Interview de Luc Tardif (II)

 

Quelques mois après le long bilan que Luc Tardif avait bien voulu dresser en répondant aux questions de Hockey Archives, l'actualité s'est quelque peu bousculée ces derniers temps. Conclusion des championnats de France, Mondiaux de Prague, et en dernière minute démission de Didier Gailhaguet, voilà de nouveaux évènements qui appellent de nouvelles interrogations. À un peu plus d'un mois d'une assemblée générale décisive de la FFSG à Toulon, quels sont les plans de l'AAHF ?

 

- Quel regard portez-vous sur les évènements de ces dernières semaines (diffusion théoriquement payante de la finale du championnat en aller-retour, situation déplorable de la fédération) ?

Un sentiment d'écœurement, de gâchis, d'injustice et de colère, tout ça mélangé. La diffusion télé, c'est anecdotique, je me souviens des déclarations de Didier Gailhaguet disant que les accords du Directoire avec Sport+ (6 matchs), ce n'était que des dépenses en plus pour la FFSG; La réalité, c'est qu'après avoir essayé de racketter les clubs, c'est le hockey français de toute façon (la Commission Nationale) qui a payé. Mensonges et esbroufe, rien de plus. Ceci dit, au moins, on a vu deux beaux matchs et de belles images, mais on aura quand même la frustration de ne rien contrôler, de ne rien décider nous-mêmes et surtout de ne pas pouvoir capitaliser sur ces retransmissions. En plus, on a payé des gens pour ces négociations d'amateurs.

Pour ce qui est de la situation de la FFSG, là c'est plus préoccupant. Une fédé au bord de la cessation de paiement, un conseil fédéral coopérant et bienveillant chargé de veiller au suivi des finances qui crie au feu une fois que l'immeuble est en cendres. Des collaborateurs du Président qui étaient dans une situation insoutenable (on ne les plaindra pas) et n'annonçaient que des mauvaises nouvelles : coupures des budgets des Commissions, des ligues, sabotages des préparations des équipes de France masculine et féminine, sabrage du plan de Développement, suppression de divers stages etc. Un Ministere qui n'avait plus confiance - et on le comprend - hésitait à verser le reste de la Convention d'objectifs dans un gouffre, idem pour France 2 et les droits télé, et là, il n'y a pas de mystère, c'est la crédibilité et l'incompétence des hauts dirigeants de la FFSG qui est responsable de cet état de fait .Et c'est le hockey français qui en souffre le plus. Il n'y a qu'à comparer la préparation et l'encadrement de Brian Joubert avec celle de l'équipe de France senior pour les championnats du monde. C'est scandaleux !

Championnats du monde de patinage à Dortmund : 6 patineurs + 22 accompagnateurs (très bien logés).

Championnats du monde de Hockey à Prague : 22 joueurs + 1 entraîneur et demi (Eriksson est à mi-temps) + 4 autres personnes

- Et sur l'affaire Mont-Blanc / Chamonix (sachant que le problème de la conformité de Mont-Blanc par rapport aux règlements aurait déjà dû se poser à l'époque du Directoire) ?

On en revient à la nécessité d'une gestion professionnelle des championnats. De vrais pros, des vrais... On découvre une affaire à l'avant-dernier match du championnat de D1. Le président du club qui porte réclamation fait partie de la Commission Nationale qui doit gérer et superviser ces Championnats. En fait, il porte plainte sur le boulot de contrôle qu'il aurait dû faire. Ubuesque, n'est-ce pas ? C'est l'affaire de Rouen puissance 10.

Après, il n'y a plus de décisions logiques possibles. Doit-on entériner le score ? Doit-on empêcher ces joueurs français de jouer ? Il ne peut y avoir de bonnes décisions, le mal est fait. Sans compter l'image que ça laisse .Ceci dit, à la base, la conformité de la fusion Saint-Gervais/Megève aurait du être réglée aux débuts des championnats, à l'émission des licences. C'est là qu'il y a eu un bug, nous aurions dû nous rendre compte que le règlement n'était pas respecté.

Mais ce qui est à retenir de cette aventure, et ce qui m'inquiète avant tout pour la saison 2004-2005, c'est la désorganisation des structures de gestions du hockey. Aucune réunion de préparation pour la saison prochaine n'a encore été effectuée. Le Directoire commençait les réunions de préparation en janvier, pour pouvoir donner la composition et les formules des championnats, les discuter avec les clubs, les entériner fin mars pour qu'ils puissent recruter en connaissance de cause. La Coordination du Hockey Français que pilotait M. Gailhaguet a hérité en début de saison d'une organisation déjà peaufinée, le boulot était fait, elle n'a dû gérer que les finales des championnats, et on a vu à la va-vite la mise en place d'une panoplie de formules. Sur deux matchs + prolongation pour la finale, sur un match sec pour la troisième place, sur deux matchs au total des buts pour la Nationale, etc. Je tremble pour la suite quand on a vu la valse des jokers médicaux, des surenchères financières pour étoffer les équipes dans la dernière ligne droite .C'est de ça que le hockey français a crevé depuis vingt ans. Et maintenant, nous voilà repartis dans des délires, la course aux armadas, retour à la professionnalisation, c'est encore fragile tout ça. On risque de mettre par terre trois ans de boulot en six mois.

Et ce qui me sidère, c'est que personne ne semble s'en rendre compte, tous les clubs ont le nez dans leurs affaires, ils vont recruter et ne connaissent pas les données de la saison 2004-2005, mais ça à l'air de leur convenir... De plus, et on a vu que cela s'impose, il est nécessaire de penser à l'évolution des championnats, bien en amont pour que les clubs adaptent leurs finances et leur politique sportive, sans précipiter les choses, mais c'est maintenant qu'on doit en discuter. Comment voulez-vous que le hockey sorte de l'ornière quand les personnes concernées se contentent de cette médiocrité.? J'en suis perplexe.

- Comment jugez-vous la prestation de l'équipe de France aux Mondiaux de Prague ?

Si on tient compte des maigres moyens mis à disposition de l'EDF, du peu de jours de rassemblements (trois fois moins que l'Autriche, le Danemark et la Suisse), de l'organisation amateur des matchs amicaux d'avant mondial (Asnières et Viry sur une patinoire 56x26), les résultats n'ont rien de surprenant. Il n'y a pas de place pour l'improvisation aux championnats du monde. Il ne faut en aucun cas accabler les joueurs et le staff d'encadrement. Pour eux, ce fut l'enfer, et la confirmation, quand on voit la progression de niveau et la préparation de nos rivaux directs (Autriche, Danemark), de la régression de notre hockey français. Maintenant, on peut trouver toutes sortes de raisons, comme le dit si bien le DTN M. Ranvier, expert en hockey : la condition physique des joueurs, les matchs une seule fois par semaine, etc. Le problème est autre. La FFSG et son Président n'en avaient rien à faire, le hockey était vraiment le dernier de leurs soucis. Il n'y avait plus de pilote dans l'avion, pas d'analyses et de plan à long terme, comme à court terme d'ailleurs. Pas d'unité d'actions des acteurs du hockey. Bref, la misère. Qu'a-t-on fait pour mériter ça ?

- Qu'est-ce qui a entraîné la démission de Didier Gailhaguet ?

La démission de Didier Gailhaguet vient de la conjonction d'une série de choses. D'abord et avant tout les difficultés financières qui ont poussé le Ministère à museler financièrement le Président de la FFSG, le mécontentement général dans toutes les disciplines, des résultats sportifs insuffisants (ex : Prague), l'impasse dans laquelle étaient Messieurs Goy, Faujanet, Million, etc à soutenir leur président, l'action de l'AAHF qui a annoncé très tôt les dysfonctionnements autant sportifs que financiers, une presse avisée qui s'est fait le relais de tout ça. À partir de là, la messe était dite. Le 5 mai au soir, ses amis de 20 ans, les stratèges et complices de cette politique Gailhaguet, l'assassinaient lâchement. On se croirait dans Dallas...

- À quoi doit-on maintenant s'attendre ?

Ce qui est certain maintenant, c'est que l'AG de Toulon deviendra élective. Le Président du Conseil Fédéral [Marc Faujanet] se propose de prendre le relais. Mais avec quelle équipe, notamment pour diriger le hockey ? Avec quelle structure ? N'est-ce pas ni plus ni moins un jeu de chaises musicales ? On prend les mêmes et on recommence ? Garantira-t-il l'autonomie de gestion sportive et financière nécessaire à notre développement ? Quid des missions de Bernard Goy ? Quels moyens à disposition des activités hockey ? Cela fait beaucoup d'interrogations. Permettez-nous d'être quelque peu sceptiques sur le capacité de cette nouvelle équipe à assurer l'avenir du hockey.

Ce qui est sûr, c'est que nous sommes à la croisée des chemins. Soit la famille du hockey (ce sont les clubs qui votent) estime qu'il doit y avoir du changement, se mobilise pour peser sur les choses, et enfin s'organiser et se faire respecter. Soit elle est entièrement satisfaite de ce qui se passe ou résignée, avec des réflexions comme "de toute façon ça change rien" ou des comportements peu courageux de spectateurs ou de suiveurs, ou d'attente pour "voler au secours de la victoire". La suite dépendra de nous tous. Alors, acteurs ou spectateurs ?

Pour l'AAHF, pas de doute, nous serons acteurs. Nous nous laissons jusqu'au 22 mai pour adopter une stratégie. Entre temps, nous préparons la logistique, l'aide à l'hébergement et au transport à disposition des clubs, et la mobilisation générale. Nous observons les réactions de la famille du hockey, surtout les clubs et leur implication dans la prochaine AG, nous rencontrons diverses instances pour expliquer notre démarche, d'autres disciplines pour coordonner nos actions. Nous avons été fortement consultés et courtisés, c'est déjà une satisfaction en soi. Mais revenir aux affaires du hockey n'est pas une fin en soi. Nous le ferons si les conditions d'une réelle autonomie sont garanties avec des partenaires fiables et motivés uniquement par l'avenir du hockey français. Tout au long du mois d'avril, on nous a proposé des alliances type FFSG pour des missions type Millon, ce n'est pas avec des compromis comme ça qu'on changera quoi que ce soit. Les vraies questions : quels moyens, quelle autonomie et quelle structure pour le hockey français ? J'attends personnellement des signes d'encouragement plus distincts de la part des clubs. Il ne faut jamais s'habituer à la misère... Nous serons en force à Toulon.

Les rendez-vous à venir, le 20 mai à 14h00 à Cergy (dans le cadre du Tournoi international féminin) et le 22 mai à 14h00 à Grenoble (dans le cadre du tournoi AHF). Ce sont des réunions d'information et de débat, tous publics, adhérents à l'AAHF ou pas. Quelle stratégie pour l'AG de Toulon ? Quel candidat appuyer ? Qui garantira au mieux notre avenir ? Ensuite, nous aurons un mois pour communiquer, expliquer notre position et la mettre en œuvre.

Propos recueillis par Marc Branchu, mai 2004

 

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