Rouen - Amiens (4 mars 1989)

 

Demi-finale du championnat de France 1989, troisième et dernière manche.

Avant ce match décisif, le coach amiénois Marc Boileau se rend à la caisse rouennaise pour récupérer le quota de billets mis de côté pour le club visiteur. Il a alors la surprise d'entendre les supporters normands devant lui réserver leurs places pour la finale - encore virtuelle - entre les Français Volants et Rouen ! La confiance règne donc sur l'île Lacroix, où l'on est convaincu de la supériorité des Dragons. C'est la thèse de l'accident qui prime. Le premier match perdu aux tirs au but à Amiens n'était qu'un accroc qui ne se reproduira pas. Les Écureuils de Picardie n'ont-ils pas été battus quatre fois sur quatre en saison régulière ?

Pourtant, on joue depuis un peu plus d'une minute et le vénérable Dave Henderson fait déjà parler son expérience pour porter les Amiénois en tête. Les Rouennais ont à peine le temps de s'en remettre que le coriace François Richer inscrit en guerrier un deuxième but. Plusieurs contre-attaques normandes se succèdent alors pour faire oublier ce départ catastrophique, mais Jean-François Ribordy, titularisé dans les cages à la place de Frédéric Malletroit, est dans un très grand jour. Les affaires sont mal engagées pour les Dragons, d'autant qu'ils ont perdu Thierry Chaix, évacué à la troisième minute de jeu avec un traumatisme crânien sur une charge contre la balustrade de l'insoupçonnable modèle de sérénité Vladimir Zubkov.

Hier déjà, Rouen était mené après le premier tiers-temps. Tout espoir n'est donc pas perdu. Mais la chance ne semble pas sourire à l'équipe locale. Claude Verret, en réussite hier avec un triplé, ne trouve que le coin de la cage au retour des vestiaires. Une pénalité contre l'opiniâtre Marc Leroux donne enfin une bonne opportunité, mais elle arrive presque à son terme quand Pajon part en prison pour la seconde fois de la soirée. Il reste donc onze secondes à quatre contre quatre avant que ce soit au tour d'Amiens d'évoluer en supériorité numérique. Le temps presse, mais quatre secondes après l'engagement, Pat Daley parvient finalement à percer la muraille Ribordy. Le Franco-Canadien est même tout près d'inscrire un doublé, mais il trouve le poteau. Djelloul rate la cage une minute plus tard.

Amiens plie, mais ne rompt pas. C'est à peine si on parvient encore à respirer dans les gradins. Et puis, huit minutes avant l'échéance fatidique, Verret, à défaut de marquer ce soir, réalise une splendide passe décisive pour Guy Fournier qui tire dans la lucarne droite. La razzia picarde des premières minutes est annulée, les comptes sont remis à zéro, et Rouen redevient le favori qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être.

Les Dragons sont tout feu tout flamme dans la prolongation, et ils ne semblent plus vouloir quitter la zone offensive, surtout que le défenseur amiénois François Dusseau prend sa seconde pénalité de la soirée. Les attaques se multiplient mais Ribordy tient bon sur deux tentatives consécutives de Crettenand et Fournier. L'atmosphère irréelle de ce duel épique est soulignée par la brume trouble qui se forme au-dessus de la glace normande. Et puis surgit une improbable contre-attaque de Stéphane Lessard, qui reçoit une passe de Louis Coté, voit face à lui Guy Fournier laissé comme dernier défenseur et le contourne. Le tir du revers du Franco-Canadien, dont l'effet de surprise est encore renforcé par le brouillard blafard, passe entre les jambières d'Antoine Mindjimba. Des larmes amères coulent sur les joues des supportrices rouennaises. Le RHC attendait avec impatience qu'une première finale couronne sa fulgurante ascension, mais c'est l'outsider Amiens qui lui a soufflé la politesse. Un hold-up à l'île Lacroix dont les Dragons se souviendront. Une rivalité est née ce soir entre hockeyeurs normands et picards.

 

Commentaires d'après-match (dans Paris Normandie et dans le Courrier Picard)

Larry Huras (entraîneur de Rouen) : "Tous les malheurs nous ont assaillis d'entrée, mais nous avons su reprendre les choses en main. Tout à coup, les crosses sont devenues froides. Quatre poteaux en une heure de jeu, deux buts marqués difficilement, deux buts seulement avec les buteurs que nous avons. Je n'ai rien à regretter, Amiens a fait un excellent match et Ribordy le match de sa vie. Ce soir nous n'avons pas eu les bonnes cartes et nous n'avons pas pu concrétiser les supériorités numériques."

Antoine Mindjimba (gardien de Rouen) : "Je l'ai vu déborder, mais avec le brouillard, je ne vois pas le palet. Je le cherche mais je ne le vois pas. Alors je n'ose pas trop m'avancer. Et au dernier moment, je vois qu'il a le palet juste devant lui. J'essaie de l'avoir avec ma crosse. Le palet passe dessous. Je fais un grand écart et je vois Lessard lever les bras. Je n'arrive pas à le croire. Mais l'arbitre fait le signe. Je me dis alors que c'est fini. La saison au RHC se termine là. Tout s'écroule. On passe à côté de quelque chose que l'on ne pourra peut-être jamais retrouver de toute notre vie."

Dave Henderson (attaquant d'Amiens) : "Inutile de dire que je suis heureux. On a gagné à l'usure, on les a poussés deux fois en prolongation. On n'était pas favori. À la fin, Stéphane Lessard a pu déjouer le défenseur qui était plus fatigué, car il a joué constamment [Guy Fournier]. Stéphane, lui, était un peu plus frais. Contre les Volants, ça ne va pas être facile non plus, mais cela donnera lieu à d'aussi bons matches que contre Rouen. Il fallait aller la chercher cette victoire, je vous assure, surtout après le match de vendredi."

 

Rouen - Amiens 2-3 après prolongation (0-2, 1-0, 1-0, 0-1)
Samedi 4 mars 1989 sur l'île Lacroix. 1900 spectateurs.
Arbitrage de Roy De Tao assisté de Jean-Christophe Benoist et Jean Tarenberque.
Pénalités : Rouen 6' (2', 2', 2', 0'), Amiens 16' (6', 4', 4', 2').
Tirs : Rouen 45, Amiens 20.

Évolution du score :
0-1 à 01'25" : Henderson assisté de Farcy et Coté
0-2 à 02'01" : Richer
1-2 à 35'13" : Daley assisté de Crettenand
2-2 à 51'17" : Fournier assisté de Verret et Huras
2-3 à 68'42" : Lessard

 

Rouen

Attaquants :
Guy Fournier - Claude Verret - Franck Pajonkowski
Patrick Daley - Yves Crettenand - Thierry Chaix
Stéphane Ducable - Laurent Barray - Frédéric Dereux
Patrice Fleutot

Défenseurs :
Larry Huras - Dave Randall
Steven Woodburn - Serge Djelloul

Gardien :
Antoine Mindjimba

Remplaçants : Samuel Mainot (G), Didier Bocquet.

Amiens

Attaquants :
Stéphane Lessard - Vladimir Lubkin - Luc Marengère
Jean-Paul Farcy - Dave Henderson - Sylvain Beauchamp
François Richer - Marc Leroux - Éric Mindjimba

Défenseurs :
Vladimir Zubkov - Robin Dauphin
Louis Coté - François Dusseau

Gardien :
Jean-François Ribordy

Remplaçants : Frédéric Malletroit (G), Stéphane Berton, Frédéric Dehaëne, Éric Schnakenbourg.

 

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