Russie - République Tchèque (22 février 1998)

 

Finale des Jeux Olympiques 1998.

Après avoir battu Américains et Canadiens, la République Tchèque a le vent en poupe, et il serait dommage que son parcours s'arrête face aux Russes. Néanmoins, si les Tchèques ont conquis les cœurs des Européens avec leur équipe panachée entre joueurs évoluant en Europe en NHL, ils trouvent moins de grâce aux yeux des experts nord-américains. Ceux-ci donneraient plutôt leur faveur à la Russie, qu'ils considèrent toujours comme l'équipe la mieux armée offensivement, plus complète car forte de ses stars de NHL. Certes, les Russes ont théoriquement un point faible au poste de gardien, mais ils ne se font pas non plus une montagne de l'incroyable Dominik Hašek, car ils avaient montré qu'il n'était pas invincible en lui marquant deux buts en dix secondes lors du match de poule.

L'élan russe

Dès la deuxième minute, Boris Mironov commet une obstruction sur Hamrlík qui n'était pourtant guère dangereux puisqu'il avait perdu sa crosse. Cela vient trop tôt pour les Tchèques qui mettent un peu de temps à réaliser des passes propres, même si on sent que leur jeu collectif commence à revenir, avec de bonnes idées. Milan Hejduk se faufile derrière la défense mais perd son duel avec Mikhaïl Shtalenkov. Sur la contre-attaque, Aleksei Yashin s'extirpe sur la droite et décale le vétéran Valeri Kamensky, complètement seul, dont le tir est paré par un lancer de jambières de Hašek.

Les Russes parviennent souvent à entrer en zone offensive avec beaucoup de vitesse, alliée à une belle maîtrise du palet, comme ces quelques mouvements rapides comme l'éclair de Pavel Bure. Mais Dominik Hašek ne laisse pas le palet s'approcher, avec de bons poke-checks si besoin et sans hésiter à sortir de ses buts pour devancer le danger. Il se précipite même un peu trop la fois où il rate son dégagement qui passe par-dessus le plexiglas et lui vaut deux minutes de pénalité pour retard de jeu.

Les deux stars tchèques sont d'ailleurs sanctionnées dans cette première période puisque Jaromír Jágr est envoyé en prison pour un coup de crosse qui entache la bonne action qu'il venait de conclure. Mais les défenseurs tchèques, avec l'appui de Hašek qui vient apporter son aide derrière la cage, tuent les deux pénalités, et le premier tiers-temps s'achève encore sur un score vierge. Les Tchèques le terminent à quatre à cause d'une obstruction de Petr Svoboda, un geste inutile en zone offensive, tandis que Jágr s'est pris juste avant une énorme boîte d'Aleksei Zhitnik. Un peu sonné, le buteur des Pittsburgh Penguins est content de regagner les vestiaires.

La vivacité tchèque

Même s'ils ont presque une minute et demie de supériorité numérique, les Russes sont moins incisifs en début de deuxième période. De retour à cinq, les Tchèques partent même à deux contre un, mais Darius Kasparaitis avait compris que Beránek laisserait à Jágr le soin de conclure. Cinq minutes plus tard, après avoir chuté sur la glace en zone offensive, Martin Straka se rattrape sur l'action suivante avec une percée pleine d'entrain et une passe à droite pour le capitaine Vladimír Ruzicka dont le tir du revers passe à quelques centimètres du but russe. La période de domination tchèque ne connaît qu'un seul intermède, une belle passe du revers d'Aleksei Yashin pour Andrei Kovalenko tout près de la cage, qui voit Hašek avancer sa crosse en barrage devant le tir en une fraction de seconde salutaire.

On vient de passer la mi-match quand les Russes commettent l'erreur de trop reculer et de laisser du champ en zone neutre à Jaromír Jágr. Il fonce droit devant, franchit la rouge et la bleue, et adresse un superbe lancer... sur le poteau. Shtalenkov, qui fait ce qu'il peut dans son bras de fer à distance avec Hašek, est verni. Pendant ce temps-là, Petr Svoboda se fait pour l'instant surtout remarquer par son indiscipline, mal récurrent chez lui. Il fait sa deuxième obstruction du match, derrière ses buts cette fois, sur Nemchinov. Mais la Russie n'arrive pas à faire la différence en jeu de puissance et se fait au contraire peur quand Pavel Patera vole le palet à Zhamnov à la bleue et part en contre-attaque.

En début de troisième période, les Russes s'emmêlent les pinceaux sur un changement de ligne et se retrouvent à six sur la glace (un septième joueur y pose même le patin avant de faire demi-tour aussitôt en constatant l'incompréhension). Ce surnombre sans conséquence est leur seconde pénalité, et s'il n'y en aura pas d'autres, c'est à cause de la complaisance de Bill McCreary. Le meilleur arbitre de NHL (celle-ci a imposé que l'on utilise ses propres directeurs de jeu pour tout match du tournoi olympique où seraient alignés plus de 50% de joueurs évoluant dans la ligue nord-américaine) oublie notamment une grosse faute de Yashin, qui attrape la crosse de Patera devant l'enclave au moment où celui-ci se prépare à récupérer le palet.

Svoboda, le héros inattendu

Les Tchèques sont maintenant plus vifs, mais Robert Lang, idéalement placé devant le but, rate la cible. Et ce n'est rien à côté de Josef Beránek : ce coup-ci, c'est lui qui reçoit la passe de Jágr en deux contre un, un habile service du revers d'une main, puis il prend le rebond après son premier tir repoussé et reste deux bonnes secondes face à Shtalenkov avant de se décider à tenter sa chance, mais le gardien russe a un bon réflexe du gant sur cette énorme occasion. Beránek n'a pas le temps de la ruminer car l'ouverture du score est toute proche. Après un bon travail du duo Patera/Procházka sur une mise au jeu en zone offensive, c'est Petr Svoboda qui efface le souvenir de ses séjours répétés dans la prison en marquant ce but historique, un tir de la bleue que Shtalenkov ne voit pas partir. Comme en demi-finale, c'est un défenseur qui a finalement fait mouche avec un lancer masqué pour les Tchèques, alors que les actions construites ont buté sur le gardien adverse.

Les affaires se compliquent pour les Russes qui n'ont qu'un peu plus de dix minutes pour trouver la faille de l'exceptionnel Dominik Hašek. Ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes car l'arbitre ne sifflera plus rien, malgré quelques gestes répréhensibles. Or, si elle avait un peu subi la prise d'élan russe au premier tiers, la République Tchèque a ensuite dominé le match, et elle continue à presser haut pour ne pas céder les rênes de la rencontre. Une crosse tchèque vient systématiquement enlever le palet des crosses russes pour faire avorter toute action. La Russie ne trouve plus de solution, elle ne fait plus qu'envoyer le palet au fond où il est facilement récupéré par les défenseurs. Elle ne peut plus s'opposer au plus grand jour de l'histoire du sport tchèque.

Battre la Russie, ultime exorcisme du passé

Il est bien sûr symbolique que cette consécration de la République Tchèque soit obtenue face aux Russes. C'est dans ses duels épiques avec l'URSS, avec toute sa rage de pays opprimé et étouffé, que la Tchécoslovaquie a vécu ses heures de hockey les plus intenses, se prenant de passion pour ce sport. Autre symbole, c'est un Svoboda ("liberté" en tchèque) qui marque le but victorieux, un homonyme du président du pays qui avait initié les réformes du printemps de Prague (Ludvik Svoboda) avant que les chars soviétiques ne viennent tout balayer...

Néanmoins, cette rivalité politique est du passé. Les joueurs actuels n'étaient pour certains même pas nés à l'époque, l'Union Soviétique appartient à l'histoire, et les Tchèques n'ont plus besoin d'affirmer leur désir de liberté sur la glace. Il reste néanmoins le n°68 de Jaromír Jágr pour rappeler l'importance de cette année-là dans les relations entre les deux pays, y compris sur le plan du hockey. L'attaquant à la longue crinière a choisi ce numéro en hommage à son grand-père mort en prison à l'époque du printemps de Prague, mais il n'a pas de griefs envers les Russes et sait aussi bien que quiconque que les duels sportifs d'aujourd'hui sont dépassionnés.

Ceci n'empêche pas la République Tchèque de savourer ce superbe succès, obtenu après avoir battu les trois pays donnés favoris. Dominik Hašek, qui a réussi un tournoi hallucinant avec plus de 96% d'arrêts, en est évidemment le principal artisan, mais le meilleur joueur du monde du moment n'a pas gagné ce titre à lui tout seul. Pour remporter cette victoire et faire basculer les pronostics, alors qu'elle avait choisi de sélectionner le moins de joueurs de NHL parmi les six "dream teams", cette équipe tchèque a su s'appuyer sur ses vertus fondatrices, celles du collectif, qui a su à la fois construire le jeu et désorganiser celui de ses adversaires. Rares sont les joueurs à avoir déçu, hormis peut-être Robert Lang, qui a un peu bafouillé son hockey.

Comme beaucoup de ses concitoyens, le président tchèque Václav Havel a suivi ce grand moment (à 5h45 du matin avec le décalage horaire) depuis son lit d'hôpital, où il se remet d'une opération. Il a fait affréter un avion privé, déjà prévu que la finale soit gagnée ou perdue, pour ramener toute l'équipe tchèque, même ceux qui devront ensuite repartir en NHL, à Prague, où plus de cent mille personnes les attendront dans les rues pour célébrer ce grand jour.

Étoiles du match Hockey Archives : *** Dominik Hašek / ** Pavel Patera et Aleksei Yashin / * Jaromír Jágr et Mikhail Shtalenkov

Marc Branchu

Commentaires d'après-match :

Vladimir Yurzinov (entraîneur de la Russie) : "Si vous m'aviez posé la question il y a deux semaines, j'aurais dit que la médaille d'argent était un rêve. Aujourd'hui, je dirais que nous avions une chance de gagner. J'ai le sentiment d'avoir échoué dans ma façon de préparer l'équipe à ce match. Ce n'est pas seulement la façon dont Hašek joue. Il a un fort impact psychologique parce que, par moments, j'ai eu l'impression que nous n'étions pas vraiment sûrs de pouvoir lui marquer un but. [...] Cette victoire marquera l'histoire du hockey. Le succès des Tchèques, c'est d'avoir su préserver toutes les particularités de leur jeu. Si vous maintenez vos traditions, vous maintenez votre identité, et ça reste à mon avis essentiel dans le hockey contemporain. Nous ne sommes pas tous supposés prier le même dieu."

Alekseï Yashin (attaquant de la Russie) : "C'est le moment le plus triste de ma carrière. C'est toujours comme cela quand on est aussi près de l'or et que l'on perd. Beaucoup de gens disaient que l'équipe russe n'atteindrait même pas les demi-finales. Mais l'atmosphère a changé. Nous avons gagné le respect de nos supporters. Nous voulions jouer pour eux et pour notre patrie. Notre plan de jeu était d'allumer Hašek et de placer un gars devant le but pour lui boucher la vue, mais nous n'avons réussi ni à prendre beaucoup de tirs à travers leur défense, ni à aller aux rebonds."

Sergueï Gonchar (défenseur de la Russie) : "Il y avait beaucoup de gens de la fédération russe dans le vestiaire pour nous dire que nous avons fait ce que nous avons pu, et ça nous a aidés. L'atmosphère de cette finale, ce sont des sentiments différents de tout ce que j'avais vécu auparavant. Je me souviendrai des soixante minutes de cette finale et des moments qui l'ont suivie. C'est quelque chose qui n'arrive probablement qu'une fois dans une vie. En quittant Washington, Ron Wilson [le coach des Américains et Washington Capitals] nous disait qu'il reviendrait nous montrer sa médaille d'or. Maintenant, je pourrai lui montrer la mienne, en argent. Pour nous, le plus important est d'avoir montré que la Russie a encore de bons joueurs. J'avais entendu sur [la chaîne américaine] ESPN avant de partir que nous serions la plus grande déception du tournoi."

Slavomír Lener (entraîneur-adjoint de la République Tchèque) : "Notre stratégie était de garder le noyau des joueurs qui sont devenus champions du monde au printemps 1996 et qui avaient terminés troisièmes l'an passé, et c'est ce qui a fait notre force. Bien sûr, il y a des stars comme Hašek, Jágr ou Reichel, mais je peux vous certifier que pour nous, dans les vestiaires, il n'y en avait pas. Ici, ils apportent énormément aux autres. Vous auriez dû voir comment Hašek a défié les autres joueurs à l'entraînement. Lorsqu'ils ont constaté à quel point il était impassable, ils se sont vraiment dit qu'ils commençaient un tournoi pas comme les autres, un tournoi où ils auraient de sérieuses chances de briller. Aujourd'hui, il nous fallait ralentir les rapides patineurs russes dans la zone neutre afin de casser leur rythme, et nous y sommes parvenus."

Dominik Hašek (gardien de la République Tchèque) : "C'est le plus grand jour de ma carrière. Je fais toujours de mon mieux avec Buffalo, mais il n'y a rien de comparable à une médaille d'or remportée pour votre pays. Quand le match s'est terminé, j'ai juste jeté ma crosse en l'air tellement j'étais heureux. Je crois qu'elle a heurté un de mes coéquipiers, désolé. Je suis fier d'avoir représenté le pays qui m'a appris à jouer au hockey. Pendant que le drapeau tchèque était hissé, j'ai vu toute ma carrière défiler dans mes yeux, depuis la première fois où mes parents m'ont amené à un match de hockey jusqu'à maintenant."

Petr Svoboda (buteur décisif de la République Tchèque) : "Mes parents me parlent encore du match de 1969. Battre les Russes est toujours quelque chose d'important pour notre génération."

 

Russie - République Tchèque 0-1 (0-0, 0-0, 0-1)
Dimanche 22 février 1998 à 13h45 au Big Hat de Nagano (JAP). 10 010 spectateurs.
Arbitrage de Bill McCreary (CAN) assisté de Ray Scapinello (CAN) et Ulf Rönnmark (SUE).
Pénalités : Russie 4' (2', 0', 2'), République Tchèque 8' (6', 2', 0').
Tirs cadrés : Russie 20 (9, 6, 5), République Tchèque 21 (6, 5, 10).
Tirs bloqués : Russie 6 (2, 2, 2), République Tchèque 10 (3, 4, 3).
Tirs non cadrés : Russie 6 (5, 0, 1), République Tchèque 7 (1, 2, 4).
Engagements : Russie 29 (10, 7, 12), République Tchèque 32 (11, 11, 10).

Évolution du score :
0-1 à 48'08" : Svoboda assisté de Patera et Procházka

 

Russie (2' pour surnombre)

Attaquants :
13 Valeri Kamensky - 33 Aleksei Zhamnov - 10 Pavel Bure (C)
91 Sergei Fedorov (-1) - 19 Aleksei Yashin (A, -1) - 51 Andrei Kovalenko (-1)
9 Sergei Krivokrasov - 8 Sergei Nemchinov - 20 Valeri Bure
25 Valeri Zelepukin - 14 German Titov - 24 Aleksei Morozov

Défenseurs :
5 Aleksei Gusarov - 15 Dmitri Mironov
11 Darius Kasparaitis (A, -1) - 2 Boris Mironov (-1, 2')
29 Igor Kravchuk - 55 Sergei Gonchar
44 Aleksei Zhitnik - 3 Dmitri Yushkevich

Gardien :
35 Mikhaïl Shtalenkov [sorti de 59'24" à 59'28" et de 59'33" à 59'47"]

Remplaçant : 34 Andrei Trefilov (G). En réserve : 1 Oleg Shevtsov (G).

République Tchèque

Attaquants :
28 Martin Straka - 97 Vladimír Růžička (C) - 68 Jaromír Jágr (A, 2')
13 Robert Lang - 21 Robert Reichel (A) - 26 Martin Ručinský (-1)
42 Josef Beránek - 30 Jiří Dopita - 22 David Moravec
20 Martin Procházka (+1) - 10 Pavel Patera (+1) - 24 Milan Hejduk (+1)

Défenseurs :
71 Jiří Šlégr - 32 Richard Šmehlík
23 Petr Svoboda (+1, 4') - 44 Roman Hamrlík (+1)
4 František Kučera - 6 Jaroslav Špaček

Gardien :
39 Dominik Hašek (2')

Remplaçants : 29 Roman Čechmánek (G), 5 Libor Procházka, 16 Jan Čaloun. En réserve : Milan Hnilička (G).

 

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