L'affaire Iserlohn / Kadhafi

 

L'ECD Iserlohn, un des piliers de la Bundesliga, peut encore croire à un avenir radieux à l'orée de la saison 1987/88 : en effet, le 7 juillet 1987, le conseil municipal décide de construire une nouvelle patinoire de 6357 places. Mais ce sera la dernière bonne nouvelle de l'année.

À peine l'équipe a-t-elle repris l'entraînement que la fédération allemande annonce qu'elle refuse l'inscription d'Iserlohn en championnat car il manque certains documents financiers. Trois jours plus tard, le fisc effectue des saisies chez les joueurs. Choqué par ces méthodes, le tout nouveau renfort du club, la star Dany Gare, ancien joueur des Edmonton Oilers, décide de refaire aussi sec ses bagages pour rentrer chez lui.

Les problèmes ne datent pas d'hier. Le 12 mars 1986, pas moins de 72 fonctionnaires avaient déjà débarqué au siège du club et dans les appartements des hockeyeurs pour chercher des preuves de dissimulations fiscales remontent parfois jusqu'à 1978. Le président Heinz Weifenbach et sa compagne, la gérante Margarete Adams, avaient même passé une nuit en prison, avant de recevoir le soutien moral des sponsors et du maire Fritz Fischer. Depuis un an et demi, le club est en pourparlers depuis des mois avec le fisc. Les négociations se poursuivent toujours sans grand succès. La proposition de faire payer les 800 000 marks d'arriérés de l'équipe professionnelle par la section amateur dirigée par Karl-Heinz Röttger est refusée, et il faudra aux dirigeants du hockey mineur se porter personnellement responsables du paiement de la dette.

La participation d'Iserlohn à la Bundesliga est finalement acceptée à la troisième tentative, mais uniquement parce que les autres clubs, qui ne voulaient pas perdre deux recettes à domicile, l'avaient demandé, s'engageant par écrit à ne pas poursuivre la fédération en cas de retrait prématuré de l'ECD.

Pour ajouter encore à la confusion, Iserlohn se sépare de son entraîneur Jan Eysselt dix jours seulement avant le début du championnat. Le Tchécoslovaque ne bénéficiait plus d'aucun soutien dans l'entourage du club, et le président Heinz Weifenbach, un gros moustachu au caractère, disons, particulier, n'hésite pas à s'en débarrasser. Une solution d'urgence est trouvée à la hâte : Otto Schneitberger accepte de devenir le coach d'Iserlohn, tandis que les entraînements seront dirigés par la star du club, l'ancien international tchécoslovaque Jaroslav Pouzar.

Sportivement, la situation est toutefois plus réjouissante : après une entame complètement ratée à Schwenningen (défaite 6-2), Iserlohn s'impose 7-4 face aux Preussen de Berlin grâce à un quadruplé de Lechl, puis face à Kaufbeuren (5-4). Après quatre défaites consécutives, l'ECD enchaînera ensuite une victoire 5-2 sur la glace de l'Eintracht Francfort et un magnifique succès sur un des prétendants au titre, Rosenheim (7-1). L'apogée de la saison a lieu deux semaines plus tard, le 25 octobre, lorsque Iserlohn étrille le leader Landshut 9-2 pour le compte de la treizième journée.

Ce nombre treize ne portera pas bonheur à Iserlohn : le lendemain, l'administration fiscale demande la mise en faillite de l'ECD. Les sponsors qui avaient été démarchés par la section amateur dans l'intervalle prennent peur et décident de se retirer. Dès lors, les jours du club semblent comptés. L'équipe continue pourtant d'obtenir de belles performances, en particulier lors d'un match mémorable contre Düsseldorf : elle est menée 2-5 après deux tiers-temps, et les supporters du DEG commencent à récolter de l'argent à la pause pour aider le club local dans les malheurs. Sur la glace, les joueurs n'ont pas besoin d'aide puisqu'ils inscrivent six buts dans le dernier tiers-temps et s'imposent 8-5 !

L'administrateur judiciaire Rainer Salmen, qui prend ses fonctions le 27 novembre, découvre une situation désastreuse : en fin de compte, toutes sections confondues, le club d'Iserlohn doit pas moins de 5,8 millions de marks à son percepteur. De plus, Salmen se plaint du manque de collaboration de la direction du club. Mais où est donc passé le président Heinz Weifenbach, propriétaire par ailleurs d'une trentaine d'entreprises, et qui ne reculait devant aucun stratagème pour flouer l'administration fiscale à coup de tour de passe-passe et de sociétés servant de paravents bidon ? Il serait "en voyage à l'étranger", paraît-il... Des rumeurs font état d'un mystérieux sponsor japonais, mais rien ne vient.

Le 1er décembre, la brigade financière effectue de nouvelles perquisitions et saisit divers documents. Salmen annule alors le prochain match contre Rosenheim. Coup d'arrêt qui plonge dans la tristesse les joueurs du club, qui venaient juste d'arracher un magnifique nul à Cologne.

C'est alors que, comme surgi de nulle part, débarque de nouveau Weifenbach. Dans une conférence de presse, il explique le déroulement des évènements : il s'est rendu à Tripoli en compagnie de Heinz Meyer, ex-président de l'ECD et ancien maire démocrate-chrétien de Hemer, une ville voisine d'Iserlohn. Les deux hommes y ont obtenu le versement de 1 500 000 marks en échange d'un sponsoring très spécial : celui du livre vert du dictateur libyen Muhammar el-Kadhafi, dans lequel le leader révolutionnaire expose ses théories politiques. Dans un tel contexte (Kadhafi est fortement soupçonné à l'époque d'être le grand argentier de plusieurs attentats terroristes sur les lignes aériennes et dans les aéroports européens), les feux de l'actualité ne manquent pas de se braquer sur Iserlohn. Du comité olympique aux milieux politiques, le ministre de l'intérieur Zimmermann en première ligne, tous dénoncent cet improbable accord. Quant à l'administrateur judiciaire Salmen, il préfère démissionner plutôt que rester une minute de plus dans cette galère.

Les spectateurs du match Iserlohn-Rosenheim, finalement reprogrammé, assistent à un évènement exceptionnel. Non pas tant sur la glace, où les partenaires de Jaroslav Pouzar (qui aura tenu jusqu'au bout son rôle à merveille) arrachent un nul 3-3 ; mais plutôt sur les tenues de l'équipe locale, qui arborent fièrement, comme prévu, le "fameux" livre vert, pour la première et unique fois.

En effet, sous la pression publique, Iserlohn disputera sans la scandaleuse publicité le dimanche suivant à Francfort (défaite 7-3) ce qui sera le dernier match de son histoire. Le but pour l'honneur de Bruce Hardy à la dernière minute fait office de point final.

Weifenbach demande alors le renvoi de Winfried Andres, le successeur de Salmen, et porte plainte contre la fédération, qui a fait capoter l'accord et par conséquent précipité la chute du club. L'impétueux président emmènera même une trentaine de journalistes allemands à Tripoli. L'un d'eux, Hanno Kroos, révèlera que, en dédicaçant son livre vert à Weifenbach, Kadhafi lui demandera : "Quel est le nom de votre club de tennis, déjà ?"... Ces derniers barouds d'honneur seront sans effet. Faute de voir la couleur des millions promis, le Dr. Andres décide la liquidation du club.

C'est en raison d'une affaire d'argent et d'une politique controversée que Iserlohn quittait l'élite, c'est par une affaire d'argent et par une politique controversée que le club du Sauerland la réintégrerait treize ans plus tard, en rachetant la place de Rosenheim en DEL en juillet 2000...

Marc Branchu

 

 

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