Interview de Lionel Charrier

 

L'entraîneur de l'équipe de France des moins de 18 ans vient d'effectuer lors du tournoi de Briançon le dernier stage de préparation avant le Mondial de division I à Asiago (Italie) en avril 2009.

- Quand vous rencontrez en tournoi amical des équipes que vous retrouverez aux championnats du monde comme l'Italie (0-1) ou l'Autriche (9-6), avez-vous tendance à cacher vos systèmes ?

On a connu trois scénarios de match très différents. Dans ce tournoi, on a appuyé sur le secteur offensif, au détriment de l'équilibre défensif. On ne peut donc pas dire qu'on ait montré notre vrai visage aux équipes adverses.

- Avez-vous assigné à certaines lignes des tâches plus offensives ou plus défensives ?

On a construit deux trios d'attaque performants, mais on n'a pas cherché à mettre en place spécifiquement des consignes défensives pour telle ou telle ligne. Je pense que ça pourrait être le cas aux championnats du monde.

- Composez-vous votre équipe en fonction des joueurs les plus utiles pour votre groupe ou des meilleurs potentiels ?

C'est là toute la difficulté de notre travail. En notre âme et conscience, nous sommes convaincus de prendre les meilleurs joueurs. Après, il faut construire un groupe, avec des liens sociaux et amicaux, des individus qui fonctionnent ensemble. C'est ce qu'il y a de délicat dans une sélection nationale, mais ce n'est pas propre aux juniors. C'est valable pour toutes les classes d'âge.

- Comment faites-vous pour suivre les joueurs sélectionnables, y compris à l'étranger ?

On a énormément de rendez-vous, puisqu'on a eu des regroupements en juillet, août, novembre, décembre et maintenant février. Cela nous permet de voir les joueurs régulièrement à l'oeuvre.

On ne suit donc pas forcément les joueurs à l'étranger. Pour ceux qui sont à Genève, on discute avec Louis Matte et Philippe Bozon. C'est effectivement plus difficile avec le club slovaque de Charles Bertrand. D'ailleurs, il nous a expliqué qu'il venait d'être transféré en Autriche, à Salzbourg, club qui a un programme de repérage et de formation d'espoirs européens.

- Quelle est la principale qualité de Charles Bertrand et sur quel angle le faites-vous travailler ?

C'est un joueur qui a un réel timing technique, très perturbant pour l'adversaire à l'offensive. Pour nous, Charles Bertrand a le potentiel pour être un joueur complet, on souhaite donc qu'il s'investisse dans la totalité du jeu.

- Les joueurs vous demandent-ils conseil sur leurs choix de carrière ? Y a-t-il des parcours recommandés ?

On ne donne pas de conseils à proprement parler. Naturellement, les joueurs nous tiennent informés de leurs choix, et on leur donne notre avis. L'important, c'est que les joueurs se sentent en confiance. Certains partent à l'étranger, d'autres restent en France. Il n'y a pas de parcours obligé.

- Sentez-vous une différence de rythme entre les joueurs évoluant à l'étranger et les autres ?

Non. On a un Robin Gaborit qui joue en Magnus et qui amène un rythme intéressant. Il forme notre premier trio avec deux joueurs évoluant à l'étranger (Barbero et Bertrand). Mais on a aussi eu une ligne de "92", de joueurs de première année donc (Rech, Berthon, Valier), qui s'est révélée épuisante pour l'adversaire parce qu'elle mettait un rythme effréné.

- Dans votre sélection U18 se trouvent quelques joueurs qui ont déjà un physique appréciable. C'est un plus ?

Celui qui se remarque immédiatement par son gabarit qui sort du lot, c'est bien sûr Kevin Dusseau. Il a des qualités athlétiques impressionnantes et est déjà mature à son âge.

Mais quand on parle de qualités physiques, elles sont de sortes : d'une part, les qualités morphologiques, d'autre part, les qualités énergétiques. Ce sont ces dernières que l'on retrouve chez Victor Barbero et qui le rendent intéressant. C'est un joueur qui pointe régulièrement [NB : 4 buts et 2 assists ce week-end] et qui est capable de fabriquer de jeu et de conclure.

- Vous avez un "93" dans votre effectif, le défenseur normand Raphaël Faure, c'est plutôt rare chez les U18 d'avoir un joueur de 15 ans ?

On l'avait déjà fait avec les "Genevois" Barbero et Vanwormhoudt, même si c'est vrai que cela se fait moins qu'avec les 20 ans où c'est plus fréquent. On a pris Raphaël Faure parce qu'il a des qualités, en l'occurrence un jeu simple mais posé, avec vraiment des attitudes posées. Ce ne sont pas les années qui font le mérite. Dommage qu'il ait été un peu blessé avant de venir au stage.

- Comment vous répartissez-vous les tâches avec Sébastien Roujon ?

En match, Roujon gère les arrières, et moi, les avants. On discute beaucoup. On prend les grandes décisions ensemble. Humainement, on reste nous-mêmes, on apporte chacun notre vision avec notre caractère. On a tous les deux besoin de ressentir le contact de la glace, donc on peut tous les deux diriger les entraînements.

- Comment assurer une détection efficace et actualisée dans tous les clubs même excentrés ?

Je suis convaincu que le système de détection est juste. On brasse énormément de U15 dans toutes les régions pour former une équipe nationale U16. Lorsqu'on débute la construction de l'équipe au mois de mai, on rassemble 34 à 40 joueurs de première et de deuxième année et on re-brasse pour être sûr de n'avoir oublié personne.

Il peut arriver que l'on puisse passer au travers, notamment parce qu'un joueur peut ne pas être prêt en U15 et revenir après. C'est pourquoi, lorsqu'on fait des rapports de fin de stage pour indiquer aux entraîneurs quelles ont été les performances de leurs joueurs, on leur demande par la même occasion quels sont les autres joueurs susceptibles d'intégrer l'équipe nationale.

- La réforme du championnat U18 permettra-t-elle de rendre les rencontres plus compétitives ? Mais ne risque-t-elle pas de démotiver les autres clubs ?

La fédération a fait le choix de réduire l'éventail des équipes pour augmenter l'adversité tous les week-ends, et cela ne peut être que favorable aux joueurs. Aujourd'hui, il suffit de voir certains scores en première phase pour comprendre que les matches ne sont pas tous intéressants. Mais cela n'est qu'une étape transitoire. À long terme, il faut que plus de clubs se développent. D'ailleurs, cela devrait aussi élever le niveau du championnat excellence.

Ce n'est pas parce qu'on a resserré le championnat à 8 que tous les joueurs doivent se concentrer dans ces huit clubs. On voit bien que des clubs qui ne sont pas en élite apportent des joueurs à l'équipe nationale.

- Justement, est-ce important de voir de nouveaux clubs comme Strasbourg, Angers et Dijon fournir des joueurs aux équipes nationales ?

Oui. Je me suis occupé de l'Est pendant deux ans, et je suis content que Strasbourg se soit mobilisé pour créer une structure sportive adaptée. Les installations et la nouvelle patinoire ont été décisives dans cette évolution, rendue possible par l'investissement des dirigeants. Angers a mis en place des entraîneurs pour le hockey mineur et on commence à en voir les conséquences avec un sélectionnable et la qualification parmi les huit meilleurs. Dijon a une patinoire moins belle que celle de Strasbourg, c'est certain, mais ils ont mis une place une structure, même si elle n'est pas identifiée comme un pôle ou comme un centre de formation.

Il est clair que le hockey français fait face à des limites structurelles, comme le volume d'entraînement moyen disponible dans chaque club. Mais cela ne doit pas être un frein à la mise en place d'une section sportive. À défaut de ne rien faire parce qu'on n'a pas de glace, il faut faire des activités physiques générales ou spécifiques.

- Ne faut-il pas aussi que le travail d'entraîneur du hockey mineur soit plus valorisé ?

Il faut investir dans la professionnalisation des entraîneurs, c'est clair. Comme pour toute activité, la reconnaissance sociale et financière est importante. Les jeunes ont besoin d'éducateurs qui aient le sens du développement du hockey. La professionnalisation permettrait qu'ils soient disponibles plus longtemps.

- Y a-t-il un pays qui puisse servir de modèle de formation ?

Je milite pour trouver un modèle français. Nous avons un contexte particulier, un territoire vaste. On doit trouver des solutions innovantes qui conviennent au hockey français. Des potentiels et des compétences, il y en a. De la motivation pour faire bouger le hockey français, il y en a. Ce n'est parce que la Suisse fait quelque chose qu'il faut faire pareil et que cela va fonctionner en France.

- Quelle catégorie d'âge constitue la clé de la formation selon vous ?

Je pense que la catégorie U15 est déterminante en terme de développement. Il y a beaucoup de choses qui se produisent dans cette catégorie, et ce n'est pas un hasard si elle est à la base du Plan de Développement.

- Quelle est la priorité : faire en sorte que moins de joueurs arrêtent à cet âge ou recruter plus de jeunes ?

On ne pourra éviter ces pertes en ligne, c'est un processus tout à fait naturel. Une équipe U15, c'est de 15 à 22 joueurs, sur deux générations. Cela veut dire qu'il faut recruter au minimum 15 joueurs par année d'âge à l'école de hockey. La fédération a des projets de développement pour cette "catégorie U7".

- Un dernier mot sur Gap, un club que vous connaissez bien. Pourrait-il survivre à une année sans patinoire pendant les travaux de La Blâche ?

Ce serait très difficile, cela a été le cas dans tous les lieux qui ont connu une interruption de patinoire. Tous les acteurs locaux et la fédération se sont impliqués pour trouver une solution et sont volontaires pour assurer la continuité de la glace.

Propos recueillis le 8 février 2009 par Marc Branchu / photos FFHG, Nini Calimoutou, Daniel Poulet

 

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