Aleksandr Yakushev

 

Joueur et entraîneur, ce sont des métiers totalement différents. Aleksandr Yakushev peut en témoigner plus que quiconque. Sur le banc, il a sans doute vécu plus de mauvais que de bons moments. Son nom reste irrémédiablement lié au plus grand désastre du hockey sur glace russe, les championnats du monde 2000 de Saint-Pétersbourg. A contrario, sa carrière de joueur, aussi bien avec le Spartak qu'avec la grande équipe d'URSS des années soixante-dix, lui a valu tous les honneurs, ainsi qu'un respect unanime.

Si c'est dans les grands moments que l'on reconnaît les grands joueurs, alors Yakushev, le géant longiligne au patinage puissant, a sa place au cénacle des maîtres du hockey sur glace. Dans l'évènement le plus important de l'histoire de ce sport, la série du siècle de 1972, c'est lui qui a terminé meilleur marqueur soviétique. Côté canadien, cette rencontre au sommet a révélé le buteur décisif Paul Henderson, à la carrière pourtant déjà longue. Côté soviétique, elle a propulsé sur le devant de la scène Aleksandr Yakushev, qui était très apprécié pour ses accomplissements au Spartak, mais qui n'avait pas encore cette stature internationale. Il ne fait pas tout un cas de ces performances qui l'ont mis sous le feu des projecteurs. Après l'avoir affronté à son tour en 1974, Bobby Hull a déclaré de lui qu'il était le meilleur ailier gauche de tous les temps : "Je n'ai jamais vu quelqu'un se déplacer avec autant de puissance et de grâce que Yakushev. Il sait ce qu'il fait." Wayne Gretzky, marqué dans sa mémoire de jeune téléspectateur, le considère toujours comme le meilleur hockeyeur russe de l'histoire. Yakushev minimise cependant les louanges des Canadiens : "Je pense qu'on ne peut tirer une conclusion sur tel ou tel joueur qu'en le voyant en action sur plusieurs années, et pas sur la base de quelques bons matches. Cela ne me touche pas le moins du monde".

Toujours modeste, Yakushev, comme ses origines. Il avait grandi jusqu'à 7 ans dans un baraquement à Reutov (banlieue Est de Moscou) avec une cuisine et une toilette pour 38 familles, et considérait donc le "komunalki" (le classique appartement collectif soviétique où la promiscuité était tout de même moins grande) où il vécut ensuite comme un luxe. Homme curieux, il dévorait des pavés de la littétature russe (l'autobiographie en six volumes de Paoustovski), il fut initié à la musique classique par sa femme Tatiana. C'est avec la même avidité d'apprendre qu'il s'était jeté dans le hockey à 12 ans contre l'avis de ses parents.

 

Disciple de Bobrov

Que ce soit en 1972 qu'il ait pris une nouvelle dimension ne doit rien au hasard. Cela coïncide avec la nomination de Vsevolod Bobrov à la tête de l'équipe nationale, à la place du père fondateur du hockey russe Anatoli Tarasov. Sous la férule de ce dernier, Yakushev souffre de l'excès d'autorité, mais avec Bobrov, son talent se libère et brille de mille feux.

Il faut dire que, si l'on excepte sa toute première saison en 1963/64, car il a débuté avec l'équipe première du Spartak Moscou à même pas dix-sept ans, Aleksandr Sergueïevich Yakushev, né à Moscou le 2 janvier 1947, est né au haut niveau en suivant les conseils de Bobrov. Celui-ci est alors la véritable icône du sport en URSS, où chacun a en mémoire ses exploits inégalés des années cinquante. Il arrive au cours de l'été 1964 et, en trois ans, non seulement il amènera le Spartak à son deuxième titre, mais en plus il développera toute une nouvelle génération de joueurs.

Dans une interview au quotidien Sport-Express, Yakushev reviendra sur l'immense reconnaissance qu'il voue à Bobrov : "Je le considère comme mon père dans le hockey. Savoir dans quelles mains vous tombez lorsque vous passez des juniors à l'équipe première, c'est quelque chose d'extrêmement important. Il n'y pas que moi, cela a été une chance pour beaucoup de trouver Bobrov sur leur chemin. Il était exemplaire en tout, comme joueur, comme entraîneur, et comme homme. Il adorait ses joueurs, mais ne pliait pas devant eux. Il pouvait se montrer ferme aussi bien envers un jeune qu'envers un vétéran qui jouait en sélection comme Maïorov ou Starshinov. Pour les jeunes, comme Zimin, Shadrin ou moi, chaque jour avec lui était un bonheur permanent. En trois ans, il a établi les fondations du Spartak. Mais le charme de cet homme n'était pas transmissible."

Lorsque le travail de Vsevolod Bobrov est couronné par le titre de champion d'URSS, en 1967, Aleksandr Yakushev a 20 ans. Il vit alors encore avec toute sa famille, et c'est son entraîneur qui lui obtient un appartement individuel, ce qui constitue un privilège à l'époque soviétique.

Alexandre le Grand

Cette année-là, il fait ses débuts en équipe nationale, et est même emmené aux championnats du monde de Vienne, mais uniquement en temps que dixième attaquant (on joue alors à trois lignes). Sa consécration se fait attendre en sélection, et ce n'est qu'à partir des Jeux Olympiques de 1972 à Sapporo qu'il devient un titulaire indiscuté. Aux championnats du monde à Prague, où les Soviétiques sont entraînés pour la dernière fois par Tarasov, il marque onze buts. Puis vient la série du siècle, où son talent éclate au monde entier.

La première chose qui frappe chez Yakushev, c'est sa taille. L'ailier gauche fait 1 mètre 90, ce qui est très grand pour l'époque, mais surtout il a de longues jambes et de longues mains, qui lui donnent une envergure dominante. Il n'utilise cependant jamais son physique à mauvais escient, à des fins d'intimidation, c'est au contraire un joueur très propre, respecté à la fois pour son courage et pour son fair-play. Il combine ce grand gabarit avec une excellence technique dans le maniement de la crosse et dans la précision des passes. Il est aussi doté d'un très bon slap, mais sa grande force est son coup de patin puissant qui lui permet de passer les défenses.

Mais si sa taille est commune chez les ailiers modernes, Yakushev était une exception à l'époque, et cela n'avait rien d'aisé, comme il l'a confié à Sport-Express : "Franchement, et j'y ai souvent repensé, le rôle d'ailier est plus compliqué avec cette taille. Il y avait un stéréotype : un ailier doit être rapide, manœuvrable, adroit, avec un démarrage fulgurant. Je n'étais rien de tout ça. Ma vitesse de démarrage n'était pas exceptionnelle. J'avais un patinage endurant une fois que j'avais accéléré. Se battre dans les coins, comme un ailier doit le faire souvent, est difficile avec ma taille. Avec mes mensurations, on jouait habituellement au centre, où: il y a plus d'espaces. C'est là que j'ai commencé, mais à l'arrivé de Bobrov, il m'a envoyé à l'aile gauche. Il avait perçu quelque chose en moi et ne s'était pas trompé."

Face aux professionnels de la NHL, il fait étalage de toutes ces qualités. Mais, malgré son très bon bilan personnel, Yakushev a en travers de la gorge le dénouement de la série du siècle, perdue par l'URSS : "Nous pensions que nous réussirions probablement à gagner une des trois dernières rencontres et à remporter ainsi la série. Mais cet excès de confiance a affaibli notre résolution, et cela s'est reflété dans une incapacité à finir nos actions. Il y a quelque chose qui fait défaut aux Européens en général, et aux joueurs soviétiques en particulier. Cela s'appelle lutter jusqu'aux derniers instants. C'est un trait spécifique du hockey canadien." Il expliquera aussi avoir chez lui les vidéos des rencontres de la série du siècle mais ne jamais les avoir regardées tant l'amertume de la défaite au dernier match restera forte pendant des décennies.

Aleksandr Yakushev n'a pas failli individuellement lors de cette seconde partie de la série à Moscou. Lors de ces quatre rencontres, les Canadiens décident de déterminer les meilleurs joueurs soviétiques et de leur offrir une bague en or. Quatre anneaux sont ainsi remis à l'ailier du Spartak. Cela fait partie d'une volonté de courtiser les meilleurs joueurs soviétiques, et un contrat NHL lui est d'ailleurs proposé, comme à trois de ses coéquipiers, mais il considère cette perspective comme irréaliste. Les Los Angeles Kings le courtiseront longtemps, et on entendra même des rumeurs de défection à son sujet. Mais elle s'avèreront fausses.

Fidélité au Spartak

Bien qu'il sache que les professionnels nord-américains touchent des centaines de milliers de dollars, et que lui n'a droit qu'à une prime de 1200 roubles pour une victoire en championnat du monde, Yakushev ne se plaint pas. Il sait qu'il fait figure de privilégié en URSS, et rappelle qu'il a un meilleur salaire que les ingénieurs. Il a d'autant moins de raisons d'envisager l'exil qu'il évolue dans le club de son cœur, le Spartak... Mais ce dernier point dépend du bon vouloir de l'armée.

En effet, il risque d'être incorporé au CSKA, en devant effectuer son service militaire. L'échéance de celui-ci a été repoussée, mais le jour fatidique arrive alors qu'il a vingt-sept ans. Il est dix heures du soir, et un officier de l'armée, accompagné de deux soldats, vient frapper à sa porte. Yakushev échange des regards avec sa femme, et ils décident de ne pas ouvrir. Ils entendent les "visiteurs" faire les cent pas, puis s'éloigner... Deux heures plus tard, à minuit, Aleksandr doit s'envoler avec la sélection pour Helsinki, où ont lieu les championnats du monde. Arrivé en Finlande, il s'enquiert de sa situation auprès des dirigeants de la délégation et s'entend répondre qu'il n'a plus à s'inquiéter, et que sa situation est arrangée. À cette époque, le Spartak a encore assez de pouvoir pour garder les siens face à la tentacule CSKA.

Aleksandr Yakushev est soulagé, l'épée de Damoclès militaire lui est épargnée. Ce vrai "Spartakiste" pourra poursuivre sa carrière dans son club de toujours, auquel il est indéfectiblement attaché. Il en admirait les footballeurs dans son enfance avant d'intégrer la section hockey. Au Spartak, l'amour du maillot est présent plus que partout ailleurs. Aucun club ne déchaîne autant les passions, et la rivalité face au CSKA, l'équipe de l'armée et donc du pouvoir, est alors à son comble. "Yak-15", ainsi surnommé en référence à son numéro de maillot, est lié à cet esprit-club, il ressent ces liens profonds qui unissent la famille spartakiste.

Il n'a pas progressé seul, mais avec son camarade Vladimir Shadrin, toujours présent à ses côtés. Ces deux-là ont eu beaucoup de partenaires sur leur ligne, d'abord Yaroslavtsev, puis Zimin, mais aussi Maltsev - du Dynamo - en équipe nationale. En 1974, les deux compères se voient adjoindre Viktor Shalimov, avec qui ils forment le trio majeur du Spartak et la deuxième ligne de la sélection soviétique, championne olympique à Innsbruck en 1976. C'est le match contre la Tchécoslovaquie lors de ces JO qui est selon Yakushev le plus important de sa carrière. Le Spartak obtient un quatrième - et dernier - titre cette année-là. Yak-15 a atteint son apogée, il est le deuxième meilleur marqueur du championnat.

Pourtant, en 1976, lui et Shadrin sont laissés hors de la sélection pour la Coupe Canada pour "fatigue mentale". Il se rattrapera aux championnats du monde 1977, à Vienne, où il avait débuté en compétition officielle. Pour la première fois, l'autorisation est faite aux professionnels de participer. Le Canada, emmené par le meilleur marqueur de la série du siècle Phil Esposito, fait son grand retour, mais il encaisse sa plus lourde défaite dans la compétition face à l'URSS, 1-11, avec un quadruplé de Yakushev.

Une carrière prolongée

Néanmoins, Aleksandr Yakushev est désormais considéré comme sur le déclin, comme du reste son équipe du Spartak. Le CSKA de Viktor Tikhonov a désormais les pleins pouvoirs, et le nouveau sélectionneur national retire d'ailleurs bientôt Yakushev de ses plans. Il ne participe donc pas aux championnats du monde de Prague, en 1978, où il avait envisagé de faire ses adieux. Du coup, blessé dans son orgueil, il aura la fierté de reconquérir sa place en équipe nationale. La pression populaire poussera Tikhonov à le réintégrer l'année suivante. Les séances d'entraînement commencent tout de même à être éprouvantes, et avec son centre de gravité très haut, Yakushev souffre d'autant plus de la perte de son agilité juvénile. Il semble temps d'arrêter, à 33 ans, tout du moins pour ce qui est du championnat russe...

Après un dernier match dans lequel il inscrit un quadruplé contre le CSKA de Tikhonov, une sortie de rêve pour le Spartakiste, il part en 1980 comme ambassadeur du hockey soviétique. L'État récupére 70% du montant du contrat qu'il signe en Autriche, plus précisément à Kapfenberg, où le terrain avait déjà été déblayé le terrain par des Russes, Martiniuk et Gureïev, ce dernier étant même devenu entraîneur-joueur au moment où son compatriote arrive. Il est difficile de toujours répondre aux attentes quand on débarque avec dans le dos l'étiquette d'un des meilleurs joueurs de tous les temps, mais dans les matches importants, Yakushev laisse toujours parler sa classe et fait monter son équipe sur le podium, terminant deuxième meilleur marqueur du championnat à deux points de Gureïev. La deuxième saison, par contre, il ne montre son talent que de manière plus épisodique, car l'entente est moins évidente avec un entraîneur local, Günter Heubrandtner. La troisième et dernière année, on partage officiellement les pouvoirs entre "l'entraîneur-joueur" Yakushev et le "coach" Heubrandtner.

C'est que, dès le moment de sa retraite internationale, Yakushev avait déjà envisagé sa reconversion : "J'ai le hockey dans le sang et je ne peux pas abandonner ce sport comme ça. Aussi vais-je devenir directeur ou entraîneur d'une équipe." Quoi de mieux pour entamer une nouvelle carrière que de le faire au sein de "son" Spartak. Pour autant, il sait qu'il doit tout reprendre à zéro et que c'est un métier différent. Il se souvient en effet de Bobrov, qui ne faisait jamais valoir ses mérites d'ancien grand joueur lors de ses discours d'entraîneur, contrairement à d'autres.

Comme son maître spirituel, Aleksandr Yakushev devient l'entraîneur du Spartak, entre 1989 et 1993, en plein pendant une période de grandes mutations, qu'il accompagne en monant lui-même sur les barricades avec sa femme pour empêcher le putsch communiste de 1991. Il accepte donc la dislocation de l'URSS, même si le championnat national perd beaucoup de sa valeur avec l'exil des meilleurs hockeyeurs. Après une première année difficile, Yakushev, considéré en Russie comme un entraîneur-démocrate (par opposition au style dictatorial d'un Tikhonov, même s'il sait se montrer dur si nécessaire), amène son équipe deux fois sur le podium. Ce sont ces saisons, celles des derniers feux du hockey soviétique, qui lui procureront le plus de plaisir.

Mais en 1993, le Spartak tombe dès les huitièmes de finale des play-offs face au Metallurg de Magnitogorsk. Qu'une équipe aussi prestigieuse puisse être éliminée par un obscur club de province, voilà qui est intolérable et qui coûte évidemment son poste à l'entraîneur. Ce que l'on ne sait pas alors, c'est que le championnat russe est en train de changer de visage, que les oligarques de province vont prendre le pouvoir grâce aux fortunes qu'ils ont amassées grâce aux privatisations sauvages, et que ce Metallurg Magnitogorsk alors quasi-inconnu deviendra quelques années plus tard le meilleur club d'Europe.

Tout cela sera une bien maigre consolation pour Yakushev. Il refait un bref passage en Autriche, en deuxième division, à Zell am See, en 1993/94. On l'y accuse de trop faire travailler les joueurs à l'entraînement jusqu'à pomper leur énergie, puis on le vire après une cinquième place en expliquant que le bilan n'est bon ni dans les affluences ni dans la formation des joueurs locaux. Un hockeyeur de légende ne peut pas enseigner le hockey en un an, et les sept jeunes formés à Zell finissent à zéro but. Ce club qui a consommé les entraîneurs à répétition fera faillite un an plus tard... Yakushev part ensuite en Suisse pour entraîner le HC Ambrì-Piotta. Il s'y fait une image d'homme discret et peu bavard, mais c'est surtout parce qu'il ne parle que russe. Piotr Malkov lui sert de traducteur. Son expression "Lui detto che..." ("Lui déclaré que...") est rentrée dans la légende des conférences de presse au Tessin. Aleksandr passe un peu plus de deux ans dans la région avant d'être licencié le 5 novembre 1996 pour manque de résultats. Il fait ses adieux en grand seigneur en saluant tous les joueurs, et même les dirigeants qui l'ont viré, avant de donner la bienvenue et de serrer longuement - pour le besoin des photographes - la main de son successeur Larry Huras.

En 1998, Yakushev atteint ce qui semble être la consécration en tant qu'entraîneur. Il est nommé à la fois à la tête du Spartak et de l'équipe nationale. Malheureusement, il échouera sur toute la ligne. Le Spartak Moscou est relégué pour la première fois de son histoire en division inférieure. Yakushev doit de plus affronter une grève des joueurs, et quand vient l'heure des conflits d'intérêt, les relations humaines sont irrémédiablement dégradées, à des années-lumière de celles qu'il louait lors de son précédent passage dans son club, qui a bien changé entre-temps. En essayant ensuite vainement de faire remonter le Spartak, Yakushev est finalement viré avant la fin de sa deuxième saison. Mais ce n'est rien à côté de ce qui l'attend, car sa carrière d'entraîneur va connaître un revers encore plus terrible.

Le cataclysme de Saint-Pétersbourg

Les championnats du monde 2000 sont organisés à Saint-Pétersbourg, et le public russe se réjouit de pouvoir enfin voir évoluer sur son sol toutes les stars qu'il ne voit plus qu'à la télévision depuis l'exode vers l'Amérique du nord. Initialement, Yakushev compte disposer de cinq ou six renforts de NHL, mais ceux-ci sont tous pressés de vivre l'évènement et les candidats potentiels se multiplient. Dans les derniers jours précédant le début des Mondiaux, les stars de NHL affluent les unes après les autres, et il en laisse venir quatorze au total, en donnant congé aux joueurs du championnat russe qui ont fait toute la préparation. Grave erreur.

Déjà jugé distant envers les joueurs, avec une réputation écornée par ses revers avec le Spartak, Yakushev n'a plus de vrai contrôle sur son équipe. Il se laisse faire par des individualités capricieuses, à qui il donne en vain toute latitude pour déployer leurs qualités personnelles, au détriment du collectif. Il se laisse aussi convaincre par l'entraîneur des gardiens (mais peut-il remettre en cause son avis puisqu'il s'agit de l'illustre Vladislav Tretiak ?) que le peu orthodoxe Ilya Bryzgalov est le titulaire idéal dans les cages, le plus talentueux à ce poste. Mais le plus grand gardien de l'histoire russe s'est fourvoyé dans son jugement sur cet espoir pas encore mûr, en qui Yakushev a retiré sa confiance trop tard. Coup sur coup, "l'équipe aux 35 millions de dollars" (somme des contrats des joueurs de NHL qui la composent) perd contre les États-Unis, la Suisse, la Lettonie et le Belarus. Une seule de ses défaites aurait déjà été honteuse, mais quatre revers d'affilée, jamais la sélection russe n'avait connu ça. Elle obtient le triste privilège d'être la première des quatre nations européennes majeures à ne pas réussir à se qualifier pour les quarts de finale d'un championnat du monde.

Dans de telles circonstances, dans un pays si habitué à la victoire (l'URSS, en son temps, était montée sur le podium à chacune de ces participations aux Mondiaux), l'entraîneur, traditionnellement très important dans la culture russe, a forcément fauté. Il a été décrit comme apathique sur son banc, incapable de réagir. Il n'a pas su exploiter les joueurs du championnat russe qui ont pourtant fait de bonnes choses sur leur maigre temps de jeu. Il s'est contenté d'espérer un miracle - qui n'est jamais venu - de joueurs qu'il n'a pas réussi à fondre dans un projet collectif.

L'équipe russe du Mondial de Saint-Pétersbourg, c'est une constellation d'individualités de talent, incapables de trouver la moindre créativité collective, et qui recherchent leur salut dans des actions individuelles. Les stars russes de NHL se sont ainsi mises à copier le style canadien, prenant des tirs dans toutes les positions plutôt que de réfléchir à des combinaisons. Cette équipe a donc renié tout ce qui a fait les fondements du jeu russe, de ce hockey collectif dont Yakushev était l'un des héros. Et celui-ci a eu des mots malheureux, comme quoi la passe ne serait utile que si l'équipe adverse pratiquait le forechecking... Anatoli Tarasov se serait retourné dans sa tombe en entendant cela. C'est Aleksandr Yakushev qui doit porter le fardeau de cet enterrement du hockey russe, comme s'il avait dû recouvrir le cercueil d'une dernière pelletée de terre, alors que ce n'est pas lui particulièrement qui avait creusé le trou. Il tentera d'expliquer cette dichotomie entre ses succès de joueur et ses échecs d'entraîneur dans une interview au Corriere del Ticino : "Le rôle de joueur est plus facile que celui d'entraîneur, et puis nous vivons une autre époque, le sport a changé. Le système qui était utilisé de mon temps en Union Soviétique était très différent de ce qui se fait actuellement, et permettait un excellent développement individuel. Pour parvenir à ces résultats, le principal était notre application, plus que notre talent. Ma génération avait faim de victoire."

Quoi qu'il arrive, après avoir été celui qui a laissé le premier descendre le Spartak, il reste désormais dans l'histoire comme celui qui a conduit la grande Russie à la onzième place d'un championnat du monde, et sa carrière d'entraîneur a été marquée au fer rouge par cette humiliation. C'est symboliquement en 2000, la dernière année du siècle, qu'a eu lieu cet effondrement dans la hiérarchie mondiale. Les fins de siècle ont parfois des saveurs amères...

Marc Branchu

 

 

Statistiques

                                       MJ    B   A  Pts   Pén
1963/64 Spartak Moscou      URSS        3    1        1
1964/65 Spartak Moscou      URSS       24    5   0    5    4'
1965/66 Spartak Moscou      URSS       29    7   3   10   18'
1965/66 URSS           Internationaux   1    0   0    0    0'
1966/67 Spartak Moscou      URSS       44   34  11   45   18'
1966/67 URSS           Internationaux   6    1   0    1    2'
1967    URSS              Mondial A     2    1   0    1    0'
1967/68 Spartak Moscou      URSS       44   17   4   21    8'
1967/68 URSS           Internationaux   8    6   1    7    4'
1968/69 Spartak Moscou      URSS       42   50       50
1968/69 URSS           Internationaux  13    6   4   10    2'
1969    URSS              Mondial A     6    1   1    2    2'
1969/70 Spartak Moscou      URSS       43   33       33
1969/70 URSS           Internationaux   7    0   5    5    0'
1970    URSS              Mondial A     6    3   3    6    8'
1970/71 Spartak Moscou      URSS       40   13  13   26
1970/71 URSS           Internationaux   7    2   3    5    2'
1971/72 Spartak Moscou      URSS       32   17   8   25    0'
1971/72 URSS           Internationaux  13   12   0   12    0'
1972    URSS                 JO         5    0   3    3    4'
1972    URSS              Mondial A    10   11   4   15    0'
1972    URSS           Série du Siècle  8    7   4   11    4'
1972/73 Spartak Moscou      URSS       29   26  10   36   16'
1972/73 URSS           Internationaux  11   10   5   15    9'
1973    URSS              Mondial A    10    9   6   15    2'
1973/74 Spartak Moscou      URSS       32   26  11   37   12'
1973/74 URSS           Internationaux  13   11   6   17    4'
1974    URSS              Mondial A    10    7   7   14    2'
1974/75 Spartak Moscou      URSS       35   16  18   34   34'
1974/75 URSS           Internationaux  23   15   5   20    6'
1975    URSS              Mondial A     9   11   5   16    2'
1975/76 Spartak Moscou      URSS       36   31  20   51   15'
1975/76 URSS           Internationaux   9    5   5   10    4'
1976    URSS                 JO         6    4   9   13    2'
1976    URSS              Mondial A    10    6   1    7    0'
1976/77 Spartak Moscou      URSS       31   17  11   28   24'
1976/77 URSS           Internationaux   3    1   0    1    2'
1977    URSS              Mondial A    10    7   4   11    0'
1977/78 URSS           Internationaux   2    1   0    1    2'
1977/78 Spartak Moscou      URSS       32   10   9   19   12'
1978/79 Spartak Moscou      URSS       44   19  20   39   44'
1979    URSS           Internationaux   3    2   1    3    6'
1979    URSS              Mondial A     8    4   2    6    8'
1979    URSS             Rude Pravo     4    2   0    2    4'
1979/80 Spartak Moscou      URSS       43   17  12   29   20'
1980/81 SV Kapfenberg     Autriche     34   46  44   90   61'
1981/82 SV Kapfenberg     Autriche     38   36  53   89   45'
1982/83 SV Kapfenberg     Autriche     38   33  58   91   23'
Totaux en championnat d'URSS          568  339 
Totaux en coupe d'URSS                 46   25
Totaux en Bundesliga autrichienne     110  115 155  270  129'
Totaux en équipe nationale d'URSS     223  152  88  240   85'

 

Palmarès

- Champion olympique 1972 et 1976

- Champion du monde (et d'Europe) 1967, 1969, 1970, 1973, 1974, 1975 et 1979

- Champion d'URSS 1967, 1969 et 1976

- Vainqueur de la Coupe d'URSS 1970 et 1971

Honneurs individuels

- Meilleur attaquant des championnats du monde 1975

- Membre de l'équipe-type des journalistes aux championnats du monde 1974 et 1975

- Membre de l'équipe-type du championnat soviétique 1976

- Plus grand de nombre de buts marqués dans le championnat soviétique en 1974

 

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