Canada - Russie (18 mai 2008)

 

Finale des championnats du monde.

Kovalchuk est arrivé... sans se presser

C'est la finale dont tout le monde rêvait, celle qui n'a jamais eu lieu. Russie et Canada, les deux superpuissances du hockey mondial, ne se sont jamais affrontées en finale d'un championnat du monde. Le seul précédent a eu lieu aux Jeux Olympiques d'Albertville, quand la Russie concourait brièvement sous les couleurs de "CEI". Les deux équipes voulaient déjà s'affronter l'an passé à Moscou, mais les Russes avaient manqué le rendez-vous. Cette fois, on y est, et le match sera quoi qu'il arrive historique. Soit le Canada met un terme à 22 ans sans victoire du pays-hôte, soit la Russie met fin à 15 ans de disette.

On attend l'affrontement entre les deux meilleurs lignes du Mondial, celle des Russes de Washington et la prolifique Heatley-Getzlaf-Nash. La confrontation est directe, puisque les deux trios sont alignés en deuxième ligne. Aleksandr Ovechkin prend la première grosse mise en échec de Rick Nash après une minute de jeu... mais un dixième de seconde plus tôt, il a passé le palet de derrière la cage à Aleksandr Semin pour le premier but (1-0, 01'16"). Une généreuse supériorité numérique est aussitôt accordée aux Canadiens, parce que Proshkin a accroché la crosse de Spezza. Les Russes tuent la pénalité, mais quand ils reviennent à cinq, ils n'arrivent ni à dégager le palet ni à reprendre leurs positions. Brent Burns évite Sushinsky qui s'est couché devant lui et utilise les écrans de Proshkin et Markov pour battre Nabokov (1-1).

Le rythme ne décroît pas après ce lancement tonitruant. La passe levée de Martin Saint-Louis trouve Chris Kunitz près de la cage. Nabokov réalise un bon poke-check, Derek Roy a suivi et vise la cage vide, mais l'arbitre a arrêté le jeu pour une gêne sur le gardien. À la dixième minute, Maksim Sushinsky perd le palet en se heurtant à Eric Staal au centre de la glace, mais le Canadien au sol fait trébucher l'attaquant pétersbourgeois pour l'empêcher de se replier. Cet acte d'antijeu manifeste, non sanctionné, permet à Chris Kunitz de partir seul au but et de marquer en lucarne (2-1). Zinoviev essaie de répliquer en contre et vise entre les jambières de Cam Ward, qui ferme la porte.

En écartant les Canadiens du slot et en laissant Nabokov s'occuper des lancers ouverts de la bleue, les Russes gèrent bien une pénalité de Zinoviev. Il faut dire qu'ils ont besoin d'entraînement en infériorité numérique car le bluff canadien paye à nouveau. Getzlaf contre avec la jambe un palet de Fedorov en zone neutre, et réclame la pénalité pour dégagement en tribune... qu'il obtient ! Proshkin prend ensuite une pénalité, indiscutable celle-là, pour une crosse qui a atteint Nash au menton (2'+2'). Le Canada est à cinq contre trois, et un lancer raté de Dany Heatley se transforme en passe pour Saint-Louis qui remet devant la cage pour le doublé de Brent Burns, entre les bottes de Nabokov (3-1). Il reste trois minutes de supériorité numérique. Zaripov est à quelques centimètres de l'interception mais les Canadiens conservent le palet et cuisent à petit feu les quatre défenseurs, jusqu'à ce Nabokov finisse pas geler le palet au bout de la fatigue. Cet effort permet à la Russie de conserver une petite lueur d'espoir.

Évènement à la dernière minute du premier tiers-temps : une pénalité contre le Canada ! En l'occurrence, un violent coup de crosse de Patrick Sharp sur Semin. Il faut attendre la reprise pour que la Russie en profite. Un palet non cadré frappe la bande et Aleksandr Semin le reprend comme il vient dans le cercle gauche (3-2). La partie continue à fond : tir de Green dévié par Staal, longue passe pour Ovechkin à la bleue qui part dans le dos de Bouwmeester, revers de Morozov... Les réflexes de Nabokov et de Ward sont sollicités, chaque arrêt est difficile en ce moment.

La Russie subit une nouvelle infériorité numérique pour un dégagement en tribune, mais le palet est porté plus longtemps par Sergei Zinoviev que par les Canadiens. Du très bon travail de gain de temps. La technique russe semble prendre le dessus, avec un festival de Fedorov. Mais alors que le Canada ne montre plus rien, il lui suffit d'une action. La passe de derrière la cage de Getzlaf est parfaitement reprise au point d'engagement gauche par Dany Heatley, qui loge le palet entre le bouclier de Nabokov et son poteau (4-2).

Les Russes ont deux occasions en or de revenir. La préparation derrière la cage de Morozov et Kovalchuk donne le palet dans le slot à Zinoviev, mais Cam Ward repousse cette action. Le gardien n'aurait rien pu faire sur le rebond ouvert d'Andrei Markov malgré un plongeon désespéré... mais la reprise du défenseur de Montréal passe juste à côté.

Au début du troisième tiers-temps, le Canada concède sa seconde pénalité, une seconde fois contre Sharp. Les supporters russes s'époumonnent "Shaïbu, Shaïbu". On voit Fedorov quitter la glace plié en deux pendant la supériorité parce qu'il a pris une charge à la crosse de Burns dans le dos, non sanctionnée. Dans la foulée, Ovechkin effectue une superbe passe aveugle pour Ilya Kovalchuk, mais celui-ci n'arrive toujours pas à marquer. Son tir est arrêté en deux temps par Ward avec le bras gauche.

Le temps est compté pour la Russie, qui joue dorénavant à trois lignes en laissant sur le banc Sushinsky et Gorovikov (qui avaient perdu leur duel contre la troisième ligne canadienne au premier tiers). À onze minutes de la fin, après un tir contré de Semin, Aleksei Tereshchenko s'infiltre dans l'enclave et bat Ward entre les jambières (4-3). Les rouges reprennent confiance, surtout que Getzlaf part ensuite en prison. Mais ils gèrent très mal cet avantage numérique en se faisant peur dans leur propre zone. Ils continuent cependant à dominer cette troisième période, avec un centre de Semin pour la déviation dans l'enclave d'Ovechkin. Et l'incroyable se produit : Ilya Kovalchuk, tout juste transféré de la première ligne pour prendre la place d'Afinogenov, marque son premier but du tournoi ! Il ne pouvait choisir meilleur moment pour ce tir du poignet en angle qui trompe Ward. Le buteur russe est fou de joie comme rarement, il saute sur place et se jette sur le plexi en direction de supporters russes (4-4).

Le Canada, qui n'a plus tiré depuis dix minutes, peut-il réagir ? Un lancer de Getzlaf donne tout de suite la réponse. Qui deviendra le héros du match ? Peut-être Kovalchuk, redevenu chaud, que Bykov fait un temps jouer sur les deux lignes... Sans doute pas Rick Nash, qui doit rentrer aux vestiaires après avoir reçu un palet dans le visage. La ligne de Kazan, tout récemment réunie, obtient un dernier engagement dans la zone canadienne. Bykov envoie Kovalchuk à la bleue derrière le trio de Washington, mais Fedorov perd cette ultime mise au jeu. Prolongation.

Elle commence mal pour le Canada avec des pertes de palet de St-Louis qui le coince dans sa zone. Tiens, Rick Nash est de retour pendant ce temps supplémentaire... et il envoie le palet au-dessus du banc. Très nettement au-dessus du banc, même s'il y avait un plexi à cet endroit. Les arbitres n'osent pas, ils hésitent, se consultent... mais finissent pas donner cette pénalité contre l'équipe à domicile. Ils pouvaient difficilement faire autrement pour être cohérents avec les deux pénalités similaires infligées à la Russie. Bykov ne met que des attaquants sur la glace, Kovalchuk et les trois hommes des Capitals. Lancer de la bleue du joueur d'Atlanta, et rebond pour Fedorov... qui s'envole. On doit réengager derrière la ligne bleue. Cet engagement-ci, Sergei Fedorov le remporte. Ilya Kovalchuk s'avance dans l'enclave et décoche un tir au ras du poteau, côté plaque de Cam Ward (4-5).

L'explosion de joie de tous les Russes, sur la glace, sur le banc et dans les tribunes, est à la hauteur de l'attente depuis 1993. Un titre qui a le héros le plus improbable qui soit, Ilya Kovalchuk, qui n'avait pas trouvé le chemin des filets de tout le tournoi pour finalement marquer les deux buts les plus importants de l'histoire récente du hockey russe. Slava Bykov a su utiliser Kovalchuk, qui faisait presque figure d'obstacle à l'obtention d'un titre en donnant des migraines à ses entraîneurs, pour en faire le joueur-clé de ce titre mondial.

Les Canadiens, eux aussi, ont donc connu la malédiction du pays organisateur. Ce n'est pas faute pourtant d'avoir bénéficié d'un arbitrage maison en première période. En des temps vraiment pas si anciens, les Russes, un peu floués sur les deux buts d'avance canadiens, auraient lâché prise mentalement et auraient ruiné leurs chances en s'énervant. Qu'ils soient restés dans ce match est un signe de maturité, une maturité amenée par leur jeune entraîneur Slava Bykov qui a su les calmer.

Désignés joueurs du match : Brent Burns pour le Canada et Sergei Zinoviev pour la Russie.

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après match :

Ken Hitchcock (entraîneur du Canada) : "C'était un grand match. Le résultat est décevant, mais c'est une vraie expérience pour nos jeunes joueurs qui comprennent la pression de jouer à domicile. À mon avis, il y a eu de matches. Au début, nous avons dominé les Russes, mais ensuite, nous n'avons pas pu maintenir la pression, principalement parce que nous n'avons pas eu le palet. Ils ont remporté beaucoup d'engagements importants, ils ont conquis le palet et fait de bonnes actions. Ils nous ont mis sur le reculoir. Ils ont trouvé des espaces en nous obligeant à défendre sur toute la glace. C'était un match très émotionnel et intense, excellent pour le hockey sur glace. En prolongation, c'est la loterie. On le sait tous pour avoir connu ces situations."

Rick Nash (attaquant du Canada) : "Avec deux buts d'avance dans une finale, nous aurions dû mieux jouer. Notre équipe a gagné match après match, et il fallait bien qu'elle perde un jour. Malheureusement, c'est arrivé en finale."

Vyacheslav Bykov (entraîneur de la Russie) : "Les consignes étaient de ne pas laisser l'adversaire prendre de la vitesse. Les Canadiens ont des attaquants mobiles, forts individuellement. Au milieu du match, nous avons élevé le rythme et envoyé plus souvent la ligne de Fedorov pour atteindre cette intensité, parce qu'on voyait que les Canadiens ne pouvaient pas suivre notre rythme. Nos joueurs sont rapides et malins, les Canadiens ont plus de gabarit. Nos pénalités étaient justifiées, mais certaines fautes canadiennes ont été oubliées. Néanmoins, il n'y a pas de hockey sans erreurs, et nos joueurs eux non plus n'étaient pas toujours dans le vrai."

Aleksei Morozov (capitaine de la Russie) : "Ce tournoi était différent de celui de Moscou, mais nous avions su en retenir les leçons. Ici, c'est un autre hockey à cause des petites glaces, et c'était plus difficile en pays étranger. Mais nous avons lutté jusqu'au bout et nous avons renversé le match. L'incident d'avant-match [NDLR : la police canadienne a arrêté le bus des Russes qui ont dû finir le trajet jusqu'à la patinoire à pied] nous a énervés. Mais nous sommes arrivés dans le vestiaire et nous avons décidé de ne pas y prêter attention, mais de nous préparer à la victoire. Quand nous avons été menés de deux buts, personne n'a paniqué, crié ou manifesté de l'insatisfaction. Nous avons simplement appliqué les consignes jusqu'à la fin. Il y avait tant d'émotions après la victoire que j'étais ailleurs, comme perdu dans l'espace. Je n'avais jamais ressenti ça. C'est un moment que je veux conserver en mémoire à vie. J'avais dit à Kovalchuk il y a deux ou trois jours qu'il ferait la décision en finale..."

 

Canada - Russie 4-5 après prolongation (3-1, 1-1, 0-2, 0-1)

Dimanche 18 mai 2008 à 13h00 au Colisée Pepsi de Québec. 13339 spectateurs.

Arbitrage de Christer Lärking et Marcus Vinnerborg (SUE) assistés de Peter Feola (USA) et Stefan Fonselius (FIN).

Pénalités : Canada 8' (2', 0', 4', 2'), Russie 12' (10', 2', 0', 0').

Tirs : Canada 29 (15, 8, 6, 0), Russie 32 (5, 12, 13, 2).

Évolution du score :

0-1 à 01'23" : Semin assisté d'Ovechkin et Fedorov

1-1 à 03'54" : Burns assisté de Roy et Green

2-1 à 09'17" : Kunitz

3-1 à 14'51" : Burns assisté de St-Louis et Heatley (double sup. num.)

3-2 à 21'14" : Semin assisté de Korneev et A. Markov (sup. num.)

4-2 à 29'56" : Heatley assisté de Getzlaf

4-3 à 48'55" : Tereshchenko assisté de Semin et Tyutin

4-4 à 54'46" : Kovalchuk assisté de Proshkin et Radulov

5-4 à 62'42" : Kovalchuk assisté de Fedorov et Ovechkin (sup. num.)

 

Canada

Gardien : Cam Ward.

Défenseurs : Ed Jovanovski - Steve Staios (A) ; Duncan Keith - Brent Burns ; Dan Hamhuis - Jay Bouwmeester ; Mike Green.

Attaquants : Chris Kunitz - Eric Staal - Martin Saint-Louis (A) ; Rick Nash - Ryan Getzlaf - Ryan Heatley ; Derek Roy - Jonathan Toews - Shane Doan (C) ; Jason Chimera - Jason Spezza - Patrick Sharp ; Jamal Mayers.

Remplaçant : Pascal Leclaire (G). Absents : Mark Giordano, Sam Gagner (surnuméraires).

Russie

Gardien : Evgeni Nabokov.

Défenseurs : Andrei Markov - Ilya Nikulin ; Denis Grebeshkov - Konstantin Korneev ; Fedor Tyutin - Vitali Proshkin ; Dimitri Kalinin - Daniil Markov.

Attaquants : Ilya Kovalchuk - Sergei Zinoviev - Aleksei Morozov (C) ; Aleksandr Ovechkin - Sergei Fedorov (A) - Aleksandr Semin ; Danis Zaripov - Konstantin Gorovikov - Maksim Sushinsky (A) ; Aleksandr Radulov - Aleksei Tereshchenko - Maxim Afinogenov.

Remplaçant : Mikhaïl Biryukov (G). Absents : Aleksandr Eremenko (genou), Sergei Mozyakin, Dmitri Vorobiev (surnuméraires).

 

Retour aux championnats du monde