Canada - Suède (27 février 1994)
Finale des Jeux olympiques 1994.
Les destins des protagonistes d'une finale olympique basculent parfois sur un coup de pouce ou sur un coup du sort. Tommy Salo est devenu numéro 1 dans les cages suédoises parce que le titulaire Algotsson est retourné en Suède après l'accouchement de sa femme le jour du quart de finale. Dans le camp canadien, il n'y a jamais eu de doute sur la position, puisque Corey Hirsch a joué toutes les rencontres sans interruption. Néanmoins, son point faible réside dans les breakaways. Le staff du Team Canada a donc prévu que sa doublure Manny Legacé le remplacerait au cas où la médaille d'or se déciderait dans l'exercice des pénaltys. Un plan qui tombe à l'eau lors de l'échauffement lorsque Legacé est touché par un palet à l'intérieur de son genou gauche : celui-ci se met à enfler jusqu'il ne puisse plus remettre son équipement, ni patiner ! Il est biffé de la feuille de match au dernier moment et remplacé sur le banc par le troisième gardien (Allain Roy).
Le Canada part fort avec deux grosses occasions en deux minutes et demie. Un dégagement dans la bande de Roger Johansson est contré par Chris Kontos, et Paul Kariya centre alors pour Greg Johnson seul devant la cage. Tommy Salo s'avance vite sur le tireur pour bloquer l'angle. Le gardien suédois signe ensuite un arrêt à ras glace devant Petr Nedved après un beau une-deux avec Jean-Yves Roy pendant un changement de ligne des jaunes.
L'impression inhabituelle de désorganisation du jeu suédois est vite dissipée. Patrik Juhlin met le turbo derrière la cage et Mark Astley l'accroche. Cette première supériorité numérique est transformée en 26 secondes par Tomas Jonsson. Le défenseur profite du sacrifice de Jonas Bergkvist qui prend des coups devant la cage et fait ainsi écran devant le gardien pour l'aider à marquer depuis le haut du cercle gauche (0-1, 06'10"). La Tre Kronor maintient une forte pression face à des Canadiens qui ne font aucun cadeau dans les bandes. Corey Hirsch bloque l'angle par un spectaculaire arrêt de la jambière sur un rebond ouvert de Patric Kjellberg.
La Suède imprime son tempo sur le jeu quand elle joue avec vitesse et intensité, ce que le trio Näslund-Rydmark-Juhlin fait à merveille à chaque présence. Une crosse haute de Rohlin permet au Canada de refaire surface en fin de première période, mais Tommy Salo effectue un bel arrêt-photo de la mitaine sur le bon slap de la bleue de Greg Johnson. Le gardien suédois concède cependant lui-même une pénalité pour un palet dégagé au-dessus du plexi.
Le Canada commence donc la deuxième période à 5 contre 4, mais les palets envoyés au fond sont dégagés proprement par la défense scandinave. La maîtrise de la Suède est de plus en plus patente avec des passes précises et fluides. Les rouges se mettent à commettre parfois des erreurs impardonnables. En portant le palet dans l'axe de sa zone défensive, Jean-Yves Roy se fait ainsi voler un palet par Mats Näslund, qui réussit une passe levée au-dessus de Mayer couché pour centrer sur Patrik Juhlin seul face au but, mais la reprise à bout portant de ce dernier est bloquée par Hirsch. Le gardien canadien signe aussi un beau lancer de bottes en face-à-face avec Tomas Jonsson qui - au moment où il sortait d'une punition purgée avec Hlushko pour une petite altercation - a bénéficié d'une interception de Stefan Örnskog sur Brad Schlegel, défenseur qui fait la loi physiquement dans sa zone aujourd'hui mais est moins à son aise pour porter le palet.
Dans la seconde moitié du deuxième tiers, les deux équipes alternent les passages en prison. Pour les Canadiens, il s'agit de bêtes fautes de frustration en zone offensive : un cinglage de Schreiber et un accrochage de Savage qui venait de voir son beau one-timer arrêté du bout de la botte par Salo. Les pénalités suédoises proviennent de duels physiques : Johansson retient Kariya derrière la cage et Svensson met au sol Johnson dans le slot. Tour à tour, les deux équipes sont bien en place en infériorité numérique, chacune dans son style. La Suède est un peu plus agressive sur le porteur du palet, le Canada conserve une boîte plus groupée. Les meilleures occasions reviennent à Peter Forsberg, qui hérite de deux palets de but au poteau droit. Son premier tir est détourné par Hirsch, le second est bloqué par Werenka couché. Un peu en retrait en première période où il jouait parfois trop compliqué (dribbles individuels en entrée de zone), le très attendu Forsberg est devenu une menace régulière dans ce deuxième tiers et s'est hissé à la hauteur de l'évènement.
Il reste vingt minutes au Canada pour refaire son petit but de retard. La Suède est maintenant plus en contrôle et se repose sur son expérience et sur son système de jeu, sans risque inutile. Elle attaque avec un joueur dirigé vers le but, mais en couvrant toujours ses arrières. Lorsqu'un puissant lancer en angle de Håkan Loob, bien lancé par Näslund, est détourné par Corey Hirsch, le Canada part dans l'autre sens mais Greg Johnson entre en zone face à une défense en place. Pourtant, Chris Kontos parvient à trouver la déviation devant le but de Paul Kariya (1-1, 49'08"). Sur l'occasion canadienne suivante, Tommy Salo arrête le one-timer de Kontos servi de derrière la cage par Johnson, mais le long rebond arrive sur le défenseur Derek Mayer qui reprend de toutes ses forces. Le gardien suédois écarte les bras d'impuissance : il n'a pas vu le lancer car Peter Forsberg est passé devant son champ de vision au mauvais moment (2-1, 51'41").
La partie a basculé en trois minutes et ce Canada est décidément impressionnant par sa détermination et sa persévérance. La Suède doit changer de tactique avec des séquences de possession plus longues en zone offensive. Les Canadiens sont néanmoins forts dans les bandes et s'appliquent à maintenir leurs adversaires dans le périmètre. Mais une très forte présence de nouveau dirigée par l'intenable Patrik Juhlin aboutit à une faute de Brad Werenka qui accroche Näslund près du but. Le premier avantage numérique avait été converti par Jonsson, le dernier est transformé par un lancer de la bleue de l'autre défenseur-canonnier Magnus Svensson (2-2, 58'11"). Une égalisation logique pour des Suédois qui ont tiré deux fois plus au but que leurs adversaires durant ce match.
Quelle finale en tout cas, et quel suspense ! La Suède commence fort en prolongation, avec un missile en entrée de zone de Juhlin. Les jaunes ont plus de vitesse et monopolisent le palet. Les attaquants canadiens se distinguent surtout par leur présence défensive, tel Roy qui tient Örnskog dans la bande. Les spectateurs retiennent leur souffle avant d'osciller entre huées et inquiétude : Kenny Jönsson, revenu chercher un palet au fond de sa zone, reste inconscient sur la glace après avoir été propulsé tête la première dans la balustrade par une charge à pleine vitesse de Todd Hlushko, bras en avant. Le joueur suédois se relève difficilement - il rentrera aux vestiaires peu après - mais l'arbitre n'inflige aucune pénalité. Les Scandinaves gardent la tête froide et gardent le dessus. Les transitions s'accélèrent à la neuvième minute de la prolongation, le palet change sans cesse de camp. On est un peu frustré que le spectacle s'arrête après dix minutes, il culminera dans une séance de tirs au but.
Nedved transperce Salo ; Hirsch se retourne mais sa crosse maintenue sur la glace a bien arrêté le tir de Loob avant qu'il passe entre ses jambières. Lorsque Kariya marque en lucarne, le Canada a déjà deux buts d'avance, mais Magnus Svensson réplique aussitôt par un beau mouvement rapide vers la gauche. Salo a ensuite plus de réussite : sa crosse bloque Norris, sa jambière frustre Parks et sa hanche arrête le tir de Norris. Dans le même temps, le revers du vétéran Näslund manque le cadre et c'est le jeune Peter Forsberg qui a le plus de sang-froid pour glisser du revers le palet sous les bottes. Hansson a le palet de la victoire mais Hirsch suit bien sa feinte.
2-2 après cinq tirs : interrogés à nouveau, les entraîneurs doivent réinscrire cinq noms et envoient en premier tous ceux qui ont réussi leurs premières tentatives. On passe maintenant à des duels individuels et on change de sens, la Suède tire d'abord. Svensson fait la même feinte, aussi rapide, mais Hirsch ne se fait pas avoir deux fois. Nedved change d'option et choisit la feinte, il s'ouvre la cage mais son revers rate la cible. Dans un incroyable pénalty, Forsberg dribble, déporte le gardien vers la gauche et lâche sa crosse qu'il ne tient plus que de la main droite pour pousser le palet au fond à ras glace ! Paul Kariya fait se coucher le gardien et vise encore la lucarne, mais son tir est repoussé par la jambière levée de Salo (photo).
Le malheureux Corey Hirsch reste assis, prostré, sur le banc canadien, sans même avoir enlevé son masque, pendant que les Suédois sont au paroxysme de leurs émotions en fêtant leur première médaille d'or, couronnement du travail de cette équipe depuis des années pour se saisir de la place libre de nation dominante du hockey mondial. Le héros est un gamin de 21 ans nommé Peter Forsberg, alors que les vétérans Håkan Loob, Mats Näslund et Tomas Jonsson (de gauche à droite sur la photo ci-dessous) deviennent les premiers joueurs de l'histoire à avoir gagné les trois trophées majeurs : Jeux olympiques, Coupe Stanley et championnats du monde.
Étoiles Hockey Archives : *** Peter Forsberg et Patrik Juhlin , ** Greg Johnson et Magnus Svensson , * Chris Kontos et Mats Näslund .
Commentaires d'après-match
Curt Lundmark (entraîneur de la Suède) : "Nous avons contrôlé le jeu, mais Hirsch nous a contenus pendant les deux premières périodes. En fait, je voulais envoyer un des vétérans [NDLR : Näslund ou Loob] tirer ce pénalty, mais ils avaient peur. Peter [Forsberg] est jeune et veut être dans l'action. Nous avons travaillé très dur, tous ensemble, pour parvenir à cette médaille d'or. C'est magnifique. C'est historique. Demain, ce sera la fête à Arlanda [l'aéroport de Stockholm] et je crois qu'il y aura beaucoup de monde pour nous accueillir."
Tom Renney (entraîneur du Canada) : "Je suis évidemment très déçu mais mes joueurs ont porté haut les couleurs du Canada durant tout ce tournoi olympique. Ils ont fait preuve d'un esprit de corps exceptionnel. Je n'oublie pas que certains pronostics nous situaient septième ou huitième. Nous contrôlions le match à la fin. Je pensais que si nous continuions à faire de bonnes présences et à garder des hommes frais sur la glace, toute la pression serait sur la Suède jusqu'à ce qu'elle fasse le geste de trop et qu'elle nous permette même de marquer le troisième but. Et puis il y a eu cette pénalité tardive contre Werenka, le genre de faute qui n'était pas sanctionnée pendant tout le tournoi. Les tirs au but font partie des règlements et nous nous y étions préparés. Nous nous y étions même exercés avec trois tireurs chacun après nos matchs d'exhibition, quel que soit le score, juste pour nous entraîner. Mais nous ne l'avions jamais fait à des Jeux olympiques."
Peter Forsberg (attaquant de la Suède) : "C'est fantastique. L'or, c'est un rêve. Je n'ai jamais été aussi nerveux de toute ma vie. J'étais inquiet de ma nervosité avant le match, jusqu'à ce que je voie que les joueurs canadiens étaient aussi nerveux que moi. Quand j'ai marqué, j'ai presque éclaté en sanglots. Je ne marque pas souvent sur les pénaltys. Hirsch s'est déplacé sur sa droite quand je me suis approché sur le pénalty décisif. Il fallait faire quelque chose, et je crois que je l'ai fait. J'avais vu Kent Nilsson faire ce mouvement aux Mondiaux 1989 quand j'avais quinze ans. Je l'avais testé trois fois auparavant, mais je ne l'avais jamais réussi."
Mats Näslund (attaquant de la Suède) : "Pour la première fois, [Peter Forsberg] m'a prouvé qu'il n'était pas seulement un joueur prometteur, mais qu'il était prêt à jouer dans les grands matches."
Corey Hirsch (gardien du Canada) : "Pendant toue la fusillade, j'ai essayé d'être agressif pour forcer les joueurs à faire des feintes, parce que je pensais que la glace serait mauvaise à la fin d'un long match. J'y suis arrivé plusieurs fois, les attaquants ont perdu le palet. J'ai aussi forcé Forsberg à feinter sur son second but. Je l'ai suivi au poteau droit avant qu'il puisse tourner, il a fait un mouvement que je trouvais discutable en freinant complètement. Je voulais protester, je pensais l'avoir arrêté. Je ne sais pas si c'était un revers ou si le palet avait juste glissé à côté de moi, mais je sais que mon gant l'a presque touché. Les tirs au but sont une manière atroce de départager deux équipes. Toute la pression repose sur les gardiens. Je n'avais pas le courage de regarder les coéquipiers entre les lancers. C'est la plus grande déception de ma vie."
Canada - Suède 2-2 (0-1, 0-0, 2-1, 0-0) / 2-3 aux tirs au but
Dimanche 27 février 1994 à 15h15 au Håkons Hall de Lillehammer. 9245 spectateurs.
Arbitrage de Rob Hearn (USA) assisté de Vaclav Cesky (TCH) et Jay Borman (USA).
Penalités : Canada 10' (2', 6', 2', 0'), Suède 10' (4', 6', 0', 0').
Tirs cadrés : Canada 21 (7, 6, 6, 2), Suède 42 (6, 16, 16, 4).
Tirs totaux : Canada 44 (15, 15, 8, 6), Suède 66 (12, 23, 23, 8).
Engagements : Canada 41 (10, 14, 12, 5), Suède 32 (9, 8, 11, 4).
Évolution du score :
0-1 à 06'10" : T. Jonsson assisté de Loob et Forsberg (sup. num.)
1-1 à 49'08" : Kariya assisté de Kontos et Johnson
2-1 à 51'43" : Mayer
2-2 à 58'11" : Svensson assisté de Forsberg et T. Jonsson (sup. num.)
Tirs au but :
Canada : Nedved (réussi), Kariya (réussi), Norris (arrêté), Parks (arrêté), Johnson (arrêté).
Suède : Loob (arrêté), Svensson (réussi), Näslund (manqué), Forsberg (réussi), Hansson (arrêté).
Tireurs supplémentaires : Svensson (S, arrêté), Nedved (C, manqué), Forsberg (S, réussi), Kariya (C, manqué).
Canada
Attaquants :
8 Fabian Joseph (C) - 22 Greg Parks - 7 Todd Hlushko (2')
9 Paul Kariya (+2) - 12 Greg Johnson (+2) - 27 Christopher Kontos (+2)
16 Wallace Schreiber (2') - 93 Petr Nedved - 25 Jean-Yves Roy
[Kariya] - 14 Brian Savage (2') - 10 Dwayne Norris
Défenseurs :
28 David Harlock (+1) - 4 Derek Mayer (A, +1)
24 Mark Astley (2') - 44 Brad Schlegel (A, +1)
6 Ken Lovsin - 5 Brad Werenka (+1, 2')
Gardien :
1 Corey Hirsch
Remplaçants : 31 Allain Roy (G), 3 Adrian Aucoin, 33 Chris Therien, 18 Todd Warriner. Blessé : 30 Manny Legacé (G).
Suède
Attaquants :
11 Roger Hansson (-1) - 21 Peter Forsberg (-1) - 18 Jonas Bergkvist (A, -1)
26 Mats Näslund - 17 Daniel Rydmark - 5 Patrik Juhlin
27 Patric Kjellberg - 15 Stefan Örnskog (-1) - 12 Håkan Loob (-1)
16 Niklas Eriksson - 20 Jörgen Jonsson (-1) - 24 Andreas Dackell
Défenseurs :
2 Tomas Jonsson (C, -1, 2') - 19 Kenny Jönsson (-1)
8 Magnus Svensson (2') - 34 Roger Johansson (2')
14 Fredrik Stillman (-1) - 7 Leif Rohlin (-1, 2')
Gardien :
35 Tommy Salo (2')
Remplaçants : 30 Mikael Sundlöv (G), 3 Christian Due-Boje, 22 Charles Berglund. Rentré au pays : 1 Håkan Algotsson (G).