L'affaire des faux passeports allemands

 

À la fin des années 70, la Bundesliga allemande est limitée à deux étrangers par club. Pour renforcer dans son équipe le style canadien qu'il aime tant, Heinz Weisenbach, l'entraîneur de Mannheim, décide alors de prospecter au Canada, où il achète les quotidiens de chaque région et analyse de près les effectifs des différents clubs de hockey. Ce qu'il recherche ? Des noms à consonance germanique, des Wolf, des Fritz, des Schmidt. Il veut retrouver ainsi les fils des émigrants allemands des années 50, qui auraient le double avantage de posséder la nationalité allemande et d'avoir appris le hockey au pays-roi, le Canada. La pêche est fructueuse, les salaires allemands attrayants, et il revient avec onze Germano-Canadiens. Les Harold Kreis, Manfred Wolf, George Fritz ou Harry Pflügl deviendront des stars de la Bundesliga. Grâce à l'apport de ces joueurs rentables à la double nationalité, Mannheim sera champion en 1980.

D'autres suivent le mouvement, mais le filon s'épuise vite. Et quand on ne trouve plus de vrais Germano-Canadiens, on en invente. Le 5 mai 1980, le consulat général allemand à Edmonton déclenche le signal d'alarme : des joueurs canadiens seraient envoyés en Allemagne avec de faux passeports. La DEB, la fédération allemande, met les clubs en garde contre de telles pratiques lords de son assemblée générale un mois plus tard. Elle mène l'enquête et soupçonne au total 75 Canadiens fraîchement arrivés d'avoir bénéficié de papiers falsifiés. Elle lance alors un ultimatum à tous les clubs concernés : au 1er novembre, il faudra avoir prouvé la nationalité de chacun. Certains y parviennent, mais d'autres non - et pour cause.

À l'époque, un certain Ralph Krueger, futur célèbre entraîneur de Feldkirch et de la sélection suisse, se trouva éclaboussé par l'affaire. À sa naissance, dit-on, ses parents avaient déjà perdu leur nationalité allemande... Il est cependant déclaré en règle et peut continuer à jouer pour Düsseldorf... dont le grand rival Cologne est par contre dans la ligne de mire.

Juste avant le premier match, Cologne reçoit un télégramme de la fédération allemande, expliquant que Chuck Arnason, Kevin Nagel et Mike Ford ne sont pas autorisés à jouer. Sur quatre "doubles passeports", seul celui de Ray Hanske serait donc en règle ! Arnason et Nagel sont blessés le premier week-end, mais le KEC les fait jouer ensuite avant de les refiler en Suisse début novembre. De même, le nouveau buteur Bill Lochead sera envoyé à Kaufbeuren plutôt que de se morfondre comme étranger surnuméraire. En effet, le défenseur canadien Mike Ford compte désormais comme étranger... alors qu'il a passé toute la saison précédente comme Allemand au sein de l'équipe de Duisburg. Le témoignage des parents Ford - débarqués du Canada fin octobre - n'aura pas suffi à convaincre.

C'est Duisburg qui s'est le plus adonné à la frénésie des faux papiers, sous l'impulsion de son manager Fritz Hesselmann (en photo) qui dispose de nombreux contacts nord-américains. Sept soi-disant Allemands ont été recensés : Andy Stoesz, Gerald Hangsleben, Ralph et Ken Krentz, Brad Cox, Charlie Burggraf et Kevin Knibbs. Quand il faut s'en séparer en cours de saison, Duisburg n'a même plus de quoi présenter une équipe complète, et il faut alors que les clubs concurrents louent des joueurs en échange d'une partie des recettes pour que le club puisse terminer sa saison normalement. Hesselmann pratique en effet un chantage lors des déplacements : payez 5000 marks en cash ou mon club n'entre pas sur la glace ! Munich refuse de payer et l'équipe de Duisburg plie bagages à une demi-heure du coup d'envoi, laissant 2500 spectateurs insatisfaits.

La concentration maximale de faux passeports semble donc se situer dans la Ruhr, dont les deux principaux clubs, Duisburg et Essen (qui évolue au niveau inférieur, lui aussi largement touché), sont les "mieux" approvisionnés. La justice parviendra à remonter des filières et à trouver la principale source du trafic : la plupart des faux passeports - six de Duisburg et deux d'Essen - s'obtenaient pour la somme relativement modique de 8000 marks pièce dans un bar d'Essen, le Schlüsselloch ("trou de serrure"). Les coupables du scandale seront condamnés à des amendes (d'un montant de 15 000 marks pour Hesselmann)

Évidemment, la régularité de la compétition fut remise en cause. On annule d'abord les rencontres de Duisburg, ce qui modifie le tableau des play-offs 1980/81. Puis, alors que les quarts de finale viennent de se dérouler, le 26 février 1981, on annule tout et on recommence ! Tous les matches joués par Arnason et Nagel sont également perdus sur tapis vert. Cologne, qui venait de se qualifier en demi-finale, est envoyé en poule de maintien. Son directeur Wolfgang Sorge, membre de la commission juridique de la DEB, s'est retiré du vote pendant la décision parce que c'est lui qui avait transmis les passeports à la fédération. Le KEC, qui avait déjà vendu les billets de sa demi-finale contre Düsseldorf, ruminera longtemps cette affaire car la DEB avait d'abord déclaré que les joueurs devaient avoir prouvé leurs papiers au 1er novembre avant de revenir par la suite sur les résultats des rencontres jouées en septembre et en octobre.

Le 4 mars, on procède donc à de nouveaux quarts de finale d'après le classement rectifié... Cette année-là, le SC Riessersee, le club de Garmisch-Partenkirchen, fut couronné champion. La morale est ainsi sauve puisqu'il semble, selon tous les responsables de l'époque, que ce club était le seul qui n'avait vraiment rien à se reprocher.

Marc Branchu

 

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