CEI - Canada (23 février 1992)

 

Jeux Olympiques d'Albertville 1992, finale.

C'est le couronnement de cette quinzaine olympique d'Albertville. La finale de toujours entre les représentants du hockey ex-soviétique, regroupés sous le blason de la "Communauté des États Indépendants", et les Canadiens de Dave King qui a confessé depuis longtemps son désir d'or. Un King qui ne connaît que trop ses adversaires : il surnomme Bykov "le petit magicien", et Khomutov le "rat soviétique", ce qui n'est pas une insulte mais une façon de décrire un joueur désagréable à affronter.

Pour cela, King a mis en place un système défensif qui doit contrarier la domination adverse. Il est vrai que les Russes semblent peiner à construire au niveau de la ligne bleue bien protégée par les Canadiens, mais ils ont font quand même la différence individuellement par leur fluidité de patinage et par leur maniement de crosse. Andrei Khomutov prend de la vitesse en zone neutre face aux deux arrières canadiens et déshabille Ratushny. Le gardien Sean Burke ne se laisse pas démonter dans les duels directs face aux attaquants, en revanche il laisse quelques rebonds sur des tirs à niveau de poitrine.

Dans son style de déménageur qui doit montrer la voie au Canada, Eric Lindros s'impose sur son aile, mais sa passe au second poteau n'est pas reprise par Archibald. Sur la contre-attaque, Nikolaï Borshchevsky sert en retrait le très rapide Vitali Prokhorov qui arrive seul face au but, mais il tergiverse face à un Sean Burke bien en place, se décentrant dans un angle impossible avant de tirer.

Mironov fait obstruction sur Lindberg dans le slot pour l'empêcher de reprendre une passe de la gauche de Smith (7'41"), mais les Canadiens, maladroits au possible, n'arrivent pas à installer leur powerplay une seule fois. Dès qu'elle a tué la pénalité, l'URSS marque sur un centre d'Andrei Khomutov parfaitement dévié devant la cage par Vyacheslav Bykov. L'arbitre refuse le but car la cage a été déplacée par Khmylev, poussé par Schlegel (10'10"). Le ralenti prouvera pourtant que le palet était déjà rentré... Peu après, Juneau est pénalisé pour une crosse haute. On voit alors toute la différence entre les jeux de puissance, une différence qui trouve son origine dès les mises au jeu, remportées par la CEI. Celle-ci peut donc s'installer et faire circuler le palet. Le Canada croit entrevoir la fin des deux minutes de calvaire quand Joseph est pénalisé pour un cinglage imaginaire sur Kasparaitis. Par chance pour les blancs, Vladimir Malakhov, l'un des deux bourreaux à la pointe (avec Mironov), brise sa crosse au moment d'exécuter sa sentence. L'URSS doit faire preuve de plus de patience, et Bykov trouve une superbe passe en retrait vers Yuri Khmylev au poteau opposé, mais le tir de l'ailier gauche est paré sur la ligne par Burke.

Le Canada peut souffler, mais il n'est pas encore tiré d'affaire. L'URSS écarte le jeu de mieux en mieux en utilisant toute la largeur de la glace. Des espaces s'ouvrent au centre pour Vyacheslav Butsaev, qui est fait trébucher par Curt Giles. Troisième supériorité numérique presque à la suite : la passe du coin d'Igor Boldin trouve Malakhov qui s'avance en haut de l'enclave. Cette fois le bâton est solide, mais Burke réussit un magistral arrêt-réflexe avec son bouclier et maintient un score vierge à la première pause.

Les Canadiens finissent leurs charges et font sentir leur impact physique sur chacune de leurs actions. Tippett aussi, qui met en échec l'arbitre : heureusement, M. Sold est solide ! L'arbitre ne voit en revanche pas tout. Il ne remarque pas que, dans son une-deux avec Davydov, Vyacheslav Butsaev attrape le patin d'Adrien Plavsic dans un croc-en-jambe peut-être involontaire, mais qui peut avoir de grandes conséquences. Butsaev se retrouve tout seul devant la cage, échoue sur le gardien, puis voit le palet lui revenir et l'envoie du revers en pivot... sur l'intérieur du poteau opposé ! Quand Burke se couche sur cette rondelle miraculeusement revenue sur lui, il doit se dire que sa bonne étoile est avec lui aujourd'hui...

Mais la bonne étoile n'éclaire pas totalement le Canada. Au plus fort de la domination russe, un lancer puissant à mi-distance de Wally Schreiber frappe le poteau du gardien russe Shtalenkov, tout heureux là-dessus. À quelques centimètres près, le hold-up aurait été parfait.

La CEI reprend la maîtrise du jeu et prend un soin tout particulier à ce que l'ardeur au combat ne soit pas exclusivement canadienne. Kravchuk se couche devant les lancers, Zhamnov et Kovalenko démontrent qu'ils peuvent protéger leur palet dans les duels. Sergei Bautin avait un compte à régler après s'être retrouvé les fesses sur la glace au premier tiers. "L'invité-surprise" - arrivé au camp d'entraînement comme remplaçant de blessés alors qu'il n'avait jamais été appelé auparavant en équipe nationale - se permet carrément de charger Lindros : certes, Bautin recule à l'impact, mais il gagne la rondelle. Lindros ne fait donc plus la loi... et se met hors-la-loi, en retenant Zhamnov à la poursuite d'un palet dans le coin. La victime de la faute aura l'occasion de se faire justice pendant l'avantage numérique : après avoir contourné Giles couché, Zhamnov entre dans l'enclave côté droit et pivote... mais tire complètement à côté. Toujours 0-0, donc.

Avant le dernier tiers-temps, le Canada peut donc toujours croire au titre olympique. Il lui suffit de jouer comme il sait le faire, de prendre des lancers de toutes les positions, et peut-être que le destin lui sourira. Malheureusement pour lui, c'est la CEI qui va marquer un but de la sorte au bout d'une minute ! Le slap d'Evgeni Davydov en entrée de zone heurte la balustrade derrière la cage et le palet revient de l'autre côté dans la crosse de Vyacheslav Butsaev qui marque dans l'angle avant que le gardien ne soit replacé (1-0, 41'01"). La crosse de Woolley atteint Petrenko au visage, et les rouges enchaînent par une supériorité numérique. Ils tentent de combiner le lancer de Mironov à la bleue et la malice de Bykov dans l'enclave, en vain. Mais en attendant, les minutes défilent.

À dix minutes de la fin, alors que Zhamnov est en prison pour un coup de crosse dans les jambes de Plavsic, Eric Lindros, alias le Capitaine Stark, étrenne sa devise : "Chaaaaargez". Droit dans les lignes adverses avec le but en point de mire, il ne fait pas de quartiers. S'il n'a pas remporté la bataille, il a tout de même fait un prisonnier, son "nouvel ami" Sergei Bautin, qui a tenté de le retenir. Vingt-cinq secondes à 5 contre 3 : c'est le moment ou jamais pour le Canada. Lindros remporte l'engagement face à Bykov, mais le centre de Fribourg-Gottéron réussit à écarter ce palet brûlant dès qu'il arrive dans le slot. Zhamnov revient sur la glace, et quand il s'apprête à intercepter le palet, Archibald lui accroche le bras : la supériorité numérique est annulée.

On continue donc à 4 contre 4, et Kravchuk puis Borshchevsky essaient de percer entre les défenseurs canadiens. Ceux-ci parviennent à garder porte close, et Lindros trouve une passe vers le défenseur Gordon Hynes dans le dos de Prokhorov. La paresse au repli de l'ailier du Spartak est punie de deux minutes de prison. Sitôt Archibald revenu, les blancs seront à un joueur de plus. C'est le moment-clé et Dave King le sait. Il demande son temps mort, ce qui permet de reposer Lindros. Le numéro 88 sort le palet tout seul de la zone défensive, puis l'envoie au fond. Le gardien Shtalenkov dégage au plus pressé vers son banc et est donc sanctionné pour retard de jeu : 1 minute pleine à 5 contre 3 pour le Canada ! Bykov perd la mise au jeu face à Archibald... mais se rattrape une fois de plus en se couchant face au slap de Woolley. Les autres tirs dangereux sont contrés par Kasparaitis.

À bout de souffle, Lindros rentre au banc : le Canada n'a pas marqué et ses meilleurs joueurs sont dans le rouge. Il envoie donc la quatrième ligne pour souffler. Mais il n'y a guère le temps de souffler. Zubov lance rapidement le trio du Spartak en contre-attaque. Le capitaine canadien Brad Schlegel se couche bien pour empêcher Prokhorov de conclure son 2 contre 1 avec Boldin, mais Borshchevski arrive en appui en troisième homme, et Igor Boldin conclut en plongeant devant un Woolley cuit pour propulser la rondelle au fond (2-0, 55'54").

Dans ces cas-là, on dit que les carottes sont cuites. Sauf quand le Canada joue. Il se bat en effet jusqu'au bout. Schlegel sort le palet du coin pour une passe transversale vers Woolley dans le cercle gauche qui sert du revers Lindberg au poteau droit (2-1, 57'20"). Une action collective parfaite, mais trop tardive.

Pour ne même pas laisser l'adversaire espérer, Bykov monopolise le palet, quitte à reculer en zone neutre avec la rondelle dans sa crosse pour gagner du temps avant de laisser Mironov puis Khomutov poursuivre la possession en fond de zone. Lindberg doit rudoyer l'ailier russe à l'extrême limite de la faute pour récupérer cette rondelle. Tout un symbole, une passe du revers trop nonchalante de Lindros est contrée en zone neutre par le patin de l'inévitable Bykov. Khomutov s'empare alors de cette rondelle, qu'il offre son compère de Fribourg-Gottéron : Slava Bykov conclut ainsi son match magnifique par un slap en lucarne (3-1, 58'51").

Dans ce tournoi, le Canada avait placé ses meilleurs atouts au centre, avec le prodige Eric Lindros et le meilleur marqueur Joe Juneau. Mais les quatre centres ont fait un bon match, emmenés par un Bykov exemplaire, et l'équipe de la CEI a donc été dominante dans tous les compartiments du jeu.

Viktor Tikhonov entre dans la légende en remportant sa troisième médaille d'or olympique, un record pour un entraîneur. Il est porté en triomphe par ses joueurs qui le soulèvent dans les airs. Il n'est plus le tyran qui les bloque, puisque plusieurs d'entre eux vont partir en NHL dès la fin du tournoi.

Étoiles Hockey Archives : *** Vyacheslav Bykov (CEI), ** Dmitri Mironov (CEI), * Igor Boldin (CEI).

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match (dans L'Équipe)

Viktor Tikhonov (entraîneur de la CEI) : "Depuis les changements dans mon pays, on a l'impression qu'un voleur est tout le temps en train de retirer les plus belles affaires de notre maison. Le hockey sur glace est encore une mine d'or en Russie. Mais, désormais, elle est à ciel ouvert."

Vyacheslav Bykov (attaquant de la CEI) : "Quand le drapeau olympique est monté [pour symboliser cette équipe de CEI sans drapeau], je chantais l'hymne soviétique dans ma tête. Pour moi, rien n'avait véritablement changé. Cela dit, Andrei Khomutov et moi-même avons décidé d'arrêter notre carrière internationale sur ce titre olympique. Nous ne serons plus dans l'équipe de CEI dans deux mois lors des championnats du monde du groupe A à Prague. Bientôt, il n'existera plus qu'une équipe nationale de Russie, mais elle ne subira pas pour autant de grands changements d'effectof. Son niveau de jeu est tout aussi élevé, il lui manque seulement encore un peu d'expérience. Je ne me fais donc pas trop de soucis."

Joe Juneau (attaquant du Canada) : "Au début, nous avons été très déçus. Puis nous avons rapidement réalisé que nous avons quand même remporté la médaille d'argent. C'est pourquoi, finalement, tous les joueurs sont heureux du résultat. Il faut reconnaître que les Russes étaient incontestablement les plus forts. Tous deux qui disaient que la CEI était affaiblie se sont trompés. Cette équipe a réussi à garder un fond de jeu exceptionnel. Le tout est de savoir si elle pourra durer avec la libération du régime et le départ de ses meilleurs joueurs vers la NHL."

 

CEI - Canada 3-1 (0-0, 0-0, 3-1)
Dimanche 23 février 1992 à 14h15. 6100 spectateurs.
Arbitrage de Svein Erik Sold (SUE) assisté de Janne Rautavuori (FIN) et J. Enestedt (SUE).
Pénalités : CEI 12' (2', 2', 8'), Canada 14' (6', 4', 4').
Tirs : CEI 37 (10, 15, 12), Canada 22 (10, 6, 6).

Évolution du score :
1-0 à 41'01" : Butsaev assisté de Davydov
2-0 à 55'54" : Boldin assisté de Borshchevsky et Prokhorov
2-1 à 57'20" : Lindberg assisté de Juneau et Woolley
3-1 à 58'51" : Bykov assisté de Khomutov

 

CEI

Attaquants :
13 Yuri Khmylev (+1) - 27 Vyacheslav Bykov (C, +1) - 15 Andrei Khomutov (+1)
11 Evgeni Davydov - 22 Vyacheslav Butsaev - 29 Andrei Kovalenko
24 Vitali Prokhorov (+1, 2') - 8 Igor Boldin (+1) - 12 Nikolaï Borshchevski (+1)
10 Sergei Petrenko - 26 Aleksei Zhamnov (2') - 14 Aleksei Kovalev (2').

Défenseurs :
5 Dmitri Mironov (+1, 2') - 6 Darius Kasparaitis (+1)
7 Sergei Bautin (2') - 3 Igor Kravchuk
16 Sergei Zubov (+1) - 4 Vladimir Malakhov (+1)
23 Aleksei Zhitnik - 2 Dmitri Yushkevich.

Gardien :
20 Mikhaïl Shtalenkov (2').

Remplaçant : Andrei Trefilov (G).

Canada

Attaquants :
10 Dave Hannan - 15 Dave Tippett - 19 Todd Brost
11 Chris Lindberg (-1) - 9 Joe Juneau (2') - 22 Randy Smith (A, -1)
16 Wally Schreiber - 88 Eric Lindros (-2, 2') - 12 David Archibald (A, 2')
18 Kent Manderville (-1) - 8 Fabian Joseph (2') - 20 Patrick Lebeau (-1).

Défenseurs :
5 Jason Woolley (2') - 28 Brad Schlegel (C)
44 Curt Giles (-2, 2') - 6 Kevin Dahl (-1)
7 Adrian Plavsic - 2 Dan Ratushny
3 Brian Tutt - 4 Gordon Hynes (-1).

Gardien :
Sean Burke (2') [sorti à 59'10"].

 

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