Épinal
Chapitre IV - Bob Gainey, un extraterrestre dans les Vosges
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Bob Gainey. Plus qu'un nom, une légende du hockey. Des honneurs individuels à la pelle (les quatre premiers trophées Selke de meilleur attaquant défensif de NHL) et cinq Coupes Stanley aussi, toutes acquises sous l'uniforme glorieux du Canadien de Montréal. Par quel miracle cet "extra-terrestre" a t'il posé bagage dans la Cité des Images, un beau jour de 1989 ? À vrai dire on se le demande encore. Comme le disait à La Liberté de l'Est Gatien Dumoulin, à propos des bruits circulant déjà au mois de juillet 89 : "voir Gainey à Épinal, c'est comme si vous annonciez que Michel Platini allait signer dans un petit club amateur. Impossible...".
Toujours est-il que Gainey, l'excellence au poste d'attaquant défensif, souhaitait prendre du recul par rapport à la NHL... est sera bel et bien Spinalien cette saison-là ! L'audace du président Latour offre un sacré coup de pub à Philippe Séguin, alors maire d'une préfecture des Vosges en pleine effervescence grâce à sa vedette canadienne. Moyennant, bien sûr, la contribution des sponsors (qui affluent en nombre) et de Philippe Séguin en personne pour s'acquitter des mensualités de Bob Gainey. La télévision canadienne, intriguée, ira même s'intéresser de plus près au phénomène. L'engouement du hockey revient subitement dans la Cité des Images.
Difficile de se focaliser autrement que sur la personne de Gainey, joueur reconnu mais personnage très humble, venu de ressourcer et vivre "une expérience très riche sur le plan culturel et personnel". Sportivement, le Canadien apporte une expérience hors du commun et tout son savoir-faire à un groupe promu en Nationale 1B pour la saison 1989/90. Si les débuts sont délicats, avec deux nets revers concédés devant Angers (0-5) et Chamonix (3-13), les Écureuils vont pourtant reprendre du poil de la bête. Soignant notamment leur invincibilité à Poissompré, même s'ils ne résistent pas à d'intouchables Chamoniards (1-7) et à leurs dauphins castelvirois (5-8). Quatrième de la première phase, et donc qualifiés pour la poule finale, les Vosgiens seront trop courts pour se mêler à la lutte finale.
Car ce groupe est très jeune malgré l'aura qu'apporte Gainey, d'abord défenseur avant d'adopter un rôle plus offensif aux côtés d'Éric Lamoureux et de Frédéric Favre. Ce dernier est un attaquant polyvalent (et donc facilement re-convertible) venu de Bordeaux apporter son expérience du haut niveau et son slap dévastateur. Buteur redoutable, Lamoureux est quant à lui venu de Deuil-la-Barre pour devenir le leader offensif d'une équipe stabilisée à l'arrière par un autre Franco-Canadien, le Dijonnais Michel Célestin. Sans oublier l'expérimenté Gilles Durand et Yves "Billy" Bannier, qui participa à l'intense rivalité spinalo-dijonnaise (dans le camp bourguignon) au début des années 80. Le tout pour soulager Jean-François Kuten, le spectaculaire gardien recruté de Viry à l'été.
Une saison pas comme une autre, assurément, où les projecteurs étaient braqués sur cette N1B survolée de bout en bout par Chamonix. Pour autant, "l'effet Gainey" aura totalement ravivé la fièvre de Poissompré. Reparti ensuite en NHL, comme entraîneur en chef puis directeur-gérant après le déménagement des North Stars du Minnesota au Texas, Gainey conduira les Dallas Stars à la Coupe Stanley (1999) avant de devenir l'homme fort du Canadien de Montréal. À terme, comme l'a suggéré le député-maire Michel Heinrich en 2002, la patinoire devrait prendre le nom de Bob Gainey. De quoi le rendre définitivement inoubliable...
Et le stock de noisettes ?
En perdant son principal sponsor (et donc son écureuil...) à l'aube de la saison 1990/91, Épinal devenait anonyme lors de cette année "post-Gainey". Sans nom, certes, mais pas sans ambitions avec un recrutement prometteur témoignant d'une réelle volonté de jouer les premiers rôles en N1B. Avec le retour aux sources de Jérôme Campiglia et l'arrivée de Raphaël Marciano, le club de la Cité des Images tenait une doublette tourangelle pleine d'automatismes. Avec les Briançonnais Alain Pivron, Nicolas Marck (né dans la région, à Longwy, mais formé à Briançon) et le Villardien Nicolas Ligeon, le président Latour tenait trois joueurs déjà passés par l'élite.
Mais encore fallait-il que tout ce beau monde ait des licences en bonne et due forme. La lenteur administrative évoquée par Michel Latour semble freiner les démarches, au grand dam des autres clubs de N1, qui se sentent floués à l'image de Joël Franco, le président d'Angers. Face à cette levée de boucliers, qui va jusqu'à la menace d'un boycott d'Épinal, Bernard Goy, le président de la CNHG, préfère botter en touche. Finalement, tout rentre dans l'ordre mais dans l'histoire, Épinal perd sur tapis vert le bénéfice d'une victoire à domicile sur Anglet (6-1).
Avec un Reindl taille-patron et régnant sur une défense de fer (la meilleure du championnat avec 78 buts encaissés), Épinal oublia ses deux revers initiaux (3-11 à Viry et 4-6 à Chamonix) et l'épisode des "licences fantômes" pour rapidement atteindre son rythme de croisière. Le duo Pivron-Ligeon, appuyé par l'inévitable Favre, tourne à plein régime et constitue l'axe fort d'une attaque où la paire Marciano-Campiglia tire également son épingle du jeu. Derrière, c'est tout aussi solide devant l'excellent "Jeff" Kuten avec la polyvalence du robuste Jean-Christophe Filippin (le futur international venu de Briançon) pour accompagner le vétéran Gilles Durand et un Didier Bocquet (Rouen) qu'il côtoiera ultérieurement en temps qu'arbitre.
Mais la pièce maîtresse de cette arrière-garde vient de l'Est avec Jan Reindl. Un capitaine du Sparta de Prague, champion de Tchécoslovaquie quelques mois auparavant. C'est dire le calibre du bonhomme, d'autant qu'il n'y aura pas "tromperie sur la marchandise". La belle histoire pouvait commencer entre Reindl et Épinal, qui ne lui a pourtant pas déroulé le tapis rouge à son arrivée. Malgré des conditions d'hébergement difficiles, sans eau chaude notamment, le Tchèque redouble d'efforts dans son apprentissage du français et s'investit à fond dans son nouvel environnement.
Les Vosgiens (et leur intenable triplette Pivron-Ligeon-Favre) resteront officieusement invaincus jusqu'en mars, évitant toutes les embûches à l'extérieur comme à domicile. Pour preuve, tous les favoris sont tombés à Poissompré : Chamonix (6-2), Angers (4-2) et surtout Viry (6-3). Des Essonniens partageant la première place avec les troupes de Frédéric Favre avant le début de play-offs. Vu la forme affichée par Épinal en fin de saison régulière, les demi-finales ne faisaient aucun doute. Anglet, malgré le nul de l'aller (6-6 à la Barre), n'a cette fois pas tenu au retour (2-5).
Il reste une marche à gravir avant de retrouver Viry en finale. Mais encore fallait-il passer l'écueil caennais, qui avait déjà eu raison de Chamonix au tour précédent. Après un match nul épique dans le Calvados (9-9), les Léopards ont flairé le bon coup au retour. Tenaces au possible, ils sont même passés à trois secondes d'une mort-subite. Sauf qu'une ultime mise au jeu souriait à Raphaël Marciano, qui remisait derrière sur Alain Pivron. L'ex-Briançonnais, qui avait d'ailleurs ouvert le score, dégaine et trompe Gervasoni... à 59'57" (4-3). Une action de légende qui fait chavirer les 1 800 spectateurs entassés à Poissompré. Mais le bouillant public spinalien n'allait pas connaître les frissons du titre. L'usure physique aidant, Viry fit la différence à l'aller (4-2 dans les Vosges) avant de conclure au retour sur sa petite glace (5-2).
Dudacek + Groulx = déficit
En cette saison olympique 1991/92, le championnat élite est au plus mal. Le retour de flamme pour un hockey français qui a trop longtemps vécu au-dessus de ses moyens. Grenoble, en liquidation judiciaire, quitte une "Ligue Nationale" où Briançon et Reims, notamment, affichent d'inquiétants passifs. Pour entretenir l'illusion, les "volontaires désignés" de Nationale 1 sont obligés de monter. Voilà Épinal, mais aussi Clermont et Viry "jetés en pâture" aux gros bras. Envoyés au "casse-pipe" dans l'attente d'une seconde phase, fin novembre, où les deux derniers seront reversés en N1.
Dans ces conditions, et malgré quelques renforts substantiels (Thillien, Dudácek et Ouzelet notamment), Épinal n'aura pas fait le poids. Et ça, tout le monde s'y attendait, notamment Frédéric Favre, l'entraîneur-joueur spinalien, qui se confiait à Hockey Mag : "On n'a rien à faire à ce niveau et heureusement que certaines équipes ne jouent pas à fond sinon ça pourrait être grave. Ce n'est pas bon de perdre toutes les semaines, et on a beau se dire que l'on va bientôt jouer contre des équipes de notre calibre, on se pose tout de même des questions." Les résultats parlent d'eux-mêmes et les déculottées s'enchaînent : 2-10 contre Briançon, 9-1 à Rouen, 1-15 contre Chamonix... En effet, pas de quoi redresser le moral des troupes, même si celles-ci ne déméritent pas. Elles attendaient simplement des jours meilleurs... et d'être "recasées" en N1 ! Favre le sait d'autant plus que ce dénouement est gravé dans le marbre : "C'est clair et net, on a l'accord écrit de la fédération que, quoi qu'il arrive dans la première phase, on retrouverait si on le désirait notre statut de club de Nationale 1."
Les Lorrains ont tout de même laissé quelques plumes dans l'histoire. Ils n'ont pas été épargnés par les blessures et ont même perdu leur recrue vedette, l'ailier Jirí Dudácek, victime d'une fracture du tibia et indisponible de longues semaines durant. Un vrai coup dur tant le Tchèque fait le spectacle grâce à sa qualité technique et son exceptionnel coup de patin, qui lui offrait des chevauchées souvent victorieuses. Scotty Bowman, alors directeur-gérant des Sabres de Buffalo, voyait en Dudácek une vedette potentielle et en fit son choix de première ronde en 1981. Inédit pour l'époque, dans un contexte géopolitique qui ne permettra lui permettra jamais de rejoindre la NHL. La désertion des frères Stastny un an plus tôt n'a rien arrangé et cet international, meilleur marqueur tchécoslovaque de la Coupe Canada 1981, resta fidèle à son club formateur de Kladno... avant de rejoindre la Cité des Images. Sa blessure est donc mal tombée, mais par chance Benoît Groulx, l'une des gâchettes canadiennes de Viry, était sur le marché. "J'ai monté mon dossier de naturalisation sans en parler à quiconque, expliqua-t-il dans La Liberté de l'Est. Ensuite, j'ai contacté plusieurs clubs de Ligue nationale mais ils attendaient que je sois naturalisé. Malheureusement, ma demande n'a abouti que le 4 octobre et là, tous les trous étaient bouchés. C'est alors qu'Épinal s'est mis en contact avec moi. Mais si Dudacek ne s'était pas blessé, je pense que j'aurais finalement joué pour Viry." Par la suite, Groulx fera le bonheur de Brest et Rouen avant d'être un entraîneur à succès dans le junior majeur de la Belle-Province (LHJMQ).
Revenus à un niveau plus en adéquation avec leurs moyens, les Vosgiens réapprennent à gagner. La défense, articulée autour de sa clé de voûte (Reindl) et de son pilier (Filippin), serre mieux les rangs devant Charly Thillien, un gardien mis à rude épreuve lors du trimestre en Ligue Nationale. Quant à l'attaque, elle retrouve toute son efficacité. La paire Pivron-Ligeon se trouve le meilleur allié qui soit avec Benoît Groulx, qui a dû prendre le train en marche mais ne tardera pas à trouver la bonne carburation. Avec le retour de l'explosif Dudácek, la doublette Marciano-Campiglia peut affoler les compteurs. Après une décennie d'exil, Thierry Ouzelet encadre les jeunes sur la troisième ligne et notamment Frédéric Pierre et Karl Piquemal.
Bordeaux se dégage vite comme le favori de N1 avec ses internationaux de tous poils. Pris à froid par les Girondins dès la deuxième journée (1-4), les Spinaliens vont pourtant devenir leurs concurrents directs au classement. La formule sans playoffs, poule unique oblige, n'autorise aucun faux-pas et les Vosgiens laisseront trop de points en route pour contester le titre à l'ogre bordelais. Ils leur tiendront pourtant la dragée haute au retour à Mériadeck (4-4) après une semaine difficile et marquée par l'éviction de Frédéric Favre. Gilles Durand prendra sa succession sur le banc et ses troupes signeront ensuite une victoire "historique" sur des Grenoblois en pleine reconstruction (5-3 avec un triplé de l'inévitable Dudácek).
De sombres perspectives ternissent toutefois le tableau. Après une sortie ratée à Poissompré (4-7 contre Anglet), les maux sortent au grand jour. Le président Robert Cabrit, soucieux d'assainir les comptes, prévoit de réduire la masse salariale pour la prochaine saison. Par mesure de précautions, dit-on. Le député-maire Philippe Séguin, toujours très impliqué dans les sports, dédramatise pourtant la situation dans les colonnes de La Liberté de l'Est : "Le hockey français vit au-dessus de ses moyens et il faut limiter les dépenses. Certes Épinal a des difficultés mais ce n'est rien par rapport à d'autres, et son déficit cumulé est le plus bas de tous. Sans m'immiscer dans les affaires du club, je ne peux donner tort aux dirigeants de vouloir équilibrer recettes et dépenses." Des propos rassurants... On connaît la suite...
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