Bilan des championnats du monde 2005

 

Résultats de la compétition

 

On voulait juger sur pièce avant de décréter que ce championnat du monde serait le plus relevé de l'histoire, et on a été servi. Non seulement le niveau atteint a été élevé, mais en plus la compétition a été particulièrement serrée. Au stade des quarts de finale qui peut faire figure d'étalon de la valeur d'une compétition, trois duels ont été exceptionnels, et le quatrième a donné lieu à une vaillante résistance d'un outsider qui était tout sauf un intrus (la Suisse). Certes, les Tchèques ont construit leur succès final sur une défense de fer et les toutes dernières rencontres ont été moins palpitantes, mais c'est la loi du genre.

Ce Mondial viennois accompagnera donc ses aînés dans l'histoire... mais il est peu probable qu'il ait des petits frères. Car malheureusement, l'organisation n'a pas été au niveau. La faute à la glace de la Wiener Stadthalle, qui s'est heureusement améliorée sur la fin. On a longtemps cru qu'elle allait gâcher à elle seule le tournoi, tant elle gênait de façon manifeste les hockeyeurs talentueux qui tentaient de s'y dépatouiller. Pendant toute la première semaine, les organisateurs ont formulé des explications parfois vaseuses et cherché des solutions jamais vraiment satisfaisantes. Les journalistes suisses et allemands s'en sont donnés à cœur joie pour casser du sucre sur le dos des Autrichiens, pendant que Tchèques et Slovaques émettaient des propositions officielles pour déplacer le carré final à Prague ou à Bratislava.

On n'en est pas arrivé à cette extrémité. La glace a tenu et était meilleure en fin de tournoi. Quel a été le remède-miracle ? Le fait d'éteindre la plupart des spots entre les tiers-temps, parce que l'éclairage était paraît-il trop fort ? Les quelques séances d'entraînement décalées ailleurs pour ménager la glace, avant que l'on revienne deux jours plus tard sur la piste principale ? L'arrivée de spécialistes venus d'Allemagne et de Suisse ? Ou tout simplement la météo qui a donné un peu de répit après les 30°C constatés dans les premiers jours ? Sans doute un peu de tout ça. Et le fait que la glace, avec le temps, a fini par prendre correctement. "On n'a jamais autant transpiré à un championnat du monde" remarquait-on dans les tribunes où il faisait 26°C en début de tournoi. Les organisateurs, eux aussi, ont dû beaucoup transpirer, mais ils n'ont pas réussi à convaincre. Le président de l'IIHF René Fasel en a tiré une conclusion cinglante : les championnats du monde se tiendront désormais dans des pays de hockey. Plus question de faire confiance à des salles qui n'accueillent ce sport qu'une fois tous les neuf ans pour une grande compétition. Corollaire, on n'est pas près de voir les Mondiaux à Bercy, mais cela, c'était déjà prévisible pour bien d'autres raisons (notons au passage que la fédération internationale a donné jusqu'au 1er avril 2006 aux derniers pays méditerranéens récalcitrants pour qu'ils se dotent d'une fédération de hockey indépendante, avec dérogation au 1er juillet pour la France pour laisser le temps au processus déjà engagé).

Les patinoires autrichiennes, relativement bien remplies mais plus petites qu'une Kölnarena ou qu'une Sazka Arena, ne pouvaient de toute façon pas rivaliser avec les goûts de luxe pris ces dernières années. Au bilan, aucune des deux villes n'a eu tout bon. Innsbruck avait une glace de bonne qualité mais a réservé un accueil plutôt froid aux Mondiaux, puisque seuls les visiteurs étrangers - lettons en particulier - ont mis l'ambiance. Vienne a toujours connu une atmosphère sympathique, ne serait-ce que grâce aux voisins tchèques et slovaques, mais il est inutile de rappeler ce qu'il en était de la glace.

Et pourtant, on a assisté à de grands matches, d'abord à Innsbruck où le terrain s'y prêtait mieux (Finlande-États-Unis ou Canada-Suède), mais aussi à Vienne lors de la phase finale. Par conséquent, hormis les Autrichiens qui ont un peu distendu le lien qu'ils avaient avec la compétition avec cette occasion gâchée, tout le monde peut être satisfait de ces beaux championnats du monde.

 

 

Premier : République Tchèque. C'est enfin fait ! Jaromir Jagr a enfin vaincu sa malédiction des championnats du monde, où il n'avait remporté qu'une seule médaille en cinq participations. Il a comblé l'ultime vide de son palmarès en remportant ce titre mondial qui lui tenait à cœur et est le premier Tchèque (avec Slegr) à rentrer dans le club très fermé des joueurs qui ont réalisé le triplé Jeux Olympiques - Coupe Stanley - Mondiaux. Il a désormais tout gagné et prouve qu'il est la star incontournable du hockey mondial actuel. Jagr termine meilleur marqueur de son équipe, sans que sa contribution paraisse exceptionnelle. Et pour cause, puisqu'il ne pouvait plus exprimer complètement ses qualités de buteur après avoir eu le petit doigt cassé par un coup de crosse de Schauer. Il s'est alors mué en chef d'orchestre, donnant l'impulsion à l'attaque tchèque, et son retour au jeu après la pose d'une attelle et en dépit de la douleur a été capital pour le moral des champions.

Mais pour renouer avec le succès, la République Tchèque a surtout dû reprendre ce sur quoi elle avait bâti sa collection de titres du tournant du siècle, un système défensif de fer. Après avoir démontré auparavant ses capacités offensives, malgré une efficacité assez médiocre, elle a appliqué en finale cette vieille recette qui avait fait ses preuves, et elle a complètement annihilé le Canada qui n'a pas pu s'approcher de ses cages, implacablement repoussé par Zidlicky et ses collègues. Comme les précédentes victoires tchèques, celle-ci n'aurait pas été possible sans un gardien à la hauteur de la situation. Personne n'avait confiance en Tomas Vokoun, ni les Tchèques qui se rappelaient sa responsabilité dans les échecs des dernières campagnes, ni les Finlandais qui l'avaient vu effectuer une saison médiocre en SM-liiga au HIFK Helsinki. Pourtant, il a répondu présent quand il le fallait, et il a été le gardien le plus régulier de la compétition.

Dès le lendemain de la victoire, le sélectionneur Vladimir Ruzicka a annoncé qu'il quittait ses fonctions. Une décision mûrie depuis longtemps qui ne doit pas surprendre : il avait accepté de prendre les rênes de l'équipe nationale en urgence après l'accident de la route qui avait coûté la vie à Ivan Hlinka en août dernier, mais il était clair dès le début qu'il ne faisait que donner un coup de main. Ruzicka s'est en effet beaucoup investi dans le Slavia Prague, et il a l'intention de poursuivre son travail dans ce club. Son chemin n'était pas censé croiser celui de la sélection avant plusieurs années, et seules des circonstances tragiques ont avancé ce moment. Ce n'était qu'une parenthèse, même si des retrouvailles sont envisageables dans deux ou trois ans. Jusqu'au bout de sa mission, "l'entraîneur par contumace" Ruzicka, capitaine du triomphe aux JO de Nagano, aura rendu hommage à son maître de l'époque Hlinka. Il a remis la République tchèque sur les rails du succès, mais il faut désormais trouver un sélectionneur capable d'assumer cet héritage.

 

Deuxième : Canada. La ligne Gagné-Thornton-Nash a dominé le classement des marqueurs comme personne ne l'avait fait depuis la KLM. Sa puissance physique a été dévastatrice dans l'enclave, et la combinaison des passes en or de Joe Thornton et du sens du but de Rick Nash a été redoutable. Mais ce tournoi a été la preuve qu'on ne peut pas construire une équipe avec une seule ligne. Même si Smyth et Heatley se sont un peu réveillés en phase finale, même si le duo Maltby-Draper a fini par remplir sa fonction de neutralisation dans un match important (la demi-finale), l'attaque canadienne était trop dépendante d'un seul trio, et elle a été dans son ensemble incapable de trouver la solution à un impressionnant bloc tchèque, qui ne lui a pas laissé prendre le moindre rebond.

On a longtemps cru que le Canada saurait encore provoquer juste ce qu'il faut de réussite pour sortir vainqueur. Mais pas cette fois. Il a trouvé plus fort que lui avec ce rival tchèque qu'il redoutait tant. Ses lacunes défensives étaient trop grandes. Hormis Wade Redden, tous les arrières, censés pourtant former la nouvelle garde des titulaires, ont déçu, à commencer par la ligne vedette Regehr-Jovanovski, pas à son niveau. Le manque de pratique s'est fait sentir, y compris chez Brodeur qui a eu des hauts et des bas. Les Canadiens doivent réapprendre à partager, mais ce championnat du monde qui a été très suivi au pays - sevré de NHL - suscitera certainement un désir de revanche.

 

Troisième : Russie. Quand on n'est monté sur le podium qu'une seule fois en une décennie, toute médaille est bonne à prendre. La Russie gardera donc dans l'ensemble un souvenir satisfaisant de ce championnat du monde plein de promesses pour l'avenir. Néanmoins, ce début de match raté contre le Canada, qui a barré la route du titre, sera longtemps regretté. Le doigt a été pointé sur l'arbitre Hannu Henriksson, qui est allé s'excuser le soir même dans un bar auprès du premier Russe venu, en l'occurrence un journaliste qui s'est empressé de faire un article sur la repentance du Finlandais ! Celui-ci a expliqué qu'il ne voulait en aucun cas accabler les Russes, même s'il a pu se montrer sévère avec eux à la fin de la première période de cette demi-finale. Le délégué ne lui a reproché qu'une seule erreur indiscutable, la simulation sifflée contre Markov, erreur lourde de conséquences puisqu'elle a occasionné le 4-0, un but en fin de compte décisif. Résumer l'échec des Russes à l'arbitrage serait néanmoins beaucoup trop facile quand on sait que cela n'a fait que renforcer la tendance déjà existante, celle d'une équipe indisciplinée qui avait pris l'eau défensivement.

Cette demi-finale a été caractéristique de cette Zbornaïa aux deux visages, impressionnante offensivement pendant la seconde moitié du match, et catastrophique défensivement pendant la première moitié. Car si les qualités des attaquants russes restent exceptionnelles, il reste à les traduire en efficacité. Aleksandr Ovechkin a un registre offensif époustouflant mais s'est fait envoyer une fois en tribunes par Krikunov à cause de la faiblesse de son jeu défensif, pas plus convaincant que celui d'un Kovalchuk. Quant à l'autre grand espoir, Evgueni Malkin, il se crée des occasions mais en concrétise peu, prenant le même chemin qu'un Afinogenov. Même si les nouvelles générations charrient toujours leur lot de talent, les problèmes restent donc les mêmes : les unités spéciales, les duels dans les coins et dans l'enclave, la discipline collective... Autant de critères qui ne pardonnent toujours pas face au Canada quand on fait le bilan sur soixante minutes. Il est incroyable que les Russes paraissent toujours débarquer de la Lune dans les confrontations avec les équipes nord-américaines, ce qui peut être compréhensible pour le gardien Sokolov, mais l'est déjà moins pour ses défenseurs. Hormis Markov, ceux-ci ont encore montré leurs limites. Pour parler de renaissance du hockey russe, il faudrait qu'il soit capable de travailler ses points faibles - transformés en crevasses béantes depuis dix ans - et pas uniquement de s'en remettre à la grâce de ses nouveaux prodiges, souvent inconstants.

 

Quatrième : Suède. Bengt-Åke Gustafsson n'a pas plus gagné que Hardy Nilsson, mais la critique suédoise n'en est pas moins satisfaite. Il a manqué peu de choses en demi-finale contre les Tchèques pour aller plus loin. En l'absence des stars, le nouveau sélectionneur a su créer une vraie équipe, comme il le souhaitait. La Tre Kronor était un groupe où tout le monde a rempli son rôle. Même si ses réserves étaient limitées (les joueurs à la limite de la titularisation, comme Lindström et Franzen, n'avaient pas le niveau de leurs camarades), la Suède était très homogène, avec de la qualité offensive sur ses quatre lignes. Les joueurs les moins attendus ont été surprenants, à l'image de Jonathan Hedström, gros travailleur, de Mikael Samuelsson, à côté de qui les Sedin ont enfin pu prendre un rôle important au sein de la sélection, voire de Johan Höglund, très discuté mais toujours efficace.

Le revers de la médaille, c'est qu'aucun leader ne s'est vraiment détaché pour renverser le cours d'un match, comme avaient pu le faire Forsberg ou Sundin. Tout le monde a été bon, mais il a manqué ce petit plus qui aurait pu faire la différence. Le seul qui soit sorti du lot, c'est Niklas Kronwall, sans doute le meilleur défenseur de la compétition. Mais même un arrière qui sait tout faire ne peut pas remplacer un leader offensif. La fidélité à son système de jeu n'a pas été suffisante, car elle n'était pas l'apanage de la Tre Kronor. Les Tchèques étaient tout aussi consciencieux, et ils avaient tout simplement un peu plus de talent en attaque et un peu plus de physique en défense.

 

Cinquième : Slovaquie. Il a suffi d'un match pour gâcher le championnat du monde des Slovaques, portés par leurs supporters qui n'avaient que soixante kilomètres à remonter le long du Danube pour rallier Vienne depuis Bratislava. La lourde défaite 1-5 contre les Tchèques, outre qu'elle n'aime jamais perdre contre ses cousins, l'a condamnée à terminer troisième de son groupe et à devoir aller à Innsbruck affronter le Canada en quart de finale. Un adversaire qui l'a éliminée pour la troisième fois consécutive...

Pourtant, aucun attaquant n'a vraiment déçu dans les belles lignes offensives slovaques. Ils ont tous utilisé leurs qualités et n'ont rien à se reprocher. Mais le point faible des Slovaques en défense se confirme plus que jamais. La première paire d'arrières Strbak-Visnovsky a été très bonne, mais leurs collègues sont tous passés à côté de leur sujet. Chara, Suchy et Lintner ont été très décevants pour des hommes d'expérience, et le jeune René Vydareny, sélectionné à la place de l'espoir Meszaros, a été catastrophique, concluant sa prestation par une odieuse charge contre dans le dos de Gagné qui venait de marquer après une de ses relances ratées. Quant aux gardiens, ils ont faibli après une bonne saison en club. Rastislav Stana s'est grillé contre les Tchèques, et le titulaire réaffirmé Jan Lasak a craqué au pire moment, dans les dernières minutes du match contre le Canada, sur un lancer anodin de Thornton.

 

Sixième : États-Unis. Les dirigeants de la fédération américaine avaient affirmé que les États-Unis n'auraient bientôt plus besoin de miracles pour remporter des médailles mondiales. Pourtant, à la fin du quart de finale contre les Tchèques, on a eu le sentiment que les vieilles habitudes avaient la vie dure et qu'un coup de pouce du destin était attendu. Au vu du temps de jeu de Mike Modano et Andy Roach lors de la prolongation, c'était comme si les Américains attendaient que l'aura de leur capitaine ou la bénédiction de leur héros de l'an passé allaient réécrire l'histoire. Aux tirs au but, c'est encore Roach qui fut envoyé en dernier, mais il ne put pas répéter son succès de l'an dernier face à Vokoun.

Pour ne pas s'en remettre à la providence, il aurait fallu ne pas affronter la République Tchèque en quart de finale, adversaire qui s'est finalement avéré trop fort même avec un maximum de réussite pendant quarante minutes pour les Américains. Car cette équipe, qui avait joué à fond la carte de la jeunesse (la nomination de Zach Parisé et Ryan Suter comme jokers pour la deuxième phase était on ne peut plus claire), avait des possibilités intéressantes, et elle avait sans doute été sélectionnée avec bien plus d'à-propos que son homologue canadienne en comparaison des moyens à disposition. Mais cette anonyme sixième place ne traduit pas cet effort. Pour qu'il ait été visible, il aurait fallu battre le Canada, dont certains supporters prenaient de haut cet effectif américain. Cela n'a pas été fait, et ce championnat du monde restera un coup d'épée dans l'eau... sauf si des équipes de même qualité peuvent être assemblées dans les prochaines années, c'est-à-dire si, vraiment, décliner la sélection devient démodé chez les hockeyeurs américains.

 

Septième : Finlande. Cette collectionneuse de résultats nuls a été incapable de battre la moindre équipe de haut niveau, pas même sa concurrente pour la qualification en quarts de finale, la Lettonie, qu'elle n'a éliminé qu'avec l'aide du rival suédois, vexation suprême. La seule vraie leçon prise au cours du tournoi l'a aussi été face à la Tre Kronor, autre vexation. Autant dire que le bilan n'est pas très bon vu de Finlande. Le fait que les joueurs les plus à leur avantage aient été les plus physiques (Väänänen, Karalahti et Ruutu) implique aussi que les techniciens ont failli, à part Jussi Jokinen qui a été trop peu ou trop mal utilisé.

Les meilleurs joueurs théoriques (Timonen, Peltonen et Olli Jokinen) jouaient semble-t-il plus ou moins blessés, ce qui explique peut-être qu'ils n'aient été que l'ombre d'eux-mêmes. Heureusement que la ligne des "Teletubbies" (Pärssinen-Kapanen-Hentunen) a encore répondu présent au rendez-vous pour assurer la production offensive, car la première ligne a été un grand flop. Pour les ailiers Ville Peltonen, d'habitude si précieux, et Tomi Kallio, hors du coup, leur futur en équipe nationale pourrait être menacé car ils sont vieillissants. Leur centre Olli Jokinen n'a pas ce problème, mais ce Mondial restera un très mauvais souvenir pour lui. Il a été raté de bout en bout, jusqu'à l'élimination qui a été consommée sur son penalty manqué contre la Russie, ce dont un journal populaire local s'est servi pour le désigner comme coupable. Celui qui a montré ses limites lors de cette séance de tirs au but, c'est surtout Niklas Bäckström, qui rejoint la trop longue liste des gardiens finlandais à n'avoir pas pu s'imposer comme titulaire en sélection.

 

Huitième : Suisse. Dans ce tournoi de très haut niveau, la Suisse a réussi à ne pas déparer dans le top-8, et ça en dit long sur les progrès qu'elle a accomplis. Aux qualifications olympiques comme lors de ce championnat du monde, elle a prouvé qu'elle était maintenant capable de gagner sans faille lorsqu'elle était favorite. Avec toute la confiance que lui a procurée son excellent gardien Martin Gerber, elle a désormais suffisamment de discipline pour ne prendre aucun match à la légère, et pour être capable à la fois de battre les équipes plus faibles et de menacer les meilleurs, une double compétence qui n'est pas évidente à atteindre. La déroute allemande lui a donné sur un plateau un statut de huitième nation mondiale qu'elle ne devrait plus perdre de sitôt.

En fonction depuis huit ans, Ralph Krueger est le sélectionneur national qui a tenu le plus longtemps à son poste depuis... Viktor Tikhonov. C'est presqu'une anomalie de l'histoire, alors que les journalistes helvétiques ne donnaient pas cher de sa peau il y a quelques années. Et pourtant, il ne devrait pas en rester là. Car un groupe s'est désormais constitué, et il n'a pas encore atteint son plein potentiel. Les bases sont là, avec un groupe travailleur qui mûrit bien. À part le duo défensif Forster-Seger, rares sont les joueurs qui ont déçu. L'harmonie a été trouvée entre Krueger et ses hommes. Toutes les conditions requises ont été réunies pour préparer un terrain fertile à un exploit qui marquerait l'histoire, mais pour cela il faudra surtout de la réussite le jour J. Intégrer le top-7 ne peut en effet s'envisager qu'à très long terme, mais il faudra pour cela bien plus de joueurs de niveau mondial. La Suisse en a quand même déjà produit quelques-uns. Outre ses gardiens, il s'agit de Martin Plüss en attaque et surtout de Mark Streit en défense, dominant tout au long du tournoi.

 

Neuvième : Lettonie. Les Baltes sont les plus proches des quarts de finale, mais ils en sont aussi très loin. Après avoir marqué quatre buts au Canada de Martin Brodeur et avoir perdu contre les Américains dans un match à l'arbitrage controversé, la Lettonie a dominé les adversaires plus faibles pour jouer sa finale face à la Finlande. Un match dans lequel elle a tout donné, pour finalement réussir à accrocher un étonnant 0-0 révélateur de sa résistance. Elle n'avait pas les moyens d'aller chercher la victoire qui l'aurait fait passer devant les Finlandais, mais ce nul maintenait encore un petit espoir... Pourtant, à la conférence de presse d'après-match, son entraîneur Leonids Beresnevs expliquait qu'il fallait préparer le match du lendemain... qui serait probablement le dernier. Il avait raison. Épuisée par ses efforts, son équipe allait encaisser contre la Suède son unique carton du tournoi.

C'est le problème de la Lettonie, dont les vétérans ont de plus en plus de mal à enchaîner les matches, à l'instar d'Arturs Irbe qui devrait prolonger sa carrière d'un an afin d'être présent aux championnats du monde à domicile. La génération montante, malgré les très belles prestations réalisées ici par Janis Sprukts ou Girts Ankipans, n'est pas encore assez nombreuse. Il faudra attendre que mûrissent les juniors, qui ont déjà été incorporés grâce au processus de rajeunissement demandé à Beresnevs, mais qui font encore des fautes de jeunesse. Le Mondial de Riga n'arrivera donc pas au meilleur moment pour un hockey letton encore à la croisée des chemins. Mais tout ne vient pas toujours à point nommé. Il faudra espérer pour les Baltes que la malédiction des pays organisateurs ne se poursuive pas une année de plus.

 

Dixième : Bélarus. Après avoir fait l'ascenseur pendant quatre ans en raison de deux relégations dues à la protection du Japon et à bien peu de chance au tirage, les Biélorusses se sont enfin maintenus dans l'élite. L'entraîneur de NHL Glen Hanlon a mis fin à la mauvaise habitude locale de perdre les confrontations importantes, que ce soit pour le maintien ou en février dernier pour la qualification olympique. Son apport en matière de coaching a été indéniable, et l'invincibilité de son équipe en infériorité numérique est à mettre à son crédit (ainsi qu'à celui du gardien Andreï Mezin revenu à son meilleur niveau). Il a amené un système défensif efficace qui a complètement étouffé les Autrichiens dans le match qu'il fallait gagner. Mais le jour de gloire de Mikhaïl Grabovsky ce soir-là (quatre buts) ne s'est pas répété, et le Bélarus a été moins convaincant sur le plan de la créativité offensive. D'une formation capable du meilleur comme du pire, elle est simplement devenue une formation capable d'éviter le pire.

Surtout, il y a une ombre qui plane désormais sur le hockey biélorusse avec le contrôle positif à la norandrostérone de deux joueurs qui évoluent dans des clubs de ce pays, Timofeï Filin et (l'Ukrainien) Oleksandr Podebonostsev, les deux premiers cas de dopage aux championnats du monde depuis sept ans. Le quasi-inconnu Filin était un peu devenu le chouchou de Hanlon, qui voyait en lui l'archétype du joueur de centre "moderne", très musculeux. On sait aujourd'hui comment il a développé ce physique (et comment croire qu'il en irait différemment en Amérique du nord, où Bettman et Goodenow pour une fois unis - dans la bêtise - ont eu le toupet d'affirmer cette semaine devant le Congrès américain, en pleine investigation après les affaires survenues dans le base-ball, que les hockeyeurs n'avaient aucun avantage à l'utilisation de stéroïdes...). Filin a expliqué lui-même que tout avait commencé l'été dernier dans une salle de préparation physique de Minsk où il avait "innocemment" demandé à des entraîneurs de body-building quel était le meilleur moyen d'augmenter sa masse musculaire. Il s'était donc injecté des stéroïdes en connaissance de cause, mais il n'aurait jamais pensé que les produits resteraient aussi longtemps dans son organisme. Il s'est en effet fait choper avec un échantillon 250 fois au-dessus de la limite ("seulement" 15 pour Podebonostsev), et au Bélarus, on se demande comment les tests effectués avant le départ de la sélection nationale par le laboratoire - non agréé par l'AMA - de Minsk n'ont pas pu révéler une infraction aussi flagrante.

 

Onzième : Ukraine. Ce championnat du monde a peut-être été le plus satisfaisant pour le hockey ukrainien depuis son arrivée dans l'élite. La mission capitale a été remplie, en remportant comme toujours le match qu'il fallait, contre le Danemark, sans paraître supérieur sinon dans l'approche mentale de la rencontre. Mais la nouveauté, c'est la qualité des résultats obtenus face aux grosses équipes, avec un match nul face aux Américains et une défaite d'un but contre la Suède et le Canada. On ne peut pas dire pour autant que les hockeyeurs ukrainiens aient laissé une impression extraordinaire, leurs fautes répétées et leur usage de la crosse ayant agacé plus d'un adversaire. Néanmoins, leur esprit d'équipe et leur travail leur ont permis de présenter un bilan très honorable. À vrai dire, les résultats n'auraient sans doute pas du tout été les mêmes sans le gardien Konstantin Simchuk. Et c'est là que l'Ukraine, après avoir rogné tout ce qu'il était possible de rogner dans sa préparation qui s'est déroulée exclusivement à Kiev, a réalisé un investissement a priori anodin et en fin de compte judicieux, celui de contacter Yuri Shundrov. La légende du Sokol Kiev, qu'il avait amené à une historique troisième place du championnat d'URSS en 1985, a été appelé pour être entraîneur des gardiens, et il a été un mentor exceptionnel pour Simchuk.

Mais le hockey ukrainien ne pourra pas vivre éternellement avec des bouts de ficelle, même en utilisant au maximum toutes ses compétences. C'est pourquoi les joueurs ont réaffirmé qu'ils attendaient des engagements de l'Etat pour continuer à défendre les couleurs de leur sélection nationale. L'Ukraine post-révolution orange soutiendra-t-elle le hockey sur glace ? Un sujet délicat car de nombreux dirigeants du sport s'étaient compromis avec le précédent pouvoir en place. Mais au retour de l'équipe à Kiev, une conférence de presse s'est tenue dans le bar Oskar (dont le propriétaire est le capitaine de la sélection Sergueï Klimentiev) en présence de deux ministres. Il est prévu que René Fasel écrive au président Iouchtchenko pour plaider la cause du hockey ukrainien. Ce qui est attendu est simple, des moyens pour former les jeunes joueurs et pour construire des patinoires. Reclus aujourd'hui à Kiev autour des installations du Sokol, le hockey sur glace doit se développer sur tout le territoire, et Seukand a ainsi annoncé qu'il souhaitait que la manche de décembre de l'Euro Hockey Tour ne se tienne plus à Kiev mais à Dniepropetrovsk. Verra-t-on des signes forts qui permettront de croire à un avenir à long terme du hockey ukrainien ?

 

Douzième : Kazakhstan. Plus les années passent et plus le Kazakhstan prend de la bouteille. Le handicap d'avoir certains leaders vieillissants est compensé par une tactique parfaitement au point, à force d'être travaillée depuis plusieurs saisons au sein du Torpedo Ust-Kamenogorsk, club qui constitue la colonne vertébrale de la sélection nationale. Les Kazakhs ont mis en place leur système de jeu en contre-attaque qu'ils pratiquent depuis des années mais qui marche de mieux en mieux. Ce qui a fonctionné face à la France aux qualifications olympiques a tout autant surpris les meilleures nations mondiales.

Ne croyons cependant pas que le Kazakhstan ait une telle cohésion que l'absence de ses meilleurs joueurs puisse être complètement transparente. Il ne prétend pas encore avoir une telle densité. La plupart des buts encaissés l'ont ainsi été par la quatrième ligne, celle de Sergueï Aleksandrov et Anton Komissarov. Le bloc kazakh avait donc des faiblesses... mais s'il est au complet, il pourrait être encore plus redoutable. Un autre danger le menace toutefois : alors que tout le travail du staff du Kazakhstan a consisté à rassembler autant que possible les internationaux à Ust-Kamenogorsk, ceux-ci ne sont pas passés inaperçus lors de ce championnat du monde. Ils pourraient donc intéresser à nouveau les clubs russes... et être moins souvent disponibles pour la sélection.

 

Treizième : Slovénie. Face aux deux nations nord-américaines, les pauvres Slovènes ont été complètement laminés au point qu'on se demandait ce qu'ils venaient faire aux championnats du monde. Les défenseurs comme Dejan Varl étaient complètement dépassés au marquage, et les attaquants comme Dejan Kontrec ne faisaient vraiment pas beaucoup d'efforts pour venir les aider. Mais, même si elle est à des années-lumière du plus haut niveau mondial, la Slovénie a les moyens de se maintenir.

Face à des adversaires n'ayant pas la même densité physique que les "gros", les attaquants comme Jan et Kontrec peuvent exprimer toutes leurs qualités offensives sans être balayés. Et les Slovènes ont su trouver le moral et les forces pour battre les deux seules équipes à leur portée. Ils ont su profiter à plein du relâchement du Danemark, pour une incroyable remontée au score, puis du désarroi mental d'une Autriche en pleine déroute. Ils terminent ainsi treizième nation mondiale, la plus haute place qu'ils pouvaient espérer. D'accord, ils ont perdu 1-9 contre l'Allemagne, mais ce que l'histoire retiendra, c'est qu'eux resteront dans l'élite mondiale et pas les Allemands. Cela s'appelle gagner les matches qu'il fallait.

 

Quatorzième : Danemark. Encore un miraculé. Après leur défaite initiale contre la Slovénie en poule de maintien, les Danois paraissaient quasiment condamnés. Perdre en dilapidant une avance de trois buts face à un adversaire présumé plus faible, c'est un symptôme très inquiétant pour une équipe scandinave qui s'appuie sur la discipline. Mais elle a trouvé des ressources inattendues en remontant deux buts de retard contre l'Autriche puis en battant l'Allemagne, alors que même ses plus fervents partisans n'y croyaient plus.

L'objectif a été atteint, mais le bilan est mitigé. La dynamique enclenchée par le sélectionneur Mikael Lundström semble arriver en fin de cycle, et sa devise "SOUL" (Stolhed Over Udført Lortearbejde, la fierté de faire le sale boulot) n'a été grosso modo appliquée qu'un match sur deux. Le gardien Peter Hirsch a accumulé les erreurs et n'est plus au niveau, au point d'être devenu la tête de turc des supporters. Il va bien falloir lui trouver un successeur, or le Danemark a moins de talent à ce poste qu'à d'autres. Les jeunes, justement, ont dans l'ensemble été plutôt discrets, mais ils ont engrangé de l'expérience qui leur sera utile dans les prochaines années.

 

Quinzième : Allemagne. Chaque année, Hans Zach répétait que l'Allemagne jouait le maintien, pour mieux conjurer le mauvais sort. C'en était presque devenu un sujet de moquerie. Ça ne l'est plus. Son successeur Greg Poss a oublié l'intérêt de cet exorcisme à la Guy Roux, et il l'a payé cher. Son bilan comme sélectionneur est désastreux, et les reproches que l'on peut lui faire sont nombreux. En premier lieu, ils sont tactiques. Face à la difficulté à mettre en place son système offensif, Poss a décidé la veille du championnat du monde de faire marche arrière et de revenir à un hockey plus défensif et traditionnel. Ses joueurs étaient ainsi un peu perdus. Sa gestion humaine, déjà mise en cause en amont après l'annonce de la retraite internationale de Lüdemann, a aussi été discutée. Sa décision de faire tourner le capitanat toutes les deux rencontres pour partager les responsabilités a été une erreur. Le premier match de Jan Benda sans le "C" sur son maillot, contre la Suisse, a été le plus mauvais de sa carrière internationale. Et la titularisation de Jonas dans les cages plutôt que Müller dans ce même match décisif était également le mauvais choix. Peut-être qu'il y avait déjà un problème à la base. Poss avait récupéré les anciens assistants de Zach, et la cohabitation n'a pas été aisée. Plutôt que de licencier l'Américain, les dirigeants de la fédération ont décidé de lui adjoindre l'ancienne star de NHL Uwe Krupp, avec qui il officiera à l'avenir en tandem.

Il y a sept ans, la relégation de l'Allemagne avait été la conséquence logique de la crise engendrée par la création de la DEL, et on s'y attendait. Mais cette fois, cette descente a pris tout le monde par surprise, et les joueurs allemands se pincent en se disant qu'ils affronteront Israël à Amiens l'an prochain ! Elle devrait donc être un accident sportif passager. L'IIHF a même donné un encouragement supplémentaire en confiant à l'Allemagne l'organisation du Mondial 2010, alors que le ministre de l'intérieur Otto Schilly en personne, le n°2 du gouvernement, s'était déplacé à Vienne pour défendre la candidature de son pays. Tout les voyants sont donc quand même au vert... quoique. Et si, au lieu que ce soit la crise qui précédait la relégation, c'était le contraire qui se passait ? Car les réactions n'incitent pas à l'optimisme. Commentaire de Jürgen Arnold, influent président d'Ingolstadt : "l'équipe nationale est dans le groupe B, la DEL est au top niveau - et cela n'y changera rien". Malgré la requête d'investir dans le hockey mineur, ou encore de mettre en place une préparation estivale, comme elle existe dans les grands pays de hockey, au lieu d'engager des pros canadiens pour des contrats de huit ou neuf mois, la DEL fait la sourde oreille. Pire, elle a décidé unilatéralement de redevenir une ligue fermée, alors que 90% des fans allemands de hockey venaient de se prononcer pour la conservation des montées et les descentes dans un sondage. Cela annonce une nouvelle crise ouverte avec les clubs des divisions inférieures et la fédération. Au risque d'un dangereux retour en arrière après les progrès réalisés ces dernières années ?

 

Seizième : Autriche. Difficile d'imaginer pire scénario pour l'Autriche, contre qui tous les éléments se sont déchaînés. C'est comme si la glace s'était brisée sous ses pieds (euh, est-ce la bonne comparaison ?). Les blessures de Divis et Dalpiaz ont laissé le jeune gardien Bernd Brückler, auteur d'un bon parcours en université américaine, comme dernier rempart. Il n'avait pas la carrure pour cela, et il s'est complètement troué dans le match contre le Danemark, qui a précipité l'Autriche vers la relégation. Et de manière générale, il a suffi que quelques maillons importants soient absents (Koch, Vanek, voire Brandner) pour que l'équipe autrichienne fasse très pâle figure, incapable de se hisser à son niveau normal. Elle n'a pas eu les épaules pour résister à ces contrariétés, et au contraire, elle a fini par exploser. Les supporters ont sifflé l'équipe, et le capitaine Dieter Kalt a répondu en critiquant leur attitude. L'entraîneur Herbert Pöck a déclaré que les masques étaient tombés et que certains s'étaient révélés comme les individualistes qu'ils étaient. Oliver Setzinger, qui s'est senti visé, a répondu qu'un coach ne devait pas faire de déclarations publiques aussi peu fondées. Et après le tournoi, les échanges ont en quelque sorte continué en coulisses... Quand René Fasel a dénoncé dans le journal suisse Le Matin l'amateurisme des organisateurs autrichiens, le président de la fédération Dieter Kalt (senior) a rétorqué à peu près la même chose, à savoir que c'était des propos indignes de la fonction de leur auteur.

L'Autriche est maudite, puisqu'elle est reléguée pour la seconde fois lors d'un Mondial organisé chez elle. Après une telle déconfiture, on peut se demander comment elle s'en remettra. Elle paraît toutefois mieux lotie que lors de son dernier échec viennois, en 1996. À l'époque, un seul joueur - Kalt - incarnait tous les espoirs de renaissance d'un hockey moribond dont la poignée de clubs restants était au bord de l'asphyxie. Aujourd'hui, les jeunes de talent sont beaucoup plus nombreux, le championnat est de plus en plus populaire, et ce Mondial laissera des bénéfices à tous les niveaux, même s'ils seront moindres que ce que l'on pouvait espérer. Même si les dirigeants ont déclaré que son sort ne serait décidé qu'à la fin de l'été, le sélectionneur Herbert Pöck, maintenu en poste il y a deux ans malgré la fronde des joueurs, risque cette fois de devoir quitter un groupe avec lequel il n'arrive plus à communiquer. Après les échecs à domicile aux qualifications olympiques puis aux championnats du monde, son successeur partira d'en bas - un peu comme Zach en son temps avec l'Allemagne - et aura tout le loisir de gravir les échelons.

Marc Branchu

 

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