Interview de Patrick Rolland

 

L'ancien gardien international est aujourd'hui entraîneur de l'équipe de France des moins de 20 ans qu'il a dirigée ce week-end lors d'un tournoi à Telfs en Autriche, à un peu plus d'un mois des championnats du monde juniors.

- Quel bilan tirez-vous de ce tournoi ?

Nous avons fait un bon premier match contre la Slovénie (4-2). Nous étions tactiquement appliqués, notre powerplay a bien fonctionné. C'était très positif car nous avions perdu 1-2 contre cet adversaire aux derniers championnats du monde.

- Le deuxième match contre l'Autriche doit vous rester en travers de la gorge...

C'est sûr, j'ai encore beaucoup de mal à le digérer. Nous avons été très indisciplinés et nous avons pris énormément de prisons, 52 minutes au total, 32 en enlevant les méconduites. À cinq contre cinq, nous avons très bien joué, en respectant les consignes, en avançant, en mettant la pression sur l'adversaire. C'est pour cela que nous menons 3-0. À huit minutes de la fin, nous prenons un mauvais but. À partir de ce moment, les joueurs commencent à avoir des pensées négatives : "je ne dois pas faire de faute, je ne dois prendre de but". À cause de cette peur au ventre, nous nous faisons rejoindre à 3-3 sur un but-casquette à la fin du match.

Heureusement nous nous sommes bien repris le lendemain contre le Danemark. C'était la meilleure équipe du tournoi, bonne à chaque match, solide, avec des joueurs physiquement gros, qui nous dominent 2-0. Mais mes joueurs sont remontés sur la glace avec une autre intention, avec un autre enthousiasme. Ils sont revenus à 2-2 et ils sont restés dans la zone danoise presque toute la troisième période. Les Danois ont vraiment eu peur. Malheureusement, comme Romain Farrugia la veille, Mickaël Gasnier prend un mauvais but sur la fin qui faut basculer le score (2-3). Je sais que ce sont deux erreurs que mes deux gardiens ne commettront plus. Par ailleurs, ils ont fait un bon tournoi.

Je suis beaucoup plus satisfait de ce dernier match, même si nous l'avons perdu, que du match nul précédent. C'est de bon augure pour les championnats du monde, cela permet de les préparer dans un bon état d'esprit. Cela aurait été très différent en finissant contre l'Autriche.

- Quelles étaient les causes des pénalités tricolores ?

À 80%, il s'agissait de fautes de crosse : accrocher, crosse haute, retenir la crosse... Les joueurs ne sont pas habitués à être sanctionnés comme ça dans le championnat de France. Les consignes de sévérité ont duré le temps des premières journées, et aujourd'hui, ça n'est plus sifflé. Dans le championnat junior, c'est revenu comme avant, et en Magnus, ça n'est guère plus sévère.

Au niveau international, la sanction est immédiate. Ce n'est pas "trois coups sur la culotte, et au quatrième tu siffles", c'est tout de suite. C'est comme ça que cela se passe dans les autres championnats européens, ainsi qu'en NHL. Ceux qui ont la chance de voir des matches de NHL sur la nouvelle chaîne (NASN) peuvent constater qu'il n'y a pas une faute. Il y a de bonnes mises en échec, alors qu'en France on a parfois tendance à les siffler, mais la moindre obstruction est sanctionnée. Et c'est magnifique à voir.

- Pourtant, certains grognent déjà et semblent croire que l'arbitrage pointilleux est une spécificité française.

Honnêtement, le règlement n'est pas appliqué. Il faut que l'arbitrage soit plus sévère, ce sera mieux pour tout le monde. Ce sera peut-être chiant pour les spectateurs. Mais une fois que les joueurs auront compris que leurs crosses doivent rester sur la glace, le jeu sera plus fluide.

- Revenons sur ce tournoi : Yohann Auvitu, meilleur marqueur en tant que défenseur, s'est-il distingué à ce point ?

Il a fait le geste qu'il fallait pour mettre le palet au fond. Il termine avec trois buts, à chaque fois en jeu de puissance sur des lancers de la bleue. En défense, il faut aussi souligner la performance de Hugues Cruchandeau (Strasbourg) qui a été la bonne surprise du tournoi.

- Et en attaque ?

Pierre Bennett a fait un très bon tournoi. Il a marqué un but, il a récolté des assistances. C'était un capitaine exemplaire. On testait des nouveaux, et tous les joueurs ont bien travaillé. Même la quatrième ligne (qui tournait entre Quentin Guineberteau, Quentin Garcia, Kévin Lemoine et Jonathan Avenel, puisqu'on jouait à treize attaquants), sur le peu de fois où elle est montée sur la glace à cause des nombreuses pénalités qui ont réduit son temps de jeu, a donné son maximum. C'est intéressant d'envisager de disposer de quatre bonnes lignes aux championnats du monde.

- Sent-on une différence de formation chez les juniors qui évoluent en Suisse ?

Rémy Rimann, il est comme je le connaissais avant [NDLR : à Grenoble]. Il distribue de bons palets, et malgré son petit gabarit, il est dur à mettre en échec. Il a une bonne vista, une bonne lecture du jeu, et il patine bien. Quant à Kévin Lemoine, il a moins de talent que lui.

- Rimann et Auvitu pourraient doubler cette année les Mondiaux 20 ans et 18 ans, alors que ça ne faisait plus trop en France ces dernières années...

C'est bien possible, oui... Ma sélection est dans quinze jours ! Pour Auvitu, c'est surtout que l'on cherchait un défenseur, car on n'est pas beaucoup pourvu à ce poste. Je connaissais son travail au Mont-Blanc, que l'on a affronté trois fois cette saison. C'est vraiment le joueur-clé de leur équipe espoir, il était indispensable de le prendre. Mon but n'est pas de faire une équipe avec des 87 ou des 88, mais de prendre les meilleurs, et si un 89 est plus fort que ses collègues plus âgés, il est normal que je le choisisse.

- Vous vous coordonnez avec les autres entraîneurs nationaux ?

Je suis en contact permanent avec le staff des moins de 18 ans - Lionel Charrier viendra d'ailleurs avec moi aux championnats du monde - et aussi avec les seniors. Sébastien Roujon, l'entraîneur des 16 ans, était avec moi à Telfs comme adjoint. Il y a une bonne communication entre les équipes nationales, des seize ans jusqu'aux seniors.

- Un sujet qui doit vous tenir à cœur : que manque-t-il aux jeunes gardiens français pour se faire une place en Magnus ?

Qu'on leur donne leur chance, tout simplement. Les gardiens doivent prendre confiance en eux, ce qui leur manque le plus, c'est du temps de glace. Il n'y a plus beaucoup de place pour les gardiens français.

- La D1 peut-elle être un recours ?

Un gardien, il faut qu'il joue. S'il ne peut pas jouer en Magnus, il faut qu'il le fasse en D1, ou même en D2. C'est une bonne école, car il se trouvera confronté à des situations atypiques qu'il ne verra jamais en élite ou en championnat du monde. Le jeu lui paraîtra plus facile quand il reviendra en élite.

Malheureusement, on retrouve des étrangers même dans les divisions inférieures. Je ne suis pas convaincu que certains gardiens de D1 ou de D2 soient meilleurs que les jeunes Français...

En 1998, les présidents de clubs avaient conclu un gentleman-agreement pour n'aligner que des gardiens français. Pourquoi cela ne serait-il pas possible aujourd'hui ? C'est avant tout une question de volonté.

- Quels sont les jeunes gardiens français qui ont un potentiel intéressant ?

Il y a Frédéric Dorthe à Grenoble. Mickaël Gasnier qui a réalisé un très bon championnat du monde junior l'an passé et que je verrais bien invité chez les seniors pour voir comment ça se passe.

Quant à Henri-Corentin Buysse, il a été formé par Antoine Mindjimba, et je sais qu'il s'est énormément entraîné avec lui. Il n'a pas fait un très bon championnat du monde des moins de 18 ans, et actuellement il est suspendu un an d'équipe nationale suite aux évènements d'avril. C'est dommage, mais un gardien international, ce n'est pas qu'un bon gardien de championnat, c'est quelqu'un qui représente la France lorsqu'il en porte la tenue.

Ce sont des gardiens qui prennent de la place, sauf Gasnier qui n'est pas très grand mais qui est un compétiteur qui se défonce sur tous les palets. Les autres travaillent plus leur position. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils sont français qu'on doit leur dérouler le tapis. Il faut qu'ils gagnent leur place.

- Avec votre école de gardiens, vous essayez de promouvoir une école française ?

J'ai mis en place cette école 100% gardiens depuis deux saisons. Landry Macrez est venu l'été dernier, j'ai reçu des gardiens de France mais aussi de Suisse et de Norvège. Le message que j'essaie de faire passer est le suivant : il faut que les gardiens français réalisent qu'ils doivent travailler énormément l'été, parce que c'est à ce moment-là qu'on peut vraiment travailler sa technique.

- Dans l'équipe de France juniors, on retrouve Sacha Treille qui fait un très bon début de saison à Grenoble. Marche-t-il sur les pas de son frère voire au-delà ?

Sacha a su saisir l'opportunité qui s'est présentée et est devenu un joueur incontournable de l'équipe. Lorsque les blessés reviendront, il ne leur sera pas facile de lui reprendre la place qu'il a prise, car il la mérite vraiment.

Je pense qu'il a plus de potentiel que Yorick au même âge, mais celui-ci travaillait beaucoup. Sacha a un grain de folie en plus que Yorick n'avait pas. S'il travaille autant, il pourrait devenir encore meilleur que lui.

- Le championnat junior peut-il suffire au développement des juniors à cet âge ?

Honnêtement, le championnat junior est d'un niveau pas très relevé. Il y a trois matches intéressants dans notre poule, et en plus, même par rapport aux meilleures équipes des Alpes, Rouen et Amiens sont au-dessus.

- S'il y autant de Caennais aujourd'hui en équipe de France junior, est-ce parce qu'ils ont pu jouer en senior pendant la remontée de leur club ?

À la base, il y a une bonne génération, avec Bennett, Janil, Avenel. C'est vrai qu'ils ont énormément joué à l'époque, mais il est dommage qu'ils ne jouent presque pas aujourd'hui. Il n'y a que Quentin Pépy qui soit aligné régulièrement. Le problème de Caen, c'est qu'ils ne peuvent pas se rabattre sur le championnat junior, car ils n'ont pas d'équipe dans cette catégorie.

- Jouer avec leur réserve en D3 présenterait-il un quelconque intérêt ?

Pour les joueurs, c'est différent des gardiens, ils ont besoin d'un niveau élevé. Ces joueurs-là ont le niveau pour jouer en D1. Après, il faut voir entre l'intérêt du club et celui du joueur qui peuvent être divergents, mais si l'on garde trop longtemps un joueur sur le banc, il risque de stagner voire de régresser.

- Avec les dernières recrues, le sort des jeunes de Rouen va aussi se compliquer...

C'est sûr que cela va faire beaucoup de jeunes sur la quatrième ligne ! Je ne suis pas certain qu'ils montent souvent... Édouard Dufournet a fait un bon début de saison avant sa blessure acromio-claviculaire. Quand il a repris le jeu, il s'est de nouveau fait mal. J'espère qu'il sera rétabli d'ici quinze jours. Kévin Igier me paraît encore un peu frais pour l'élite, il joue pour l'instant avec la D2 du Havre. Mais après, c'est une question de confiance. Si on lui pardonne les premières erreurs qu'il commettra, si on ne place pas en permanence une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, un jeune joueur peut prendre sa chance.

- Discutez-vous de l'intégration des jeunes avec les entraîneurs de Magnus ?

Je parle avec certains d'entre eux. Cependant, je ne me permettrai jamais de leur dire ce qu'ils ont à faire. Ils prennent les décisions qu'ils doivent prendre en fonction des objectifs qu'on leur a fixés.

- Quels sont les clubs qui font le plus d'efforts en faveur des jeunes ?

Mont-Blanc leur donne beaucoup de temps de glace, Gap et Chamonix également. Amiens fait aussi du bon travail avec les jeunes. Et puis il y a Grenoble. Regardez Teddy Trabichet, il fait un début de saison énorme. L'ayant côtoyé avec les 20 ans, je connaissais son potentiel, mais il est au-delà de ce qu'on pouvait penser, et peu de gens auraient cru qu'il serait à ce niveau.

- Où se situent les jeunes Français par rapport à ceux qu'ils croisent en tournoi international ?

En France, nous avons beaucoup de retard dans le développement physique. La plupart des équipes rencontrées ont des gros gabarits, et même les plus petits de leurs joueurs sont solides physiquement. Nos jeunes doivent faire un effort supplémentaire. Il faut dire aussi que, souvent, les clubs ont des préparateurs physiques, et ils font leur programme en fonction de leurs championnats et évidemment pas en fonction des équipes de France. Cela n'a aucune raison de changer.

Le niveau français a évolué depuis dix ans, les joueurs sont plus disciplinés au niveau de la tactique collective. Ils sont plus sérieux et ils ont progressé du point de vue physique, cependant ils sont en retard sur ce domaine par rapport aux autres nations.

- Verra-t-on un jour un autre Cristobal Huet ou restera-t-il un cas d'exception ?

Quoi qu'il en soit, il restera un joueur d'exception. Il était comme beaucoup d'autres à quinze-seize ans, mais il avait un rêve. Il a su saisir les opportunités pour le réaliser. Il a toujours su faire preuve d'une énorme humilité : jamais il ne s'est satisfait du niveau auquel il est arrivé, ni parce qu'il était en équipe de France junior, ni parce qu'il était gardien en élite, etc.

D'autres peuvent suivre son exemple, des gardiens mais aussi des joueurs. C'était peut-être plus difficile pour lui, car il a ouvert la voie. Il a contribué à ce qu'on puisse regarder les Français d'un autre œil.

Propos recueillis le 13 novembre 2006 par Marc Branchu

 

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