Épinal

Chapitre III - Première crise de croissance

 

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Pour sa deuxième année parmi l'élite, le SGE devient plus ambitieux mais perd le fil fragile de son équilibre. Les changements incessants de dirigeants, les tiraillements en interne sont autant de facteurs d'instabilité. Ainsi le club se sépare de Pete Laliberté, son homme providentiel subitement devenu "trop cher", signe avant-coureur d'une trésorerie vacillante. Grâce à ses deux naturalisés de service (Pépin et Meslier), le club peut toujours se tourner vers un renfort étranger. Comme Bob Sauvé, le meilleur compteur de la saison passée, n'est plus là, "l'artiste" Marcel Dumais est recruté de Saint-Gervais pour assurer la double fonction d'entraîneur et de joueur. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le départ de Dumais n'a pas été digéré au pied du Mont-Blanc comme en témoignent les réactions du public malgré la victoire des Aigles (9-4). Un succès pas si net que ça puisque Patrick Adin, auteur d'un triplé ce soir-là, avait égalisé à la 52e minute... Cette deuxième journée du championnat 1983/84 faisait office de première pour des Spinaliens ayant vu leur ouverture face à Gap contrariée par un brouillard persistant, conséquence d'un bel été indien.

Comme l'effet de surprise ne joue plus, les résultats sont plus difficiles à obtenir et la citadelle de Poissompré n'est plus imprenable. Épinal passe toutefois bien près de l'exploit à Chamonix (5-6) et doit attendre la sixième journée pour tenir son premier succès (11-4). C'est Tours qui a trinqué face au quintuplé de l'inévitable Marcel Dumais et au hat-trick de l'insaisissable Normand Pépin. Les "verts" ratent le coche à plusieurs reprises et laissent filer des points précieux. Désormais en charge de Viry, Pete Laliberté signe un retour gagnant à Poissompré (9-3) et la dernière place tend les bras aux hommes de Marcel Dumais. Le Canadien, alors deuxième marqueur du championnat, ne peut pas tout faire.

Les Lorrains signent pourtant de remarquables séquences, jouant notamment vingt minutes de rêve face à Saint-Gervais (2-1) avant de s'effondrer (4-9). Ils résistent tout autant devant "Cham" (3-4) mais ratent encore le coche devant Amiens (9-9 après le 7-7 de l'aller à Poissompré). Pire encore, les vieux démons ressurgissent à Briançon (4-11) dans un match terni où les visiteurs n'ont pas fait dans la dentelle. Épinal file un mauvais coton et se voit corrigé à domicile par l'ogre megévan (1-9) avant de s'effondrer à Viry (3-17). Vu l'enchaînement des défaites, le public perd un peu de sa foi légendaire et ils ne sont "que" 700 face à Caen (4-6). Les hommes de Dumais terminent derniers et doivent repasser par la case barrages. Une entreprise rendue plus ardue cette année par l'encombrante présence des ambitieux Français Volants et de leur vedette canadienne Larry Skinner.

Des trois équipes hiérarchiquement inférieures (avec Anglet et Dunkerque), les Parisiens sont assurément les plus dangereux. Pourtant, Épinal avait le match en main à Bercy, menant rapidement 2 à 0 grâce à deux buts de Thierry Ouzelet et Jérôme Campiglia. Mais les Volants renversaient la vapeur avec (10-6), en prime, un quadruplé de Skinner. L'affaire prend mauvaise tournure lorsque Caen remporte un match à quitte ou double (11-9) qui met les Vosgiens sous pression. La lutte à distance avec les Normands se dessine et prend forme à la toute dernière journée. Épinal n'a alors que deux points de retard et s'impose nettement (13-4), remontant du coup la différence de buts.

Le maintien sportif est arraché in extremis, dans une ambiance évidemment indescriptible... mais tout ça pour du beurre. Car les lendemains déchantent. En coulisses, les comptes ont du plomb dans l'aile et la pérennité du club est remise en question. La cause, un trou de 120 millions de centimes. Des questions se posent. Le hockey spinalien est-il viable en élite ? A-t-on vu trop haut ? Le magazine Slap, pour sa part, mettait les pieds dans le plat : "Entre l'inaptitude des dirigeants, le coup de poignard de l'URSSAF et le retrait sur la pointe des pieds d'une municipalité ne désirant pas jouer le rôle du capitaine sur un navire en perdition, les raisons de cette faillite sont aussi variées que nombreuses." Le rêve est passé, mais à quel prix ? Celui d'avoir l'insigne honneur d'être le premier club d'une (trop) longue série à déposer le bilan. Un véritable coup de massue qui scelle une belle aventure. Restent les souvenirs, indélébiles...

Maintenant, il va falloir tout reconstruire... car le hockey dans la Cité des Images va repartir tout en bas de l'échelle. L'hémorragie peut alors commencer. Marcel Dumais rentre au pays, Bernard Meslier s'en va rejoindre un certain Bob Sauvé en Ligue Senior du Québec et Normand Pépin regagne ses pénates alpines tandis que Patrick Partouche part "avec beaucoup de regrets" à Rouen, un club de Nationale 2 très ambitieux... Adin, Guillou et Willmann vont à Strasbourg, Brasseur et Ouzelet filent à Amiens tandis que Poirot et Campiglia se retrouvent à Caen. Comme prévu, la liste est longue, mais beaucoup se seraient encore bien vus faire un petit bout de chemin dans la Cité des Images...

Gilles Durand aurait pu être de ceux-là. "Quand le club a déposé le bilan après les deux premières saisons en élite, j'ai eu des propositions pour partir. Je n'ai pas voulu car à ce moment-là, on ne pouvait pas vivre du hockey." Dans une entrevue accordée à La Liberté de l'Est, le futur arbitre dit ne rien regretter même si "cela a été dur en 1985 où, à 27 ans, tu es au top et tu dois descendre pour des raisons qui ne sont pas sportives." Lui et quelques irréductibles reprennent le flambeau en Nationale C, sous l'égide de l'A.R.S.G.E. (Association pour le Renouveau des Sports de Glace d'Épinal). Ils retrouvent l'austérité de la Nationale C dans un mini-championnat à quatre (avec Besançon, la réserve de Strasbourg et l'entente Metz/Amnéville). Vainqueur de cinq de ses six matchs, Épinal remporte la poule est mais décline l'invitation pour le tournoi final. L'année suivante, celle de la saison 1985/86, les Vosgiens remportent une poule est réduite à sa plus simple expression (avec Metz/Amnéville et Besançon) et honorent cette fois leur qualification pour la phase finale. Avec son Canadien Michel Laforest, le club spinalien domine Reims (5-4), Cherbourg (23-2) et Le Vésinet (10-4) dans un tournoi organisé à Poissompré avant d'affronter Morzine pour la "grande" finale. Vainqueur à l'aller (7-5) comme au retour dans le Chablais (4-3), Épinal devient champion de France de division 3 et retrouve la Nationale 2.

Pour ce faire, l'A.R.S.G.E. se dote d'un nouvel entraîneur, le Tchécoslovaque Ivan Guryka, bien connu à Chamonix. Le hockey spinalien reprend doucement du poil de la bête. Les frères Bardy, Denis Claudé et Gilles Durand sont devenus des cadres incontournables mais l'attaque se voit régulièrement privée de Stéphane Poirot, retenu par ses obligations militaires. L'autre atout offensif reste le Hongrois Andreas Farkas, déjà présent depuis deux ans dans la cité des Images. L'ex-international magyar enfile les buts comme des perles (39 goals et 54 passes en 24 matchs) aux côtés de Pascal Guillou et de Philippe Lejeune (alors âgé de 18 ans). Du moins, c'était la configuration de la première ligne avant la naturalisation du Canadien Michel Provencher. Épinal se sort d'une poule nord très abordable, non sans avoir battu le leader rémois dans la Marne (9-2). C'est en revanche plus difficile en poule finale, face aux clubs de la poule sud et les "verts" terminent bons derniers derrière Deuil-la-Barre et le Vésinet, qu'ils avaient pourtant dominés en première phase.

Épinal retrouve les Franciliens en 1987/88. Sans Guryka, sans Farkas (parti à Nice) et sans les frères Bardy. C'est la fin d'un cycle au sein d'un groupe où le processus de rajeunissement est définitivement enclenché. Un nouvel entraîneur-joueur débarque à Poissompré, le Canadien Gatien Dumoulin. Le natif de l'Outaouais, trop juste physiquement pour la NHL de l'époque (1,74 m pour 77 kg), découvre très vite l'Europe, via la Belgique et l'Angleterre. Dumoulin a déjà fait ses preuves dans ces championnats-là et marque à lui seul près d'un tiers des buts spinaliens. Les Lejeune, Kohler et Rapenne se qualifient pour la troisième fois de suite en poule finale mais s'y montrent encore trop juste malgré l'efficacité d'un Dumoulin au four... et au moulin (ça ne s'invente pas !). Malgré tout, Épinal retrouve la division 1 grâce au retrait dijonnais et au désistement de tous les autres clubs de N2 (excepté Lyon). Le club semble alors sorti de l'ornière et la fièvre, retombée quelques années plus tôt, s'apprête à renaître...

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