Finlande - Russie (1er mai 2007)

 

Championnats du monde 2007, premier tour, groupe D.

Chimie raffinée contre expérimentations à haut risque

C'est le premier match dans ce tournoi pour Jere Lehtinen, quatorzième attaquant intégré par Westerlund (pour six défenseurs, mais ce n'est pas grave car à partir du deuxième tour il a le droit à deux réservistes supplémentaires). La Finlande aligne donc une première ligne Peltonen-Koivu-Lehtinen. Ces trois noms mis ensemble évoquent en elle d'inoubliables souvenirs, puisqu'ils constituaient le premier trio lors de son unique titre mondial en 1995. Bien sûr, les plus perspicaces auront tout de suite pointé du doigt la différence : ce n'est évidemment pas le même Koivu. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de Saku mais de son frère Mikko, qui va d'ailleurs faire un bon match dans les deux sens de la glace.

Ce premier grand choc entre favoris part vite, avec un jeu rythmé mais sans actions saillantes. La première menace russe se transforme en but : un tir du poignet de Nikolaï Kulemin, utilisant Nummelin comme écran, passe sous Fredrik Norrena surpris (0-1, 06'38"). La Finlande convertit elle aussi sa première grosse occasion : le défenseur Lasse Kukkonen perce la ligne russe et pousse Nikulin à la faute. En supériorité, un tir de la bleue de Tuukka Mäntylä est rabattu par la crosse de Tuomo Ruutu entre les jambières de Koshechkin (1-1, 13'11"). Le jeu de puissance des blancs est redoutable, mais n'oublions que la Russie est à 43% de réussite dans ce domaine. Elle attend son erreur, jusqu'à ce que Malkin intercepte un palet en zone offensive et soit accroché par Kapanen. Le meilleur marqueur actuel de la compétition, Aleksei Morozov, délivre une magnifique passe croisée de derrière la ligne de fond qui déstabilise Norrena et offre une cage ouverte à son complice Zaripov (1-2, 17'40"). Ce furent vingt minutes de haute volée, presque sans temps mort, où l'on pouvait ressentir le talent à l'œuvre de part et d'autre, offensivement comme défensivement.

En deuxième période, Erkka Westerlund, fort de ses quatorze attaquants, en profite pour faire des essais de lignes. Il met ainsi les Ruutu, les frangins terribles, ensemble sur la glace, aux côtés de Miettinen. Un mélange instable, sensible à la moindre étincelle. A-t-il pour mission de faire exploser les nerfs de la ligne de Kazan ? En tout cas, celle-ci part au quart de tour. Morozov, que Jarkko fait trébucher devant la cage finlandaise, se relève pour aller frapper Tuomo. Cela brasse un peu dans tous les sens. Proshkin et Berg prennent une méconduite, et Morozov est logiquement pénalisé pour dureté. Les Russes sont donc en infériorité numérique, mais placent deux contres pour deux arrêts délicats de Norrena, un de la mitaine et un de la plaque. Troisième récupération de palet russe, et cette fois Kapanen fait tout de suite faute pour éviter la contre-attaque. C'est au tour de la Russie de jouer en avantage numérique, et elle ne laisse pas passer l'occasion. La passe transversale d'Ilya Kovalchuk est un caviar pour Sergei Gonchar et Kukkonen ne peut que dévier le tir en cage vide sans l'arrêter (1-3, 23'49"). La manipulation du mélange Ruutu+Ruutu s'est en fait retournée contre les apprentis chimistes finlandais. Personne n'a remarqué la réaction secondaire imprévue : ils ont perdu pour dix minutes Aki-Petteri Berg, leur bonne grosse molécule stable. En son absence, la défense va bientôt se mettre à bouillir...

Car avec les deux buts de retard, voilà que la famille impitoyable refont leur apparition. Ce coup-ci, "JR" (non, ce Finlandais-là ne joue pas à Dallas !) en fait trop. Il prend la moitié de la largeur de la glace comme élan pour sécher dans le dos et contre la bande le capitaine russe Schastlivy qui rejoignait son banc. L'arbitre canadien M. Pellerin l'envoie aux vestiaires. Débarrassée de l'empoisonneur, la ligne d'Ak Bars Kazan inflige de nouvelles tortures à Norrena : arrêt à bout portant du bouclier, puis réflexe de la jambière gauche, tout ça pour rien car le second rebond de Morozov est au fond. Lehtinen et Kapanen n'ont pas vraiment aidé leur gardien sur cette action (1-4, 26'08"). Les minutes suivantes sont difficiles, la Finlande est au bord du précipice, la ligne de Kazan s'installant à chaque fois à cinq contre cinq. Là où d'autres auraient totalement paniqué, les blancs arrivent cependant à gérer la fin de tiers pour rejoindre les dégâts supplémentaires.

La ligne Peltonen-Koivu-Lehtinen, épargnée jusqu'ici par les expériences du savant fou Westerlund (bon, il n'a pas vraiment la gueule de l'emploi...), est à son tour désintégrée au troisième tiers. C'est un trio inédit Miettinen-Koivu-Ruutu qui se présente sur la glace. Mais la ligne qui va ramener la Finlande dans le match n'a rien d'une création improvisée, c'est une formule connue depuis des lustres, il s'agit de la "HPK" (Hentunen/Pärssinen/Kapanen) cuvée 2000, appellation d'origine contrôlée de Hämeenlinna. Un but confus, sur un rebond chanceux pour Jukka Hentunen, mais un but quand même (2-4, 43'37"). Car avec un jeu direct, les Finlandais redeviennent dangereux. Tuomo Ruutu, oublié seul devant la cage, contourne la grande carcasse de Vitali Koshechkin et tire dans l'angle qui lui reste... Poteau. Le double mètre russe met du temps à se relever mais plonge finalement sur le rebond pris par Koivu. Sa souplesse est cependant mise en défaut quelques minutes plus tard quand, pendant une pénalité d'Ovechkin, le dernier arrivant Jere Lehtinen glisse un rebond du revers à ras glace (3-4, 48'53").

Les Russes sont devenus mous et approximatifs dans leurs passes, totalement déréglés. Seul Kovalchuk, discret depuis le début du tournoi, joue maintenant à son niveau. La délivrance arrive de là où on ne l'attend pas, de la quatrième ligne. C'est Pierrot-la-chance, le capitaine Piotr Schastlivy, qui poursuit sa saison en forme conte de fées : le frappé-court du crapaud devenu roi du hockey russe bat Norrena côté plaque (3-5, 52'21"). La Finlande n'a pas abdiqué. Zinoviev prend une prison en zone neutre, et Petteri Nummelin fouette un des lancers de la bleue dans le trafic qu'il affectionne (4-5, 54'09"). La réaction russe vient d'un récital technique de Sergei Zinoviev qui centre pour Morozov. Celui-ci ne parvient pas à reprendre, mais le contrôle du palet des rouges suffit à conserver cette victoire.

Le talent russe devait servir de révélateur à la réelle capacité de la défense finlandaise. Outre un Norrena qui a connu ses moments de faiblesse, la paire défensive qui présentait le moins de certitudes a elle aussi montré ses limites. Pekka Saravo, élu meilleur joueur contre l'Ukraine, était en effet bien moins à son aise dans un match d'un autre niveau. Contrainte de courir après le score, l'inflexible Finlande s'est transformée en terrain d'expérimentation pour alchimistes impénitents. Après quelques explosions incontrôlées portant la marque de Jarkko Ruutu, elle a trouvé au passage quelques bonnes formules pour concurrencer la chimie russe plus traditionnelle.

Mais rien ne remplace la patiente chimie consistant à développer sur deux ans une ligne de grand talent. On le voit avec Zaripov, Zinoviev et Morozov. Le trio d'Ak Bars Kazan, qui approche de sa fin de vie puisque la presse russe a annoncé qu'ils devraient tous trois quitter le club, ne se brisera pas sans avoir d'abord montré la force contenue dans ses liaisons. Il a attiré le palet et a donné le tournis à la défense. Ces trois-là, plus leur coéquipier de club Ilya Nikulin qu'il ne faut pas oublier comme soutien défensif, ont réalisé 15 tirs cadrés à eux quatre, souvent sur des combinaisons en possession. Ils ont vraiment démontré leur valeur dans un test de haut niveau.

Désignés meilleurs joueurs du match : Tuomo Ruutu (Finlande) et Nikolaï Kulyomin (Russie).

Marc Branchu

Commentaires d'après-match :

Erkka Westerlund (entraîneur de la Finlande) : "Les Russes ont marqué trois fois à cinq contre quatre. Nous avons bien joué la troisième période, mais je vais le dire honnêtement, notre adversaire était meilleur et mérite sa victoire."

Vyacheslav Bykov (entraîneur de la Russie) : "Les Finlandais s'étaient bien préparés, on l'a senti dès les premières secondes avec le pressing qu'ils nous ont infligé en première période. Nos joueurs ont montré du caractère et de l'endurance dans ce match physique. De façon subconsciente, nous étions trop tranquilles en troisième période, et les Finlandais, plus agressifs, ont obtenu des pénalités avec leur excellent jeu de puissance. Mais il faut féliciter les joueurs qui n'ont pas paniqué et ont gardé leur organisation. [...] La première ligne trouve lentement de la compréhension mutuelle, mais c'est compliqué pour Evgeni [Malkin] qui ne se sent pas très bien. Zinoviev a une blessure au biceps, c'est pourquoi il a été remplacé par Zaripov pour les mises au jeu. Nous avons une équipe équilibrée, tous les joueurs peuvent tirer. Kulemin et Schastlivy l'ont prouvé aujourd'hui."

 

Finlande - Russie 4-5 (1-2, 0-2, 3-1)
Mardi 1er mai 2007 à 20h15 à l'Arena Khodynka de Moscou. 12000 spectateurs.
Arbitrage de Guy Pellerin assisté de Peter Feola et Sylvain Losier
Pénalités : Finlande 43' (2', 2'+10'+5'+20', 4') ; Russie 20' (2', 4'+10', 4').
Tirs : Finlande 25 (7, 6, 12) ; Russie 34 (9, 17, 8).

Évolution du score :
0-1 à 06'38" : Kulyomin assisté de Nepryaev et Emelin
1-1 à 13'11" : T. Ruutu assisté de Mäntylä et Kapanen (sup. num.)
1-2 à 17'40" : Zaripov assisté de Morozov et Zinoviev (sup. num.)
1-3 à 23'49" : Gonchar assisté de Kovalchuk et Markov (sup. num.)
1-4 à 26'08" : Morozov assisté de Zaripov et Zinoviev (sup. num.)
2-4 à 43'37" : Hentunen assisté de Kukkonen et Kapanen
3-4 à 48'53" : Lehtinen assisté de Nummelin et Peltonen (sup. num.)
3-5 à 52'21" : Schastlivy assisté de Grebeshkov
4-5 à 54'09" : Nummelin assisté de T. Ruutu (sup. num.)
 

Finlande

Attaquants :
Ville Peltonen (C, -1) - Mikko Koivu - Jere Lehtinen (-1)
Antti Miettinen (-1) - Petri Kontiola (-2) - Tuomo Ruutu (-1)
Timo Pärssinen (+1, 2') - Niko Kapanen (+1, 4') - Jukka Hentunen (+1)
Sean Bergenheim - Jari Viuhkola - Jarkko Ruutu (A, 5'+20')
Tomi Kallio, Mika Pyörälä

Défenseurs :
Lasse Kukkonen - Petteri Nummelin (A)
Pekka Saravo (2') - Tuukka Mäntylä (-1)
Aki-Petteri Berg (-1, 10') - Toni Söderholm

Gardien :
Fredrik Norrena

Remplaçant : Kari Lehtonen (G).

Russie

Attaquants :
Ilya Kovalchuk (-1) - Evgeni Malkin (-1) - Aleksandr Frolov
Danis Zaripov - Sergei Zinoviev (2') - Aleksei Morozov (2')
Aleksandr Ovechkin (+1, 2') - Ivan Nepryaev (+1, 2') - Nikolai Kulyomin (+1)
Aleksandr Kharitonov (+1) - Piotr Schastlivy (C) - Aleksandr Radulov (+1)

Défenseurs :
Andrei Markov (-1) - Sergei Gonchar (-1)
Vitali Proshkin (10') - Ilya Nikulin (2')
Aleksei Emelin (+1) - Maksim Kondratiev (+1)
Vitali Atyushov (+1) - Denis Grebeshkov (+1)

Gardien :
Vassili Koshechkin

Remplaçant : Aleksandr Eremenko (G).

 

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