Bordeaux - Caen (9 décembre 1989)

 

Match comptant pour la vingt-et-unième journée du championnat de France 1990.

À la seule évocation du nom de Caen, les dirigeants bordelais frissonnent. Souvenir, sans aucun doute, de la victoire des Normands à Mériadeck lors de la troisième journée (5-4). Ce jour-là, les Girondins étaient passés à côté du match. Un match en forme de déclic avant d'entamer une fameuse remontée au classement. Certes, au match retour en Normandie, les Bordelais avaient remis les choses en ordre en s'imposant 12-3 avec au passage cinq buts de Roger Dubé. Celui-ci ne jouera pas ce soir. Et pour le remplacer, les dirigeants ont fait appel à un jeune Canadien de 23 ans, Brian Verbeek, arrivé jeudi matin et qui s'est entraîné dans l'après-midi avec ses nouveaux coéquipiers. Verbeek, un attaquant d'1m73 pour 88 kg, n'a pas joué depuis le début de saison. Après le camp d'entraînement NHL des Hartford Whalers, il avait émis le souhait de venir en Europe, ou plutôt d'y revenir puisqu'il avait joué en deuxième division allemande il y a deux ans. Ce soir, il débutera dans une équipe appelée à gagner. Avec le retour de Thillien dans les buts, cela serait la moindre des choses. Mais le jeu défensif, c'est l'affaire de tous les joueurs. Les Bordelais y ont été efficaces pendant la première moitié de la saison grâce à la faculté à bien protéger leur but mais également à bien relancer le jeu. Ils se sont relâchés avec vingt buts encaissés lors de leurs trois dernières sorties.

Si Bordeaux possède la plus belle patinoire de France, la glace de Mériadeck est hélas la moins belle de tout l'hexagone. C'est donc sur une glace indigne d'un match de Nationale 1A que les deux équipes débutent la rencontre. Et après quelques occasions nettes locales, ce sont les Caennais qui ouvrent le score par Gilles Hamel qui bat Thillien de près. Recruté il y a deux semaines, Hamel est le professionnel le plus huppé du championnat avec plus de 500 matches en NHL. Les Girondins attaquent mais Gervasoni fait du bon travail. Scénario classique, les Normands sont dangereux en contre-attaque. Sur l'une d'entre elles, Thillien s'interpose face à Godin, les Caennais conservent le palet et Hamel encore dévie un lancer de Black (0-2). La réaction bordelaise est immédiate. Serge Poudrier réduit l'écart à la suite d'une erreur de Gervasoni qui laisse filer le palet entre ses jambières (1-2).

De retour sur la glace, la physionomie du match ne varie pas. Sans être violente, la partie devient plus accrochée. Les Bordelais jouent sans arrêt dans la zone caennaise, mais ils n'arrivent pas à tromper un gardien bien protégé par une défense de zone efficace. Il faut attendre quinze minutes pour qu'un but soit marqué. À la base, une erreur de Gervasoni qui s'éloigne de son filet. Le palet est récupéré par les Bordelais qui égalisent grâce à un exploit personnel de Poudrier. En pleine vitesse, il tire sans contrôle dans un angle impossible vers le but déserté (2-2). Une minute plus tard, bien servi par le nouvel arrivant Verbeek, Arnaud Briand trouve la lucarne (3-2). Les Girondins mènent, ce n'est pas immérité.

Crispés par la résistance caennaise, ils sont à nouveau inquiétés dès la reprise par Marengère puis Godin, mais Thillien préserve brillamment son but. Les Normands ont manqué leur chance, les Bordelais saisissent la leur, par Causlovsqui qui marque du revers après avoir contourné le but adverse (4-2). En fin de partie, les Caennais tentent l'impossible pour réduire l'écart et les Girondins manquent encore des occasions, notamment par Goicoechea.

Il y a des soirs où, faute de caviar, il faut se contenter de l'ordinaire. Après leur défaite 8-2 mardi contre les Français Volants, les Girondins ne s'étaient pas entraînés mercredi et jeudi à cause du double concert de Francis Cabrel à la patinoire. Dans une compétition aussi intense que la Coupe Magnus 1989/90, il est évident que cette coupure n'a pas été profitable. Au-delà de cette préparation perturbée, il y a également un léger relâchement dans le jeu bordelais. Insensiblement, de petites erreurs perturbent le jeu. La principale, c'est l'abus d'actions individuelles. Certains joueurs oublient un peu les notions élémentaires du jeu collectif, en attaque mais également en défense.

Dans ce match décousu, Bordeaux a quand même assuré l'essentiel, la victoire. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le défenseur Henry Lahiton a été appelé en équipe de France pour remplacer le Rémois Djelloul. Il fêtera ses premières sélections mardi et mercredi contre l'Italie en compagnie d'un autre Saint-Pierrais évoluant chez les Girondins, Yannick Goicoechea. Physiquement, ils ne se ressemblent pas. Pas du tout. Et pourtant, leur histoire est une longue liste de points communs. Ils sont dans le désordre moustachus, insulaires, hockeyeurs, et sont arrivés un jour de l'été 1983 à Anglet, leur premier club français, après avoir débuté le hockey dans le plus glacé de tous nos départements, Saint-Pierre-et-Miquelon.

Kjell Larsson avait l'œil sur Yannick Goicoechea depuis quelques temps et l'avait même convié à un rassemblent de quarante joueurs à l'intersaison. Mais jamais il n'avait enfilé le maillot tricolore. Surprenant pour cet attaquant d'1m79 pour 83 kg qui marque depuis trois ans plus de vingt buts par saison en première division. Grâce à sa puissance naturelle, à une bonne technique individuelle et à un petit plus... "En fait, pour marquer, il faut que je joue avec la rage", confie-t-il d'une voix calme. Car contrairement au portrait du joueur, dans la vie, Yannick Goicoechea est un calme. Cette quiétude, mélange de douceur et de volonté, c'est encore un point commun avec son compère Henry Lahiton. C'est peut-être une constante chez les gens de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Sur la glace, même combat, si Yannick est travailleur (avec le talent), Henry évolue dans le style "sangsue". C'est le genre de joueurs dont on dit souvent qu'ils n'ont pas de rate. Mais un grand cœur. Il en fallait pour devenir titulaire en équipe nationale dès cette année. Car la saison dernière fut noire pour le filiforme défenseur (1m75, 75 kg). Blessé, il s'est rapidement retrouvé sur le banc des remplaçants dès son rétablissement. Motif : choix de l'entraîneur. Une décision incompréhensible pour le nouvel entraîneur bordelais André Saint-Laurent : "Je ne comprends pas comment on peut se passer d'un gars comme Lahiton dans une équipe. Il est courageux, il fait très peu d'erreurs et il est régulier." Pour sa cinquième saison à Bordeaux, jamais il n'a été aussi bon. Sa sélection, il l'a accueilli comme une "surprise" et une "récompense". Capable de bien relancer, il peut jouer physique en dépit d'un poids plume pour un défenseur.

Laurent Bellet

Commentaires d'après-match

Yannick Goicoechea (attaquant de Bordeaux) : "À Saint-Pierre, jouer en France n'est pas véritablement important, ça leur est égal. Si tu es international, on commence à s'intéresser à toi. Mais si tu participes aux Jeux - comme l'a fait Patrick Foliot - alors là, tu entres dans la légende de l'île."

 

Bordeaux - Caen 4-2 (1-2, 2-0, 1-0)
Samedi 9 décembre 1989 à Mériadeck. 1100 spectateurs.
Pénalités : Bordeaux 10', Caen 12'.
Tirs : Bordeaux 46 (19, 13, 14), Caen 19 (9, 4, 6).

Évolution du score :
0-1 à 07' : Hamel
0-2 à 17' : Hamel assisté de Black et Godin
1-2 à 18' : Poudrier
2-2 à 35' : Poudrier
3-2 à 36' : Briand assisté de Verbeek
4-2 à 45' : Causlovsqui
 

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