Suisse - Hongrie (11 février 1940)
Le match Italie-Hongrie qui devait avoir lieu à Milan vendredi 9 a été décommandé, car les Magyars ne voulaient pas jouer un match dur avant la rencontre de Bâle.
Compte-rendu du match dans le Journal du Jura :
Premier tiers-temps
Vers 14 heures 50, le général Henri Guisan [commandant en chef de l'armée suisse] accompagné de son épouse et de plusieurs officiers supérieurs entre au stade où il est frénétiquement applaudi par le public. Le général ne manque pas de saluer les équipes en leur serrant la main. Ce n'est qu'à 15 heures 10 que le jeu débute. Les joueurs sont dès le début stimulés par le public, dont la nervosité semble déjà avoir atteint un degré considérable avant le début du jeu. Les Suisses font quelques belles avances et parviennent à inquiéter le gardien hongrois. Mais leurs shoots manquent de précision et ils ne produisent rien. La supériorité des Suisses est toutefois nettement marquée quoique en ces premiers moments du jeu, il n'est pas encore possible de juger réellement de la valeur exacte des équipes étant donné que celles-ci ne font au fond autre chose que de se tâter pour trouver les faiblesses de l'adversaire. Le gardien hongrois, le Dr Csak, a dû être remplacé à la suite d'une blessure qu'il enregistra au jeu contre une équipe composée de la Bohême et de la Moravie à Garmisch.
Ce n'est qu'au bout de la 10e minute que les Hongrois parviennent à inquiéter sérieusement la défense suisse. Quelques avances foudroyantes se suivent. Au cours d'une d'elles, une situation très embrouillée se produit devant le but suisse. La situation semble favorable pour les Hongrois et en effet, quelques secondes plus tard on compte 0-1 pour la Hongrie. Au premier abord le public semble un peu désemparé par cette tournure du jeu. Mais alors il se met à hurler et à ranimer nos joueurs qui, de leur côté, redoublent: d'efforts. Une avance foudroyante de Bibi et Hans Cattini au cours de laquelle ils parviennent à éviter tous leurs adversaires par leur technique sans pareille les porte devant le but adverse. Déjà Bibi est en place, il reçoit le "puck" de Hans Cattini et avec une élégance remarquable il égalise. Ci 1-1. Les Hongrois n'ont été vainqueurs que durant 1 minute. Les Suisses ont atteint leur rapidité de jeu qui les rend presque invincibles et déjà deux minutes plus tard Pic Cattini porte le score à 2-1 pour la Suisse. Après le changement de nos avants la supériorité des Suisses reste la même et c'est à Herbert Kessler qu'incombe l'honneur de tirer le troisième but. Ci 3-1 pour la Suisse.
Deuxième tiers-temps
Les Hongrois semblent reprendre, car durant les premières minutes nous voyons un jeu assez égal, d'une grande rapidité et très précis de part et d'autre. Ce n'est qu'à la 6e minute que les Suisses reprennent le dessus par une magnifique attaque combinée entre Beat Ruedi et Heini Lohrer. Un beau tir de celui-ci nous procure un nouveau succès. On compte 4-1 pour la Suisse. Le nombre des fouls augmentent, mais ils ne sont pas de nature grave. Toutefois un grand nombre de joueurs se voient suspendus les uns après les autres pour 1 minute. Cela n'affecte aucunement la supériorité suisse qui devient écrasante vers la fin de ce tiers-temps. Les Hongrois sont par moment complètement cernés et il semble que leur défense s'effondre. Les spectateurs n'ont plus le temps de compter les buts tirés par notre équipe qui se succèdent à une cadence presque effrayante. Le 6e est réalisé par Pic Cattini, le 7e par Herbert Kessler, le 8e par Heini Lohrer et le 9e par Beat Ruedi, si bien qu'à la fin de ce tiers-temps le score est à 9-1 pour la Suisse. Les Hongrois font des efforts considérables pour se défendre contre la pression de leurs adversaires. En effet, ils parviennent à réaliser quelques avances, mais ils manquent à plusieurs reprises des chances qui auraient pu leur permettre la réalisation de buts.
Troisième tiers-temps
Le jeu semble encore augmenter de vitesse. Parmi les Hongrois, c'est certainement Miklos le plus dangereux. Mais les Suisses le guettent et il ne peut pas réaliser de grands exploits étant donné qu'il est assez mal assisté par ses camarades. Les Suisses changent souvent leurs avants, ce qui leur permet de garder leur vitesse foudroyante et leur supériorité. De temps à autre, les Hongrois reprennent haleine et à ces moments, ils sont toujours assez dangereux. Leurs avances se succèdent assez rapidement, mais elles ne rapportent rien - manque de rapidité. Il ne nous reste plus que quelques minutes de jeu. Les Hongrois font leur possible pour augmenter le score en leur faveur. Mais tous leurs efforts sont brisés par le ni-sturm. Maintenant, il semble que c'est le tour à Badrutt. Une aisance sans pareille le porte devant le but adverse, Bibi le suit, reçoit le "puck" et tire par dessus le gardien hongrois qui se jette devant ses pieds. 10-1 pour la Suisse. La Suisse change ses avants, mais ceux-ci ne parviennent pas à réaliser, c'est de nouveau le "ni-sturm" qui reprend et 30 secondes avant la fin du jeu Bibi Torriani augmente encore le score le portant à 11-1 pour la Suisse.
Commentaire de Squibbs dans l'Impartial :
Décidément notre général est la plus sûre des Mascottes ! Grâce à lui nos footballers ont réussi l'exploit de battre les Italiens - que ne peut-il être du voyage de Turin le 3 mars prochain ! - grâce à lui, nos hockeyeurs ont "pulvérisé" le team hongrois qui n'est pourtant pas à dédaigner. Et toujours pour la même raison : le général Guisan sait si bien, par ses manières simples, directes et cordiales, s'attirer toutes les sympathies que ses hommes - nos joueurs de hockey sont tous mobilisés - en ont "mis un coup formidable" comme allait le dire Bibi Torriani, pour lui faire plaisir. Modeste, mais martial, bon et inspirant toute confiance, le Général a conquis les sportifs bâlois comme les autres. Une ovation interminable accueillit sa venue et les marques de respect, d'attachement et d'admiration se multiplièrent sur son passage. Toutes ces constatations sont réconfortantes, elles sont preuve de l'unanimité de notre peuple, elles méritent d'être relevées.
Quant au 7e match Hongrie-Suisse, il a enthousiasmé autant qu'il a déçu. Il a enthousiasmé parce que nous avons retrouvé la toute grande équipe suisse ; celle qui, ces dix dernières années, emporta si souvent le titre de champion d'Europe ; qu'il y a loin de cette performance à celle que nous avions tristement enregistrée contre l'Italie, à Zurich ! D'abord, la ni-sturm est totalement remise, au physique comme au moral. L'entente y est parfaite. Toute rivalité y a disparu. Le meilleur - et le meilleur des Suisses - est de loin Hans Cattini qui tient à nouveau la toute grande forme. Son frère, Pic, a repris sa totale activité et les combinaisons que la "famille" a réalisées furent tout bonnement étourdissantes. Grâce à Bibi Torriani qui est le cerveau, l'inventeur de cette méthode strictement suisse, et qui ne rappelle en rien la canadienne, la ni-sturm s'est jouée de l'adversaire et a mené le match à sa fantaisie. Mais - et c'est ce qui est réconfortant pour l'avenir - la seconde ligne valut la première.
Avec de tous autres moyens, une conception totalement différente, Herbert Kessler, Heini Lohrer et Beat Ruedi marquèrent un but de plus que leurs aînés. Le cadet des Kessler fut d'une finesse et d'une "roublardise" étonnante, Lohrer et Ruedi apportèrent une volonté, une puissance et une vitesse à leurs attaques qui enthousiasmèrent les plus blasés. En arrière, Badrutt fut "le pilier" du team. Rien ne lui échappa. Il était partout, et, à part le goal-surprise du début, ne laissa rien passer. Franz Geromini, dont c'était la rentrée depuis sa pneumonie, eut quelque appréhension au début, puis prenant progressivement confiance, il finit en beauté. Mathys est encore brouillon, mais il est jeune. De tels "exercices", alors qu'il est fortement encadré, sont propres à le former. Künzler ne vaut pas Müller. Il a la mauvaise habitude de dégager face au jeu et non sur les côtés. Cependant, il eut peu à faire et s'acquitta avec bonheur de sa tâche. Si les Hongrois avaient eu des shooteurs, les choses auraient pu changer.
Hélas, le team de Budapest a déçu. Il est vrai qu'il a des excuses. Le fameux gardien qu'est le Dr Csak, blessé lors du tournoi de Garmisch-Partenkitchen, avait dû céder la place à un junior. Ce malheureux Dobar, pris dans une tourmente dont il n'avait pas l'habitude, après un honorable début, perdit la tête. Or, en hockey sur glace, si le keeper est une "passoire", malgré toute la valeur des autres, le match est perdu. Tel fut le cas. Pour comble de malheur, le plus fort des arrières, Jeney, était aussi sur la ligne de touche et le Dr Barcza ne s'entendit guère avec le remplaçant Hubay. Dès lors, les Suisses manœuvrèrent à leur guise. Ils eussent pu, s'ils n'avaient pas laissé aller le jeu durant le troisième tiers-temps, marquer six goals comme dans le précédent. Un seul homme n'a pas démérité : Miklos, centre-avant célèbre, qui aurait joué cette saison avec le St-Moritz HC si la guerre n'avait pas déjoué tous les plans et rompu les contrats. Mais il faut savoir gré aux Hongrois, battus, de ne pas avoir fermé le jeu. Il faut leur être également reconnaissant de n'avoir, à aucun moment, eu recours à la force. Grâce à ces deux éléments, la partie demeura plaisante et intéressante jusqu'au bout.
Et c'est alors qu'il va falloir poser les crosses, faute d'adversaires neutres, que nos hommes sont au point culminant de leurs moyens. Combien il faut le déplorer. Il est cependant encore un espoir de les voir se produire en commun. La L.S.H.G. est toujours en tractations avec la Suède dont les représentants n'avaient pas pu venir chez nous il y a deux mois. Si, en fin de compte - ce que l'on souhaite de part et d'autre - l'accord se réalise, le match Suisse-Suède aura lieu, chez nous, le 3 mars. Il y aura une revanche, quinze jours plus tard, à Stockholm. La venue des "bleu-et-jaune" serait un événement considérable, car ces hockeyeurs ont encore un tout autre style que les continentaux. Mais n'anticipons pas, nous serons fixés sous peu.
Suisse - Hongrie 11-1 (3-1, 6-0, 2-0)
Dimanche 11 février 1940 à 15h10 à la Kunsteisbahn de Bâle. 15 000 spectateurs.
Arbitres : Albert Geromini (SUI) et Zoltán Jeney (HON).
Évolution du score :
0-1 à 10' : Miklos
1-1 à 11' : Torriani assisté de H. Cattini
2-1 à 13' : F. Cattini assisté de H. Cattini
3-1 à 16' : Kessler
4-1 à 24' : Lohrer assisté de Ruedi
5-1 à 3x' : H. Cattini
6-1 à 3x' : F. Cattini assisté de H. Cattini
7-1 à 3x' : Kessler
8-1 à 3x' : Lohrer
9-1 à 3x' : Ruedi
10-1 à 54' : Torriani assisté de Badrutt
11-1 à 59' : Torriani assisté de F. Cattini
Suisse
Attaquants :
Pic Cattini - Hans Cattini - Bibi Torriani
Herbert Kessler - Beat Ruedi - Heini Lohrer
Défenseurs :
Christian Badrutt - Franz Geromini
Gardien :
Albert Künzler
Hongrie
Attaquants :
András Gergely - Sándor Miklós - Béla Gosztónyi
Frigyes Helmeczi - Béla Háray - Ferenc Szamosi
Défenseurs :
István Hubay - Miklós Barcza
Gardien :
Dorbar