Chamonix à l'échelle de Jacob
Le peu de résonance des célébrations du centenaire du championnat de France, organisé à Chamonix, a inquiété nombre d'observateurs. Dans l'ancienne place forte du hockey français, ce sport semble souffrir d'un lent désintérêt et sombrer dans un profond sommeil, même si le coma n'est pas encore atteint. Est-il possible de réveiller la flamme du hockey chamoniard ?
Depuis trois ans que le CHC est revenu en Ligue Magnus, un des principaux problèmes est qu'il ne semble plus y avoir de maître à bord. La promotion avait coïncidé avec le départ de Pierre Pousse pour des missions fédérales, et depuis ce temps, Chamonix est géré par des compromis, des solutions provisoires ou des entraîneurs-joueurs sans autorité. Avec Peter Hrehorcak, revenu sur la glace par la force des choses (blessure du défenseur Claret-Tournier pour la saison), le point de non-retour avait été atteint au début de l'année 2008. Il avait donc fallu trouver une solution plus pertinente qu'un énième retour à l'autogestion.
Alan Jacob fut alors recruté. À cette époque, cette arrivée ne se faisait vraiment pas en grande pompe. Le problème était de trouver un entraîneur disponible à cette période de l'année, et on ne se bousculait pas pour prendre en mains Chamonix. Le Canadien était-il donc un énième intérimaire de passage ?
Avec le recul, on peut répondre non. Alan Jacob (voir son interview) a en effet marqué son territoire. Il a tout d'abord rempli la mission prioritaire qui lui a été confiée, assurer le maintien. Ensuite, nanti d'un contrat de trois ans, il a construit une équipe à sa façon, en nette rupture avec les habitudes locales : il a cherché à recruter des joueurs abordables où il pouvait en trouver, et n'a pas hésité à prendre des décisions impopulaires comme le départ de Tobias Granath, qui n'avait plus sa place dans le dispositif.
Le public chamoniard n'est pas un adepte du changement à tout crin, et il n'apprécie guère de perdre des joueurs qu'il connaît (surtout quand ils prennent la direction du rival Mont-Blanc) pour se retrouver avec des recrues plus incertaines. Il est vrai qu'il a eu son lot de mauvaises surprises, notamment en provenance de Slovaquie. Cela a de quoi rendre méfiant.
Sans avoir les moyens de viser beaucoup plus cher, Jacob a exploré pour sa part d'autres pistes plus conformes à sa culture, c'est-à-dire avec au minimum un background canadien. Il faut souhaiter que cette greffe différente puisse prendre. Chamonix était heureux et tranquille avec ses bons vieux Suédois entourant les petits gars du coin. Le moyen le plus sûr pour que les nouveaux venus se fassent eux aussi adopter, c'est évidemment la victoire...
En tout cas, la rupture de style a été nette à Chamonix. Jusqu'ici, l'intersaison n'était agitée que parce que l'équipe était plus ou moins prête. Alan Jacob a cette fois tenu un camp de préparation plus mouvementé, avec des joueurs à l'essai qui n'ont fait que passer : on a ainsi vu furtivement l'ex-Montpelliérain Richard Filip, avant qu'il ne parte en Roumanie. Des essais qui donnent cependant la même impression d'incertitude et d'instabilité qu'avant, mais pour d'autres raisons...
Confiance donnée à un gardien
La première action d'Alan Jacob a consisté à recruter un gardien. L'alternance entre deux jeunes Français dans les cages, Johan Scanff et Andy Foliot, avait été identifiée comme une faiblesse. Pour amener un peu plus de sérénité, il fallait un titulaire fixe. C'est le choix sur lequel l'entraîneur canadien s'est le plus engagé, puisqu'il l'a amené avec lui de son dernier club.
Sami Heinonen a fait l'essentiel de sa carrière en Mestis et a connu deux tournants qui auraient pu lui permettre de viser plus haut. Le premier a lieu en 2002 quand il est élu dans la seconde équipe-type de la division. Il obtient sa chance en SM-liiga où il partage les cages des Blues d'Espoo avec des stats honorables. Il joue ainsi 38 matches au plus haut niveau, mais il n'est jamais retenu comme titulaire en play-offs (n°3 puis n°2 l'année suivante) et n'est pas conservé. Heinonen commence à errer entre divers clubs de Mestis et connaît un second tournant en rejoignant en 2005 le Sport Vaasa, le meilleur effectif de la division, confié à un entraîneur charismatique, Juhani Tamminen, l'ex-sélectionneur de l'équipe de France. Mais un ex-gardien du club revient au tournant de l'année, Matti Höylä, et il réussit d'entrée une incroyable série de 6 matches avec 5 blanchissages et 99% d'arrêts. Il pique ainsi la place de titulaire de Heinonen qui ne la retrouvera jamais, même pas en play-offs. Son errance reprend, de club en club, et il choisit de partir à l'étranger, à La Haye, où il a donc gagné l'estime de son nouvel entraîneur. Pas uniquement de lui, puisque Heinonen a été élu joueur du mois de novembre dans le championnat néerlandais.
Chamonix compte clairement sur son nouveau gardien finlandais, ce qui est important pour Heinonen qui a la réputation de fonctionner surtout au mental. Après deux saisons et demie comme titulaire en division 1, Tom Charton devra se réhabituer au rôle de doublure qu'il avait connu lors de la saison du titre de Mulhouse derrière Fabrice Lhenry, même s'il n'a pas rangé ses ambitions de jouer.
Une défense plus physique
Heinonen a cependant besoin d'une défense qui écarte les rebonds de son enclave. Or, ce secteur n'apporte a priori aucune garantie. Les joueurs locaux ont encore beaucoup à apprendre. Fabien Veydarier a déçu pour son retour au club, et Maxime Claret-Tournier sort d'une saison blanche. Le seul étranger restant, Anders Torgersson, est ce qui se rapproche le plus près d'un défenseur offensif, mais ses stats apparemment correctes masquent en réalité une saison en demi-teinte.
Place nette a été faite en se séparant des Slovaques, mais il en faudrait plus pour constituer une défense solide. Elle reste numériquement limitée et est donc très dépendante de ses deux nouvelles recrues canadiennes. Il y a en tout cas un élément que celles-ci vont apporter, un impact physique jusqu'ici inconnu.
Patrick Mbaraga arrive ainsi de LNAH, une ligue qui est tout un poème en soi... Ne nous y trompons pas : il pouvait jeter les gants au besoin mais ce n'était pas sa fonction principale. Il était un défenseur rugueux, à qui l'on demandait surtout des mises en échec. Dans la ligue québécoise, il avait été nominé au trophée de la recrue défensive de l'année en 2005, mais s'était vu préférer l'ex-Amiénois et ex-Tourangeau Jonathan Gauthier, dans un style différent. Mbaraga devra imposer son solide gabarit dans les coins et devant la cage.
Le nouveau pilier défensif doit se nommer Todd Paul. Il a été nommé défenseur de l'année dans son équipe des Wichita Thunder en CHL (il a aussi été élu "plus belles jambes de l'équipe" et a obtenu le "prix des ragots", mais restons-en au plan sportif). Un choix d'ailleurs très controversé auprès des supporters, qui auraient plutôt préféré... le néo-Tourangeau Mathieu Wathier. En effet, Paul s'est surtout fait remarquer pour avoir marqué trois fois contre son camp dans la saison ! Concédons que ça fait beaucoup. Mais s'il a reçu cette distinction, c'est qu'il ne commet pas tant d'erreurs, hormis ces trois-là, forcément très visibles et qui marquent les esprits. Todd Paul a progressé au fil de la saison et a eu un très gros temps de glace, souvent supérieur à une demi-heure par match, dans une équipe en difficulté qui a terminé avant-dernière de sa ligue. Il est actif défensivement pour bloquer des tirs et a déjà prouvé par le passé qu'il peut contribuer offensivement au sein d'un powerplay qui fonctionne bien. Le résumer à "l'homme qui se trompe de cage" serait donc une erreur. Il reste cependant isolé dans la défense chamoniarde et devra encore avaler pas mal de glace.
Un chantier offensif qui a pris du retard
Même si elle a perdu son meilleur marqueur Yannick Riendeau, l'attaque chamoniarde part de moins loin. Elle a conservé son capitaine Richard Aimonetto, régulateur offensif et maître du jeu de ses hommes. Maintenu également, Emil Tobiasson-Harris, qui avait reçu le trophée de meilleur Chamois de la saison 2007/08. Cette récompense honorait sa progression puisqu'il avait doublé son total de points par rapport à sa première année en Haute-Savoie. Il ne sera cependant plus seul à revendiquer le statut de buteur. Deux nouveaux devaient arriver... mais ces recrutements n'ont pas été de tout repos.
Initialement, Chris Rebernik, septième marqueur et troisième buteur de SPHL, était attendu à Chamonix. Si attendu que, lorsque les joueurs de son équipe de Jacksonville - dissoute - ont été répartis dans les autres formations, il n'a été choisi qu'en septième position, ayant signé en France. Ce qui ne l'a pas empêché de se dédire et de rempiler en SPHL pour la franchise qui a parié sur lui, celle de Knoxville...
Son remplaçant Jaroslav Cesky a cependant un profil similaire : lui aussi vient d'une petite ligue mineure (la nouvelle IHL), lui aussi a un gros lancer, lui aussi est formaté au style nord-américain, physique et direct à la cage. Bien qu'il soit tchèque, il a fait toute sa carrière aux États-Unis, en junior (USHL), en universitaire (NCAA) puis en pro (UHL et CHL). Cela ne l'a pas empêché d'avoir des problèmes de papiers... Les services d'immigration ne lui ont délivré son permis de travail qu'en janvier dernier, alors que la saison était déjà bien entamée. Il a mis son énergie coutumière à revenir au jeu, jusqu'à être élu attaquant de la semaine lors de la dernière semaine de saison régulière.
Autre recrutement avorté, celui de Doug Orr, le neveu du meilleur défenseur de l'histoire de hockey sur glace (Bobby Orr). Blessé en début de préparation, l'ex-joueur de Peiting, qu'il avait quitté pour raisons personnelles, n'a pas été conservé... et est aussitôt retourné en Oberliga, à Füssen, où il a tout de suite marqué huit points en deux journées...
Son successeur est un habitué des essais infructueux. Après avoir passé deux années aux États-Unis dans des ligues juniors, Olegs Koreskovs avait déjà tenté sa chance à Brest, dans le championnat biélorusse, dès 2005. Il avait aussi fait un camp en ECHL l'an dernier. À chaque fois, même résultat : retour dans le championnat letton. Il s'y débrouillait bien, d'ailleurs, avec de bonnes bases techniques et un solide gabarit. Il a même été élu cette saison dans l'équipe du championnat qui a affronté son homologue de la ligue biélorusse dans un all-star game commun en janvier. Mais cette année, avec l'avènement de la KHL, le championnat letton s'annonce en déclin, tant au niveau des sponsors que du niveau de jeu. Alors, Koreskovs s'est obstiné : il a retenté sa chance au Bélarus, à Vitebsk, puis est allé voir du côté de Martin, en Extraliga slovaque, avant de se rabattre sur Chamonix. Enfin un club à sa portée ? Toujours pas ! Trop individuel, le Balte n'est pas rentré dans le système.
Les Chamois en sont maintenant à leur troisième tentative avec Michal Pinc, un joueur guère plus stable, qui a joué au Québec (en ligue junior majeur, où il a été échangé en même temps que le néo-Rouennais Strozynski de Hull à Rouyn-Noranda), aux États-Unis (WCHL et UHL), en Norvège (Lillehammer) et en Pologne (Cracovie, avec l'ex-Chamoniard et néo-Dijonnais Ondrej Prokop, et ils avaient déçu tous les deux), avant de connaître le bouquet la saison dernière : quatre clubs - dont celui de sa ville natale Most - de quatre pays différents ! Va-t-il enfin se poser ? On l'espère, car cette litanie d'essais va commencer à lasser le public chamoniard...
En plus des leaders désignés (Aimonetto et les étrangers... quand ils seront définitivement fixés), Chamonix peut compter sur un duo qui n'a peut-être pas encore montré tout son potentiel. Aram Kevorkian et Thibault Geffroy se sont connus à Rouen, et avaient déjà évolué ensemble dans un autre club haut-savoyard, Morzine-Avoriaz, où leur état d'esprit n'avaient pas laissé de bons souvenirs au staff des Pingouins. À eux de faire mentir la réputation collée localement. C'est déjà fait pour Kevorkian, qui s'est imposé à Chamonix même si sa dernière saison a été gâchée par une blessure aux ligaments croisés. C'est maintenant au tour de Geffroy, qui s'est signalé à Caen par son jeu volontaire, et en particulier par ses 4 buts en barrages de relégation contre... Chamonix.
Le reste de l'effectif est constitué d'espoirs, dont le plus prometteur est certainement Vincent Kara. Pour son retour de République Tchèque, le jeune Chamoniard avait été convaincant la saison passée aux côtés des Suédois. Il est désormais rejoint par un de ses coéquipiers en équipe de France junior, Marc Slupski.
Les deux internationaux des moins de 20 ans seront en concurrence pour du temps de jeu avec Dorian Duchosal, qui vient de connaître sa meilleure saison à Annecy, et avec deux jeunes joueurs qui ont du mal à confirmer. L'un, Alexandre Audibert, plafonne depuis sa première saison de Ligue Magnus. Maintenant qu'il n'est plus en âge de jouer en espoir élite, où il marquait deux points par match, il doit franchir un cap pour s'imposer en senior. L'autre, Erwan Pain, a surtout vu sa jeune carrière marquée par des blessures à répétition. Blessures qui ont contrarié sa volonté de partir en République Tchèque cet été. Son talent est indéniable, mais on désespère de le voir accomplir enfin une saison complète.
La mission d'Alan Jacob ne s'annoncent pas simples : gérer une défense ric-rac, et trouver le juste équilibre en attaque entre ses leaders, qui ont toute sa confiance mais ne doivent pas être utilisés au-delà de leur endurance, et les jeunes joueurs locaux qui ont envie de la glace et que les supporters ont envie de voir sur la glace.
Marc Branchu
Départs : Foliot (G, Briançon), Scanff (G, Avignon), Chamel (G, Cholet), Hrehorcak (D, 3+5, Spisska Nova Ves, SVK-2), Motreff (A, 2+3, Morzine), Riendeau (A, 18+18, Strasbourg), Böhme (D, 3+5, Avignon), Séguy (A, 2+2, Dijon), Schneider (D, 1+6, Dunaújváros, HON), Granath (A, 11+12, Mont-Blanc), Primout (A, 1+1, Avignon).
Arrivées : Heinonen (La Haye, HOL), Charton (Garges), Geffroy (Caen), Slupski (Reims), Paul (Wichita Thunder, CHL), Mbaraga (Radio X de Québec, LNAH), Beaurepaire (Mont-Blanc II), Cesky (Flint Generals, IHL), Pinc (Vipiteno, ITA-2).
Effectif :
Gardiens
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2007/08 MJ Min Moy. Pén BEAUREPAIRE Dejan 18/02/1987 179 65 Saint-Gervais Mt-Blanc 2 FRA-3 4 177 7,45 0' 41 CHARTON Tom 15/10/1984 185 94 Reims Garges FRA-2 24 1311 5,49 30' 46 HEINONEN Sami 02/07/1976 186 78 (Finlandais) La Haye HOL-1 41 3,05 30'
Défenseurs
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2007/08 MJ B A Pts Pén 28 CLARET TOURNIER Maxime 13/03/1986 176 81 Chamonix ------- blessé toute la saison ------- 44 MBARAGA Patrick 11/02/1981 185 93 (Canadien) Québec LNAH 50 2 6 8 65' 79 PAUL Todd 25/12/1983 177 84 (Canadien) Wichita CHL 59 6 18 24 52' 27 TORFOU Damien 27/09/1985 175 74 Chamonix Chamonix FRA-1 31 4 1 5 10' 21 TORGERSSON Anders 11/02/1984 187 87 (Suédois) Chamonix FRA-1 31 7 9 16 47' 71 VEYDARIER Fabien 04/11/1985 181 83 Chamonix Chamonix FRA-1 28 0 2 2 42'
Attaquants
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2007/08 MJ B A Pts Pén 22 AIMONETTO Richard 24/01/1972 183 82 Chamonix Chamonix FRA-1 31 6 17 23 79' 15 AUDIBERT Alexandre 10/03/1986 176 75 Chamonix Chamonix FRA-1 30 5 4 9 6' 39 CESKY Jaroslav 18/04/1978 177 84 (Tchèque) Flint IHL 50 18 10 28 54' 8 CROZ Valérian 17/04/1988 170 65 Chamonix Chamonix FRA-1 10 0 0 0 0' 24 DUCHOSAL Dorian 01/06/1983 185 83 Vanoise Annecy FRA-2 24 16 8 24 32' 17 GEFFROY Thibault 03/07/1984 177 74 Rouen Caen FRA-1 31 7 9 16 46' 89 KARA Vincent 17/10/1989 180 80 Chamonix Chamonix FRA-1 28 4 6 10 26' 11 KEVORKIAN Aram 20/04/1982 172 72 ACBB Chamonix FRA-1 17 7 5 12 24' 81 PAIN Erwan 14/02/1986 178 83 Champigny Chamonix FRA-1 15 4 6 10 32' 19 SLUPSKI Marc 14/01/1989 189 91 Cergy/Asnières Reims FRA-2 23 5 2 7 46' 25 TOBIASSON HARRIS Emil 28/01/1980 180 85 (Suédois) Chamonix FRA-1 27 17 13 30 111' PINC Michal 02/12/1981 180 80 (Tchèque) Zhlobin BLR-1 3 0 0 0 0' Zhlobin-2 BLR-2 11 3 11 14 20' Riga 2000 LET-1 3 0 3 3 7' Vipiteno ITA-2 13 10 13 23 4' Most TCH-2 9 0 2 2 8'
Entraîneur : Alan Jacob (CAN).
Revoir la présentation 2007/08