Canada - États-Unis (16 février 1998)

 

Jeux Olympiques 1998, phase finale, troisième journée.

Ce match entre Canada et États-Unis fait l'objet d'un battage médiatique depuis des semaines. La commotion subie par la star canadienne Paul Kariya dans une partie de saison régulière de NHL par un international américain (Gary Suter) décuplera-t-elle les envies de revanche ? Le manager de l'équipe canadienne Bobby Clarke ne cesse d'y faire référence, au point d'irriter fortement la délégation américaine. Clarke en dénonciateur de la violence américaine alors qu'il a laissé son nom dans l'histoire du hockey pour son coup de crosse qui a blessé Kharlamov dans la série du siècle ? C'en est trop pour Jeremy Roenick, la "grande gueule" de service de l'équipe des États-Unis. "Depuis quand le Broad Street Bully est-il devenu un pape ?", a-t-il rétorqué en allusion au surnom des Flyers de la Philadelphie de l'époque sanglante des années 1970, dont Clarke était le leader.

L'annulation d'un entraînement dominical des États-Unis a aussi fait jaser. Ce n'était pas pour aller à la messe, et plusieurs joueurs américains ont été vus à 4 heures du matin dans un bar de Nagano, où des supporters suédois les ont chambrés par des chants à la gloire de Peter Forsberg. "Ce sont juste les Canadiens qui essaient de remuer des trucs, laissez-les japper tant qu'ils veulent. Peu importe ce qu'on fait hors de la glace, tant qu'on fait ce qu'il faut sur la glace." Personne ne démentira Roenick sur ce point. Il est vrai que des joueurs canadiens sont sortis tard, et que leur équipe ne s'était pas non plus entraînée sur ce créneau.

Assez provoqué, assez jacassé, place au hockey. Même si Deadmarsh saigne du nez dès la première présence, c'est lui qui est venu s'empaler dans l'épaule de Brind'Amour. Aucun joueur n'est là pour régler des comptes. On ne perd jamais de vue le palet et chacun garde bien à l'esprit son positionnement défensif. Les équipes se neutralisent donc pendant dix minutes jusqu'au premier coup de sifflet, pour une obstruction de Wayne Gretzky sur Doug Weight. Le powerplay américain est très brouillon. C'est plus facile de s'installer quand le Canada joue 1'40" avec deux hommes de moins, après un coup de crosse de Joe Sakic sur Suter en zone offensive puis une faute de Rob Zamuner (qui a retenu Weight). À 5 contre 3, Brian Leetch distribue le jeu vers son collègue Chris Chelios et surtout vers Brett Hull. Ils bombardent Patrick Roy mais celui-ci repousse tout en écartant les rebonds hors de l'enclave. Rob Blake puis Trevor Linden finissent par dégager le palet sous l'ovation du public japonais, très pro-canadien même sans Kariya (qui n'est pas oublié avec plusieurs panneaux en son honneur). Quand ils reviennent sur la glace, Sakic et Zamuner se rattrapent de leurs mauvaises pénalités : le premier entre en zone et efface Suter et Modano pour servir Gretzky lancé, et le second se place au poteau droit pour recevoir la passe décisive de "la Merveille", qui a piégé le dernier défenseur Kevin Hatcher par une feinte de lancer (1-0). Qui osera encore se plaindre que le numéro 99 n'ait pas inscrit de buts dans ce tournoi olympique quand il fait des passes géniales de la sorte ?

Les principales banderilles sont américaines en deuxième période. Idéalement placé sur un décalage de Joel Otto, Pat Lafontaine ne peut pas reprendre dans de bonnes conditions le palet bondissant. La réussite semble fuir aussi le buteur canadien Brendan Shanahan, servi seul face au gardien Mike Richter sur une passe de derrière la cage de Steve Yzerman. La meilleure séquence pour les États-Unis survient à la mi-match : Keith Tkachuk sert en retrait Mike Modano pour un tir entre les cercles, puis le centre des Stars de Dallas lui rend la pareille de derrière la cage, mais Patrick Roy s'interpose encore pour un double arrêt. Peu après, un tir de LeClair oblige Roy à lâcher pour une fois un rebond dangereux, que Hull ne peut reprendre car Zamuner le retient en dernier recours (photo ci-dessous). Une pénalité "utile" qui aboutit... à un but en infériorité numérique. Steve Yzerman gagne la mise au jeu face à LaFontaine et obtient une contre-attaque quand Leetch n'arrive pas à contrôler le dégagement canadien. Mike Richter écarte le palet d'un poke-check mais Keith Primeau a suivi et marque (2-0). Richter proteste car Yzerman l'a heurté dans le prolongement de son action, mais l'arbitre moustachu Bill McCreary ne veut rien savoir. Le Canada est même proche de marquer un autre but sur la même infériorité quand Primeau envoie en échappée Theo Fleury qui dribble Richter à pleine vitesse sans parvenir à rabattre le palet dans le but. Finalement, à deux minutes de la pause, Keith Primeau bloque debout un tir de Kevin Hatcher et lance une autre contre-attaque, fatale : les défenseurs Hatcher et Schneider vont systématiquement en même temps sur le porteur du palet, et Joe Sakic est ainsi tout seul face à la cage vide pour prendre le rebond du tir de Fleury (3-0).

On ne comprend pas pourquoi Ron Wilson a pris huit défenseurs pour en utiliser six, en se privant d'alternatives offensives pour corriger ses lignes qui ne fonctionnent pas. Mais quand il met sur la glace l'arrière peu utilisé Keith Carney, celui-ci se fait voler le palet dans son enclave par Brind'Amour... Une erreur sans conséquence, mais 45 secondes plus tard, Bourque contre une incursion de LaFontaine, Sakic lance la transition et Primeau reprend en cage ouverte le centre au second poteau de Mark Recchi (4-0). Cette fois c'est l'autre défenseur remplaçant Bryan Berard qui a commis l'erreur en ne couvrant pas son côté... Puisque Patrick Roy a contrôle en habitué ses slaps surpuissants, Brett Hull sauve l'honneur en plaçant un tir du poignet dans le haut du filet, sur un palet sorti de la bande par Doug Weight (4-1).

Les États-Unis avaient été sauvés par un 5 contre 3 contre le Bélarus, cette fois ils ont perdu à cause de leur inefficacité en powerplay. Les joueurs de l'ombre ont été à l'honneur dans le camp canadien avec le premier but pour le controversé - car anonyme - Rob Zamuner, mais surtout par le doublé de Keith Primeau, homme-clé du jeu en infériorité numérique qui a été très actif offensivement tout au long du match. Primeau, qui a su à la fois bloquer des tirs et créer de l'offensive, a été de loin le meilleur des "gros ailiers" canadiens jusqu'ici par rapport à Shanahan ou Linden. Les Canadiens semblent plus complets sur toutes les lignes et ont été dignes de leur statut de favori dans cette phase de poules.

Les Américains ne paraissent pas aussi homogènes. Le recours parfois excessif au lancer de Brett Hull masque un manque de solutions, alors que les Canadiens n'ont même pas utilisé le slap de MacInnis cette fois-ci. Keith Tkachuk avec sa puissance physique et Mike Modano avec sa qualité de patinage sont toujours les joueurs les plus dangereux, mais leur ancien partenaire de début de tournoi Bill Guerin n'a obtenu aucun tir et a perdu trop de palets en zone offensive, complètement perdu depuis qu'il est sur le trio de Jeremy Roenick. Celui-ci avait suggéré que les actes compteraient plus que les paroles : de fait, le centre des Coyotes de Phoenix n'a rien construit offensivement et a été mangé aux mises au jeu (6 sur 19).

Étoiles du match Hockey Archives : *** Keith Primeau / ** Patrick Roy et Joe Sakic / * Steve Yzerman et Keith Tkachuk .

Marc Branchu

Commentaires d'après-match :

Marc Crawford (entraîneur du Canada) : "Notre objectif était d'avoir un tableau un peu plus facile vers les finales, et nous l'avons accompli. L'autre objectif que nous nous fixons est de nous améliorer et nous voulions toujours le faire."

Patrick Roy (gardien du Canada) : "C'est ma seule chance de participer aux Jeux olympiques. Je vais tout faire pour gagner. Je me sens bien. On voyait que les Américains cherchaient à alimenter Brett Hull. Il essayait de lancer haut. Je me suis placé dans l'angle du tir pour couvrir la plus grande partie possible du filet."

Rob Zamuner (attaquant du Canada) : "J'ai dit depuis le début que je ne suis pas ici pour remplacer Mark Messier, que ce n'est pas une compétition entre moi et Mark Messier. Nous sommes des joueurs totalement différents, avec des styles de jeu et des rôles totalement différents. Je ne sais pas si les amateurs canadiens de hockey m'en veulent d'être là à la place de Mark, mais j'espère que non. C'est difficile pour moi de connaître le sentiment des Canadiens. Il n'y a pas eu beaucoup de réaction autour de chez moi, mais Tampa n'est pas exactement un foyer de hockey."

Ron Wilson (entraîneur des États-Unis) : "Nous ne changerons rien. Ce match était important pour les deux équipes du point de vue de la fierté. Mais ce que nous voulions le plus, c'est continuer à nous améliorer. Nous l'avons fait. Nous avons mieux fait beaucoup de choses. La grande différence a été Patrick Roy. Peut-être que le tournant a été le 5 contre 3. Si nous avions ouvert le score, nous aurions cru en nous-mêmes."

Jeremy Roenick (attaquant des États-Unis) : "On commence à se frotter les mains en pressentant quelque chose de bien (avec le 5 contre 3). On est tout excité sur nos orteils, et littéralement, la seconde suivante, on s'asseoit sur le banc en se demandant ce qui vient de se passer. [...] C'est le genre de jeu qu'on voulait jouer. Nous n'avons pas trouvé de failles, ils avaient un gardien chaud. Mais ne nous trompons pas. Nous avons plus tiré au but et nous avons eu beaucoup de bonnes occasions. Notre style de jeu a dominé la majorité du match. [...] Si on jouait le Pakistan, on se pendrait probablement si on ne remporterait pas la médaille d'or. Mais nous jouons des équipes qui sont de la dynamite."

Pat LaFontaine (attaquant des États-Unis) : "Il faut donner un énorme crédit au Canada pour sa discipline et sa patience. Ils sont l'équipe à battre."

 

Canada - États-Unis 4-1 (1-0, 2-0, 1-1)
Lundi 16 février 1998 à 14h45 au Big Hat de Nagano (JAP). 10076 spectateurs.
Arbitrage de Bill McCreary (CAN) assisté de Gord Broseker (USA) et Kenneth Sartison (CAN).
Pénalités : Canada 12' (6', 4', 2'), États-Unis 6' (0', 2', 4').
Tirs cadrés : Canada 25 (5, 13, 7), États-Unis 31 (10, 11, 10).
Tirs bloqués : Canada 5 (1, 3, 1), États-Unis 13 (4, 7, 2).
Tirs non cadrés : Canada 13 (4, 6, 3), États-Unis 12 (4, 2, 6).
Engagements : Canada 38 (18, 14, 6), États-Unis 22 (8, 8, 6).

Évolution du score :
1-0 à 16'30" : Zamuner assisté de Gretzky et Sakic
2-0 à 33'37" : Primeau assisté de Yzerman (inf. num.)
3-0 à 38'19" : Sakic assisté de Fleury
4-0 à 46'00" : Primeau assisté de Recchi et Sakic
4-1 à 54'04" : Hull assisté de Weight
 

Canada

Attaquants :
27 Shayne Corson - 88 Eric Lindros (C) - 17 Rod Brind'Amour
7 Rob Zamuner (4') - 25 Joe Nieuwendyk (-1) - 74 Theoren Fleury
14 Brendan Shanahan - 99 Wayne Gretzky (+1, 2') - 19 Steve Yzerman (A, +1, 2')
55 Keith Primeau (+3) - 91 Joe Sakic (A, +3, 2') - 8 Mark Recchi (+1)
16 Trevor Linden

Défenseurs :
24 Chris Pronger - 52 Adam Foote
77 Raymond Bourque (+2) - 44 Rob Blake (+2, 2')
4 Scott Stevens (+2) - 2 Al MacInnis
37 Éric Desjardins

Gardien :
33 Patrick Roy

Remplaçant : 30 Martin Brodeur (G). En réserve : 31 Curtis Joseph (G).

États-Unis

Attaquants :
12 Bill Guerin - 27 Jeremy Roenick (2') - 18 Adam Deadmarsh
17 Keith Tkachuk (A, -2) - 9 Mike Modano (-2) - 11 Tony Amonte (-1)
10 John LeClair - 19 Doug Weight (2') - 15 Brett Hull (+1)
25 Jamie Langenbrunner (-1, 2') - 16 Pat LaFontaine (-3) - 29 Joel Otto (-1)

Défenseurs :
2 Brian Leetch (A) - 3 Derian Hatcher (+1)
20 Gary Suter (-2) - 7 Chris Chelios (C)
5 Mathieu Schneider (-1) - 4 Kevin Hatcher (-3)
puis 24 Keith Carney et 6 Bryan Berard (-1)

Gardien :
35 Mike Richter

Remplaçant : 34 John Vanbiesbrouck (G). En réserve : 31 Guy Hebert (G).

 

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