Gap, petit poucet combatif

 

Maintenant que les Corsaires dunkerquois ont dû baisser pavillon et se dérouter vers la division 1, les Gapençais se retrouvent un peu dans la même situation que les Nordistes. Ils ont repris le sac de cailloux du petit poucet de la Ligue Magnus, en espérant qu'ils ne se transforment pas en pierres trop lourdes à porter. Certaines similitudes sont en effet troublantes. Comme le HGD, Gap est sous le poids d'une dette passée qu'il n'est pas actuellement en position de pouvoir résorber, car ses dépenses en Ligue Magnus sont déjà compressées au maximum, sans pouvoir mettre en même temps de l'argent de côté. La situation n'est pas aussi inextricable qu'elle ne l'était pour Dunkerque, mais Gap marche sur un fil et doit continuer à tenir son budget au cordeau. Comme le HGD également, le club haut-alpin ne dispose pas d'une patinoire qui crée des conditions propices à son développement. Les gradins glacés de la dernière patinoire partiellement ouverte du haut niveau français n'attireront jamais que les plus courageux, sans parler de l'état de la glace parfois déplorable. La mairie en a conscience, mais avant qu'une enceinte digne de ce nom voie le jour, on en a au minimum pour quatre ans.

D'ici là, une possible descente en fin de saison ne serait-elle pas après tout un moyen de patienter en D1 en attendant de meilleures conditions ? Pas si sûr, car le danger existe qu'elle serve de prétexte à un désengagement des pouvoirs publics. Il est vrai qu'il serait dommage pour les Gapençais qu'ils soient relégués au moment où ils ont finalement obtenu la parité de subventions avec Briançon. Pour que leurs efforts n'aient pas été vains, ils doivent prouver qu'ils peuvent construire une équipe compétitive à moindre coût. Et c'est là que Gap a peut-être un avantage sur Dunkerque : son recrutement paraît moins désordonné et plus réactif, avec des risques pris sciemment et des choix pesés. Et c'était indispensable lors de cette intersaison !

Car il y a eu beaucoup de changements, dont pas mal d'imprévus. Des départs inattendus ont ainsi obligé le club à s'activer pour trouver un bon nombre de joueurs (forcément étrangers)... et même un entraîneur. Comme l'an dernier avec Laurent Perroton, le club s'est retrouvé sans coach au beau milieu du mois de juin. Éric Sarliève avait pourtant été recruté pour ce poste, mais il a appelé le président Georges Obninsky pour faire savoir qu'il ne viendrait finalement pas. Encore une fois, il a fallu chercher un entraîneur encore libre quand arrive l'été, ce qui ne court pas les rues, ni en France... ni même en Europe. C'est donc du fin fond de la Sibérie qu'arrive Viktor Valutskikh. Âgé de trente-cinq ans, il officiait au sein du hockey mineur du champion d'Europe, l'Avangard Omsk, et n'a aucune expérience avec les seniors. Comme l'an passé avec Alfredsson, Gap a donc été contraint de faire appel à un entraîneur de jeunes, qui gardera d'ailleurs cette fonction dans les Hautes-Alpes (où l'ex-Clermontois Jean-Michel Bortino a aussi été recruté comme entraîneur du mineur) en parallèle avec l'encadrement de l'équipe première.

Une continuité difficile

Un Russe sur le banc, donc, mais plus aucun dans l'effectif. Les deux jokers qui avaient fait du bien l'an passé sont tous deux repartis. C'était prévu dès le départ pour Andreï Kozyrev, mais il avait été un temps question que Vadim Sharifiyanov - qui se plaisait bien dans la région - reste, et même qu'il amène son frère avec lui. De la touche suédoise, il ne reste plus grand-chose non plus. Il n'a pas été possible de trouver un terrain d'entente financier avec le gardien Martin Forslund, qui avait pourtant une attache sentimentale à Gap, et l'entraîneur Henrik Alfredsson. Tous deux ont rejoint des clubs qui n'évoluent qu'en division 1, mais qui ont de hautes ambitions et disposent déjà de plus de ressources que le club des Hautes-Alpes.

Difficile de maintenir une continuité avec de faibles moyens, c'est vrai aussi au chapitre des joueurs français. L'an dernier, Gap s'était appuyé sur un nombre impressionnant de juniors qui avaient pu faire leurs premières armes en Ligue Magnus. On pouvait espérer qu'ils puissent progresser au fil du temps comme l'avait fait le défenseur de poche Ludovic Garreau. Mais les départs de l'intersaison contrecarrent un peu une telle hypothèse à long terme. Il aurait été difficile de s'opposer par exemple à l'envie de Garreau de partir à l'étranger. Il a eu une opportunité en Suède à Asplöven, et a emmené avec lui une des découvertes de la saison passée, l'attaquant Benjamin Arnaud. Confrontés à une concurrence très dense qu'ils recherchent mais dont ils n'ont pas l'habitude, les deux joueurs pourront toujours revenir à Gap si leur aventure tourne court.

Deux autres espoirs sont partis à l'étranger, mais après avoir dû modifier leurs plans initiaux. Impliqués - avec l'assentiment paternel - dans des incidents qui ont engendré une grande polémique en fin de saison dernière, au cours d'un match de roller-hockey entre leur club familial de Dammarie-les-Lys et Cherbourg, les frères Da Costa n'ont pas été recrutés par Morzine qu'ils avaient prévu de rejoindre pour franchir un palier. Mais ils ne sont pas pour autant revenus à Gap. Ils ont pris une direction originale, celle de la Pologne, pays d'origine de leur mère. Dans ce championnat où la limite est à trois étrangers (les gardiens comptant double), ils ont de ce fait l'avantage de ne pas être soumis à ce quota. Ils ont ainsi pu faire un essai dans le club le plus célèbre du pays, l'Unia Oswiecim, mais ils n'ont pas réussi à y convaincre le nouvel entraîneur, l'ex-international tchécoslovaque Richard Farda. Ils se sont donc rabattus sur le promu, le Zaglebie Sosnowiec, où ils ont marqué leurs premiers points dès les premiers matches amicaux. Teddy Da Costa, dont on se souvient qu'il avait été "corrigé" par Bonnard la saison dernière, a même commencé à laisser son empreinte en se lançant dans une bagarre contre le défenseur Rafal Cychowski - qui pèse vingt kilos de plus que lui - et en la remportant ! On espère quand même qu'il s'illustrera autrement que par ses poings, car son indéniable talent mérite bien mieux que ça.

Un cercle vicieux

S'il est difficile de retenir les jeunes (Romain Masson et Harold ten Braak sont partis en division 1 où ils auront plus de temps de jeu) ou même d'en attirer autant que l'an passé (seul David Hennebert arrive cette année), Gap avait au moins l'habitude de s'appuyer sur une base fiable de joueurs formés au club. Or, cette assurance est mise à mal par la décision de Jean-François Cal d'arrêter le hockey à seulement vingt-cinq ans parce qu'on lui avait refusé l'augmentation qu'il estimait mériter au vu de ses performances. Le défenseur a ouvertement exprimé dans les colonnes du Dauphiné Libéré le malaise ressenti par les Gapençais, qui ont l'impression que les sacrifices qu'ils font pour concilier hockey et vie professionnelle sont mal considérés, alors que le club dépense de l'argent pour des joueurs étrangers sans être toujours regardant sur leur qualité. Et de conclure son interview en ces termes : "Combien va coûter au club le joueur que l'on choisira pour me remplacer ? Sans doute plus que ce que je demandais pour défendre les couleurs de Gap."

Une affirmation qui est certainement fondée, mais qui ne résout rien. Elle ne fera que réduire encore plus la marge de manœuvre déjà très étroite du président Georges Obninsky, qui risque d'autant moins de pouvoir améliorer les conditions financières des joueurs locaux. Un véritable cercle vicieux...

Pour en sortir, le seul moyen est de ne pas commettre d'erreurs dans le recrutement. Sinon, cela donnera d'autant plus de grain à moudre à la critique, Jeff Cal n'ayant pas hésité à demander publiquement pourquoi on avait recruté comme professionnels un Zajicek ou un Stefanech qui n'apportaient rien de plus que les joueurs amateurs présents. Cet été, le club a fait l'effort de recruter des plus gros calibres. Certes, ils proviennent de sources qu'auraient justement dédaigné les autres équipes de Magnus. Mais Gap, compte tenu de ses moyens, n'a pas d'autre solution que de prospecter à des troisièmes niveaux nationaux, qu'ils soient tchèque (2. Liga), suédois (division 1) ou nord-américain (CHL). Il a un effectif quantitativement moins large que l'an passé - ce qui pourrait poser des problèmes si les blessures s'en mêlent - mais qualitativement plus relevé, avec "du lourd", au sens propre du terme.

Un colosse et un tombeur de gants

La tactique gapençaise reposait jusqu'ici sur des avants rapides de petit gabarit, elle s'appuiera désormais en complément sur le poids de ses arrières, en tout cas de deux d'entre eux, McGee et Nahirniak. Le style de déménageur d'Oliver McGee s'était très vite imposé à Montpellier, mais il avait dû manquer toute la poule finale en raison d'un genou récalcitrant. Il est impossible de dire aujourd'hui si son genou tiendra, et le risque que les Vipers n'étaient pas prêts à assumer, ce sont les Rapaces qui le prennent. Ils n'ont pas d'autre choix que de tenter des paris pour rivaliser en Magnus. Mais attention ! L'imposant McGee ferait presque petite figure à côté de la recrue défensive la plus saillante, le gigantesque Andrew Nahirniak, qui fait la même taille (1,96 m) mais accuse dix kilos de plus sur la balance (106 kg). Un colosse pas si lent qui est évidemment doté d'un tir puissant.

En attaque, il est bien difficile de se faire un ordre d'idées sur les recrues, qui n'ont jamais évolué à haut niveau. Le centre Stefan Sarka, formé au Slovan Bratislava, a certes passé un an en junior majeur, mais il reste sur une saison dans une ligue junior B américaine où ses quinze buts en douze matches n'ont pas grande valeur. Il amènera de toute façon son bon gabarit aux petits juniors gapençais. L'ailier suédois Björn Odot-Andersson, qui avait fait un essai il y a deux ans avec Mulhouse, revient tenter sa chance en France. Et, compte tenu des expériences répétées mais malheureuses d'Épinal avec ses Tchèques de 1. Liga, mieux vaut attendre avant d'apprécier les qualités de Jiri Rambousek, le buteur venu de Tabor en 2. Liga tchèque.

Il y a par contre un joueur qui était une vedette à un niveau un peu plus convenable, c'est Jonathan Dubois. Il vient de la Central Hockey League, cette ligue mineure américaine dont l'ex-Angloy Jean-Ian Filiatrault avait été trois fois le meilleur gardien. La CHL cherche à devenir le pendant occidental de l'ECHL et se développe, notamment à la frontière mexicaine. Pendant dix saisons, Dubois a été une des figures marquantes de cette ligue - avec un titre de champion en 1999 à Huntsville - et ses places à son tableau d'honneur nous renseignent autant sur l'empreinte qu'il y a laissée que sur son style de jeu. Il occupe la quatrième position de l'histoire de la CHL au nombre d'assistances (437 passes décisives)... et il est également quatrième au cumul des pénalités (1737 minutes). Rajoutez respectivement 51 et 120 aux deux totaux pour prendre en considération les play-offs. Entre tempérament de gagneur et affection pour la baston, en voilà un qui devrait faire parler de lui, en bien ou en mal.

S'il y a quelques solides gaillards dans l'effectif gapençais, il y a aussi un sérieux point d'interrogation, au poste de gardien. Peter Stanga avait multiplié les essais en France l'an dernier et n'avait été pris ni à Dijon, ni à Mulhouse, ni à Gap, ni à Toulon. Y a-t-il des raisons de penser que le Slovaque sera plus convaincant cette année ? Sa doublure sera Jens Van Poucke, un junior belge qui avait fait un essai à Dunkerque l'an dernier. Le club nordiste, n'ayant pas les moyens de l'engager, l'avait orienté vers le club voisin de Béthune où il a passé une saison en division 3. La transition sera donc brutale avec la Ligue Magnus. Le gardien brugeois présente la particularité d'avoir été entraîné pendant deux ans à Los Angeles par le champion olympique (Calgary 1988) Anatoli Semenov, mais les études universitaires aux États-Unis coûtant trop cher, il a dû rentrer en Europe, et c'est ainsi qu'il a débarqué en France l'an dernier. Cette paire de gardiens part dans l'inconnu.

Gap s'avance donc dans la saison avec peu de certitudes... et surtout pas celle de se résigner à la dernière place ! On aurait tort de condamner d'avance une équipe qui a des raisons de douter mais aussi des motifs d'espoir. Elle s'annonce comme un adversaire difficile à appréhender qui aura à cœur de créer des surprises.

Marc Branchu

 

 

Départs : Alfredsson (entraîneur, Lyon), Turcotte (arrêt), Lukac (arrêt), Kozyrev, G. et T. Da Costa (Sosnowiec, POL), Cal (arrêt), Courally (Morzine), Garreau (Asplöven, SUE), Arnaud (Asplöven, SUE), Forslund (Montpellier), Masson (Lyon), Sharifiyanov, M. Perez (Briançon), A. Perez, Den Braak (Limoges).

Arrivées : Valutskikh (entraîneur, Avangard Omsk hockey mineur, RUS), Stanga (Prievidza, SVK), Rambousek (Tabor, TCH), Sarka (Exeter, USA), Hennebert (Amiens), Odot-Andersson (Bräcke, SUE), Nahirniak (San Angelo, CHL), Van Poucke (Béthune), Dubois (San Angelo, CHL), McGee (Montpellier).

Effectif

Gardiens : Peter Stanga (SVK, 27 ans), Jens Van Poucke (BEL, 19 ans).

Défenseurs : Andrew Nahirniak (CAN, 25 ans), Oliver McGee (CAN, 25 ans), Alexandre Cornaire (22 ans), Ondrej Mertl (TCH, 25 ans), David Hennebert (21 ans), Yann Meyssirel (24 ans), Camille Gielly (19 ans).

Attaquants : Jonathan Dubois (CAN, 31 ans), Romain Moussier (28 ans), Jiri Rambousek (TCH, 24 ans), Björn Odot-Andersson (SUE, 22 ans), Stefan Sarka (USA, 20 ans), Nicolas Ravoire (24 ans), Sébastien Vidal (25 ans), Jody Obninsky (24 ans), Jordane Fazende (18 ans), Julien Parinet (21 ans), Benjamin Masse (21 ans).

Entraîneur : Viktor Valutskikh (RUS, 35 ans).

 

 

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