Interview de Jean Perron

 

Actuel entraîneur des équipes nationales d'Israël (dont les seniors qui participent à la division I mondiale à Amiens) à l'invitation de leur directeur général Alan Maislin, pour qui il travaille dans son entreprise de transport montréalaise, Jean Perron est rentré dans l'histoire du hockey sur glace en amenant à la surprise générale les Canadiens de Montréal à la Coupe Stanley en 1986 pour sa première saison, en faisant massivement confiance aux jeunes. Il est aussi le seul entraîneur de l'histoire du club mythique à n'avoir jamais joué en NHL auparavant : il est arrivé en place pour ses compétences comme entraîneur sans pouvoir se targuer d'une carrière de joueur et de l'aura associée.

De nos jours, Perron est également une célébrité au Québec en tant qu'ex-commentateur à la radio et à la télé, un poste qui expose tout autant à la satire publique que celui de coach. Il y a donné naissance à un nom commun, les "perronismes", synonymes au Québec de lapsus et d'expressions détournées de leur sens initial pour en devenir absurdes (comparaison française, ce que les Guignols de l'Info mettent dans la bouche de la marionnette de Luis Fernandez). Ces propos au départ attribués à Perron sont de plus en plus souvent apocryphes (il n'a jamais admis la paternité que de "l'affaire Lindros va se terminer en queue-de-cheval"), et ils ont même été exploités commercialement dans un recueil, dont les auteurs ont d'ailleurs été poursuivis en justice par Perron qui a perdu ce procès.

 

- Quel a été votre parcours jusqu'à votre engagement dans le staff du Canada ?

J'ai gradué de l'université de Michigan State avec une maîtrise en éducation physique en 1973, puis je suis devenu entraîneur de l'université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, pendant dix ans.

Je rêvais de jouer pour mon pays, mais c'était l'époque où le Canada boycottait les compétitions internationales, notamment les JO de 1972 et 1976. Puisque cela n'avait pas été possible comme joueur, j'ai voulu être entraîneur pour le Canada, et à ce poste, lors des Jeux Olympiques de Sarajevo en 1984, j'étais l'homme le plus heureux de la terre.

- Vous y étiez l'adjoint de Dave King, à qui les médias québécois ont attribué l'étiquette d'anti-francophone...

Au Canada, entre anglophones et francophones, c'est un peu comme en Suisse : les Romands veulent voir un certain type de hockey, les alémaniques préfèrent un autre type et les Tessinois encore un autre. Dave King était adepte d'un hockey très défensif. Moi, ma mentalité était axée sur l'attaque, donc je n'ai pas été capable de placer les joueurs que je voulais. Il s'est adjugé l'autorité, et les francophones que j'aurais aimé sélectionner n'étaient pas assez bons défensivement à son goût. C'est ainsi qu'il n'a même pas voulu prendre Mario Lemieux, et que lui est venue cette réputation.

- Ensuite, vous avez été engagé par les Canadiens de Montréal...

Après la saison olympique, j'avais deux propositions, une des Canadiens et une des Nordiques. J'ai choisi les Canadiens à cause de Jean Béliveau, mon idole, qui était encore dans l'organisation à ce moment-là

J'ai été initialement engagé comme entraîneur-adjoint de Jacques Lemaire, et j'ai passé une saison à ses côtés. Puis, quand il a démissionné, on m'a demandé de le remplacer. Nous avons eu des hauts et des bas, mais finalement, j'ai effectivement gagné la Coupe Stanley à ma première saison comme entraîneur-chef, ce qui avait déjà été fait mais qui ne s'est plus jamais vu depuis. Ça fait vingt ans.

- C'était aussi la première saison du gardien Patrick Roy...

Je croyais en Patrick, mais j'ai été obligé de mettre ma tête sur le billot pour lui. Notre directeur-gérant Serge Savard voulait l'envoyer aux ligues mineures. Si je n'avais pas pu le convaincre de le garder avec nous et s'il ne m'avait pas soutenu, nous n'aurions pas gagné la Coupe Stanley.

- Après trois saisons à Montréal, vous passez aux Nordiques de Québec.

Au départ, j'avais été engagé comme directeur général adjoint des Nordiques. Je voulais quitter le banc et mon objectif était désormais d'occuper des positions de gérant. Mais après quelques mois, le hasard fait en sorte que je me retrouve à l'arrière du banc, car l'entraîneur-chef, Ron Lapointe, avait le cancer. C'était une mauvaise décision de ma part car Québec était sur la pente descendante.

- Ce fut une saison tourmentée avec des problèmes avec Anton Stastny, du papier toilette jeté sur la glace...

Anton n'était malheureusement plus à la hauteur, or à Québec on ne touche pas à un Stastny...

L'évènement a eu lieu dans un match contre Hartford. Les gens se sont mis à huer les arbitres, à jeter du papier toilette du deuxième étage du Colisée. Par la suite, on a changé le système de papier toilette de façon à ce que ça ne se reproduise plus.

Mon seul bon souvenir avec les Nordiques, c'est Peter Stastny, nous étions tous en adoration avec lui. J'ai aussi vécu les débuts de Joe Sakic en Ligue Nationale. Il m'avait déjà démontré comment il pouvait être un joueur extraordinaire. Nous avions joué un match contre l'URSS pendant la période des fêtes. Nous avions fait match nul 3-3 et il avait marqué les trois buts (NDLR : en fait 5-5 contre le CSKA Moscou, un but de Sakic).

- Ensuite vous êtes devenu commentateur et vous critiquiez votre successeur Martin Bergeron.

C'est ce qu'on demande à un analyste. Quand tu connais la game, comme on dit chez nous, il ne faut jamais que tu sois sur la clôture, il faut que tu prennes position. Quand je m'attaquais aux tactiques de Bergeron, ce n'était pas facile, car c'était encore un dieu à Québec, mais je m'en balançais.

- Comment en êtes-vous venu à travailler pour le hockey israélien ?

Quand je suis revenu de Suisse, j'ai travaillé pendant deux ans avec de petits bambins. Un jour, Alan Maislin, qui était l'hôte de l'équipe des moins de dix-huit ans d'Israël, a demandé à des ex-entraîneurs de la Ligue Nationale s'ils voulaient leur donner un jour de leur vie. Plusieurs ont répondu à l'appel : Jacques Demers, Pierre McGuire et l'ancien joueur Lucien Deblois. C'est comme ça que j'ai connu Alan Maislin qui m'a finalement engagé dans sa compagnie. Puis, dans ses contacts, il y a aussi eu Ken Hitchcock qui est supposé faire revivre l'école de Roger Neilson à Metulla.

- Qu'est-ce qui vous a conduit à accepter la proposition d'entraîner Israël ?

J'avais deux raisons. La première, c'était de voir ce qui se passait dans le hockey dans ce pays, car je ne savais même pas qu'on y jouait au hockey jusque là. La seconde, c'était de visiter la terre sainte. En effet, j'ai fait des études classiques et j'ai étudié Israël, la Palestine, la Bible, les lieux où Jésus a vécu, le lac de Tibériade, etc.

Au départ, je devais m'occuper uniquement des juniors. Alan avait engagé Ted Nolan pour les seniors, mais celui-ci s'est dit obligé de se désister à cause d'un emploi, et je les ai donc aussi pris en charge.

- En 2004 à Jaca, Israël était au bord de la relégation en division III, et en 2005, vous êtes montés en division I. Qu'est-ce qui a changé en un an ?

Je crois que les joueurs se sont rendus compte que nous voulons faire de l'encadrement de cette équipe quelque chose de professionnel. On ne fait pas de demi-mesure, on veut faire sorte d'exprimer sans embûche extérieure, financière ou autre.

Alan Maislin s'immisce dans la conversation : je vais répondre à votre question. Vous avez demandé quelle était la différence, je vais vous l'expliquer en deux mots : Jean Perron. C'est aussi simple que ça.

- Que manque-t-il à votre équipe à ce niveau ?

Déjà, vous n'avez pas vu le meilleur de Gusin ici à Amiens. Dans sa jeunesse, il était désigné comme le futur Tretiak, mais il a eu des problèmes avec Tikhonov. C'est tout un gardien de but.

Ensuite, on a un défenseur de dix-sept ans, un autre qui joue huit matches par an, il n'y a pas de miracles. Dans le championnat israélien, on joue simplement le vendredi soir pendant douze semaines. Les joueurs réalisent qu'un professionnel doit être dans une forme extraordinaire, comme les deux Eizenman, qu'il faut qu'il joue énormément, qu'il mange d'une certaine façon.

- Pourquoi ne même pas avoir inscrit vingt joueurs de champ dans votre effectif ?

Il nous manque par exemple Max Birbraer [NDLR : qui a débuté le hockey au Kazakhstan avant d'émigrer en Israël puis en Amérique où il a été drafté par les Devils]. Il s'est blessé très gravement, à la fois au ménisque et aux antérieurs croisés, avec Long Beach en ECHL en novembre dernier.

Quant à nos meilleurs juniors, non, ils n'ont pas encore le niveau, cela aurait été les envoyer à l'abattoir que de les emmener ici. Eli Sherbatov, qui est à Montréal, a un très bon potentiel, et Daniel Erlich, qui joue en Bantam AAA, la catégorie supérieure, à Toronto, est notre meilleur espoir. Mais il s'agit qu'ils grossissent, ils n'ont que quatorze ans.

Chez nos juniors, il y a aujourd'hui un groupe qui étudie au Canada et un qui est en Israël. Aujourd'hui, tous les jeunes joueurs israéliens veulent partir en Amérique, cela devient un problème d'ailleurs.

Alan Maislin : Ce que vous voyez ici n'est que la pointe de l'iceberg. On a recensé tous les joueurs à passeport israélien. Il y en a énormément qui veulent venir jouer chez nous, mais il faut qu'ils passent deux ans dans le championnat israélien avant qu'ils soient sélectionnables. Quand les infrastructures seront en place, ce sera plus facile. Pour l'instant, nous n'avons qu'une patinoire à Metulla. Une et demi si l'on compte une moitié pour Maalot, qui n'est pas aux dimensions réglementaires.

La construction de la patinoire de Tel-Aviv est en train de commencer, et elle durera quatorze mois. Il s'agit d'une enceinte de cinq mille places avec deux glaces, plus un terrain pour le roller-hockey. Aujourd'hui, il y a en Israël un million d'immigrés russes. Et puis il y a ce qu'on appelle les "expats", hors Russes, 1500 Nord-Américains qui veulent jouer au hockey mais n'ont pas de glace.

Une personne qui veut faire du hockey doit conduire pendant 3h30 jusqu'à Metulla pour jouer pendant 1h30. Vous connaissez beaucoup de gens prêts à faire cela dans des pays de hockey ? L'investissement des parents est considérable. Prenez la famille Horowitz. Elle vivait à Jérusalem, elle prenait l'autobus à six heures du matin et elle ne revenait chez elle qu'à minuit ! Aujourd'hui, le père travaille toujours à l'université de Jérusalem, mais la mère a laissé son emploi pour venir s'installer à Metulla avec ses trois enfants. L'un d'eux, Michael, a depuis été envoyé à Toronto. Quant à Lisa Horowitz, c'est notre première joueuse féminine. Elles sont maintenant une vingtaine, entraînées par Steve Dubinsky, ancien joueur de LNH.

- Comment un petit pays de hockey comme Israël fait-il pour attirer autant d'entraîneurs renommés ?

AM : Le premier point, c'est la personne qui fait la demande. Ensuite seulement, la cause. Pour moi, Hitchcock, Pagé et Perron sont incroyables pour nous aider à construire. Il ne se passe pas une semaine sans que je sois en contact avec eux. Ce sont des gens très spéciaux. Il y a aussi des journalistes américains, qui suivent les Rangers et les Devils, qui sont très forts pour notre programme. C'est toujours bénéfique d'avoir des conseils de gens comme ça.

- Quel est l'impact médiatique du hockey en Israël ?

AM : Nous recevons de plus en plus de commentaires positifs. Nous avons quand même obtenu trois médailles en un an avec les juniors et les seniors, et cela commence à attirer l'attention, même si c'est trop tranquillement pour nous. Quand les joueurs retourneront en Israël, ils passeront sur Canal 9, la télévision russophone. Mais nous avons aussi une bonne couverture anglophone par le Jerusalem Post.

- Beaucoup d'entraîneurs canadiens arrivent, mais les vétérans ont été formés dans le système russe. Ressent-on un conflit de styles ?

Le style de hockey pratiqué en Israël dépendra des entraîneurs qui seront là, de la philosophie qu'ils vont instaurer. Un de mes rôles est justement de développer des entraîneurs locaux pour s'occuper du hockey israélien.

Une chose est sûre, mes joueurs aiment la façon dont le hockey canadien est joué. Mon capitaine, Sergueï Belo, aime comment je présente le hockey.

- En quelle langue communiquez-vous ?

Je donne mes consignes en anglais, traduit en hébreu, et pour certains en russe mais ils parlent tous hébreu. Mais avec les juniors, c'est directement en anglais.

AM : Il faut dire que nos jeunes, maintenant, ce sont de vrais Israéliens, qui sont nés là, et plus des enfants dont les parents ont déménagé. Ce sont des gens pour qui le hockey est un nouveau sport. Quand j'ai montré une rondelle pour la première fois, il y a des gens essayaient de l'ouvrir pour voir ce qu'il y avait dedans !

- Habitez-vous en Israël ?

Non, non. Et je n'ai pas l'intention de m'y installer. En cumul, j'y passe l'équivalent de deux semaines par an. Les juniors, je les réunis lors de stages en Amérique du nord.

- Quelle a été la préparation pour ce Mondial ?

Nous nous sommes préparés en République Tchèque. Nous pensions rencontrer des clubs locaux, mais ils étaient en congé de Pâques, et leurs joueurs sont partis en vacances maintenant que leurs contrats sont terminés. Nous nous sommes donc entraînés.

Nous ne cherchons pas vraiment de matches internationaux pour l'équipe senior. Notre priorité, ce sont les juniors, ce sont eux l'avenir.

- Et la Coupe Spartak jouée en août dernier avec des renforts ?

Les trois quarts de l'équipe envoyée à Moscou sont les joueurs que vous voyez ici. Au départ, on voulait prendre des joueurs juifs en renfort, mais finalement, avec les incertitudes qui planaient sur le lock-out qui n'était pas terminé, Mathieu Schneider et Mike Cammalleri n'ont pas pu venir. J'ai appelé des joueurs que je connaissais pour remplir l'équipe. Mais c'était juste une pige.

- À quelle échéance Israël aura-t-il le niveau pour s'établir en division I ?

Cela dépend des facilités qu'il y aura en Israël. Si on regarde ce que les autres pays ont accompli, je pense que dans une dizaine d'années nous pourrons avoir une équipe compétitive.

AM : Je crois qu'on peut diviser ce délai par deux. Nous avons actuellement 95 équipes de inline-hockey en Israël. Si on met ces gars sur la glace, la seule chose à faire est de leur expliquer comment patiner. Avec de bons instructeurs, avec la compétence de gens comme Jean Perron, ça va aller très vite. Sans parler encore du groupe A ou des Jeux Olympiques, je pense que dans cinq ans nous serons en division I pour nous y maintenir.

- Comment le championnat israélien se développera-t-il ?

AM : Dans cinq ans, on devrait pouvoir avoir une ligue semi-pro. Je connais trois propriétaires qui sont prêts à monter une équipe. Le Maccabi Tel-Aviv, qui a une forte équipe de basket, est prêt à ouvrir une section hockey. Mais d'abord, il faut bâtir une patinoire, attendre deux ans pour avoir des enfants, puis en bâtir une autre, afin qu'on en ait trois dans sept ans.

Propos recueillis le 27 avril 2006 par Marc Branchu et Mathieu Hernaz

 

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