Russie - Canada (14 mai 2005)

 

Demi-finale des championnats du monde 2005.

Un coaching subi

Il faut remonter très loin en arrière pour trouver trace d'une victoire russe sur le Canada dans une compétition officielle. La dernière, c'était en 1996, et c'était ici même, à Vienne. Mais ce n'était qu'un match de poule, et les Canadiens avaient pris leur revanche en demi-finale. Pour que la Russie puisse renouer avec le succès face à son adversaire historique, il faudra d'abord qu'elle maîtrise la ligne Gagné-Thornton-Nash. Interrogé sur le sujet, Vladimir Krikunov a dit que la ligne de Pavel Datsyuk s'en occuperait. Le problème, c'est que le Canada a d'autres plans. Comme il y a deux ans où il avait mangé son coéquipier aux Red Wings, Kris Draper ne cache pas son envie de faire face à Datsyuk. Krikunov a balayé l'argument en rappelant qu'il n'était pas sur le banc à l'époque. Maintenant, c'est bien lui le coach, mais Habscheid a le dernier mot et c'est bien Draper qui fait face à Datsyuk au coup d'envoi. Pire, Vladimir Krikunov n'essaiera jamais de "matcher" différemment les lignes et subira le coaching de son adversaire tout au long de la partie. Résultat, Pavel Datsyuk, l'attaquant russe le plus régulier de la compétition, aura toujours son chien de garde Draper sur le dos.

Est-ce un signe que la Russie se pose d'entrée en victime ? Sa deuxième ou sa troisième ligne ne font pas le poids face à celle de Joe Thornton, le numéro 97 étant un distributeur agréé de passes en or. Wade Redden pousse plein axe et fait passer le rebond au-dessus de Sokolov après avoir poursuivi son action, alors que Karpovtsev était plus spectateur qu'acteur (0-1 à 01'38"). Aleksandr Semin fait une passe en retrait pour personne en zone offensive, et les Canadiens se retrouvent à quatre face aux deux pauvres défenseurs. Du bonheur pour Thornton qui décale Sheldon Souray (0-2 à 05'46").

Comme si la situation russe n'était pas assez grave, voilà que les juniors versent dans l'indiscipline. Un cinglage d'Ovechkin, et Sokolov doit être sauvé par sa transversale sur un lancer de Dan Boyle. Un coup de coude de Malkin, et le vase commence à déborder... À vingt secondes de la fin de l'infériorité, Denisov confisque la crosse de Marleau dans l'enclave. La Russie est donc à trois contre cinq, et même si la mise au jeu est gagnée par Datsyuk, elle ne parvient pas à se dégager. Le Canada fait circuler le palet, et Shane Doan passe le palet sous le nez de Sokolov à Dany Heatley, qui marque entre les jambières du gardien (0-3 à 10'37"). Il restait trois secondes à la pénalité de Malkin, et les Russes subissent donc encore deux minutes d'infériorité, où l'on voit les Canadiens s'approcher très facilement de la cage, Heatley en passant dans le dos de Proshkin, ou encore Scott Walker en reprenant sur le poteau une passe de Marleau. Assommés, hébétés, les Russes sont aux abois, ils n'attendent que le coup de grâce.

L'injustice appelle la révolte

Cependant, Fedor Fedorov, déjà accroché par Regehr en début de match, obtient une seconde pénalité quand Boyle le fait trébucher. Enfin, une supériorité s'annonce, l'occasion pour la Russie de sortir la tête de l'eau. Et que fait alors Kovalchuk ? Il donne un coup à son vis-à-vis sur un engagement. Supériorité annulée... Auteur d'un bon travail en zone offensive, Maksim Afinogenov a un petit geste de frustration sur Regehr qui venait de le serrer contre la bande sans palet. M. Henriksson est impitoyable. Cette pénalité de trop révolte les Russes qui dominent alors l'infériorité ! Le sentiment d'injustice peut-il les ramener dans le match ? Ils sont sur le point de finir le tiers-temps à cinq contre quatre, car Morrow a chargé Malkin contre la bande, lorsque Maltby pousse à terre Markov. L'arbitre siffle, et le Canadien s'attend tellement à être sanctionné qu'il rentre en prison... mais M. Henriksson n'a sanctionné qu'un geste d'humeur ou une simulation du Russe, qui ne pouvait pas faire autrement que de tomber vu la pression exercée par la crosse canadienne dans son dos. L'arbitre finlandais est la cible d'une bordée de sifflets lorsque retentit la sirène.

Le bref dérapage de M. Henriksson sur cette fin de premier tiers-temps n'est pas sans conséquences pour la suite. Avant que cette dernière pénalité très contestable se termine, Ed Jovanovski reprend une passe de Rick Nash face à une défense russe immobile (0-4 à 21'40"). De grave, la situation russe est devenue désespérée. Martin Brodeur est parfaitement concentré, et rien ne semble pouvoir maintenant priver le Canada de finale... sauf peut-être la facilité. Chris Phillips perd ainsi un palet à sa bleue, mais Brodeur reste solide.

Yashin existe toujours

Si on atteint la seconde pause avec ce score, on peut déjà remballer. Mais soudain, on assiste à la résurrection d'Alekseï Yashin, qui n'avait pas marqué le moindre point dans ce championnat du monde. Il gagne d'abord une mise au jeu en zone offensive face à Thornton, et permet à Aleksandr Semin d'allumer la lucarne (1-4 à 34'22"). Puis à la dernière minute, il envoie vers la cage, "à la canadienne". Il cherche la passe pour Semin, sans grand espoir car celui-ci est entouré par deux défenseurs, mais le palet est dévié dans les filets par le patin de Phillips (2-4 à 39'18"). Un but à un moment capital, juste avant de rentrer aux vestiaires... même si les évènements s'enchaînent dans cette dernière minute. Sergueï Zinoviev charge Doan à la tête et prend 2'+10'. Kovalchuk, qui sert de substitut, donne un coup de crosse à la caméra de la prison pour ne pas apparaître à l'image. On l'excusera, c'est probablement dû à la pudeur de ce grand modeste... La pénalité est vite annulée car Heatley prend un lancer avec une crosse cassée, même s'il n'a semble-t-il fait que continuer son mouvement sans s'être rendu compte que sa palette s'était brisée.

Du fait de la prison de Zinoviev, l'entraîneur russe Krikunov n'a plus que trois centres à disposition. Alors, il aligne son arrière Denisov à ce poste ! Est-ce parce que celui-ci risque moins de faire de boulettes au centre qu'en défense ? Sérieusement, on a du mal à suivre le coaching de Krikunov. On va finir par croire à la chronique du jour de Klaus Zaugg, parfaitement à-propos cette fois, qui expliquait que la Russie n'avait jamais eu un encadrement digne de ce nom. La thèse est fausse pour ce qui est des entraîneurs, chargés d'enseigner le jeu et de préparer les joueurs, mais complètement vraie sur le plan du pur coaching. Ce match en est la preuve, le jour même où la venue du premier entraîneur canadien en Russie (Dave King à Magnitogorsk) a été annoncée...

La fougue russe bouscule le Canada

Il y a encore de l'envie chez les Russes. Evgueni Malkin feinte le lancer, et Fedorov remet devant la cage à Aleksandr Ovechkin qui profite d'un marquage léger de Jovanovski pour réduire le score. Il bondit alors de joie et bouscule Heatley au passage pour aller se congratuler avec ses compères de la ligne des jeunes (3-4 à 46'27"). Un nouvel élan souffle sur la Russie. Le match a changé d'âme, Afinogenov et consorts se battent comme des lions dans les coins. Face au pressing haut, les Canadiens n'arrivent pas à sortir de leur zone. Sur leur seule attaque, Walker fait trébucher un défenseur pour faciliter le retour devant la cage de Marleau. Le jeu de puissance russe s'installe mais Brodeur est toujours bien placé et les défenseurs canadiens prennent en charge les rebonds. Avant-dernière équipe du tournoi en infériorité, la Russie n'est que douzième sur seize en supériorité, ne laissant derrière elle que la petite Slovénie et, comme par hasard, trois nations de l'ex-URSS... La domination réaffirmée du Canada dans les unités spéciales fait encore la différence.

Le capitaine Ryan Smyth, en débordant et en forçant l'accès la cage, puis le duo Thornton-Nash, qui fait un feu de camp derrière la cage adverse, renversent ensuite la pression. En revanche, la quatrième ligne canadienne joue bas et subit. À deux minutes de la fin, Sokolov sort de sa cage pour dégager un palet, mais un Canadien le réceptionne et l'envoie dans la cage vide. Le but est annulé pour un hors-jeu très tangent au vu du ralenti. Krikunov demande un temps mort et sort son gardien. Les Russes essaient d'envoyer au fond, ce qui n'a rien de simple face aux relances rapides de Brodeur. L'une d'elles finit toutefois en dégagement interdit, et les trente dernières secondes se jouent dans la zone canadienne... en vain.

Le Canada a balayé ses doutes dans cette demi-finale. Le duo Draper-Maltby ? Revenu plus fort que jamais, il s'est cette fois acquitté de ses tâches défensives. Martin Brodeur ? Il a prouvé sa force mentale en retrouvant son meilleur niveau dans ce match capital. La défense ? Même si le premier duo Regehr-Jovanovski n'a toujours pas vraiment convaincu, ce sont bel et bien les Russes qui ont craqué défensivement dans ce match. Et pourtant, les Canadiens se sont fait peur jusqu'au bout, en se mettant à jouer contre-nature. Ils ont arrêté de forcer, ce qui aurait perturbé des adversaires qui n'avaient pas besoin de grand-chose pour flancher définitivement. Peu à peu, ils se sont mis à reculer comme de vulgaires joueurs du Lada. Les Russes se sont alors sentis à leur aise et ont totalement pris le contrôle d'un match qu'ils semblaient pourtant avoir perdu d'entrée. Du coup, il s'en est vraiment fallu de peu qu'on assiste à un retournement de situation qui serait rentré dans les annales.

Élus meilleurs joueurs du match : Alekseï Yashin pour la Russie et Martin Brodeur pour le Canada.

Compte-rendu signé Marc Branchu / photos Francis Larrède

 

Commentaires d'après-match

Vladimir Krikunov (entraîneur de la Russie) : "Vous ne m'entraînerez pas sur le terrain de l'arbitrage, mais je lirai avec intérêt vos commentaires dans les journaux à ce sujet. Je ne pense pas que Sokolov soit coupable. Il a arrêté les premiers tirs, la suite était du ressort de ses défenseurs. Je pense que la Russie a assez de bons arrières pour devenir championne du monde, mais nous avons des blessés, et certains ont refusé. C'est la démocratie. Par exemple, l'un d'entre eux m'a dit qu'il ne viendrait pas parce qu'il voulait se reposer avec sa femme. Le seul regret que j'ai dans la sélection que j'ai faite, c'est de ne pas avoir pris [l'espoir du Dynamo] Mirnov. En ce qui concerne Vishnevsky, il est possible qu'il aurait mieux joué que Karpovtsev."

Pavel Datsyuk (attaquant de la Russie) : "Leur donner quatre buts d'avance, c'est trop. Ce n'est malheureusement pas la première fois que ça nous arrive de rater notre début de match. Nous avons essayé d'égaliser, mais nous aurions eu besoin de plus de temps. Avec dix minutes supplémentaires, nous aurions marqué un voire deux buts. [...] Au moins n'a-t-il [Draper] pas marqué ce soir. Il y a deux ans il avait marqué deux buts contre ma ligne. Et nous avons eu quelques occasions ce soir, ce qui n'avait pas été le cas à l'époque. Mais c'est dur de jouer contre lui."

Kris Draper (attaquant du Canada) : "Nous prenons une grande fierté à faire cela. J'ai tellement de respect pour Pavel, j'ai gagné une Coupe Stanley avec lui. Mais il faut oublier ça et réaliser que l'on est en train de jouer pour son pays. Notre travail est de lui rendre la tâche aussi difficile que possible, et je pense que nous l'avons fait. C'est quelqu'un de très dangereux en un contre un, Malts [Kirk Maltby] et moi avons pu en attester quotidiennement. Notre duo a été fort sur lui et Kovalev, deux des joueurs les plus talentueux. Remporter le championnat serait incroyable. Franchement, le lock-out fait chier. Je suis un de ceux qui ont choisi de rester avec leurs familles sans jouer, et depuis le premier jour, je ne pense qu'à ça. Ces cinq semaines loin de mes enfants en vaudront la peine si nous arrivons à faire ce pour quoi nous sommes venus, c'est-à-dire défendre notre titre."

Martin Brodeur (gardien du Canada) : "C'est excitant. Les gens au Canada sont tellement sevrés de hockey que leur donner une finale et - j'espère - leur apporter une médaille d'or, ce serait comme un cadeau à leur rendre."

Joe Thornton (attaquant du Canada) : "Nous essayons toujours de partir fort. Le premier but nous a donné de la ferveur, le deuxième était splendide, et à la fin de la première période nous pouvions difficilement croire ce score. Dans les trente dernières minutes, ils nous ont mis sous pression. Il n'y avait rien à attendre d'autre d'une équipe avec des joueurs aussi techniques. Ils ont jeté leur système aux orties et se sont appuyés sur la vitesse et la qualité individuelle de leurs attaquants. C'était du style libre, un hockey qui allait très vite en zone neutre. Mais sur l'ensemble du match, le résultat est logique. Nous avons mis une pression permanente sur la cage et sur le porteur du palet. Avec cette tactique, la réussite vient d'elle-même. Nous sommes plus forts physiquement dans l'enclave."

 

Russie - Canada 3-4 (0-3, 2-1, 1-0)

Samedi 14 mai à 16h15 à la Stadthalle de Vienne. 7500 spectateurs.

Arbitrage de Hannu Henriksson (FIN) assisté de Peter Feola (USA) et Leo Takula (SUE).

Pénalités : Russie 34' (12', 2'+10', 0'+10'), Canada 10' (6', 2', 2').

Tirs : Russie 42 (10, 16, 16), Canada 25 (13, 8, 4).

Évolution du score :

0-1 à 01'38" : Redden assisté de Thornton

0-2 à 05'46" : Souray assisté de Thornton et Gagné

0-3 à 10'37" : Heatley assisté de Doan et Boyle (double sup. num.)

0-4 à 21'40" : Jovanovski assisté de Nash et Thornton (sup. num.)

1-4 à 34'22" : Semin assisté de Yashin

2-4 à 39'18" : Yashin

3-4 à 46'27" : Ovechkin assisté de Fedorov et Malkin

 

Russie

Gardien : Maksim Sokolov [sorti de sa cage à 59'25"].

Défenseurs : Andreï Markov - Sergueï Vyshedkevich ; Denis Denisov - Aleksandr Karpovtsev ; Dmitri Kalinin - Dmitri Gusev ; Vitali Proshkin - Aleksandr Ryazantsev.

Attaquants : Aleksandr Kharitonov - Pavel Datsyuk - Alekseï Kovalev (C) ; Aleksandr Semin - Alekseï Yashin - Viktor Kozlov ; Ilya Kovalchuk - Sergueï Zinoviev - Maksim Afinogenov ; Aleksandr Ovechkin - Evgueni Malkin - Fedor Fedorov.

Remplaçant : Sergueï Zyvagin (G). Absents : Ivan Nepryaev, Vladimir Antipov (surnuméraires).

Canada

Gardien : Martin Brodeur.

Défenseurs : Robyn Regehr - Ed Jovanovski ; Wade Redden - Dan Boyle ; Scott Hannan - Chris Phillips ; Sheldon Souray.

Attaquants : Shane Doan - Kris Draper - Kirk Maltby ; Simon Gagné - Joe Thornton - Rick Nash ; Ryan Smyth - Brendan Morrison - Dany Heatley ; Brenden Morrow - Scott Walker - Patrick Marleau ; Mike Fisher (une présence en infériorité).

Remplaçant : Roberto Luongo (G).

 

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