Suède - France (25 avril 1920)

 

Jeux Olympiques 1920, demi-finale.

Le jeu très rugueux de la Suède contre la Belgique a beaucoup fait jaser et suscite la méfiance. L'avertissement de l'arbitre canadien Joseph Garon - qui travaille pour la Croix Rouge en Europe et joue au hockey sur glace à Paris - est superflu car les joueurs suédois ont déjà été rappelés par l'ordre par leur entraîneur... qui est d'ailleurs français de naissance. Raoul le Mat, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est un producteur et distributeur de cinéma qui a grandi aux États-Unis et y a pratiqué le hockey sur glace et le patinage de vitesse. Installé depuis quelques mois à Stockholm pour diriger un théâtre appartenant à son employeur (la MGM), Le Mat est à l'origine de la participation de l'équipe suédoise. C'est lui qui le premier, dès septembre 1919 lors d'un repas au restaurant avec le président de la fédération de football (et de bandy) Anton Johansson, a émis l'idée d'envoyer la Suède tenter sa chance dans ce tout nouveau sport olympique qu'est le hockey sur glace, en s'appuyant sur sa connaissance du patinage et de la forme cousine qu'est le bandy.

Le Mat a recommandé à ses joueurs de pratiquer un jeu qui plairait aux spectateurs en évitant de dépasser les bornes du jeu dur. Il est important de ne pas se faire détester du public belge dès le début du tournoi. Cette manifestation de pacifisme va jusqu'à un "Vive la France" scandé par le capitaine Einar Lindqvist après la Marseillaise jouée par l'orchestre en début de match, en l'honneur de cet adversaire allié de la Belgique.

Si les Suédois savent qu'ils n'auront pas besoin de forcer, c'est que les Français s'attendent à prendre une rouste pour le tout premier match officiel de leur équipe nationale (qui ne s'était jamais inscrite aux championnats d'Europe avant-guerre parce que Louis Magnus privilégiait la Coupe de Chamonix qu'il organisait). Ils ont eu relativement peu de préparation, et ont été les derniers à recevoir les leçons des Canadiens - qui ont encadré les entraînements de toutes les équipes européennes - le 15 avril. En plus, trois des meilleurs joueurs français sont absents. Robert Lacroix est forfait et les frères André et Louis Brasseur ont décliné au tout dernier moment, deux jours avant le départ, en raison du décès de leur père. Parmi les hockeyeurs français les plus doués, il ne reste donc que De Rauch.

L'équipe de France est essentiellement composée des joueurs d'avant-guerre, qui ont pris de l'âge mais évidemment pas de l'expérience pendant le conflit mondial qui les ont privés d'entraînement. Ils sont tous trentenaires, à l'exception du jeune patineur chamoniard Léon Quaglia. S'il fait baisser la moyenne d'âge, ce n'est pas le cas des deux autres sélectionnés montagnards : le moustachu Jules Couttet, président du Chamonix Hockey Club, a 45 ans, et son collègue à la barbe foisonnante Henri Chaland a 36 ans. L'allure des deux défenseurs français (photo) étonne les joueurs suédois qui garderont en mémoire le ventre proéminent et pas très athlétique de Chaland...

Les hockeyeurs français ne peuvent donc pas rivaliser avec le patinage des Suédois, ni dans la qualité du geste, ni dans la condition physique. Ils résistent valeureusement en tenant le score vierge pendant plus de 18 minutes grâce aux nombreux arrêts de leur gardien Fernand Gaittet. Mais ils encaissent deux buts coup sur coup avant la pause. La seconde mi-temps prend une physionomie identique. La France reste concentrée dans son camp et ne tente que de rares tirs lointains sur la cage suédoise. Elle réussit à tenir le score... avant de craquer sur la fin : Molander dribble toute la défense, puis Lindqvist ajoute un dernier but en angle fermé juste avant la sirène finale.

En exemptant les Français du premier tour, le tirage au sort ne les a favorisés qu'en apparence. La formule un peu alambiquée - un "système Bergvall" modifié - prévoit en effet que le tableau initial n'attribue que la médaille d'or. Les équipes éliminées par les vainqueurs s'affrontent ensuite dans des tournois secondaires. Or, il est évident que les Nord-Américains remporteront toutes leurs rencontres : par conséquent, les équipes éliminées par un adversaire européen n'ont aucune chance de rejouer ! Pour la Belgique comme pour la France, ce tournoi olympique se sera donc limité à un seul match, perdu contre la Suède.

Marc Branchu

Suède - France 8-0 (5-0, 3-0)
Dimanche 25 avril 1920 à 17h00 au Palais de Glace d'Anvers.
Arbitrage de Joseph Garon (CAN).

1-0 : Burman assisté de Svensson
2-0 : Svensson
3-0 : Molander
4-0 : Lindqvist assisté de Lundell

Suède

Attaquants : Georg Johansson - Erik Burman - Einar Svensson [puis Lindqvist]

Demi : Nils Molander

Défenseurs : Einar Lundell - Einar Lindqvist (C) [puis Svensson]

Gardien : Seth Howander

Non alignés : Albin Jansson (G), Hansjacob Mattsson, Wilhelm Arwe, David Säfwenberg

France

Attaquants : Alfred de Rauch (C) - Léon Quaglia - Georges Dary

Demi : Pierre Charpentier

Défenseurs : Jules Couttet - Henri Chaland

Gardien : Fernand Gaittet

 

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