Morzine-Avoriaz au rattrapage

 

Le moins qu'on puisse dire est que la saison 2005/06 a été rude pour Morzine-Avoriaz. Jusque-là vénéré comme la divine surprise du hockey hexagonal, le club haut-savoyard a accumulé les résultats en demi-teinte malgré un potentiel indéniable. Puis ce fut le coup de grâce avec l'élimination au tour préliminaire des séries face à Épinal.

Un peu comme une vedette de pop anglaise devenue "has been" du jour au lendemain, Morzine a été rattrapé par toutes ces petites approximations qui exaspèrent le public hexagonal. Streaming mal adapté à une fréquentation soutenue, site web en déshérence totale (finalement remis au goût du jour à la rentrée), et pour finir remplacement du tournoi MACH 74 par une quinzaine...

Pourtant, avec cette nouvelle saison, l'espoir renaît, et la "formule Morzine" mariant bénévolat et performance revient au goût du jour. Il est vrai que l'état major montagnard, malgré un remaniement de façade, garde ses personnages-clés et avec eux l'art d'optimiser les ressources pour aligner, comme c'est le cas depuis trois saisons, plusieurs recrues mémorables. Bien sûr, le reste du line-up n'est pas aussi définitif, mais il suffit à relancer l'intérêt.

Jusqu'à quand ?

Si cet engouement pour Morzine est légitime, l'équipe pourra-t-elle se départir des démons qui la taraudent sur le long terme ? Le recrutement, sensiblement plus riche, ne balaye pas toutes les interrogations.

Le fait est que l'organisation est encore jeune (tout du moins à haut niveau). Contrairement à ses rivaux implantés de longue date, Morzine n'a pas de filière immuable. Certes il y a le filon suédois, mais il ne constitue plus un noyau stable pour l'équipe, comme les Canadiens ou les Slovaques en d'autres endroits.

La prospective est une méthode tout aussi respectable, voire salutaire lorsqu'elle est menée avec brio. Sur ce point, Morzine se trouve à la croisée des chemins. Si le produit final comporte des améliorations incontestables, on note la persistance de lignes directrices assez nettes, en partie dictées par la structure du club.

Celui-ci a joliment relevé son premier gros challenge : dénicher un trio de vedettes offensives alliant complémentarité et impact accru. Les renforts suivants sont moins explosifs. Quant aux Français, ceux-ci proviennent d'horizons assez flous, et font souvent figure de pièces rapportées. Certains ont été renvoyés de leurs clubs précédents pour des raisons d'usure, voire d'état d'esprit.

Espérons que le contingent assemblé cette année fera preuve de symbiose. Il possède de nombreux atouts. Les horizons explorés à l'intersaison ne manquent pas d'intérêt. Cependant il n'a pas atteint une cohérence optimale, et l'apport de quelques éléments demeure sujet à caution.

Morzine pourra miser sur un trio princier, mais souder le gros de son collectif dans un environnement plus confidentiel que stimulant sera un défi conséquent. L'équipe pourrait gagner à ressentir un peu plus de pression. Le coach Stéphane Gros est-il la bonne personne pour l'exercer ?

Du punch à l'offensive

Exit l'idole Forsander (actuellement en grande difficulté à Duisbourg), son complice Holm ou le petit Lindgren. Les sauveurs suédois de Morzine ont - entre autres - quitté le navire, et il fallait compenser par des arrivées intéressantes.

Conformément aux attentes, la première ligne d'attaque sera intégralement nord-américaine. Evan Cheverie, un Canadien au jeu équilibré, doté de bonnes mains sans être excessivement démonstratif, a enchanté la presse britannique l'an dernier, celle-ci le nommant dans la première équipe étoile de l'Élite nationale. Dan Welch, un Américain versatile, capable de coups de patte étonnants et nanti d'une bonne expérience de role player en AHL, sera un complément appréciable à Cheverie, qu'il a du reste côtoyé à Coventry pendant les deux tiers de l'exercice 2005/06.

Le troisième larron, Pierre-Claude Drouin, était naturellement le plus attendu des partisans. Ses récentes fiches en UHL, ligue mineure honnête mais sans densité particulière, ne reflètent pas vraiment son utilité. Il pratique un hockey simple, de devoir, qui a fait de lui un joueur respecté et assez efficace dans des championnats cotés. Cette ligne, qui devrait proposer un jeu direct, est à même d'insuffler du caractère à Morzine. Le bagage de Drouin sera également mis à profit en coulisses, puisqu'il secondera Stéphane Gros.

Le reste de l'attaque n'inspire pas tout à fait la même confiance. Ce qu'on remarque d'emblée (bien qu'il soit tenu à l'écart par un pied récalcitrant), c'est le retour de Niko Halttunen, qui n'avait pas eu beaucoup d'impact lors du précédent exercice. Ce dernier a été reconduit par la force des choses, bénéficiant des largesses du staff morzinois qui avait eu la mauvaise idée de lui accorder un contrat biennal. Aux côtés de Halttunen, Arto Miettinen, Finlandais à l'attitude un peu plus velléitaire, fera également son retour.

A priori, Leos Pipa n'est pas le joueur rêvé pour relancer la productivité morzinoise, ni pour apporter l'entrain qui manquait aux lignes subalternes. Peu enclin à porter le palet, peu incisif malgré son solide gabarit, il est passé par Chamonix voilà quelques années sans y faire forte impression. Le Tchèque s'est par la suite fait une niche au Danemark. Il incarnait, avec quelques autres, un reliquat des années où ce championnat en manque de respectabilité peinait à attirer de bons étrangers. Sa réputation n'était d'ailleurs guère flatteuse au pays d'Andersen, ainsi que l'attestent les notes d'un coach rival rendues publiques lors des derniers playoffs : "Gros power forward - Ne pas l'irriter. Si on ne joue pas physique, il peut dormir sur la glace !".

Au rayon français, le HCMA nous a habitués à faire preuve d'opportunisme en donnant une seconde chance à des espoirs déchus en quête de rédemption. Une manière de compléter son effectif à bon compte. Néanmoins, cette petite valse n'a pas porté ses fruits, et la hargne attendue était rarement au rendez-vous.

2006/07 voit une légère inflexion de la tendance. En effet, l'un des joueurs sur le retour attirés par Morzine a des allures de vétéran confirmé. Il s'agit de l'international Jonathan Zwikel. Celui-ci a les moyens de rebondir après des campagnes amiénoises de plus en plus ternes, où il n'a que moyennent répondu aux espoirs placés en lui par l'austère organisation picarde. L'atmosphère sera sûrement plus décomplexée à Morzine. Avec des responsabilités moindres, sur une ligne qui semble réveiller sa fibre de "col bleu", Zwikel signe un début de calendrier respectable. Mais là encore, le natif de Bruxelles (qui n'a inscrit que 10 buts à ses deux dernières saisons) est-il le joueur incisif dont les Pingouins ont besoin pour changer définitivement de statut ? Hors glace, Zwikel se voit bombardé responsable de la communication. Cette attribution, jadis propriété du vice-président Philippe Canteux, s'était libérée en janvier suite au débarquement de ce dernier. Zwikel chapeautera donc la com, ce qui permettra sans doute de basculer une partie de ses émoluments sur ce poste opportunément vacant. C'est de bonne guerre.

Les autres artilleurs hexagonaux étaient plus prévisibles. Pierre-Yves Albert nous arrive d'Angers, plus précisément du banc d'Angers, ce qui n'est guère rassurant. Il semble toutefois avoir sa chance dans l'effectif morzinois, où l'entraîneur Stéphane Gros lui offre une exposition appréciable. Quant à Thomas Gueguen, il a parfaitement profité de son expérience dijonnaise, et pratique un hockey volontaire à défaut d'être particulièrement enthousiasmant.

De plus, le HCMA conserve ses Grenoblois d'origine, Marc Billieras et Cyril Trabichet, tous deux passés par l'équipe de France junior. Trabichet a connu des fortunes diverses, mais c'est un manieur de palet correct qui peut ponctuellement servir l'équipe. La bonne volonté de Billieras, plutôt fruste techniquement, est une nouvelle fois mise à contribution en ce début de campagne puisqu'il remplace provisoirement Halttunen sur le second trio. Gratification supplémentaire, un poste d'assistant-capitaine vient récompenser deux saisons au cours desquelles il a porté ses couleurs d'adoption avec rigueur. Malgré cet adoubement, Billieras devrait rentrer dans le rang en cours d'année. L'Isérois a bénéficié d'un temps de glace inespéré dans le Chablais. Hélas, la profondeur accrue du banc morzinois pèsera à un moment ou un autre sur la carrière d'un tel joueur.

Enfin, Éric Dupieux et Loïc Gaydon restent à la disposition de Stéphane Gros pour compléter le dispositif offensif. Gaydon et Albert seront également affectés à l'entraînement des petites catégories.

La partie tricolore de l'attaque est toujours assemblée de façon empirique, mais elle comporte quelques éléments expérimentés, qui pourraient prévenir Morzine contre des déceptions aussi cruelles que celles de l'an passé.

Stabilité à la ligne bleue

La brigade défensive a subi peu de changements. Comme prévu, la recrue d'Allsvenskan Johan Ohlsson a fait le travail l'an dernier, et elle est reconduite. Ohlsson sera l'ultime survivant d'une espèce en voie de disparition, le Suédois. Le petit défenseur offensif Santeri Immonen est conservé sans plus de surprise. L'imposant Tony Bergin, au jeu sans fioriture mais relativement polyvalent, sera aussi de la partie.

Le britannique James Hutchinson, lui, n'est plus là. Ce jeune robuste et versatile a profité d'une énième renaissance du phénix mancunien pour tenter (sans succès) de se caser. Hutchinson avait mis suffisamment de chœur à l'ouvrage pour mériter des minutes raisonnables sous le maillot sang et or. Mais son absence ne devrait guère se faire sentir dans la mesure où il était pour Morzine une assurance plus qu'un véritable renfort.

Le seul changement notable dans l'arrière-garde morzinoise concerne l'imposant Slovaque Tibor Schneider, qui n'a pas fait preuve de la maîtrise attendue, sa laborieuse adaptation ayant été interrompue par des problèmes de cheville. Il a depuis trouvé matière à s'exprimer dans l'effectif caennais. En contrepartie, les Portes du Soleil accueillent l'ex-Amiénois Nicolas Pousset. Il n'a pas la réputation de jouer très proprement, et semble une recrue un peu hasardeuse en ces temps de sévérité arbitrale. Au moins, on ne pourra pas accuser les Pingouins de manquer de caractère sur ce coup-là.

D'autant que la défense garde Mathieu Mille, pas exactement un blueliner de premier plan. Qu'à cela ne tienne, on lui a ménagé un petit complément d'activité. Le Sommois, habitué à rédiger les communiqués du club, figure dans l'encadrement au titre d'attaché de communication. Une fonction voisine, celle de chargé des relations presse, est cependant assurée par le correspondant local du Dauphiné Libéré, Yves Théveniau.

Enfin, il y a Christian Elian. Franchement discret, Elian a ciré le banc à Angers et souffert à Grenoble, avant de regagner sa Haute-Savoie natale pour y endosser le rôle de capitaine d'un des principaux outsiders. En avait-t-il vraiment la carrure ? Visiblement non puisqu'il a graduellement abandonné ses responsabilités (le C est porté depuis la fin de la saison dernière par son compère Tony Bergin). Mais Elian occupe toujours une place enviable dans le collectif morzinois, ainsi qu'un poste de responsable technique. Il est le symbole d'une équipe tiraillée entre des aspirations très diverses.

Régime poireau entre les poteaux

Johan Bäckö était assurément la coqueluche des supporters en raison de son rôle dans la promotion du club. Cependant, avouons-le, le Suédois commençait à plafonner en Ligue Magnus et son départ était attendu. La CHL, où il fera ses débuts officiels en fin de mois, constitue un refuge en rapport avec son talent, ni plus ni moins.

Le nouveau cerbère morzinois n'est autre qu'un des éternels espoirs du hockey britannique, le Gallois Stevie Lyle, aspirant aux plus grands honneurs - et souvent un peu court. Néanmoins, on pensait que dans un championnat comme le nôtre, Lyle se montrerait dominant. De façon inquiétante, les partisans ont vite rompu ce consensus, clouant au pilori leur recrue toute fraîche lors de la pré-saison. Il est vrai que par moments, Lyle semble coupable de nonchalance. Les premiers matches de championnat ont offert au Britannique l'opportunité de se rasséréner. Quel visage montrera-t-il en séries ? Morzine détient un second rempart acceptable en la personne d'Olivier Courally mais sur la durée, le Francilien n'incarne pas un recours compatible avec les aspirations élevées de son employeur.

Question d'environnement

Si le cas Elian reflète la dualité entre Morzine pro et Morzine familial, une ombre plus pesante plane sur le village. En effet, pendant que le controversé Gérald Guennelon focalise l'attention, il est un autre coach, moins exposé car niché au cœur des montagnes, qui ne fait pas l'unanimité.

Surfant sur un recrutement judicieux, puis sur la "caution charisme" représentée par Brad Ference lors de la phase d'ascension du club, Stéphane Gros a vécu une histoire à la Cendrillon, passant du rôle de modeste artisan à celui d'alchimiste hors pair.

Mais le doute n'était visiblement pas loin. Dès que la flamme a commencé à s'estomper, Gros s'est vu attaqué à l'intérieur même du cénacle. Finalement, il a pu compter sur le soutien des cadres et notamment de l'âme du club, le manager Jérôme Baud. Le voici donc aux commandes pour une nouvelle campagne, où il aura beaucoup à prouver.

Avec un budget global annoncé autour de 1,1 million d'euros, le HCMA doit impérativement justifier les crédits accordés à son équipe-fanion, et atteindre soit une finale de coupe, soit le dernier carré des playoffs.

Perspectives

D'ordinaire, on peut résumer l'intersaison d'un club de façon simple. A-t-il gagné ou perdu en talent ? Ici, la question est plus profonde. Les Pingouins auront-ils du caractère sur trois lignes et à chaque match ? L'entraîneur Stéphane Gros déborde-t-il d'idées pour transcender ses hommes dans l'adversité ?

Globalement, l'été 2006 a constitué une nouvelle transition positive pour Morzine, qui a ajouté de l'agressivité et une touche d'expérience à des endroits précis. Mais le contexte si particulier qui entoure le HCMA - son calendrier à part, ses débouchés médiatiques discrets au regard des ressources humaines allouées à ce secteur, son public saisonnier, ses profils assez cloisonnés - entretient une réticence. Une nouvelle fois, certaines disparités pourraient se faire jour au sein de l'effectif, même s'il faut reconnaître les efforts entrepris en vue de gommer un tel risque.

Le début de saison est positif. C'est un progrès indéniable. Cela dit, les révolutions de palais sont rares dans le hockey français. Tout a-t-il vraiment changé ?

Le jeu paraît plus réaliste. Fait-il montre d'une maîtrise et d'une créativité à toute épreuve ? Accrocheur mais sans finesse particulière, le style morzinois apparaît dans la lignée des années précédentes. Les vedettes attendues apportent leur conviction ; dire qu'elles ont réinventé la démarche de l'équipe serait probablement excessif. Ce n'est qu'au soir du triomphe qu'on pourra mesurer l'étendue de la révolution morzinoise. Pour l'heure, on croirait le terme outsider inventé pour le HCMA.

Cette équipe, toute l'équipe, doit encore payer le tribu de la sueur et de la douleur pour restaurer une confiance totale, et affirmer haut et fort que son cru 2006/07 a la profondeur, la cohésion, la créativité et l'organisation d'un vainqueur.

Ainsi, malgré la hiérarchie souvent limpide de notre championnat, Morzine se retrouve dans une situation ambiguë : celle d'un groupe affichant beaucoup d'atouts sans avoir le privilège des certitudes.

Les Pingouins composent une formation atypique, qui suscite la sympathie. Grâce à son début de championnat enlevé, la structure haut-savoyarde a généré de nombreuses attentes, dont beaucoup resteront hélas intangibles, car incarnées par autant d'observateurs lointains.

Même nanti d'une première ligne de feu, Morzine ne revendique pas le club le plus talentueux du circuit. Mais avec une éthique de travail sans cesse réaffirmée, il peut ramener quelque chose.

Alors messieurs, si les soirées d'hiver vous paraissent longues, n'oubliez pas : pour la poignée de réguliers qui garnissent le Parc des Sports, pour la cohorte de touristes en goguette qui viendra vous couver d'un œil torve, c'est toute la France du hockey qui vous regarde.

Guilhem Rougé

 

 

Départs : Forsander (Duisburg, ALL), Schneider (Caen), Bardet (Angers), Bäckö (New Mexico, CHL), Geffroy (Rouen), Kevorkian (Chamonix), Holm (Aalborg, DAN), Enselme (Annecy), Hutchinson (Manchester, GBR), Richard.

Arrivées : P-Y Albert (Angers), Cheverie (Coventry, GBR), Welch (Coventry, GBR), Pipa (Herning, DAN), Lyle (Appiano, ITA), Zwikel (Amiens), Pousset (Amiens), Gueguen (Dijon), Drouin (Fort Wayne, UHL).

Effectif

Gardiens : Stevie Lyle (GBR, 27 ans), Olivier Courally (21 ans).

Défenseurs : Santeri Immonen (FIN, 34 ans), Johan Ohlsson (SUE, 25 ans), Tony Bergin (CAN, 32 ans), Nicolas Pousset (27 ans), Mathieu Mille (25 ans), Christian Élian (28 ans).

Attaquants : Evan Cheverie (CAN, 26 ans), Dan Welch (USA, 25 ans), Pierre-Claude Drouin (CAN, 32 ans), Niko Halttunen (FIN, 31 ans), Arto Miettinen (FIN, 33 ans), Leos Pipa (TCH, 35 ans), Marc Billieras (26 ans), Jonathan Zwikel (31 ans), Thomas Gueguen (24 ans), Pierre-Yves Albert (23 ans), Cyril Trabichet (26 ans), Éric Dupieux (32 ans), Loïc Gaydon (19 ans).

Entraîneur : Stéphane Gros (36 ans).

 

 

Retour à la rubrique articles