Le hockey et la télé

 

"Sans lumière et sans bruit
Que c'est beau une télé"

(Arthur H, La télé)

Ah, la télévision... Cette lucarne ouverte vers les foyers de millions de Français, qui starifie des héros modernes dont la seule gloire est d'avoir étalé sa vie devant des caméras complaisantes et plonge dans l'anonymats des écrivains ou artistes talentueux mais allergiques au petit écran. C'est la loi de la société du spectacle : on a le choix entre passer à la télé et ne pas exister. Le monde sportif n'échappe pas à la règle, le hockey sur glace est bien placé pour le savoir.

Depuis des années, les passionnés de ce sport se raccrochent comme ils le peuvent aux moindres miettes : l'image la plus furtive, même dans une publicité, est guettée et célébrée comme une bénédiction. En période de disette, on ne fait pas trop la fine bouche. Et pourtant, certains ont l'air de croire encore qu'il est possible d'obtenir de bonnes heures de retransmission sur une chaîne nationale, ou un contrat un peu juteux. Prétentions ridicules, mais on y reviendra plus loin.

L'effet JO

Le hockey à la télé, c'est tous les quatre ans, pour les Jeux Olympiques. Mais ce n'est que quand l'évènement est organisé en France qu'il prend toute son ampleur. Ainsi des JO de Grenoble en 1968, et les historiques URSS - Tchécoslovaquie retransmis en direct sur l'unique chaîne de l'époque, commentés par Léon Zitrone. Grenoble a été le point de départ du développement du hockey français, alors cantonné dans les Alpes et en région parisienne avec un petit millier de licenciés. Dans les années suivantes naquirent les clubs qui allaient propager ce sport sur ces immenses steppes vierges attendant d'être ensemencées par ce vent glacé porteur d'un souffle nouveau... euh, enfin, la plaine, quoi.

Puis, en 1992, il y eut Albertville. Nombre des supporters actuels du hockey ont découvert le hockey à cette occasion, où plus de quatre millions de Français étaient restés collées devant leur poste lors d'un légendaire quart de finale entre la France et les Etats-Unis. Mais nombreux aussi sont ceux qui s'en sont détournés depuis, dégoûtés de la façon dont ce sport était géré. Il faut dire que le curieux appâté par la prestation des Bleus à Albertville aurait eu de quoi regretter de s'y être intéressé s'il avait voulu jeter un œil au championnat national. C'est que celui-ci faisait peine à voir avec ses six pauvres équipes. Et si la France réussit un exploit en février à Salt Lake City, on aura l'air malin avec notre pauvre élite à sept.

Le hockey est-il condamné à ronger son frein pendant une olympiade en attendant de revenir à l'écran ? Certains se souviennent pourtant d'un magazine exclusivement consacré au hockey, Crosses et patins, diffusé sur FR3 à la fin des années 80. Doit-on les croire ? Ils prétendraient avoir vu la Sainte Vierge leur apparaître en bikini dans un rayon de Bricorama qu'ils seraient plus convaincants, tant un magazine télé de hockey paraît relever dans le contexte actuel d'une divagation d'hurluberlu.

Quand j'étais minot...

Si je n'ai jamais eu la chance de voir Crosses et patins, j'ai encore quelques souvenirs diffus de ce temps où Antenne 2 et FR3 (devenus depuis France 2 et France 3) savaient encore ce que les mots "service public" veulent dire, du temps où les panneaux de résultats à Stade 2 se voulaient informatifs et exhaustifs, et où les après-midi sportifs du week-end ouvraient une fenêtre à beaucoup de disciplines avant que les exigences de l'audimat ne les condamnent. C'est ainsi que je me rappelle une après-midi spéciale un dimanche sur FR3 avec Düsseldorf-Rouen en Coupe d'Europe et une rencontre du tournoi du Mont-Blanc.

Mais les JO de Lillehammer allaient sonner le glas : les Bleus ne pouvaient pas rééditer leurs exploits d'Albertville et les audiences chutaient au fil des matches et des défaites françaises, ce qui provoquait la déprogrammation de leur dernière rencontre de poule, France-Slovaquie. Mais le déclencheur de la perte fut l'audimat record du patinage artistique, en particulier de la compétition féminine, devenue un évènement médiatique à cause d'un fait divers survenue l'année précédente (l'agression de la championne Nancy Kerrigan commanditée par sa rivale Tonya Harding). Ces chiffres aussi élevés qu'inattendus éveillaient en effet les appétits de TF1 et de la fédération française des sports de glace qui s'empressait de signer un contrat mirobolant. Excédées, les chaînes publiques, en représailles, ne passaient même plus les résultats de hockey sur glace, ce bébé jeté avec l'eau du bain à TF1 qui n'avait aucune considération pour cette babiole sans intérêt trouvée dans un coin de l'enveloppe.

La bonne blague TF1

Pourtant la retransmission vers minuit d'un match entre la France et une équipe espoir de Suède déclencha une fièvre sans précédent dans les colonnes de Hockey Magazine, qui atteignit dans son numéro 7 des sommets dans son habituel optimisme béat. La rencontre fait l'objet d'un titre en couverture, de l'édito, et d'un entretien avec Jean-Claude Dassier, patron des sports sur TF1 (et actuel directeur général de LCI), probablement l'unique personne extérieure au hockey que cette revue ait jamais interviewée. Cet article est une véritable perle. Morceaux choisis : le hockey aux journaux télévisés ? "Au niveau du championnat, nous afficherons les classements de temps en temps." Heureusement qu'il était précisé que la langue de bois lui était inconnue, car il fallait vraiment être aveugle pour croire une chose pareille. Dassier tente pourtant bien de calmer les ardeurs de son interlocuteur Roger Biot, mais il finit par se prendre au jeu : "Que l'équipe de France fasse quelque chose au Mondial et vous verrez : ça va partir !" La France fit ses meilleurs championnats du monde de l'après-guerre, battit l'Allemagne, le Canada, la Suisse et se qualifia pour les quarts de finale. Néanmoins, sœur Anne n'a toujours rien vu venir... Et en cas d'audimat défaillant, des soucis en perspective ? Non, conclut Jean-Claude Dassier, "nous sommes partis pour 4 ans minimum. Croyez-moi, et je ne raconte jamais d'histoires, le hockey sur glace va croître et s'embellir." Dont acte.

Dans le numéro suivant, si on évoque la réalisation lamentable de la finale du championnat de France diffusée à 1h15 du matin, on s'extasie surtout (la rédaction, mais également Jean-Marc Peillex en interview) sur le formidable audimat de France-Suède. Quels sont-ils donc, ces chiffres exceptionnels brandis comme une preuve de l'avenir du hockey à la télé ? 21,8 % ! Pour France 3, ce serait assurément convenable, mais pour la chaîne numéro un en Europe, pour qui moins de 30 % de parts de marché est une contre-performance, c'est un mauvais score. Mais l'optimisme béat évoqué plus haut semble avoir des effets aveuglants contagieux. La vérité, c'est qu'un contrat avec TF1 sacrifiait de fait le hockey sur glace qui ne pouvait pas tenir les exigences de cette chaîne. Elle le coupait de plus de ses contacts avec les chaînes publiques. Après trois ou quatre diffusions nocturnes, TF1 se débarrassa en catimini du hockey sur glace. De son côté, le patinage ne justifia jamais la somme déboursée et n'atteignit jamais les audiences record de Lillehammer. Le contrat signifia une perte financière pour TF1, et finalement la mise en faillite d'une fédération qui payait là très chèrement sa folie des grandeurs.

Les errances de Stade 2

Dans le même temps, il n'y avait qu'un mot pour qualifier le traitement réservé au hockey à Stade 2 : pitoyable. Un des exemples les plus frappants est celui d'un panneau présentant en vrac des résultats des play-offs. Les matches étaient mélangées et n'étaient même pas regroupés par série. Du coup, le présentateur, qui lisait cela comme une journée de championnat et voyait deux fois les mêmes équipes, s'emmêlait les pinceaux et concluait avec le rire moqueur de l'ignorant : "Oui, bon, c'est un petit peu compliqué". Pour une fois que le hockey se contentait de quelque chose de simple (quarts de finale, demi-finales, finale) !

Automne 1995 : Rouen dispute un deuxième tour de Coupe d'Europe en République Tchèque, à Vsetín, contre l'équipe locale, les Slovènes de Ljubljana et les Polonais d'Oswiecim (Auschwitz). Vsetín et Rouen ont logiquement remporté leurs deux premières rencontres et se retrouvent le dimanche pour le match décisif. Le soir à Stade 2, le type chargé d'annoncer les résultats qui arrivent lit une brève : "en Coupe d'Europe de hockey sur glace, Rouen a battu les Tchèques d'Oswiecim". Était-ce la qualification ? Avaient-ils confondu le nom de l'adversaire ? Non, Rouen avait été battu et éliminé, et nos grands journalistes nous avaient réservé la primeur du résultat de la veille en se trompant de nationalité. Merci pour les faux espoirs...

Marc Branchu

 

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