Interview de Christophe de Carné

 

Christophe de Carné de Carnavalet est le doyen du hockey français en compétition nationale. Il a joué ses premiers matches en senior en 1969/70, et joue encore cette saison (2008/09) en division 2 avec Font-Romeu, du haut de ses 53 ans. Récit de cette incroyable longévité.

- Quand avez-vous commencé le hockey ?

J'ai commencé très tôt, à 4 ou 5 ans, ce qui explique peut-être que j'y joue encore aujourd'hui malgré mon petit gabarit, puisque je fais 1,70 m. Mon père jouait déjà au hockey sur la patinoire de Molitor. Mon premier club a été le Club des Sports de Glace de Paris, qui s'est ensuite appelé CSG Molitor du fait de problèmes avec les Français Volants qui avaient le nom "de Paris". Pete Laliberté a entraîné une saison dans notre club.

- Quand avez-vous été intégré en senior ?

J'ai commencé à jouer en deuxième série alors que j'étais encore minime. Je cumulais les quatre catégories minime, cadet, junior et senior, et je jouais parfois quatre fois dans le week-end. Comme la patinoire de Molitor n'était pas réglementaire, les compétitions se tenaient à la patinoire fédérale de Boulogne-Billancourt, et il m'est arrivé d'y jouer un match à 8 heures, un à midi, un le soir et un dernier à 21h30... C'était une passion, je ne m'étais jamais entraîné plus que ça. C'est d'ailleurs pour ça que l'équipe de France avait arrêté de m'appeler, car j'étais un peu dilettante.

En effet, je bénéficiais d'un double surclassement, et j'étais inscrit au sein d'INS (Institut National du Sport, actuel INSEP) à Vincennes. J'étais sélectionné en équipe de France en minime et en junior. Il n'y avait pas de compétition à cette époque, mais des stages franco-allemands. J'en ai fait deux à Füssen, un à Lyon et un à... Font-Romeu, déjà. C'était un peu magique, parce que sur 25 joueurs sélectionnés, il y avait 20 joueurs des Alpes, dont les frères Leblond, et 5 Parisiens, quatre des Français Volants (Kader Sadoun, les frères Préchac) et moi.

- Votre itinéraire a ensuite quitté Paris...

Après un an à Viry, je suis allé à Caen (1974/75). Je sortais de l'équipe de France junior, et j'étais un des premiers joueurs français semi-pros. Je ne faisais que ça. J'étais inscrit en fac pour l'assurance, et j'avais un appartement et un compte dans un restaurant. On a fait la finale du championnat de France de Nationale C contre Tours. Mon entraîneur était Alain Vinard, un vrai pro, qui me faisait courir avec lui pendant la journée, ou avec une autre personne du club. Je n'ai jamais fait autant de préparation physique... C'est peut-être pour ça que je n'y suis resté qu'un an !

Je suis ensuite allé à Courchevel, où il y avait Brian Crossman, et où j'étais aussi payé pour jouer au hockey. C'est Daniel Lapierre, un Québécois, qui m'avait fait venir. Je m'étais fait remarquer en marquant 16 buts en amical contre Méribel. Les deux arbitres de ce match étaient de Pralognan, et ils ont passé le mot. Le premier match de championnat était contre Pralognan, et dès l'engagement, le type en face, "Blacky", me met un coup de poing dans le nez. C'était très différent d'aujourd'hui, on pouvait frapper comme on voulait, les arbitres ne voyaient rien. C'est pour ça que j'ai joué toute la saison en défense. Jusque là, je jouais en attaque, mais ça ne servait à rien à Courchevel car je me faisais charger dans les bandes.

Je suis ensuite rentré en région parisienne. Je jouais à Fontenay-sous-Bois en Nationale C et je travaillais à la Bourse comme commis. Ensuite, je suis parti dans le sud pour raisons familiales, après un divorce, avec ma mère et mon frère.

- Pensiez-vous encore jouer au hockey dans le sud ?

J'avais toujours ça en tête. J'ai passé deux ans en Corse, où il n'y avait pas de patinoire, donc j'ai été obligé d'arrêter. Mon frère et moi avons ensuite ouvert un restaurant à Elne, près de Perpignan. Quand une patinoire a ouvert, peu après, je me suis présenté là-bas comme entraîneur-joueur.

- À quel moment avez-vous repris la compétition ?

Comme Perpignan n'était pas engagé en championnat, j'ai joué deux ans à Nîmes, en division 2, comme défenseur. Le président du club était Alain Moula, qui possédait des boîtes de nuit et qui a fait de la prison récemment. J'étais le capitaine de l'équipe, où il y avait beaucoup de Canadiens et de Gapençais, avec une troisième ligne de Nîmois. Beaucoup n'habitaient pas la ville, comme moi, et avaient juste été engagés pour jouer. L'entraîneur-joueur était Dominique Pelloux, un Gapençais, ancien international. Lors de la seconde saison, on a d'ailleurs joué tous nos matches "à domicile" à Gap lorsque la patinoire de Nîmes a été inondée.

Ensuite, je suis rentré à Perpignan, qui avait désormais une équipe en Nationale C. Comme il n'y avait pas beaucoup de joueurs, je sortais de la glace une ou deux fois par match, et j'évoluais donc souvent en défense. C'est à cette période que j'ai trouvé un métier par un parent de joueur, en entrant chez un huissier de justice, où je travaille encore.

- Le hockey faisait-il son trou à Perpignan ?

Cela commençait à bien marcher. On avait 150 licenciés au bout de cinq ans, et on commençait à avoir du public. On avait organisé des matches de gala, contre une équipe universitaire de Boston et contre une équipe tchèque. La patinoire était pleine, et on a dû refuser du monde.

Je suis certain qu'aujourd'hui Perpignan serait au moins en division 1 si le toit de la patinoire ne s'était pas écroulé sous la neige...

- Comment avez-vous appris l'accident ?

Je m'en souviens très bien. C'était la première année qu'on se qualifier pour les play-offs de D3, et on partait pour le déplacement à Anglet pour le premier match. On avait rendez-vous à 5 heures du matin sur le parking de la patinoire. J'arrive et mon coéquipier Simon Genest, le futur entraîneur-joueur de Garges, me dit : "on n'a plus de patinoire". Je lui réponds : "Allez, Simon, tu as bu trop de bières hier soir..." Puis il m'a montré que tout s'était écroulé. Je crois qu'on a quand même fait le déplacement, mais on a arrêté le championnat juste après.

- Où en sont les projets de patinoire de Perpignan ?

Il y a un projet (voir ce site), mais il est beaucoup trop gros, il vise à faire la première patinoire de France. Je pense que son concepteur veut surtout se faire mousser. Il y a eu deux ou trois pages dans le journal, mais c'est au point mort. Mais je pense qu'il y aura une patinoire à Perpignan dans les prochaines années.

- Comment avez-vous repris le hockey après l'écroulement de la patinoire ?

Un an après, ma femme a appris par une publicité qu'il y avait un club loisirs aux Angles. Elle s'est renseignée pour me faire une surprise pour mon anniversaire... et voilà, cela fait quinze ans que je monte là-haut. Les Angles, c'est un village de montagne à environ cent kilomètres de Perpignan, à une heure et demie en voiture. Je fais le trajet au moins une fois par semaine, en sortant du travail à 18h. C'est une patinoire de 40 mètres sur 20, où on peut jouer à 3 ou à 4. C'est à 3 que c'est le mieux.

- Qu'est-ce qui vous a poussé à rejoindre Font Romeu ?

Font Romeu et Les Angles, c'est à côté. Il y avait une très bonne équipe aux Angles, qui jouait des tournois amicaux, mais quand on est joueur, la compétition conserve un attrait supérieur. Et aujourd'hui, je ne regrette pas d'avoir répondu positivement à Font Romeu. Il faut dire qu'on a été champion de division 3 la saison où je suis arrivé, et que c'était le premier titre en quarante ans d'existence du club.

Quand j'étais à Perpignan, je n'imaginais pas jouer un jour à Font-Romeu. Je connaissais le club par les derbys sanguinaires de la D3. Il y avait quelques joueurs un peu durs à la montagne, et je n'aimais pas Font Romeu.

Et puis, j'ai découvert un club familial, bien encadré, avec une bonne ambiance. Les gens suivent et connaissent le hockey sur glace. C'est le sport majeur à Font Romeu avec le ski, et la patinoire est pleine, même s'il n'y a pas beaucoup de places.

- Vous aviez arrêté après le titre de D3. Qu'est-ce qui vous a incité à reprendre le jeu un an après ?

Il y a deux ans, j'avais craqué un peu. Je n'avais pas joué en championnat depuis quinze ans, et je jouais quinze à vingt minutes. J'avais peur de ne pas suivre en D2, et j'appréhendais les déplacements.

Et puis, ils m'ont recontacté cette saison. C'est un vrai plaisir, cela fait un bien fou de jouer au hockey à mon âge. Je connais les joueurs, ça crée des liens. J'ai ainsi été le témoin du mariage de Tomas Tomasik, un Slovaque qui est ici depuis six ans, avec une Romeufontaine.

Il faut dire qu'il n'y a pas beaucoup de joueurs à Font Romeu. C'est un petit village, et les jeunes hockeyeurs qui poursuivent en senior ne sont pas nombreux. Perpignan aurait eu plus de possibilité d'avoir des joueurs qui continuent le hockey.

- Comment les jeunes se comportent-ils dans le vestiaire avec vous ?

Mon surnom, c'est "Pep", presque Pépé, ça va à tout le monde. Font Romeu est une équipe jeune. À part Norbert Vigh, les autres ont moins de 27 ans. Eux sont surpris que je sois encore là. Ce n'est pas ordinaire pour un type de mon âge, surtout pour les Slovaques. Dans un pays de hockey comme la Slovaquie, ce serait impossible. Mes coéquipiers trouvent ça incroyable, ils me ménagent et sont très gentils avec moi.

- Comment entretenez-vous cette longévité ?

Je ne fais qu'un entraînement par semaine, plus les matches le week-end. J'essaie aussi d'aller courir, mais je n'ai pas toujours le temps, ni l'envie. Ce n'est pas drôle de courir.

Les enfants de ma femme sont grands, nous sommes tous les deux à la maison, alors je suis bichonné. Je mange sainement, j'ai un bon équilibre de vie, je pense que c'est une raison.

- Quand pensez-vous raccrocher les patins ?

Je n'y pense pas. Le hockey, c'est une drogue. Je jouerai tant que je pourrai. Bien sûr, j'ai les articulations douloureuses le lendemain des matches et des entraînements. Mais à l'heure actuelle, je n'ai pas assez mal pour arrêter.

- Seriez-vous prêt à continuer en loisirs après la D2 ?

C'est même sûr et certain. À Narbonne, il y a une patinoire de 40 x 20, comme celle où je jouais aux Angles. C'est plus près de Perpignan, et je vais souvent m'y entraîner. On peut dire qu'ils m'attendent là-bas.

- Vos adversaires en division 2 sont-ils surpris de croiser un joueur si âgé ?

Je ne sais pas, ils n'en parlent pas. Mais certains me connaissent. Contre Nantes, j'ai revu Claude Devèze qui a pris mon numéro de téléphone. Il savait que je jouais encore par Pascal Schneider, un ancien coéquipier commun à Nîmes.

Un des dirigeants d'Asnières, Paul Loisillier, avec qui j'avais joué à Molitor, avait contacté les dirigeants de Font-Romeu pour savoir s'il s'agissait bien de moi. On s'était revu à la finale de la Coupe de France à Bercy.

Et aux finales de division 3 il y a deux ans, j'avais retrouvé Pierre-Marc Janil qui était l'entraîneur de la réserve caennaise. Nous étions coéquipiers à Caen en championnat de France de Nationale C trois décennies plus tôt.

- Font-Romeu est dernier de la poule sud de division 2 après les matches aller. Avez-vous des regrets sur ce début de saison ?

J'ai déjà des regrets par rapport à l'arbitrage. Ce qui s'est passé à Toulouse, c'est une chose que je n'avais jamais vécue. Je crois que certains arbitres devraient se faire analyser. Il y a eu quatre pénalités à un engagement pour des coups de crosse sur la palette ! Certaines charges étaient jugées violentes alors qu'elles étaient magnifiques. Si ce match s'était passé il y a 30 ans, ça se serait terminé en bagarre générale. Heureusement, les types sont plus pros aujourd'hui, ils savent garder sur eux. Mais ils gardent tellement sur eux que j'ai vu un joueur slovaque pleurer dans le vestiaire, dégoûté du hockey. Cela va mieux depuis, on a été bien mieux arbitré dans les matches suivants.

Contre Mont-Blanc, on a eu un manque d'efficacité offensive. Ils ont de bons patineurs, mais on a des joueurs qui vont plus vite qu'eux, qui sont meilleurs techniciens qu'eux. Mais on avait battu Cholet et La Roche et on se voyait trop beaux. Les bons joueurs veulent faire la différence personnellement. Cela ne me concerne pas, bien sûr, car je ne risque pas de faire la différence. Mais il ne faut pas se laisser abuser par ça, il faut revenir au collectif d'abord.

Contre Nantes, on a encore eu des occasions, notamment un 5 contre 3 non exploité, qui ne pardonne pas à ce niveau.

- Pensez-vous que Font-Romeu peut encore se qualifier en play-offs ?

Je suis sûr qu'on peut être quatrièmes, et malheureusement aussi huitièmes ou neuvièmes. Cette poule sud est vraiment très serrée, on peut gagner ou perdre tous nos matches. Même à Lyon, on ne perd que 3-0 en étant à 0-0 à la mi-match. Cela peut changer si on met nos contre-attaques. Je pense qu'on laissera Mont-Blanc derrière même s'ils ont gagné chez nous, et peut-être aussi Clermont, Chambéry, Toulouse.

Mais je dois dire que le niveau a beaucoup monté. En D2, tous les joueurs patinent bien. C'est comparable à l'élite de mon époque, et encore, je crois que ça va plus vite.

Propos recueillis le 7 décembre 2008 par Marc Branchu (photos de Yann Rieu)

 

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