Interview d'Oliver Janz

 

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Oliver Janz est agent de joueurs pour le compte de Schwartz Hockey Management. Il officie sur l'Allemagne, mais aussi sur la Suisse, l'Autriche, l'Italie, la France et la Pologne.

 

- Comment êtes-vous devenu agent de joueurs ?

Je suis rentré peu à peu dans le circuit du hockey. Je travaillais comme journaliste et scout, et je suis rentré en contact avec des joueurs, des entraîneurs ainsi que des managers. Comme j'avais commencé à aider certains joueurs, que j'avais supervisé ou sur lesquels j'avais écrit des articles, je me suis retrouvé en contact avec de plus en plus d'équipes et aussi d'agents. L'opportunité de rejoindre ce secteur s'est présentée, et je l'ai saisie. Cela correspond bien à mon style ; communiquer, sentir le talent, évaluer le niveau d'un joueur, négocier, aider les gars tout autant que le hockey dans son ensemble.

- Pouvez-vous décrire votre journée de travail habituelle ? Quelles sont vos tâches principales en tant qu'agent ?

J'essaie de rendre chaque jour plus long qu'il n'est vraiment. Malheureusement, chaque jour ne dure que 24 heures. En raison de la multiplication des outils de communication et du fait que des évènements comme les blessures, les mises à l'écart, etc, arrivent toute la journée - aussi bien le matin que tard le soir - il n'y aura jamais de jours "normaux". Quand on a une journée plus plate, on fait tout le travail que l'on veut faire, on est prêt à prendre un peu de repos : le téléphone sonne, un joueur s'est blessé, on doit cherchez un remplaçant. Le match suivant a lieu le surlendemain, donc c'est urgent. On peut dire adieu à son sommeil.

Une journée de travail inclut des contacts réguliers avec des équipes, par exemple parler aux entraîneurs, se mettre à jour de la situation via la presse et des sources internet, parler à de nouveaux clients. Également des négociations, des négociations et des négociations. Il peut s'agir de management de carrière tout autant que de discussions avec les sponsors potentiels qui témoignent de l'intérêt pour le hockey, car nous couvrons aussi ce domaine. Organiser des camps d'entraînements, comme le Goalie Camp de Chicago l'an dernier, des tournois ou des matches amicaux, comme celui de Dijon à Haßfurt, est aussi de notre responsabilité. Les week-ends sont également souvent occupés car l'on assiste à des matches de hockey - et c'est parfois assez dur pour votre famille.

Tout compte fait, une journée de travail est une journée où l'on travaille tout le temps et où l'on essaie de faire les petites choses à côté comme les courses sur le peu de temps libre qu'il reste. Parfois on fatigue ou on stresse, mais quand on voit le résultat, ça vaut la peine. Quand on aime son métier - et c'est mon cas - c'est même encore plus plaisant.

- Les hockeyeurs essaient parfois de rendre leur CV meilleur que ce qu'il n'est en réalité. Comment agissez-vous dans ce cas ?

Su un client m'envoie mon CV, je le vérifierai sérieusement. Aussi bien pour trouver des fausses informations que des erreurs de frappe. Des sources comme eurohockey.net ou hockeydb et des contacts avec beaucoup de statisticiens sont très utiles pour avoir toute l'information nécessaire.

De plus, cela ne fait pas bon genre si un joueur essaie de me donner des informations erronées sur ses années passées. Quel type de caractère a-t-il ? Comment être sûr qu'il soit franc avec moi sur d'autres choses ?

- De combien de joueurs un agent peut-il raisonnablement s'occuper ?

Difficile à dire vu que nous travaillons au sein d'un groupe, où les agents ont la charge d'un secteur précis. Cela permet d'effectuer un bon travail pour les clients. Si vous êtes un agent isolé et que vous devez être en contact régulier avec toutes les équipes européennes, vous ne pouvez pas avoir trop de joueurs car la journée ne dure que 24 heures.

- Quels sont vos arguments pour convaincre un club de recruter un joueur qui n'a jamais joué en pro auparavant, comme Scott Gordon (Dunkerque) et Oliver McGee (Montpellier) ? Les clubs sont rarement prêts à prendre un tel risque.

Je dirais plutôt que toutes les équipes sont à la recherche du joueur inconnu et pas trop cher qui veut poser le pied en Europe. Scott et Oliver sont ce type de joueurs et ce sont ces joueurs que l'on peut appeler des perles rares. Prenez Oliver McGee par exemple, il est inconnu, mais c'est un défenseur avec un très bon gabarit qui est un spécialiste du jeu de puissance. À Montpellier, Pascal Ryser et Marc Fornaguera ont fait leurs "devoirs" et ont fait des recherches à son sujet en parlant à des références. Ils avaient le sentiment que c'était le joueur qu'il leur fallait. Et c'est aussi un facteur important en plaçant un joueur dans un club : on connaît leurs besoins et on sait ce qu'ils aiment et ce qu'ils préfèrent - ainsi je sais souvent ce qu'ils penseront d'un joueur avant même qu'ils l'aient regardé.

- Dans le cas de Scott Gordon, il a été annoncé qu'il rejoindrait l'agence SHM seulement quelques jours avant sa signature à Dunkerque. Il était probablement déjà en contact avec eux. Comment s'est déroulé ce transfert ?

Il a été invité à un essai dans une équipe d'ECHL dont je connais bien le coach. Il m'a parlé de Scott et m'a dit que ce serait dur pour lui de rentrer dans l'effectif parce que la NHL s'apprêtait à déclarer un lockout. Par conséquent, le coach était en passe de récupérer des joueurs d'AHL renvoyés vers son équipe. Comme Scott avait mentionné au coach qu'il adorerait jouer en Europe, nous sommes entrés en contact et nous nous sommes occupés de lui. J'ai contacté Dunkerque, ils étaient intéressés, et après quelques conversations cela s'est bien passé pour les deux parties. Nous avons simplement fait savoir sur notre site que nous travaillions pour Scott postérieurement au moment où nous avons originellement commencé à le faire. Aussi, il y a des clients qui ne sont pas listés sur www.schwarthockey.dk

- Vous couvrez personnellement les pays suivants : Suisse, Allemagne, Autriche, Italie, France et Pologne. Mettons à part la LNA et la DEL (mais pas les divisions inférieures). Dans quel pays pensez-vous que les clubs ont le comportement le plus professionnel ? Pourriez-vous classer ces championnats en fonction du niveau de salaire qu'un joueur peut espérer ? Lequel s'est le plus amélioré ces dernières années (dans ces deux niveaux) ?

La LNB suisse, la Bundesliga autrichienne et la deuxième Bundesliga allemande sont assez bien organisées. L'Italie et la France ne sont pas loin derrière. Suivent l'Oberliga allemande et puis la Pologne. En ce qui concerne les salaires, je ne trahirais pas un secret en révélant que c'est en Suisse que les joueurs peuvent espérer gagner le plus d'argent. Et après la LNB, cela dépend de l'équipe. Il y a des clubs qui paient bien dans chaque pays - et ils paient souvent bien plus que leurs adversaires du même championnat.

Qui s'est amélioré ? Les Italiens un petit peu, mais surtout le championnat français et la deuxième Bundesliga allemande, ils deviennent plus organisés et sont par conséquent capables de dépenser un peu plus en salaires de joueurs. Mais à cause des règles de l'Union Européenne, le temps des gros salaires pour juste une ou deux superstars nord-américaines est révolu. Si une équipe a plein d'étrangers, elle ne peut pas dépenser beaucoup d'argent sur un seul, car les coûts d'un joueur étranger sont assez élevés si l'on regarde les coûts du voyage, la licence de transfert international, etc.

- Dans quels pays les recruteurs sont-ils les plus naïfs, et dans quel pays les négociations sont-elles les plus dures ?

Plus le niveau est élevé, meilleur est le recrutement. Certains managers suisses ou allemands contactent plus de dix personnes pour en savoir plus sur un joueur (son style de jeu, son caractère, sa famille, etc), mais il y a aussi des club qui n'en feront pas autant.

De plus, les supporters peuvent voir la qualité d'un recrutement s'il y a trop de joueurs qui ne jouent pas comme prévu - mais uniquement s'ils savent ce que le club voulait. Parce que les supporters ne comprennent souvent pas pourquoi l'équipe a un joueur moyen dans son effectif. La raison est simple : comparez le prix à la performance. Si vous pouvez avoir un joueur moyen et bon marché, pourquoi pas ? Cela vous laissera plus d'argent pour un renfort de haut niveau.

- Qu'est-ce que les joueurs pensent généralement du hockey français avant de le connaître ? Et après coup ?

Malheureusement, beaucoup de joueurs ne savent pas grand-chose du niveau du hockey en France. Presque tout le monde en Amérique du nord connaît la DEL, la LNA, l'Elitserien suédoise, la SM-liiga finlandaise - ou au moins ils connaissent quelqu'un qui y a déjà joué. Mais si vous parlez à un joueur nord-américain de la France, il y a beaucoup de joueurs qui n'ont aucune idée des championnats et de leur niveau. C'est à moi de les renseigner sur la France - et cela signifie aussi que les joueurs préfèrent jouer dans un championnat qu'ils connaissent. Cette saison en particulier, c'est un petit peu difficile pour les équipes françaises d'avoir ce qu'elles veulent, parce que le niveau est plus haut que les années précédentes, mais qu'il est difficile de trouver des joueurs intéressés par ce championnat. Après coup, les joueurs ont au moins aimé la beauté de la région et l'atmosphère. C'est ce que la plupart d'entre eux ont dit jusqu'ici.

- Certains de vos joueurs (Steven Kaye par exemple) ont signé très tard dans des clubs français. Dans ce genre de transferts tardifs, qui est le plus prêt à faire des concessions ? Le club ou le joueur ?

Les deux. Cela dépend de la situation. Certains clubs attendent très longtemps avant de recruter, parce qu'ils espèrent que les prix des joueurs vont baisser si la saison approche et qu'ils n'ont toujours pas d'équipe. Sinon, si le marché n'est pas très abondant et qu'un club a réellement besoin d'un joueur, le prix peut vite monter. À propos de Steven, vous comprendrez que je ne révèlerai pas quelle était la situation à la date de sa signature avec Morzine.

- Mathias Karlsson a-t-il été satisfait de son séjour à Clermont-Ferrand ? Il a été dit qu'il y avait deux équipes en une là-bas, une avec les joueurs français et l'autre avec les étrangers et le coach.

Je ne peux pas vraiment parler à sa place, mais Mathias n'a pas montré beaucoup d'intérêt pour rester une seconde année. Il voulait un nouveau challenge et un nouvel endroit où jouer. S'il y a deux équipes, c'est automatiquement le KO pour un club de hockey. De nos joueurs, vous avez besoin d'esprit d'équipe pour avoir une chance de gagner quelque chose. Si vos joueurs ne sont pas solidaires, ils ne travailleront pas l'un pour l'autre. La saison dernière en Allemagne, Francfort n'avait pas les meilleurs joueurs, mais ils avaient la meilleure équipe - et ils ont gagné le championnat.

- Tony Bergin (Morzine) a joué dans des ligues mineures AA nord-américaines et est ensuite allé jouer en division 1 suédoise (troisième niveau national) ? C'est un parcours inhabituel, comment cela se fait-il ?

C'est un exemple où tout fonctionne. Nous suivons tous les championnats, toutes les équipes et toutes les divisions au jour le jour, nous savons quand une place se libère et nous avons conscience de tout évènement concernant les joueurs dans le monde entier. Cela signifie que nous pouvons agir immédiatement. Dans ce cas, mon partenaire suédois et moi avions une place de libre pour un défenseur du niveau de Tony. La saison avait déjà commencé, donc il était difficile de trouver le joueur requis. J'ai reçu un appel m'informant que Tony serait bientôt disponible car Bossier-Shreveport (sa dernière équipe) avait dans son effectif plus de joueurs vétérans qu'elle ne pouvait en aligner. Je l'ai contacté et il était enthousiaste à l'idée de jouer ailleurs qu'en Amérique du nord pour la première fois de sa vie. Il a été très apprécié par les fans de Bossier-Shreveport où il a joué pendant cinq ans, mais il était aussi prêt pour un nouveau challenge.

L'offre suédoise était bonne, le club voulait booster sa défense et avoir une chance de monter en recrutant un très bon défenseur. Après quelques discussions, il a accepté leurs propositions et cela s'est bien passé pour les deux parties. Ils ont connu une fantastique série de victoires et ont été très près d'être promus en Allsvenskan. Bien sûr, la division 1 suédoise ne fait pas partie des championnats de haut niveau européens, mais ses meilleurs équipes pourraient donner du fil à retordre aux meilleurs clubs français. Une énorme base de joueurs locaux et une bonne adjonction de joueurs étrangers donnent du tonus à ce championnat.

Pour ce qui est de Morzine, Tony a eu à choisir entre un bon nombre d'offres venues de France, d'Allemagne et de Suède. Il a décidé de jouer pour les Pingouins pour plusieurs raisons, à cause de la présence de Suédois dans l'équipe ou surtout parce que c'était une belle région où vivre et jouer au hockey. De plus, l'organisation et Jérôme Baud ont cru en lui dès la première fois où nous avons parlé de Tony.

- Philippe de Rouville est disponible [NB : il vient de signer à Merano, l'interview a été réalisée auparavant]. Pourquoi un tel joueur avec de l'expérience dans des championnats de haut niveau est-il toujours sans club ?

Philippe est actuellement en train de travailler et de patiner dans sa ville natale. Il attend une bonne offre, celles qu'il a eues ne lui convenaient pas. Il est donc - comme beaucoup d'autres - en attente. Il y a deux types de joueurs dans la "salle d'attente", certains jouent ailleurs pour rester en forme, et d'autres travaillent chez eux comme à une école de hockey. Un manager général nommé Bernie Johnston [NB : ex-manager de Francfort, à l'époque avant le titre] a dit un jour : "les bons joueurs attendent longtemps, les très bons joueurs attendent encore plus longtemps". Parfois, cela marche.

- David Dostal est client de votre agence. Il joue depuis des années dans le même club (Anglet). Quel peut être votre rôle pour un tel joueur ?

David s'est mis d'accord pour travailler avec nous via notre partenaire tchèque - et c'est uniquement pour les équipes hors de France. Cela signifie qu'il a un intérêt pour voir ce qui se passe ailleurs qu'à Anglet, et c'est notre rôle de regarder et de demander alentour s'il y a quelque chose.

- Avez-vous déjà eu des clients français ? Certains joueurs se sont-ils renseignés sur votre agence ?

Oui, nous avons et nous avons eu des clients français, et il y a aussi des pourparlers avec quelques autres. Malheureusement, le nombre de joueurs talentueux n'est pas si élevé en France, et les meilleurs joueurs des équipes sont souvent les étrangers. Mais il y a aussi les autres, des joueurs comme Cristobal Huet, qui joue actuellement de manière fantastique à Mannheim en Allemagne.

- Pensez-vous pouvoir aider les jeunes Français à vivre une expérience utile dans un pays de hockey ? Quelles destinations pensez-vous qu'ils devraient essayer ?

Bien sûr. Des pays comme la Suède ou la Finlande, ainsi que le grand nombre d'équipes en Amérique du nord, offrent de meilleures chances de se développer que les clubs français. Ils ont plus de talents et peuvent donc plus se focaliser sur la formation des nouveaux grands joueurs - ce qui signifie que le staff d'une équipe junior moyenne en Amérique du nord a plus d'employés qu'un club pro français. Ils ont plus de sessions d'entraînement, plus de séances hors glace et de meilleurs adversaires. Si vous êtes français et que vous avez beaucoup de talent, alors vous devez envisager l'opportunité de jouer à l'étranger. Nous avons des contacts au niveau minime, cadet et junior dans des clubs de plusieurs pays comme l'Allemagne, la Suède, ainsi que le Canada et les États-Unis.

Propos recueillis en novembre 2004 par Marc Branchu

 

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