Chamonix, le doyen a tout à réapprendre

 

Après avoir annoncé à de multiples reprises qu'ils souhaitaient acquérir la montée en Ligue Magnus sur la glace, les Chamoniards ont été raillés lorsqu'ils ont finalement accepté un repêchage en Ligue Magnus à la faveur des malheurs de Mulhouse. C'est de bonne guerre, mais il faut bien avouer que le CHC n'avait plus trop le choix. S'il était resté en division 1 alors que ses voisins venaient successivement de monter, il se serait retrouvé presque seul, et même s'il aurait conservé un derby haut-savoyard grâce à la montée d'Annecy en D1, il aurait donné le sentiment de rester à la traîne et perdu de son attractivité.

La montée sans chef

Les jeunes en particulier étaient très demandeurs de l'aventure en élite. Très tôt dans l'intersaison, certains avaient signé des contrats sous réserve de montée en Ligue Magnus. Ils souhaitaient s'y faire connaître, et auraient été prêts à partir ailleurs en cas de besoin. Finalement, et à l'exclusion de Damien Raux dont l'état d'esprit n'avait de toute manière pas été apprécié au sein de l'équipe, et de Mathieu Séguy, parti pour Lyon, la plupart d'entre eux sont restés. Même Erwan Pain, qui était parti dans un premier temps, était bien content de revenir lorsqu'il s'est aperçu que les promesses de Mulhouse ne reposaient que sur du vent. Mieux encore, il amenait avec lui le défenseur Benjamin Dieude-Fauvel, qui avait aussi été initialement attiré par les Scorpions. Tous ont compris que Chamonix leur donnerait plus de temps de jeu qu'ils ne pourraient en espérer ailleurs, et le club était volontiers prêt à afficher une politique volontariste dans le domaine. Pierre Pousse déclarait ainsi au Dauphiné Libéré : "Contrairement à ceux qui en parlent [traduction : Mont-Blanc], nous, on veut faire jouer nos juniors en Ligue Magnus, leur donner cette possibilité de se révéler au plus haut niveau."

Mais celui qui s'exprimait ainsi ne parlait déjà plus en son nom. Sitôt la montée en élite connue, on apprenait en effet que Pousse quittait son poste d'entraîneur, afin de se consacrer pleinement à son travail de supervision de l'équipe de France où il est l'adjoint de Dave Henderson. Chamonix se retrouvait ainsi à partager le sort de son rival du Mont-Blanc : le départ inattendu de son entraîneur, dans les deux cas un jeune technicien qui a connu les grandes années de l'équipe de France comme joueur. La comparaison s'arrête là. Stéphane Barin avait fait l'unanimité au Mont-Blanc, alors que Pierre Pousse avait été beaucoup plus critiqué, à cause de résultats moins probants et de relations difficiles en interne avec certains joueurs. De plus, l'effectif qui était ainsi laissé provisoirement sans commandant n'avait rien à voir : d'un côté, une escouade mûre et riche en vétérans ; de l'autre, un effectif extrêmement jeune et tendre, après le départ de Pouget (qui apportera son expérience au Mont-Blanc qui en a moins besoin) et les retraites de Balmat et Beaule.

Avec une équipe qui partait dans l'inconnu en Ligue Magnus - comme d'ailleurs le club tout entier - Chamonix avait besoin plus que tout d'un entraîneur aguerri capable de donner une véritable cure de professionalisme, quitte à brusquer un peu les habitudes pour franchir un palier. C'est pourquoi le choix de Marius Konstantinidis pouvait surprendre. Le Slovaque d'origine grecque, inoubliable champion de France avec Grenoble comme joueur, avait été un compagnon de jeu apprécié. Comme il l'a prouvé lorsqu'il avait été promu entraîneur-joueur à Mulhouse, quand Pascal Ryser avait été évincé par des joueurs, il était capable d'amener de l'apaisement dans un vestiaire récalcitrant. Mais il n'était pas du genre à imposer son autorité en force, et c'est ainsi que le "trop gentil" Marius avait été mis à la porte par Claude Bauer lors de l'accession des Scorpions en élite, alors qu'il était convaincu qu'il deviendrait entraîneur à plein temps. Après un an de chômage et un retour à Gap comme joueur, c'est à Puigcerdà que Konstantinidis a acquis son bagage d'entraîneur. Mais cette expérience dans le championnat espagnol à la discipline "relâchée" ne le prédisposait pas forcément à venir encadrer une équipe en mal de repères quant aux exigences du haut niveau.

Sous pression dès la pré-saison

Ce fossé qu'il fallait combler s'illustrait dès les premiers matches "estivaux", traditionnellement organisés dans le pays du Mont-Blanc, entre autres à destination des touristes, avant la phase de préparation proprement dite. Le problème, c'est que cette notion de "début des choses sérieuses" différait selon les clubs. Les Chamoniards, sans leurs renforts étrangers qui n'arrivaient que le 15 août afin qu'ils signent des contrats de huit mois (une pratique très courante dans le hockey français), avaient du retard sur les autres. Résultat, quelques roustes contre Mont-Blanc (2-16 et 2-7) ou Morzine (3-9), en devant se faire parfois prêter des joueurs d'en face. Ce genre de match n'apporte rien à personne, ni au vainqueur qui avait escompté affronter une adversité réelle, ni à Chamonix qui replongeait dans le doute après l'euphorie de l'annonce de la montée en Magnus et du retour de l'enfant du pays Richard Aimonetto, remis d'une opération du genou et d'un passage décevant à Amiens.

Le contexte était déjà difficile au moment où débarquaient les renforts étrangers, dont les noms ne faisaient qu'amplifier les craintes. En plus de l'attaquant suédois Tobias Granath, rescapé de la saison passée, trois Slovaques arrivaient. L'un, Pavol Fedor, était une connaissance de Peter Hrehorcak, ancien défenseur de Chamonix aujourd'hui au Mont-Blanc, qui lui avait recommandé la région, faute de pouvoir imposer son ami (qui a lentement descendu la hiérarchie du hockey de l'Europe de l'est en écumant les championnats de Slovaquie, Pologne, Hongrie puis Roumanie) dans son nouveau club. Les deux autres arrivaient de Puigcerdà dans les valises de Marius Konstantinidis. Si l'un, le jeune Ondrej Prokop, y avait déjà montré un répertoire offensif décent qui ne demande qu'à s'exprimer, l'autre, le défenseur Jan Sufliarsky, n'était même pas considéré comme un bon étranger dans le championnat espagnol. Le choix de Konstantinidis de lier son destin professionnel à celui d'un joueur de faible niveau avec qui il s'était lié d'amitié allait se retourner contre lui...

Car, dès les premiers entraînements, l'évidence ne pouvait que sauter aux yeux des observateurs chamoniards, qui n'ont jamais eu leur langue de leur poche : certains n'avaient pas le niveau, et les critiques se focalisaient sur deux arrières, Terry Prunier et Jan Sufliarsky. Le premier, qui n'avait pas pu gérer la transition par rapport à Toulouse et à la D2, préférait arrêter les frais. Le second, qui ne pouvait absolument pas soutenir la comparaison avec son prédécesseur Morgan Hansson, attendit que les dirigeants lui confirment l'inévitable en le congédiant... en compagnie de l'homme qui l'avait amené, Marius Konstantinidis.

À une semaine du début du championnat, Chamonix se retrouvait donc sans entraîneur. L'ultime épisode d'une intersaison chaotique qui a donné à beaucoup le sentiment que le CHC se mettait en place de manière bien trop légère... Un sentiment qui a trouvé écho au sein même de l'effectif. Julien Lebey et Damien Ackerer, les deux Morzinois que le HCMA avait volontairement laissé partir dans un club disposant d'une équipe espoir élite pour qu'ils puissent jouer suffisamment, constataient ainsi la différence avec la structure qu'ils connaissaient. Ayant le sentiment que les dirigeants chamoniards lui faisaient perdre son temps, Ackerer avait ainsi décidé, avant même le changement d'entraîneur, de claquer la porte brutalement et de revenir sur sa décision initiale de faire un break dans ses études au profit du hockey. Dommage que le jeune gardien désabusé en vienne à risquer de tout plaquer sur un coup de tête, car il avait réalisé de bonnes prestations en amical, ce qui avait plu à la fois à Konstantinidis et aux sélectionneurs nationaux qui l'avaient intégré au groupe des moins de vingt ans.

Relativiser les problèmes

Comme si ces problèmes de gestion humaine ne rendaient pas les choses assez compliquées comme ça, la malchance s'en est mêlée, avec des blessures en cascade. Chez les clubs voisins, on a volontiers pointé du doigt la préparation chamoniarde défaillante. Un jugement pour le coup un peu sévère. Car ceux qui ont rejoint l'infirmerie, ce sont les juniors, qui étaient déjà sur la glace en juillet, et pas les étrangers arrivés tardivement. Et si leur préparation physique n'est sans doute pas exemplaire, elle n'a pas forcément grand chose à envier à celle de la plupart de leurs collègues français du même âge. Quand le patin d'Erwan Pain se coince dans la glace en match amical contre Dijon, il est difficile d'accabler autre chose que la poisse. Or, vu qu'il sera absent jusqu'en janvier, il s'agit du seul blessé "grave".

Un terme qu'il est plus que jamais nécessaire de relativiser. En apprenant le décès soudain par infarctus de Marius Konstantinidis fin septembre à Bratislava, tous ceux qui l'ont connu ont été profondément attristés, et cette leçon sur la fragilité de la vie a rappelé que les difficultés de Chamonix à revenir au haut niveau n'ont rien de "dramatique". Le hockey n'est qu'un jeu, alors jouons. Autant prendre du plaisir à cette découverte de la Ligue Magnus, même si l'on sait que l'effectif est un peu tendre.

Il se présente avec une ligne offensive étrangère (Granath-Fedor-Prokop) et une autre composée d'anciens (Margerit-Charlet-Aimonetto)... qui se trouvent aussi être les entraîneurs. On a en effet privilégié la solution interne pour remplacer Konstantinidis, d'autant qu'il y avait d'autres urgences dans le recrutement. Comme il n'y avait que trois vétérans dans l'équipe, le choix était vite fait. Le trio pouvait prendre les commandes, il ne restait à savoir qui serait le responsable. Il était logique que ce fût Bruno Margerit, qui avait encadré les juniors vers leur titre de champion de France l'an dernier. Yannick Charlet hérite quant à lui du capitanat, et Richard Aimonetto est surtout attendu sur la glace pour son précieux vécu en Ligue Magnus.

Une défense très tendre

L'autre joueur qui possède une bonne expérience du championnat est le gardien Radek Lukes, habitué à être très sollicité dans des équipes de bas de tableau. Il en sera de même à Chamonix puisque sa défense était composée, au jour de l'ouverture du championnat, de huit juniors ! À ceux de l'an dernier (qui étaient alors encadrés par Hansson, Balmat et Dratzen) s'ajoutaient Dieude-Fauvel, qui venait tout juste d'être sélectionné dans une équipe de France A rajeunie, et Brice Peythieu, qui n'avait pas réussi à intégrer l'effectif senior de Gap, pourtant un concurrent direct présumé de niveau similaire. Inexpérimentée, la défense subissait en plus des blessures, au point que l'on rappelait Stéphane Balmat de sa retraite pour jouer les pompiers de service.

Ce n'était qu'une solution provisoire en attendant de trouver des renforts à même de stabiliser cette défense. Pourtant, alors que le besoin d'un gros arrière se faisait sentir, c'est un petit avant qui devenait la première recrue "post-début de saison" : Clément Masson était le seul joueur de la jeune équipe de France envoyée au Danemark à ne pas évoluer dans un club de Ligue Magnus. Une anomalie qui n'allait pas durer, car le talentueux centre de Viry-Chatillon décidait finalement de rejoindre Chamonix, où Pierre Pousse l'avait contacté dès le mois de mai pour remplacer Raux, dès son retour en France.

Les pistes nordiques mettent par contre du temps à se concrétiser. Le CHC revient dans l'élite sans plus aucun réseau ou repère international. Le premier renfort défensif, Anders Torgersson, fût-il formé à Frölunda, n'est pas un foudre de guerre - deux petits points la saison dernière à Fassa - ni un homme d'expérience - 21 ans - mais plutôt un joueur de complément sobre toujours utile dans ce contexte.

Il n'y a pas lieu de s'attendre à un sauveur providentiel de toute manière. Chamonix sait déjà que la saison sera longue et difficile, et qu'il lui faudra tenir la distance physiquement et moralement, notamment pour les nombreux juniors qui cumulent la Ligue Magnus et le championnat espoir élite. À cette condition, le maintien est possible. Et quoi qu'il arrive, il y a quelque chose qu'on n'enlèvera pas au club, ce sont ses trente titres de champion de France... À moins que ? À suivre...

Marc Branchu

 

PS : le nom du dernier arrière de Chamonix a été officialisé. Il s'agit de Rastislav Böhme, qui restait sur quatre saisons d'Extraliga à Martin lorsque la relégation de ce club l'a poussé à une première tentative à l'étranger l'an passé à Édimbourg. À trente-et-un ans, soit dix plus que tous ses collègues, il amènera surtout son expérience à la défense chamoniarde.

 

Départs : Pousse (entraîneur), Burnet (Grenoble), Balmat (arrêt), Beaule (arrêt), Pouget (Mont-Blanc), Séguy (Lyon), Raux (Caen), Douliot (arrêt), Abboudi (Chambéry).

Arrivées : Lukes (Clermont-Ferrand), Aimonetto (Amiens), Fedor (Miercurea Ciuc, ROU), G. Ribourg (Rouen jr), Dieude-Fauvel (Amiens), Prokop (Puigcerdà, ESP), J. Lebey (Morzine), Masson (Viry), Torgersson (Fassa, ITA).

Effectif

Gardiens : Radek Lukes (TCH, 26 ans), Julien Leclerc (19 ans).

Défenseurs : Anders Torgersson (SUE, 21 ans), Benjamin Dieude-Fauvel (19 ans), Maxime Claret-Tournier (19 ans), Fabien Veydarier (19 ans), Damien Torfou (20 ans), Vivien Renson (19 ans), Brice Peythieu (18 ans), Yoann Petiot (21 ans).

Attaquants : Richard Aimonetto (32 ans), Ondrej Prokop (SVK, 24 ans), Pavol Fedor (SVK, 34 ans), Tobias Granath (SUE, 25 ans), Gautier Lafrancesca (21 ans), Bruno Margerit (36 ans), Clément Masson (19 ans), Erwan Pain (19 ans), Yannick Charlet (34 ans), Alexandre Audibert (19 ans), Guillaume Ribourg (21 ans), Jonathan Pastore (21 ans), Julien Lebey (18 ans).

Entraîneur : Bruno Margerit.

 

 

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