de toute manière terminer première. La victoire américaine ne lui a donc valu que de reculer d'une place pour se contenter du bronze. Deux joueurs ont pourtant particulièrement retenu l'attention : Jirí Hudler et Milan Michalek, dont la maturité tactique et le sens du jeu sont déjà impressionnants pour leur âge. Ondrej Nemec et Jakub Klepis devraient également très bientôt faire parler d'eux.

Moins en vue, la Finlande a en quelque sorte confirmé ce qu'on dit d'elle. On entend souvent affirmer qu'elle produit certes pléthore de joueurs de niveau correct, éduqués à se fondre dans un collectif, mais peu de vraies grandes stars. Ce cru finlandais ne déroge probablement pas à la règle. Dans un poste par définition plus individuel, le gardien Hannu Toivonen a par contre su se révéler.

On a déjà eu l'occasion d'observer le gros travail de formation du Belarus lors du Mondial des moins de 20 ans, les Français s'en sont d'ailleurs rendu compte à leurs dépens. Les résultats sont encore plus évidents à l'échelon des moins de 18 ans, et c'est logique puisque, déjà dans la catégorie supérieure les meilleurs étaient les plus jeunes. Même s'il n'est que de la génération 85, le perce-muraille Andreï Kasitsyn évoluait ici avec des gens plus proches de son âge, et il s'est évidemment fait à nouveau remarquer. Le Belarus a accompli un très bon tournoi, battant même au final le Canada pour prendre une excellente cinquième place.

Première ratée pour le Canada

Il y a quelques années, l'IIHF a transformé ses championnats d'Europe juniors en championnats du monde des moins de 20 ans, afin d'y intégrer les Etats-Unis. A cette époque, le Canada, traditionnellement peu enclin à rompre avec ses habitudes et qui a déjà fait un effort en adoptant pleinement le mondial des moins de 20 ans qu'il considère comme un rendez-vous majeur, est resté en dehors de cette compétition qui faisait un peu doublon. Et il est vrai qu'il était sans doute plus cohérent et plus logique de réserver la catégorie des 18 ans à des affrontements continentaux, sachant que les moins de 20 ans se retrouvaient déjà pour un tournoi mondial. L'IIHF a malheureusement décidé de "mondialiser" les deux tournois, ce qui entraîne un peu de confusion et de surabondance dans un calendrier international suffisamment chargé.

Mais une compétition prétendument "mondiale" n'avait aucun sens sans le Canada, et tout a été fait pour qu'il se décide à joindre la partie. Pour permettre son entrée tardive cette année, évidemment directement dans l'élite, il a fallu aménager la compétition à cet effet. Il était en effet impossible de prendre la place à une nation qui avait obtenu sa qualification sportive. Pour ne pas se retrouver avec un nombre impair d'équipes, on a donc rappelé un douzième, et les repêchages successifs auraient ainsi dû décaler toute la hiérarchie d'un rang. Je dis bien "auraiernt dû" car cela ne s'est pas passé ainsi, par la faute d'une fédération - la France - qui n'a pas répondu à la demande et n'a pas donné signe de vie. Du coup, derrière l'élite à douze clubs dont trois relégués - car on n'a pas l'intention de conserver durablement douze équipes dans cette compétition - la division I a dû se disputer à seulement sept équipes, et la génération 84 française, annoncée par beaucoup comme un grand cru, a dû se contenter d'écraser bien trop largement ses adversaires en division II sans pouvoir se jauger sérieusement.

Tout ça pour ça, pourrait-on dire après avoir assisté à l'entrée en scène tant espérée du Canada. Car même si un Pierre-Marc Bouchard s'est signalé au haut niveau escompté, on attendait beaucoup mieux de la nation-mère du hockey sur glace que cette très décevante sixième place.

La Suisse avait également des ambitions et espérait secrètement une médaille, mais, alors qu'elle a battu la Suède "à la nord-américaine", elle a été ramenée à la dure réalité des choses par le Belarus et n'a pu se qualifier pour la poule finale. Finalement, les petits Suisses ressemblent à leurs aînés, parfois euphoriques face aux meilleurs, mais friables face aux nations inférieures. Leur engagement physique, leur fore-checking agressif et leur travail dans les coins n'ont pas réussi à compenser leurs limites dans le maniement du palet. Ils ont payé cher l'absence de leur capitaine Emanuel Peter et la forme moyenne du gardien-prodige Tobias Stephan, pas aussi sûr qu'aux derniers Mondiaux - aussi bien chez les moins de 18 ans que chez les moins de 20 ans - et dont on se rend ainsi compte qu'il était quand même pour beaucoup dans les derniers bons résultats des juniors suisses.

Saluée pour son organisation sympathique et chaleureuse, la Slovaquie n'en a pas profité pour détoner sur la glace, terminant le tournoi à une anonyme huitième place, battue même par la Norvège. Mais elle a au moins réussi à se maintenir, ce qui est l'essentiel.

La Suède au bord du cataclysme

Ne croyez pas en effet qu'éviter la relégation était une simple formalité. La Suède n'a jamais connu une telle humiliation - toutes catégories confondues - mais elle a pourtant été contrainte de jouer un match décisif pour le maintien, suprême déshonneur, contre un adversaire qu'elle prend d'habitude de haut, la Norvège. Et celle-ci a joué sa chance à fond en tenant en échec 2-2 son grand voisin après deux tiers-temps. Au cours de la dernière période, un but norvégien aurait enterré les Suédois et provoqué un séisme dans le hockey mondial, mais un but de Sebastian Meijer à cinq minutes de la fin a permis à l'équipe aux trois couronnes de s'en sortir par la toute petite porte. Cette désastreuse neuvième place est d'autant plus étonnante que la Suède était comme d'habitude largement pourvue en talent, comptant notamment dans ses rangs deux "fils à papa" célèbres, Robert Nilsson (rejeton de Kent Nilsson dont il a gardé l'admirable technique de crosse) et le centre Alexander Steen (progéniture de Thomas Steen, autrefois leader de feu les Winnipeg Jets).

Mais la Norvège aussi a du talent, et c'est un des enseignements de ce Mondial. Malgré la relégation, la nouvelle génération s'est révélée fort prometteuse à l'image de l'attaquant Marius Holtet, une des surprises de la compétition. Tombés bien bas en senior, les Norvégiens prouvent si besoin est qu'ils ne peuvent que nettement remonter. Mais pour cela, il faut travailler dans l'ombre, dans l'anonymat de la division I, ce que les Norvégiens ont eu du mal à faire. Il sera bon que ces jeunes l'apprennent car les matches magnifiques contre les Tchèques, les Canadiens, les Slovaques et les Suédois ne doivent pas faire oublier les contre-performances - un peu à la manière suisse - contre les adversaires présumés faibles comme les Allemands et les Ukrainiens.

Contrairement à leur compagnon de relégation, l'Allemagne et l'Ukraine n'auront pas connu cette satisfaction d'avoir pu résister aux meilleurs. Pour ces deux pays en revanche, la tâche requise pour éviter une des trois dernières places était d'une bien trop grande ampleur. S'ils pouvaient à force de travail venir à bout de la Norvège, ils ont bien vite compris en revanche en voyant jouer des équipes qu'ils pouvaient a priori penser prenables comme le Belarus, voire la Suisse, qu'il faudrait un miracle pour qu'ils se maintiennent dans ces conditions.

Marc Branchu

 

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