Ak Bars Kazan - Lada Togliatti (24 mars 2003)

 

Quart de finale du championnat de Russie 2002/03, cinquième manche.

Le retour à la maison n'a pas été simple pour les Bars de Kazan, et pas seulement parce qu'ils ont ramené deux défaites dans leurs bagages. Alors qu'ils étaient dans l'avion du retour, ils durent en ressortir aussi sec car le pilote constata une défaillance des parties mobiles des ailes lors des vérifications. L'erreur commise dans la préparation de l'appareil fut rapidement identifiée et le problème technique résolu, mais que l'avion aie le droit de voler à nouveau, il fallait attendre que la commission de contrôle technique se réunisse, ce qui n'était possible que deux jours plus tard, le lundi.

Les joueurs de Kazan se retrouvaient donc bloqués à l'aéroport, et semblaient devoir passer la nuit dans le terminal d'embarquement. C'est alors qu'on comprend l'importance qu'a le club pour le Tatarstan. La direction de la compagnie aérienne de cette République autonome ordonna en effet qu'un avion en provenance de Moscou, sitôt arrivé à Kazan, aille immédiatement, sans pause et avec le même équipage, chercher les joueurs bloqués à Kazan, cet ordre venu d'en haut ne pouvant souffrir aucune discussion. Le voyage effectué et toutes les formalités réglées, les joueurs des Bars ne purent rentrer dans leurs foyers qu'à six heures du matin. À cette heure-là, leurs supporters, qui avaient tout simplement parcouru les 400 kilomètres qui séparent Togliatti de Kazan en bus, dormaient déjà...

La nouvelle a vite fait le tour de la ville de Kazan, où certains ont vite soupçonné un complot des responsables de l'aéroport de Samara pour favoriser Togliatti... C'est donc dans une atmosphère tendue, à la limite de la paranoïa, que se déroule ce match décisif.

Pour désamorcer d'avance toute polémique sur l'arbitre, la fédération russe a procédé à un système de nomination original : à la fin du quatrième match, l'inspecteur de l'arbitrage Leonid Weisfeld a présenté une liste d'officiels à Viktor Minaïev, manager de Togliatti, et Vladimir Plyushchev, entraîneur de Kazan. Tour à tour, les deux responsables ont rayé les noms qui leur convenaient le moins... jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un nom, l'arbitre moscovite Cerenkov, celui envers chacun avait semble-t-il le moins de griefs ou de préjugés.

Jamais dans le championnat russe une équipe ne s'était qualifiée après avoir perdu les deux premières manches. Mais, avec le décalage horaire, on apprend peu avant le coup d'envoi qu'Omsk vient de réaliser l'exploit. Est-ce cela qui transcende le Lada Togliatti ? En tout cas, en dix minutes, il mène déjà 3-0. Et Andreï Tsarev, considéré comme un des gardiens les plus réguliers du pays, quitte la glace piteusement à la douzième minute, remplacé par Dmitri Yachanov.

De favori, Kazan passe au statut de quasi-éliminé, et n'a plus qu'à espérer un miracle. En effet, Maksim Mikhaïlovsky tient toujours dans l'autre cage. Mais, alors que les siens sont réduits à trois, il ne peut rien faire face à Namestnikov. Cela semble cependant insuffisant. Il reste un peu plus de trois minutes à jouer, Togliatti a toujours ses deux buts d'avance et est en plus en supériorité numérique. Pourtant, Prohskin trouve l'ouverture : 2-3. Vladmir Plyushchev sort alors son gardien à l'avant-dernière minute, et l'incroyable se produit : c'est l'égalisation de Tsyplakov !

C'est du délire dans les gradins. La soirée est décidément complètement folle, et plus personne ne doute à ce moment-là, après cette remontée fantastique, que Kazan va gagner. D'ailleurs, Togliatti semble ne plus trop savoir où il en est. Le choc est terrible, la déception énorme. Comment faire en sorte d'oublier ces minutes terribles et de repartir de l'avant ? Petr Vorobiev choisit de tenter un coup de poker en changeant de gardien. Maksim Mikhaïlovsky vient d'encaisser deux buts, et il n'a en outre pas été décisif lors des deux premiers matches à Kazan lorsqu'est venue l'heure de la prolongation ou des tirs au but. Le gardien canadien Mike Fountain fait donc sa grande rentrée dans ces play-offs, complètement froid, pour une prolongation décisive et avec, on s'en doute, une énorme pression sur les épaules.

Un autre qui est sous pression, c'est l'arbitre. Il a beau avoir été adoubé par les deux équipes, chaque décision est cruciale. En pénalisant Balmin, un joueur de Kazan, pour une crosse haute sur Semin, il prend évidemment une décision aussi impopulaire que courageuse. En transformant cette supériorité numérique pendant la prolongation, le capitaine Aleksandr Boïkov propulse Togliatti en demi-finale à l'issue de l'un des matches les plus incroyables de l'histoire du championnat russe.

Le grand perdant dans tout ça, c'est évidemment Vladimir Plyushchev. Il a repris à mi-saison les rênes d'une équipe finaliste en titre et alors deuxième du classement. Il l'a amené à la quatrième place et à une élimination en demi-finales. Pour le sélectionneur national qui doit redorer le blason de la Russie, ça fait désordre. Son prestige est désormais un peu écorné, et il aura beaucoup moins le droit à l'erreur lors des championnats du monde, à la tête de l'équipe nationale.

Quant au staff de Togliatti, il recherche activement un mendiant tatar coiffé d'une casquette sale... En arrivant à leur hôtel à Kazan, les joueurs qui sortaient du bus avaient en effet été alpagués par un vieil homme qui leur promettait la victoire en échange de cent roubles. La vision d'un clochard est devenu si habituelle dans la Russie moderne que tout le monde pénétra dans l'hôtel sans lui prêter attention. Sauf, en queue de cortège, l'entraîneur-adjoint Valeri Shaposhnikov. Il marqua un temps d'arrêt, ouvrit son portefeuille et, plus par boutade que par superstition ou générosité, tendit un billet au vieillard. Celui-ci lui demanda alors d'attendre, et se mit à exécuter une prière, sans que Shaposhnikov puisse déterminer s'il était musulman, comme la plupart des habitants de Kazan, ou orthodoxe. Puis il lui déclara : "Maintenant, vous vaincrez. L'unique condition, c'est d'y croire. Même quand tout ira très mal." Le lendemain du match, Shaposhnikov chercha partout le clochard porte-bonheur. Il ne le trouva point.

 

Commentaires d'après-match

Vladimir Plyushchev (entraîneur de Kazan) : "Avant même le début des play-offs, j'ai discuté de l'éventualité d'un échec avec la direction. Pas parce que je craignais le Lada ou quoi que ce soit, mais parce que chaque personne essaie de programmer sa vie en fonction de ce qui va se passer. Ils ont classé la question. Je prépare Kazan pour la saison prochaine."

Petr Vorobiev (entraîneur de Togliatti) : "J'ai eu souvent l'occasion de rencontrer Kazan ces dernières années à la tête de différentes équipes, et ces matches ont toujours consommé une grande quantité de nerfs et d'énergie. Nous avons beaucoup de jeunes joueurs dont l'expérience à ce niveau n'est pas toujours suffisante. Un club qui concourt à ce niveau n'a pas le droit, à trois minutes de la fin, en supériorité, d'encaisser un but. Cette erreur est purement psychologique. Nous avions fait tout ce qu'il fallait, mais les joueurs ont commencé à se relâcher en défense alors que la sirène n'avait pas encore retenti. À 3-3, nous étions abattus moralement, et finalement, tout est bien qui finit bien."

Aleksandr Boïkov (capitaine de Togliatti) : "Croyez-moi si vous le voulez, mais après les deux premières défaites, j'étais encore confiant. Nous n'avions jamais perdu dans le temps réglementaire face à Kazan pendant la saison régulière, et dans ces deux premières rencontres nous avions faut jeu égal. Dans cette prolongation, ils ont dominé mais n'ont pas eu pour autant d'occasions franches. Ils se sont lancés à l'attaque presque sans penser à leurs propres cages, et nous en avons profité. Bien sûr, nous étions à un de plus, mais cela se justifiait. Nous sommes une équipe jeune et ambitieuse, la majorité d'entre nous n'a encore jamais remporté de médaille. Essayez de vous imaginer notre envie..."

 

Ak Bars Kazan - Lada Togliatti 3-4 a.p. (0-3, 1-0, 2-0, 0-1)

Lundi 24 mars 2003 au Palais des Sports de Kazan. 3845 spectateurs (guichets fermés).

Arbitrage de M. Cerenkov. Pénalités : Kazan 16', Togliatti 20'+10'.

Tirs cadrés : Kazan 32 (8, 10, 8, 6), Togliatti 23 (8, 8, 5, 2).

Évolution du score :

0-1 à 02'06" : Semin

0-2 à 05'15" : Boïkov assisté de Grigorenko et Cierny

0-3 à 09'53" : Nesterov assisté de Belkin (sup. num.)

1-3 à 26'21" : Namestnikov assisté de Chupin et Proshkin (sup. num.)

2-3 à 56'52" : Proshkin assisté de Zinoviev (inf. num.)

3-3 à 58'58" : Tsyplakov

3-4 à 67'46" : Boïkov (sup. num.)

 

Ak Bars Kazan

Gardien : Andreï Tsarev puis Dmitri Yachanov à 11'14" (sorti de sa cage de 58'53" à 58'58").

Défenseurs : Evgueni Namestnikov - Vitali Proshkin ; Aleksandr Zavyalov - Dmitri Balmin (C) ; Oleg Shargorodsky - Fedor Tyutin.

Attaquants : Vladimir Tsyplakov - Sergueï Zinoviev - Aleksei Chupin ; Vladimir Zelepukin - Jan Benda - Dmitri Gogolev ; Albert Vishnyakov - Evgueni Fedorov - Denis Zaripov ; Aleksandr Korolyuk - Sergueï Korolev - Denis Platonov.

Lada Togliatti

Gardien : Maksim Mikhaïlovsky puis Mike Fountain à 60'00".

Défenseurs : Ladislav Cierny - Vladimir Malenkikh ; Maksim Semenov - Vladislav Bulin ; Andrei Essipov - Artur Oktyabrev ; Filipp Meltyuk - Maksim Kondratiev.

Attaquants : Aleksandr Boïkov (C) - Igor Grigorenko - Aleksandr Buturlin ; Evgueni Pavlov - Andrei Tsarev - Bruce Gardiner ; Aleksandr Semin - Aleksandr Nesterov - Oleg Belkin ; Andrei Frolkin - Sergueï Sevostyanov - Mikhaïl Sevostyanov.

 

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