Udo Kießling

 

Lorsque le vingtième siècle s'achève, la période est propice à l'élection des meilleurs hockeyeurs de tous les temps. Le sondage des lecteurs de Eishockey News élit alors Udo Kießling comme le meilleur défenseur allemand de l'histoire, avec 4921 voix, devançant Uwe Krupp (3871 voix), qui avait pourtant récemment marqué les esprits en 1996 en remportant la Coupe Stanley après avoir marqué le but gagnant en prolongation. Ces deux légendes se respectent et ont été coéquipiers. Kießling est d'ailleurs le joueur qui a laissé le souvent le plus marquant au jeune Krupp, éberlué de le voir faire des pompes et des abdominaux avant chaque entraînement jusqu'à épuisement. Il était l'exception de son époque en matière d'hygiène de vie, "non fumeur militant" (selon le mot de Hans Zach) et modéré dans sa consommation d'alcool.

Udo Kießling a si bien entretenu son corps qu'il fut un modèle de longévité. Il a pourtant joué à une époque où le hockey était particulièrement rude sur les patinoires allemandes. Rien ne lui fut épargné : trois fractures du tibia, trois luxations de la clavicule, trois opérations du coude, cinq commotions cérébrales, 20 dents perdues... et une ultime fracture de la mâchoire qui aura raison de sa carrière. Malgré cela, il est devenu le premier hockeyeur à dépasser la barre symbolique des mille parties jouées dans un grand championnat européen, avec 1020 matches en Bundesliga/DEL. Ce nombre peut paraître banal en Amérique du nord où les calendriers sont plus denses, mais on en mesure mieux la portée quand on ajoute que Kießling fut un temps le recordman mondial des sélections. Il a porté 321 fois le maillot de l'équipe d'Allemagne. Son temps de jeu était aussi énorme, dès le début de sa carrière.

Meneur par l'exemple, devenu capitaine comme par évidence, Udo a dû pourtant se détacher de l'étiquette de "fils de" qui lui colla à la peau dans sa jeunesse. Il était en effet le fils de l'entraîneur national de l'Allemagne de l'Ouest... qui avait pourtant côtoyé les plus hautes autorités communistes avant de déserter de l'autre côté du Rideau de fer.

 

Le dirigeant communiste trahi par son prof de patinage

Gerhard Kie ling

L'histoire familiale commence à Frankenhausern, un petit village de Saxe établi autour d'un lac, le Hofteich, qui gèle longtemps en hiver dans cette région au climat très froid. Ce lieu est qualifié de "petit Canada" par l'entraîneur canadien du Reich, Bobby Bell, qui rend visite à cette pépinière. Un jeune talent local, Gerhard Kießling, est ainsi sélectionné dans une équipe d'Allemagne junior en 1937. Après-guerre, alors que l'Allemagne a été divisée en deux, il est le capitaine du SG Frankenhausen, premier championnat de RDA en 1949 puis en 1950. Le village - qui sera intégré à la commune de Crimmitschau en juillet 1950 - vit toujours la même passion pour le hockey sur glace. Les supporters sont juste derrière les balustrades, au point que certains se sont déjà retrouvés sur la glace lorsque le public a "poussé" dans les moments chauds.

Gerhard Kießling est un simple boulanger. Mais ses mérites sportifs lui valent une convocation à Berlin sur recommandation personnelle du Chef de l'État Walter Ulbricht, qui l'a admiré dans un match à Weißwasser. Il donne ainsi des cours de patinage à Ulbricht et à son épouse ! Mais surtout, il est chargé de bonifier et de transmettre ses connaissances dans le hockey. Il est un des premiers étudiants du nouvel institut des sports de Leipzig (le DHFK, qui sera "l'usine à champions" de l'Allemagne de l'Est). Il est même envoyé poursuivre son apprentissage à Moscou et à Leningrad. Il apprend ainsi ses méthodes directement d'Anatoli Tarasov, le fondateur du hockey soviétique. L'entraîneur Gerhard Kießling fait ainsi courir ses joueurs non pas sur les chemins tracés mais au c ur de la forêt, pour qu'ils évitent les arbres comme ils doivent éviter les adversaires. Ils gagnent ainsi en réactivité et en agilité musculaire.

Le régime communiste a donc misé sur Gerhard Kießling et en a fait un rouage important. Après avoir été capitaine de l'équipe nationale d'Allemagne de l'Est (66 sélections), il en devient le sélectionneur et la conduit pour la première fois aux championnats du monde en 1957 en profitant de l'absence des ennemis ouest-allemands qui protestent contre l'invasion de la Hongrie par les chars soviétiques. Avec un tel poste de responsabilité, on lui demande d'intégrer le parti et l'armée. Cela, Gerhard Kießling ne le veut pas : la proximité avec le pouvoir a ses limites, et il ne souhaite pas qu'elle excède le cadre sportif. Alors, il fait comme beaucoup de ses compatriotes dans ces années qui précèdent la construction du Mur de Berlin : il quitte le pays en se réfugiant à Berlin-Ouest. Les membres de sa famille le rejoignent dans les heures qui suivent, chacun avec des motifs différents pour masquer leur intention de fuite. Son épouse Lore-Anita et sa fille Ute passent à leur tour à l'Ouest, puis c'est le petit Udo Kießling (né le 21 mai 1955 et donc âgé de deux ans) qui les suit aux bras de sa grand-mère.

Selon les déclarations de ses parents, Udo aurait déjà pris contact avec sa future surface de jeu, debout sur la glace, à deux ans à Berlin avec son père, avant le départ. Mais les premiers vrais patins, il les chausse à 3 ans, à Oberstdorf en Bavière mais aussi à Krefeld. Son père Gerhard a en effet retrouvé un emploi comme entraîneur des Preußen de Krefeld. L'Allemagne de l'Ouest a hâte de profiter de sa connaissance du hockey et le nomme sélectionneur national. Mais le Mondial 1959 a lieu en Tchécoslovaquie, dans le bloc de l'Est : le fugitif craint donc des actions de la Stasi à son endroit. Gerhard Kießling est placé dans une chambre à trois lits pour être sous la "protection" de ses joueurs Ulrich Jansen et Paul Ambros qui lui servent en quelque sorte de gardes du corps !

Les deux Allemagnes acceptent de jouer l'une contre l'autre aux championnats du monde (et la RFA gagne 8-0), mais la représentation aux Jeux olympiques est censée être unifiée. Kießling qualifie l'Allemagne de l'Ouest contre ses anciens poulains... mais elle ira à Lake Placid... sans lui ! La RDA menace en effet de quitter l'équipe olympique unifiée si le "traître" Kiessling obtient une accréditation. Les dirigeants ouest-allemands cèdent et le bloquent avec ses bagages à l'aéroport de Düsseldorf : il sera si marri de manquer ainsi l'aventure olympique à cause de leur manque de soutien qu'il se défiera d'eux pendant plusieurs années. Il s'éloigne du haut niveau en passant cinq ans comme entraîneur de l'Eintracht Francfort, qu'il amène de troisième en deuxième division, avant entraîner l'équipe d'Allemagne de hockey... sur roulettes !

Il n'est pas question en revanche que cela nuise à l'apprentissage du hockey d'Udo. Il intègre sa première vraie équipe (dans la catégorie Bambini) au sein de l'Eintracht, mais même si sa famille habite Francfort, les conditions de développement restent meilleures à Krefeld. Gerhard y envoie son fils le week-end, après avoir personnellement encadré sa formation pendant la semaine. Le samedi, Udo se rend directement à la gare après l'école, où sa mère lui donne ses affaires de hockey. Il prend le train tout seul et est réceptionné à l'arrivée par un membre du club. Le dimanche, il fait le chemin dans l'autre sens. Le jeune garçon se sent parfois mal à l'aise pendant ces voyages solitaires en train, surtout au retour.

Sélectionné pour le Mondial par son père à 17 ans

La famille s'installe ensuite en Haute-Bavière, à Mittenwald, près de Garmisch-Partenkirchen. Elle trouvera dans les Alpes bavaroises son cadre de vie définitif, même si elle parlera toujours en dialecte saxon à la maison. Udo Kießling intègre ainsi un grand club formateur, le SC Riessersee, avec lequel il devient champion d'Allemagne en Jugend puis en Junioren. L'entraîneur canadien de Riessersee, Mike Daski, fait énormément confiance aux jeunes et lui met le pied à l'étrier : Udo obtient une dérogation pour débuter en senior à seulement 17 ans en octobre 1972.

À la fin de la saison, alors qu'il n'est pas encore majeur, Udo est emmené aux Mondiaux de Moscou 1973 par son père, redevenu sélectionneur national. L'aventure se termine par une relégation, et la présence du fils est un prétexte à tous les soupçons. Udo l'a bien compris : "Ma nomination a été regardée avec critique, y compris par mes coéquipiers. Pour éviter les reproches de faveur familiale, mon père m'a traité plus dur que les autres. Et pour moi ce contexte a renforcé ma motivation." Gerhard ne considère en effet pas que son fils a un talent supérieur à la moyenne, mais lui inculque le goût du travail.

L'année suivante, la RFA rate la remontée et Gerhard Kiessling démissionne de son poste car il considère que sa rétribution de sélectionneur ne reflète pas son temps de travail réel, notamment pour préparer des programmes d'entraînement individuels pour chaque joueur et pour traverser l'Allemagne afin de vérifier comment ils les appliquent. Il se fait alors engager comme entraîneur de Rosenheim, qui vient de redescendre en deuxième division mais s'est doté d'un toit. Il emmène alors son fils avec lui... Udo s'impose alors comme défenseur-buteur, souvent peu voire pas du tout remplacé. Il passe la majorité du match sur la glace et impressionne par sa bravoure.

À 20 ans, Udo Kießling revient en Bundesliga en tant que joueur majeur. Quand il est blessé le 30 novembre à Bad Tölz, Gerhard déclare que son fils est devenu du "gibier" : "Ce qui s'est passé dans ce match est presque criminel. Udo a été attaqué de manière irrégulière sans que les arbitres ne réagissent. Les équipes adverses ont essayé de neutraliser mon fils par tous les moyens. Cela n'a parfois plus rien à voir avec le sport." Cette blessure au genou est toutefois moins grave qu'annoncé. Udo revient vite au jeu et finira la saison avec 30 buts, parmi les meilleurs marqueurs alors qu'il joue à l'arrière (poste qui augmente toutefois son temps de glace). Le bénéfice apparaîtra à la dernière journée quand Rosenheim obtient le maintien.

Un tandem familial très jalousé

Lors cette saison du grand retour familial dans l'élite, Gerhard ne se fait pas que des amis, à cause d'une interview pour le Erlanger Tagblatt. Il y critique la façon "catastrophique" de travailler de certains de ses collègues, "des artistes" chez lesquels le succès à court terme masque qu'il n'y a "rien derrière". Il égratigne même Xaver Unsinn, son successeur comme sélectionneur national, en déclarant que son équipe du Berliner SC "est tellement bonne qu'un entraîneur pourrait discuter avec le public pendant le match et entre les tiers-temps".

Xaver Unsinn, lui, rétorque que la sur-utilisation en club d'Udo risque de nuire à son rendement en équipe nationale. Cela n'empêche pas l'Allemagne de récolter une médaille de bronze historique aux JO d'Innsbruck 1976. Chaque membre de la sélection devient un héros sportif, dont Udo. Son père Gerhard en gardera néanmoins une grande vexation : il est déçu de ne pas être invité aux célébrations de la médaille olympique alors qu'il estime avoir laissé une équipe "toute prête" à Xaver Unsinn, qui récolte tous les lauriers. L'attitude du père peut-elle nuire au fils ? A posteriori, Unsinn expliquera avoir été sceptique envers ce mélange des genres : "Je n'ai jamais eu de problèmes personnels avec Udo. Quant à Gerhard, il était manager, entraîneur et père en une seule personne. Mais c'est son mérite si Udo est devenu ce qu'il est."

Ce duo familial un peu trop lié concentre beaucoup de critiques et de jalousies. Udo - une fois devenu un trentenaire respecté et une légende vivante - reviendra sur cette période difficile : "Il reste des cicatrices, mais je me suis endurci et j'ai murî. Ceux qui avaient ouvert la bouche se sont aussi ensuite aplatis en silence."

Le père et le fils ne se séparent pas pour autant. Au contraire, ils signent ensemble à Cologne, où ils emmènent aussitôt le KEC à son premier titre de champion d'Allemagne. Gerhard se fait étonnamment virer après ce succès, mais il revient un an plus tard en triomphateur puisqu'il redevient champion, toujours avec son fils. Aucune raison de briser un tandem qui marche : les Kießling partent ensuite ensemble dans le club rival, Düsseldorf. Udo y est élu meilleur défenseur de Bundesliga pour la troisième fois en quatre ans, en atteignant un sommet personnel de 83 points.

Une simple pige en NHL

Ce style de jeu de défenseur offensif, qui prend Bobby Orr comme modèle, ne fait pas forcément l'unanimité. On lui reproche d'être plus attiré par le but adverse que par la défense de ses propres cages. Un conflit éclate lors des Jeux olympiques 1980, que l'Allemagne termine à une piteuse dixième place. Peut-être habitué par son père à prendre de haut les autres entraîneurs, Udo se lance dans une joute verbale avec son coach par médias interposés. Il déclare : "On ne s'entraîne pas vraiment ici. Et on n'est encadré ni pendant ni avant le match." Le sélectionneur Hans Rampf est tout aussi désabusé : "Je suis convaincu que Kießling est un défenseur de classe mondiale. Mais ce qu'il montre ici est absolument inadmissible." Le problème d'Udo est sa tendance à vouloir tout faire tout seul quand il voit que ses coéquipiers n'arrivent pas à construire le jeu comme il le voudrait. Progressivement, il se calmera et deviendra plus réfléchi dans son jeu.

La réputation d'Udo Kießling dépasse les frontières allemandes et on en aura bientôt la preuve. Après avoir été vice-champion deux ans de suite, Düsseldorf est éliminé des play-offs dès les quarts de finale en 1982. Il est intéressé par l'invitation de Lou Nanne, l'ancien international américain et manager des North Stars de Minnesota qui essaie de le faire venir en NHL depuis 1979. Il est mis à l'essai et joue un match contre Saint-Louis qu'il résumera dans ce style télégraphique : "passé deux minutes sur le banc des pénalités, tiré sur le poteau, échappé par hasard à une bagarre générale. Tout vécu." C'est suffisant pour faire de lui le premier Allemand en NHL. Il ne poursuivra pas l'aventure plus loin.

Les North Stars lui ont pourtant préparé un contrat de 20 pages en anglais. Mais quand Udo le fait traduire, il comprend qu'il s'agit d'un contrat à deux volets, d'après lequel il ne commence à vraiment gagner beaucoup d'argent qu'au 51e match. De plus, il a donné sa parole au sélectionneur Xavier Unsinn qu'il serait de retour le mois suivant pour les championnats du monde. La carrière de Kießling se déroulera donc en Allemagne après cette petite parenthèse.

Pour la saison 1982/83, il est engagé par Füssen, qui a recruté son père Gerhard comme entraîneur. C'est une catastrophe : le club finira relégué. L'habituel "défenseur de l'année" reçoit un tout autre prix du Sport Kurier, celui de "Fehleinkauf des Jahres" (mauvaise affaire de l'année). Dès Noël, Udo retourne à Cologne, sans pour autant aider son ancien club en crise à revenir au sommet.

L'équipe nationale d'Allemagne de l'Ouest va redorer l'étoile de Kießling. Il a pourtant bien failli être absent des Jeux Olympiques 1984, les derniers où le règlement du CIO sur l'amateurisme s'applique. Les Américains remettent en cause la sélection de quatre Canadiens jugés professionnels. La Finlande présente alors à son tour une liste noire de dix noms, dont les deux stars allemandes Udo Kießling et Erich Kühnhackl. Finalement, l'on s'accorde pour que le critère d'inéligibilité pour professionnalisme consiste à avoir ou à avoir eu un contrat en NHL. Kießling y a joué un match, mais n'a jamais apposé sa signature sur un contrat. Il peut donc participer à ce tournoi olympique qui réhabilite la RFA, cinquième en battant au passage la Finlande.

Un capitaine qui critique ses collègues

La compétition internationale suivante, le Mondial 1985, débute plus mal pour les Ouest-Allemands qui encaissent cinq défaites de suite contre les meilleures équipes. Le sélectionneur Xaver Unsinn organise alors un match de football au lieu de l'entraînement prévu sur la glace, pour changer les idées de son équipe. Mais juste après cette partie de ballon rond, Udo Kießling monte sur la glace, accompagné seulement de quelques-uns de ses coéquipiers. "On voit là qui a vraiment la volonté", lance-t-il aux journalistes allemands avides d'une déclaration-choc. Il dénonce le manque d'implication de certaines vedettes, n'hésitant pas à s'attirer des inimitiés. Les relations avec le centre Gerd Truntschka seront toujours tendues...

Kießling n'est alors même pas capitaine de l'équipe, et pourrait être accusé de dépasser ses prérogatives, mais après cette parole forte, Unsinn lui confiera définitivement le "C" qu'il gardera jusqu'à la fin de sa carrière. Il assumera toujours pleinement ce rôle dans ses propos ("Je suis la seule personnalité dans le hockey sur glace allemand, malheureusement"), au risque de déplaire une fois de plus à ses collègues. Xaver Unsinn expliquera ainsi son choix : "Udo est un capitaine exemplaire, il représente l'équipe de manière exceptionnelle, c'est ainsi que je vois le rôle. Quand il a émis des critiques, il avait raison. C'est un professionnel de la tête aux pieds et il a le bon engagement envers ce sport de combat qu'est le hockey."

Cette personnalité qui sort du lot s'exprime aussi en club. Au deuxième match de la finale de la Bundesliga 1986, Cologne est mené 5-1 après 40 minutes chez son grand rival Düsseldorf. Kießling se charge du discours dans le vestiaire à la place de l'entraîneur Hardy Nilsson et fait appel à l'honneur des joueurs. Le KEC refait son retard, avec un but en infériorité de Kießling au passage, gagne en prolongation, et deviendra champion. Kießling remporte quant à lui son deuxième titre de joueur de l'année.

Kießling obtient ensuite des honneurs individuels sur le plan international en étant élu sur l'équipe-type du Mondial 1987, peut-être son meilleur tournoi. Dès sa première présence, il a scotché un Canadien dans la bande de manière régulière mais physique. Inspirée par l'exemple de ce capitaine au gabarit solide mais pas surdimensionné (181 cm et 84 kg), son équipe n'aura pas peur, décrochant un premier succès historique sur le Canada (5-3).

L'équipe d'Allemagne de l'Ouest est alors à son sommet et connaît ses meilleures années. Mais aux championnats du monde 1989, Udo Kießling se blesse au dos dans le premier match contre la Tchécoslovaquie (excellent 3-3) et est handicapé par la suite, "Aucun autre que lui n'aurait supporté cela et continué à jouer", déclare le médecin de l'équipe allemande, le Dr Hipp. La Nationalmannschaft s'avère décevante, n'obtenant son maintien qu'au dernier match. Le capitaine reste toujours exemplaire mais estime ne trouver aucun relais pour prendre des responsabilités, notamment parmi les vedettes de l'attaque... qui sont ses coéquipiers en club depuis trois ans à Cologne ! Le super-duo offensif Hegen/Truntschka - qui a les oreilles qui sifflent - rejoindra cet été-là Düsseldorf, dont la constellation d'étoiles dominera le hockey allemand. Les deux attaquants finiront par dépasser le nombre de titres de Kießling et par prendre une revanche discrète sur celui qui dénonçait leur manque de caractère...

Les agacements de Kießling traduisent son haut niveau d'exigence, envers lui-même et envers les autres. S'il s'est imposé naturellement comme capitaine, il n'a pas de goût particulier à se comporter en mâle alpha, y compris dans sa relation conjugale avec sa femme Ulrike, plus âgée que lui de trois ans. Il expliquera au quotidien, Neue Zeit : "Elle accepte mon métier sans rechigner et est une partenaire autonome. Une femme qui me lave les chaussettes et me fais la cuisine, je ne peux pas en avoir besoin."

Seul un palet puissant pourra l'arrêter

À 36 ans, Udo Kießling ne se sent pas vieillissant, les médecins lui disent qu'il a toujours une condition physique de jeune homme. Mais avec les nouveaux entraîneurs nationaux, Ludek Bukac et son adjoint Franz Reindl, il doit refaire ses preuves. Son nom ne figure pas sur leur première sélection, à la Deutschland Cup. Il travaille encore plus fort pendant l'hiver pour regagner sa place et participer à ses cinquièmes Jeux olympiques à Albertville. Il déclare alors vouloir jouer jusqu'aux Mondiaux 1993, attribués à l'Allemagne, mais il n'en aura pas l'occasion. Ses deux dernières sélections en avril 1992 lui permettent de battre le record mondial des sélections, mais il n'est pas conservé dans l'équipe pour les Mondiaux 1992 de Prague.

Son temps à Cologne touche aussi à sa fin. À l'été 1992, les méthodes du nouvel entraîneur russe Vladimir Vassiliev - notamment les trois semaines programmées dans une caserne militaire - ne sont vraiment pas à son goût. Udo Kießling n'a pas besoin d'être surveillé et contraint pour se préparer correctement, il le fait de lui-même. Il reçoit une lettre de licenciement parce qu'il s'est présenté en retard à cet entraînement estival. Il conteste ce renvoi car il veut rester. Finalement, il trouve un accord avec le KEC pour un départ concerté. Il part à Landshut qui recrute alors plusieurs vétérans. Même à 37 ans, Kießling mérite son (gros) salaire, il montre toujours l'exemple et se jette devant les lancers.

L'entraîneur de Landshut, Bernie Johnston, est plus jeune d'un an que son capitaine Udo Kießling, et lui fait pleinement confiance : "En tant que coach, je décide combien de temps il est sur la glace. Mais je n'ai qu'à regarder Udo dans les yeux, je sais ce qu'il en est. Il ne dira jamais 'Je ne peux pas', cette phrase ne fait partie de son vocabulaire." Lors de la demi-finale contre Krefeld, Kießling joue parfois près de 40 minutes. Extrêmement précieux, notamment en infériorité numérique, il amène l'EVL jusqu'en finale du championnat. Il resigne un an de plus car il tient à dépasser le cap symbolique des 1000 matches dans l'élite allemande. Toujours pas adepte du consensus mou, Udo continue d'exprimer ce qu'il pense en critiquant dans le quotidien de référence Die Welt l'évolution de cette DEL qui s'est constituée en ligue fermée élargie : "Les clubs ennuyeux doivent sortir. Nous devons revenir à la promotion et relégation. Je ressens ma popularité réduite comme une forme de reconnaissance. Je ne me suis jamais laissé tordre."

Udo Kießling, qui n'aime pas qu'on lui impose les choses, espérait logiquement choisir le moment de sa retraite. Un accident en décide autrement : le 19 mars 1996, lors de la demi-finale contre son ancien club Cologne, un slap de Tobias Abstreiter fait exploser sa mâchoire. Il a l'interdiction de poursuivre le sport, alors qu'il avait déjà donné son accord pour une saison supplémentaire : le voilà contraint à des adieux forcés à 41 ans. Ce qui est fini est fini ! Il ne rechaussera plus les patins que pour quelques tours de patinoire symboliques, douze ans plus tard, l'après-midi qui précède la cérémonie de retrait de son numéro 4 à Cologne. Ce soir-là, il fera quelques pas en civil sur la glace avec la mascotte du club, un requin.

Le recordman des sélections et des matches joués a consacré 24 ans de sa vie au hockey sur glace de haut niveau, mais il n'avait pas l'intention d'y rester. Il avait compris que, s'il devenait entraîneur, il devrait immanquablement baisser ses exigences par rapport à celles qu'il s'imposait à lui-même. Il avait donc préparé sa reconversion avant même d'arrêter sa carrière : il est rentré à Cologne dans l'administration d'une clinique de rééducation.

Marc Branchu

 

 

Statistiques

                                               Saison régulière          Play-offs / Relégation
                                            MJ    B   A  Pts    Pén     MJ    B   A  Pts    Pén
1972/73 SC Riessersee        Bundesliga     40    8   6   14    44'
1972/73 Allemagne          Internationaux    4    0   0    0     6'
1973    Allemagne            Mondiaux A     10    0   0    0     6'
1973/74 Augsburger EV        Bundesliga     36   16   6   22    52'
1973/74 Allemagne          Internationaux    7    0   1    1     2'
1974    Allemagne            Mondiaux B      7    1   2    3     8'
1974/75 SB Rosenheim       2. Bundesliga    34   20  18   38    73'
1974/75 Allemagne          Internationaux   10    0   1    1     6'
1975    Allemagne            Mondiaux B      7    1   2    3     5'
1975/76 SB Rosenheim         Bundesliga     34   30  22   52    72'
1975/76 Allemagne          Internationaux    3    0   0    0     0'
1976    Allemagne          Jeux olympiques   6    0   1    1     8'
1976    Allemagne            Mondiaux A     10    0   1    1     8'
1976/77 Kölner EC            Bundesliga     46   13  21   34   143'
1976/77 Allemagne          Internationaux    6    3   1    4     0'
1977    Allemagne            Mondiaux A     10    1   2    3     6'
1977/78 Kölner EC            Bundesliga     39   16  18   34    48'
1977/78 Allemagne          Internationaux    9    0   1    1     8'
1978    Allemagne            Mondiaux A     10    0   5    5    10'
1978/79 Kölner EC            Bundesliga     40   28  32   60    78'
1978/79 Allemagne          Internationaux    5    1   0    1     6'
1979    Allemagne            Mondiaux A      8    2   4    6    16'
1979/80 Düsseldorfer EG      Bundesliga     48   38  45   83    84'
1979/80 Allemagne          Internationaux    2    0   0    0     0'
1980    Allemagne          Jeux olympiques   5    2   2    4     6'
1980/81 Düsseldorfer EG      Bundesliga     39   14  29   43    93'     11    8   4   12    22'
1981/82 Düsseldorfer EG      Bundesliga     38   15  22   37    54'      2    0   0    0     7'
1981/82 Minnesota North Stars   NHL          1    0   0    0     2'
1981/82 Allemagne          Internationaux   10    3   3    6     0'
1982    Allemagne            Mondiaux A      7    1   3    4    12'
1982/83 EV Füssen            Bundesliga     21   12  13   25    52'
        Kölner EC            Bundesliga      9    4   0    4     2'      9    3   7   10     8'
1982/83 Allemagne          Internationaux   10    2   1    3     2'
1983    Allemagne            Mondiaux A      4    0   1    1    10'
1983/84 Kölner EC            Bundesliga     31    5  15   20    58'     14    4   4    8    16'
1983/84 Allemagne          Internationaux    8    1   2    3     6'
1984    Allemagne          Jeux olympiques   6    2   1    3     4'
1984    Allemagne           Coupe Canada     4    0   1    1     4'
1984/85 Kölner EC            Bundesliga     36   14  26   40    38'      9    4  10   14    22'
1984/85 Allemagne          Internationaux    9    1   1    2     2'
1985    Allemagne            Mondiaux A     10    0   3    3    12'
1985/86 Kölner EC            Bundesliga     27   13  19   32    24'     10    5   8   13    17'
1985/86 Allemagne          Internationaux    8    0   3    3     0'
1986    Allemagne            Mondiaux A     10    4   2    6    22'
1986/87 Kölner EC            Bundesliga     33    6  23   29    54'      9    4  11   15    16'
1986/87 Allemagne          Internationaux   10    1   3    4    16'
1987    Allemagne            Mondiaux A     10    5   3    8    18'
1987/88 Kölner EC            Bundesliga     35    9  20   29    54'     11    3   7   10    22'
1987/88 Allemagne          Internationaux    7    2   0    2     4'
1988    Allemagne          Jeux olympiques   8    1   5    6    20'
1988/89 Kölner EC            Bundesliga     31   11  24   35    38'      9    6   4   10     8'
1988/89 Allemagne          Internationaux   11    4   3    7     4'
1989    Allemagne            Mondiaux A     10    2   0    2    12'
1989/90 Kölner EC            Bundesliga     35    7  15   22    45'      8    1   2    3    10'
1989/90 Allemagne          Internationaux   15    2   3    5     6'
1990    Allemagne            Mondiaux A     10    2   2    4    10'
1990/91 Kölner EC            Bundesliga     35    7  13   20    36'     10    2   4    6    18'
1990/91 Allemagne          Internationaux   13    0   4    4    10'
1991    Allemagne            Mondiaux A     10    0   1    1     6'
1991/92 Kölner EC            Bundesliga     42   11  23   34    38'      4    2   0    2     2'
1991/92 Allemagne          Internationaux    4    0   0    0     2'
1992    Allemagne          Jeux olympiques   8    0   0    0     6'
1992/93 EV Landshut          Bundesliga     44    9  19   28    50'      6    1   5    6    10'
1993/94 EV Landshut          Bundesliga     44    3  16   19    74'      7    0   1    1    10'
1994/95 EV Landshut              DEL        41    7  17   24    40'     18    3   7   10    22'
1995/96 EV Landshut              DEL        50    3  19   22    44'      7    0   2    2     4'
Totaux en 1. Bundesliga / DEL              874  299 463  762  1315'    144   46  76  122   214'
Totaux en équipe d'Allemagne               321   44  68  112   289'

 

Palmarès

- Champion d'Allemagne 1977, 1979, 1984, 1986, 1987 et 1988

- Médaillé de bronze olympique 1976

Honneurs individuels

- Joueur allemand de l'année 1977 et 1986

- Élu dans l'équipe-type de Bundesliga 1976/77, 1977/78, 1978/79, 1979/80, 1980/81, 1981/82, 1982/83, 1983/84, 1984/85, 1985/86, 1986/87, 1987/88, 1988/89, 1989/90 et 1990/91

 

 

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