La farce des jokers médicaux

 

Tout partait d'une bonne intention... Mais, faute de réflexion suffisante avant de la mettre en application, la règle du joker médical a provoqué des sentiments d'injustice et a indirectement plongé les championnats au bord du chaos.

L'enfer est pavé de bonnes intentions. On en a eu la parfaite illustration avec la règle du joker médical, symptomatique de la désorganisation et de l'imprévoyance du hockey français. Souvenez-vous, lors du lancement du Super 16 en 2002, le Directoire espère qu'on puisse maintenir un gentleman agreement qui limiterait les renforts étrangers à huit. Dans un tel contexte, il paraît compréhensible - pas forcément obligatoire, la DEL ne le fait pas - que le règlement permette de remplacer un joueur étranger blessé. Mais certains présidents, Briec Bounoure en tête, s'opposent à toute limitation, même sous forme d'un accord de bonne volonté, des ressortissants étrangers. Les clubs peuvent donc en aligner autant qu'ils veulent. Or, la règle du joker médical demeure.

Personne ne dit rien... jusqu'à ce que Rouen perde un de ses meilleurs joueurs français, Guillaume Besse, sur blessure. Le règlement sportif élaboré par la CSNHGM est une nouvelle fois pointé du doigt. Pourquoi le HC Mulhouse a-t-il le droit de remplacer un joueur étranger blessé alors que les Dragons sont dans l'incapacité de le faire, au seul motif que Besse est français ? Voilà une règle paradoxale qui pénalise injustement les clubs qui font confiance aux internationaux français plutôt qu'à des renforts importés !

Comme ce qui touche la "capitale du hockey français" Rouen a plus de retentissement qu'ailleurs, on corrige le tir l'été dernier... mais on dérègle complètement la lunette de visée. Désormais, tout joueur blessé peut être remplacé, quelle que soit sa nationalité. Or, la révolte normande concernant le cas Besse était due au fait qu'il s'agissait d'un joueur majeur, et qu'il était international. Avec un règlement aussi permissif, certains ne tardent pas à s'engouffrer dans la brèche. Le premier est Mulhouse, avec son entraîneur Christer Eriksson, entraîneur-adjoint de l'équipe de France mais aussi gros consommateur traditionnel de renforts étrangers éphémères - il entraînait tout de même Lyon sous l'ère Geoffroy. Que l'on pallie la blessure de l'expérimenté Pavol Segla, recrue-phare de l'intersaison, cela se comprend. Mais que l'on prétexte la perte de Vincent Bringuet, qui était resté sur le banc lors des dernières rencontres avant sa blessure, pour engager un joueur supplémentaire, c'est un peu fort de café, surtout quand cela a pour effet de reléguer en bout de banc des jeunes joueurs français comme Francis Ballet.

L'exemple a vite fait tache d'huile. L'entente Mont-Blanc emboîte le pas en profitant des blessures de Fabien Satonay et de Renaud Tracol (qui avait eu un accident de ski...) pour recruter le Tchèque Miroslav Dvorak puis le défenseur international français Sébastien Dermigny, débarqué le jour même du derby décisif contre Chamonix. Voilà de quoi déchaîner les tempêtes au pays du Mont-Blanc. Pour les dirigeants chamoniards, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Et même s'ils n'avaient plus rien à y gagner, ils ont alors décidé de déterrer le lièvre de la situation en porte-à-faux de l'entente Saint-Gervais / Megève par rapport au règlement sur les associations, déclenchant une affaire qui a failli remettre en question tout le championnat...

*

Il ne fait aucun doute que la règle du joker médical a été détournée de son sens initial. Faut-il être aussi laxiste sur ces recrutements de jokers ? À mon sens, non. Dans quel sport sérieux voit-on un joueur éliminé avec une équipe aller jouer les play-offs d'un autre championnat avec un club qu'il connaît à peine ? C'est pourtant ce qui s'est produit avec Ronny Arendt (Augsbourg) à Villard-de-Lans, mais aussi avec Robert Müller (Krefeld) à Bâle par exemple, la France étant loin d'être un cas isolé (cf une précédente chronique, malheureusement toujours d'actualité, sur les transferts dans le monde du hockey).

Il n'y a rien de bon à voir débarquer des pigistes pour quelques semaines. La course à l'armement tardive n'améliore pas le niveau général du championnat, et elle dessert la représentation française dans les compétitions européennes, puisque celles-ci ont lieu en début de saison. En outre, l'absence de jokers médicaux encouragerait les clubs à avoir un réservoir dans lequel puiser, et découragerait les effectifs en peau de chagrin qui traduisent souvent la fragilité d'un club sans ressources propres.

Si l'on ne veut pas aller jusqu'à une suppression radicale de la règle, il y a de toute façon des moyens de limiter les abus. On pourrait limiter son application pour les Français aux seuls internationaux. Mais cela pénaliserait les joueurs un peu justes pour l'équipe nationale par rapport aux étrangers de seconde zone. Le plus équitable est encore de fixer des limites statistiques pour vérifier que le joueur remplacé ait vraiment un impact sur son équipe. Comme les recrutements sont clos à la fin de la première phase, date à laquelle il ne reste plus comme recours que le joker médical, on peut envisager d'arrêter les statistiques de référence à cette échéance. Les minima exigés pour que le joueur soit remplaçable seraient par exemple de six points pour un attaquant, trois pour un défenseur, et 300 minutes pour un gardien. Encore faut-il disposer de stats fiables et à jour, bien sûr, mais c'est un autre sujet. C'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas évoqué le temps de glace, qui serait dans l'absolu la stat la plus pertinente, si elle était enregistrée. À défaut, pour ne pas pénaliser les clubs de bas de tableau par rapport aux grosses écuries, on peut utiliser, au lieu du total de points, le pourcentage de points de l'équipe qu'a marqué le joueur en question. Une autre solution consiste à demander aux clubs une liste de joueurs essentiels (5 ? 10 ?) dont la blessure autoriserait un remplacement.

Mais si on laisse le règlement en l'état après les premières dérives de cette saison, cela ouvre la porte à toutes les outrances. Tant qu'on y est, pourquoi pas imaginer qu'un club trouve un clampin comme cireur de banc avec pour mission de se blesser à deux semaines des play-offs ?

Marc Branchu

 

Les blessés définitifs et les jokers médicaux correspondants

Entre parenthèses, la moyenne de buts marqués par l'équipe concernée hors play-offs, pour juger la performance du joueur en fonction de celle de l'équipe.

Clermont-Ferrand (2,1 buts par match en Super 16)

Le défenseur Henrik Karlsson (2 buts et 1 assist en 11 matches) a été remplacé par le gardien (!) Daniel Lombard, après la défection de Gourdeau.

Dunkerque (2,1 buts par match en Super 16)

Daniel Saint-Amant (2 buts et 3 assists en 23 matches) et Benjamin N'Guyen (1 but en 21 matches) ont été remplacés avant les barrages par Jérôme Patard (3 buts et 12 assists en 21 matches avec Anglet) et le défenseur Mathieu Mille (1 buts et 7 assists en 21 matches avec Mulhouse).

Épinal (2,7 buts par match en Super 16)

Patrik Krisak (1 buts et 2 assists en 14 matches) a été remplacé par Marek Moskal (1 but en 6 matches, viré à deux mois du terme).

Grenoble (4,6 buts par match en Super 16)

Nicolas Antonoff (2 buts et 6 assists en 14 matches), Laurent Meunier (11 buts et 16 assists en 26 matches) et Jean-François Bonnard (9 buts et 11 assists en 31 matches) ont été remplacés par Sami Kaartinen (11 buts et 9 assists en 19 matches), Jani Tuominen (0 but et 5 assists en 7 matches) et Jukka-Pekka Holopainen (0 but et 0 assist en 5 matches).

Mont-Blanc (3,9 buts par match en D1)

Fabien Satonay (1 assist en 7 matches) et Renaud Tracol (6 buts et 3 assists en 19 matches) ont été remplacés par Miroslav Dvorak (4 buts et 2 assists en 4 matches) et Sébastien Dermigny (2 assists en 2 matches).

Mulhouse (3,7 buts par match en Super 16)

Pavol Segla (5 buts et 20 assists en 21 matches) et Vincent Bringuet (1 but et 3 assists en 22 matches) ont été remplacés par Daniel Ceman (2 buts et 1 assist en 7 matches) et Alexander Kuzminski (3 buts et 3 assists en 6 matches).

Strasbourg (5,4 buts par match en D1)

Vincent Lacaes (1 but et 4 assists en 15 matches) a été remplacé par Pavol Mihalik (2 buts et 3 assists en 9 matches).

Villard-de-Lans (2,7 buts par match en Super 16)

Pierre Bourgey (5 buts et 6 assists en 22 matches) a été remplacé avant les play-offs par Ronny Arendt (1 but en 4 matches).

 

Retour à la rubrique articles