Épinal
Chapitre I - Aux sources du hockey dans les Vosges
Le patinage est pratiqué depuis très longtemps à Épinal, comme dans les autres villes du Grand Est. Un article du Télégramme des Vosges du 29 décembre 1884 donne une idée de l'ancienneté de cette pratique qu'il décrit comme remontant au moins à la génération précédente : « Le club des patineurs spinaliens a planté sa tente au bord de l'étang quasi-légendaire où nos pères ont fait maints glissades et pris, hélas ! maints bains frois intempestifs. Les temps sont changés. Les gros sabots ferrés, avec lesquels on se lançait à toute vitesse sur les "glissottes", les grossiers patins de bois avec leurs lames recourbées, leurs innombrables courroies ont fait place à d'élégants patins en fer, à ressorts, à leviers, etc. Chantereine est devenu comme une salle de bal en plein air, où jeunes gens et jeunes filles se livrent au bel art des courbes savantes et gracieuses, et luttent entre eux de vitesse et d'élégance. Sur la rive, un chauffoir, clos et couvert, met "les mamans" à l'abri des frimas et du froid de l'attente. Un buffet offre ses réconfortants aux clubmen. Il ne manque plus, ma foi, qu'un tramway pour franchir l'ennuyeuse côte ! »
Cet étang quasi-légendaire, c'est celui de Chantraine, dans les faubourgs ouest de la ville. Mais ce n'est pas le seul lieu de patinage. Le Petit Champ de Mars, au sud de la ville le long de la Moselle, est aussi utilisé comme le prouve cet extrait du procès-verbal du Conseil Municipal du 18 décembre 1885 : « M. le maire donne la priorité de l’ordre du jour à une demande présentée par plusieurs jeunes gens tendant à être autorisés à occuper temporairement une partie du petit Champ-de-Mars pour y installer un cercle de patinage. Autorisation est donnée. »
Le troisième endroit où l'on patine, c'est l'étang du parc du Château, à l'est de la ville. Un autre Conseil municipal d'Épinal, en date du 27 avril 1894, y témoigne déjà de la pratique du patinage : « Un projet de bail de la ferme du Château est adopté. La ville se réserve expressément le droit absolu de laisser circuler le public dans les allées ainsi que le droit de passage à pied et en voiture pour sortir ou entrer au Château par la grille du faubourg Poissompré. L’étang sera loué pour le droit de pêche seulement. Le patinage y sera gratuit et le fermier ne pourra jamais briser la glace sans autorisation de la ville. »
Ce faubourg Poissompré où se situe la grille d'entrée du château deviendra pour toujours l'adresse du hockey spinalien et deviendra un nom célèbre pour tous les amateurs de ce sport en France. Pour autant, en l'état actuel des recherches, on n'a pas encore trouvé trace d'une pratique précoce du hockey sur glace en ce lieu au tout début du vingtième siècle.
La première mention attestée de ce sport dans les Vosges date du lundi 22 février 1909 lors des fêtes de Gérardmer. Dans le programme de l'après-midi, à 14h, on lit Concours de patinage sur le lac, de hockey sur glace, de rallye-paper en skis.
Cette pratique du hockey sur glace se poursuivra chaque hiver jusqu'à la guerre sur le lac de Gérardmer. Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, on y joue avec un palet mais avec des crosses courbes et non avec des crosses canadiennes. La "perle des Vosges", comme Gérardmer fut appelée par Abel Hugo (le frère de Victor), veut alors se développer comme une station de sports d'hiver de référence pour éviter que les amateurs des plaisirs enneigés et glacés partent en Suisse voire en Allemagne. C'est la SHG (Société des sports d'hiver de Gérardmer) qui organise la pratique sportive, dont le hockey sur glace.
Et la deuxième ville des Vosges à avoir pratiqué le hockey sur glace ? Ce n'est pas non plus Épinal. Il s'agit d'une ville d'eau qui s'est mise à la glace. Le dimanche 9 février 1919, on s'est livré au hockey sur les étangs de Vittel, comme on peut le voir sur cet article ci-contre du Télégramme des Vosges. Ces parties de hockey ont été jouées seulement trois mois après la fin de la Première Guerre mondiale, paradoxalement dans une année quasi-blanche pour le hockey sur glace en Europe ! Elles sont a priori restées sans lendemain.
À Paris, le Club des Patineurs (devenu Club des Sports d'Hiver de Paris) et les dirigeants fédéraux qui en émanent ont pourtant sans cesse proclamé leur volonté de développer le hockey sur glace dans les Vosges et dans les Pyrénées, mais avec moins de succès qu'ils n'en ont eu à Chamonix. La Fédération Française des Sports d'Hiver vote le 25 février 1927 une subvention de 300 francs pour que le Club Athlétique Gérômois (le club sportif de Gérardmer à laquelle la SHG est affiliée) s'achète du matériel de hockey sur glace. Elle vient alors de créer un critérium des équipes secondes, une sorte de deuxième division, pour attirer en championnat d'autres clubs que Chamonix et Paris, qui n'ont trouvé aucun compétiteur depuis près de vingt ans.
L'effort portera ses fruits quelques années plus tard. Le hockey sur glace s'est entre-temps développé dans les Alpes, et il connaît une expansion très rapide dans le tout nouveau Palais des Sports de Grenelle où il devient le sport à la mode à Paris. Comme une coïncidence, c'est le dimanche 29 janvier 1933, le jour même où une grande fête de la glace avec des matches de hockey est organisée au Parc des Princes, que la première démonstration connue de hockey sur glace est annoncée à Épinal entre deux équipes de la "S.H.S.", la Société des Sports d'Hiver Spinaliens. Ce club semble avoir été mentionné pour la première fois en décembre 1909 lorsque son comité déclare à la presse « que les travaux de la patinoire de l'étang du Château sont près d'être terminés et qu'on pourra y patiner dans quelques jours ». Il semble bien que ce soit la même Société des sports d'hiver qui organise le patinage plus de vingt ans plus tard, mais on n'a pas encore attesté de sa pratique du hockey durant ce long intervalle. Au moment où semble naître le hockey à Épinal, en tout cas, la S.H.S. est présidée par Jules Weiller, qui dirige la plus importante fabrique de meubles des Vosges.
Les premiers matches
Durant cette saison 1932/33, ces premiers hockeyeurs d'Épinal ne sont pas tout à fait seuls. La société des sports d'hiver de Gérardmer, présidée par Paul Lévy, a créé et entretenu depuis le début de l'hiver une grande patinoire clôturée de 110 mètres sur 60. Le premier match ne tarde pas entre les deux équipes vosgiennes. Le dimanche 26 février 1933, Épinal reçoit Gérardmer lors d'une grande fête à la patinoire du château, maintenue malgré une température contrariante, si douce (+7°C) qu'elle commence à faire fondre la glace. La SHS remporte ce premier match par 2 buts à 1. Un vin d'honneur est ensuite offert aux champions en présence du chef du cabinet du Préfet et de l'adjoint au maire. La défaite concédée par une ville où le hockey se joue depuis un quart de siècle le montre : Gérardmer n'a jamais vraiment formé d'équipe de façon très pérenne. En témoigne le compte-rendu de l'assemblée générale de juin 1933 - soit quatre mois plus tard - de la SHG qui indique qu'elle « ne désespère pas non plus d'organiser une équipe de hockey sur glace »...
La S.H.S. semble déterminée à faire mieux. Dès l'automne 1933 elle passe une annonce dans la presse priant les jeunes gens voulant pratiquer le hockey de s'inscrire. La première fête du patinage programmée pour le dimanche 10 décembre est annoncée trois jours plus tôt dans le Télégramme des Vosges en ces termes : « Un match mixte de hockey sur glace complètera cette fête. Seront opposées l'équipe des "Rapides" (dames) contre l'équipe première des "Volants" (messieurs). Les patineurs qui depuis deux jours utilisent la patinoire du Château sont enchantés des heureux aménagements pratiqués au cours de l'été. L'enlèvement des herbes qui donne à la glace une surface impeccable a permis de porter de 1800 à 4000 m² la surface praticable. Quant aux joueurs de hockey, ceux-ci ont un emplacement réservé pour leur entraînement ce qui ne gêne en rien les évolutions des patineurs. »
Beaucoup de mentions remarquables dans cet article. Cette cohabitation entre patineurs et hockeyeurs, cet emplacement réservé, on peut les constater sur la photo ci-contre qui date de cette époque. On y remarque aussi l'éclairage électrique au-dessus de la patinoire, qui permet le patinage en soirée comme le mentionnent les journaux. La référence aux dames prouve que des Vosgiennes ont aussi joué au hockey à l'époque. On n'a certes pas leur nom mais on peut penser qu'il s'agit des mêmes sportives qui s'essaient également au patinage de vitesse. Et si la hockeyeuse parisienne Maria Orefice a participé au concours un an plus tôt, on retrouve en 1933/34 des noms inconnus à Paris, dont Mlle Weiller, sans doute la fille du président du club. Quant à la référence aux "Rapides" et aux "Volants" - les noms des deux grands clubs parisiens cette saison-là - elle prouve qu'on a connaissance à Épinal des grandes heures du hockey sur glace au Palais des Sports, et pour cause puisqu'ils sont couverts par les grands journaux nationaux de l'époque.
On ne va pas se contenter de lire les articles sur ce hockey parisien. Le 31 décembre 1933 est une date à marquer d'une pierre blanche : c'est la première "vraie" rencontre de la SHS. Les hockeyeurs spinaliens montent en effet à Gérardmer pour y affronter l'équipe première du Hockey Club de Paris, un des quinze clubs de hockey qui se partage les heures de glace rue de Grenelle. Il s'agit en fait d'un club qui pratiquait le hockey sur roulettes depuis vingt ans et qui s'est mis à la glace avec l'ouverture de la piste du Palais des Sports. Le comparaison des résultats de la première mi-temps (0-8) et de la seconde (2-3) augure des progrès rapides des débutants vosgiens. Dimanche 11 février 1934, toutefois, La première équipe d'Épinal est battue par son homologue de Gérardmer qui prend sa revanche de l'an passé sur ce même score (1-2).
Cette saison 1933/34 semble annoncer une pratique régulière, mais ce ne sera pas le cas. On l'a constaté ailleurs en France, les caprices du climat, qui font fondre la glace quand on espère organiser une belle fête, ont souvent découragé les initatives en dehors des stations de montagne. Les patineurs spinaliens continuent de rechercher le meilleur terrain de jeu et se déplacent la saison suivante à Chavelot, à 6 kilomètres au nord d'Épinal, où trois étangs de pèche et de baignade ont été aménagés sur une ancienne carrière de ballast entre le canal de l'Est et la Moselle. L'article de L'Express de l'Est du 10 février 1935 est prometteur : « Nous sommes heureux d'annoncer qu'à partir d'aujourd'hui dimanche, la patinoire de Chavelot est à la disposition des sportifs. Cette patinoire, presque unique en France, est actuellement d'une superficie de 25 000 mètres carrés. La glace y est excellente, et les patineurs en seront émerveillé. Un service d'autobus fonctionnera de la Place des Vosges à Chavelot [...]. Les personnes désireuses de faire partie de la section de hockey sont priées de s'équiper, l'entraînement devant commencer, dès aujourd'hui, sous la direction d'un professionnel parisien. Pour tous renseignements, s'adresser à J. Weiller à Épinal. »
Combien furent-ils à se présenter pour s'entraîner auprès de ce pro parisien ? Malheureusement, c'est la dernière mention du hockey sur glace trouvée à ce jour dans les Vosges avant la guerre. En 1936, il sera question d'une Société Vosgienne de Patinage (S.V.P.) qui distribue des cartes de membre à Chavelot chez M. Poméon (place des Vosges), alors que la section de patinage de la S.H.S. distribue toujours des cartes pour l'étang du Château en 1937/38. Une concurrence qui n'aurait pas aidé à unifier les patineurs, en particulier pour la pratique d'un sport collectif comme le hockey sur glace ? En tout cas, la mode du hockey retombe à Épinal aussi voire plus vite qu'elle n'est retombée à Paris. Mais les premiers germes auront été semés pour une pratique entretenue après-guerre par la famille Grandclaude, et qui ne se développera complètement qu'avec la patinoire artificielle.
Marc Branchu
Chapitre suivant (Les années folles)