République Tchèque - Canada (15 mai 2005)

 

Finale des championnats du monde 2005.

C'est la finale rêvée. Les deux dernières dynasties du hockey mondial s'affrontent. Le Canada, qui a tout gagné depuis trois ans, est opposé à la République Tchèque, maîtresse incontestée de la précédente olympiade. Les deux équipes se respectent grandement. Personne au Canada n'a oublié la demi-finale de la coupe du monde, non seulement le résultat, favorable, mais surtout le déroulement du match, où l'équipe tchèque avait impressionné. Aujourd'hui, on solde les comptes. C'est comme une grande finale à quitte ou double, toutes ceintures en jeu, entre les deux nations qui ont dominé le hockey sur glace dans la dernière décennie, ne laissant que des miettes aux autres.

Solidité tchèque

La première frayeur est tchèque quand Jiri Fischer glisse derrière sa cage et voit le palet filer vers Brendan Morrison qui sert alors Ryan Smyth lancé seul au but, mais la reprise du capitaine n'est pas cadrée. Cette occasion tombée du ciel, les Canadiens peuvent la regretter, car la suite leur est moins favorable. Jagr centre au second poteau pour Rucinsky. Le gardien Brodeur repousse mais Vaclav Prospal, en provenance directe du banc où il venait de remplacer Cajanek, surgit sur le rebond (1-0, 04'13"). L'impact psychologique de la "checking line" de Draper est déjà diminué, puisqu'il n'a pas pu empêcher la ligne de Jagr de marquer.

L'autre grand atout du Canada, c'est ce jeu de puissance qui tourne à plus de 30 %, et l'on sait qu'il faut éviter les pénalités stupides quand on l'affronte. Inutile dès lors de préciser que Vladimir Ruzicka est furieux quand son équipe se fait prendre en surnombre. Mais l'impact physique de Kubina puis de Zidlicky ne laisse pas les Canadiens s'approcher de la cage pour les rebonds.

L'engagement est total de part et d'autre, on se sacrifie sur les palets, et Regehr se couche bien devant Jagr qui a un peu oublié la passe. Solides défensivement, les Tchèques sont également impressionnants offensivement. À la dernière minute du premier tiers, Jan Hlavac réalise une feinte exceptionnelle à la ligne bleue offensive face à Boyle. Un café-crème, et vous me servez l'addition pendant la pause...

Le Canada sait qu'il ne peut pas continuer ainsi. Il doit être plus incisif et plus percutant. Il revient sur la glace avec des intentions plus nettes et un jeu extrêmement direct qui cherche des déviations devant la cage. Il impose ainsi une pression nette jusqu'à la mi-match. Maltby est alors pénalisé pour dureté, et Martin Brodeur est contraint à plusieurs arrêts déterminants, dont un sur une reprise de Radek Dvorak, qui était seul en plein centre du triangle Jovanovski-Doan-Walker. Dès le retour à égalité numérique, Rucinsky accroche Thornton, mais ses coéquipiers font de l'excellent travail en infériorité et dégagent inlassablement le palet.

La fin du deuxième tiers-temps est très fermée. On bataille beaucoup dans les coins et les Tchèques ne s'en laissent pas compter. On se provoque souvent après le coup de sifflet, et à quelques secondes de la fin, Zidlicky est ainsi envoyé en prison pour avoir poussé Maltby contre la cage.

Travail impeccable contre indiscipline

Le troisième tiers-temps reprend donc à cinq contre quatre pour les Canadiens, mais ils sont trop peu inspirés pour profiter de cet avantage. La ligne de Draper réussit quand même à maintenir sous pression à cinq contre cinq des Tchèques qui n'arrivent plus à faire une sortie de zone propre. Il suffit d'une attaque parfaitement exécutée pour les libérer : une magnifique passe transversale en zone neutre de Jaromir Jagr pour Martin Rucinsky qui passe la bleue et lance au poteau opposé au-dessus des jambières de Brodeur (2-0, 43'12").

L'indiscipline plombe encore les possibilités de retour canadiennes. Après un cross-checking de Hannan, c'est Ryan Smyth qui accroche Vasicek. Avec la même pudeur que Kovalchuk hier mais un peu plus de bonnes manières, il pose sa serviette sur la caméra de la prison. Sur la supériorité, on peut se rassurer en voyant qu'Ales Hemsky n'a rien perdu de son culot. Il continue de placer sa feinte en un contre un, mais, si le palet passe, Regehr joue l'homme et l'empêche d'aller plus loin.

Même quand la supériorité numérique tant attendue se présente, après que Vasicek a retenu une crosse canadienne, Joe Thornton met son bâton dans le visage de Spacek. Son compère Rick Nash, qui déborde de frustration, finit par échanger des coups avec Fischer. Le duo qui a fait exploser les compteurs de ce championnat du monde comme personne depuis la KLM se retrouve à nouveau ensemble... sur le banc de la prison. La ligne dominante canadienne n'a pas pu s'exprimer ce soir.

Le temps passe, et le travail tchèque est toujours impeccable, avec Dvorak qui garde le palet dans les coins ou Spacek qui se couche devant un tir. Il reste tout de même un ultime jeu de puissance au Canada après une crosse haute de Hejda sur Nash. Après une succession de dégagements tchèques, Brodeur sort de son cage pour que son équipe joue à six contre quatre. La pression est intense autour de Vokoun, et en prenant un rebond, Josef Vasicek, à genoux, dégage directement dans la cage d'en face... Poteau rentrant ! La patinoire exulte et le banc tchèque se congratule (3-0, 59'07"). Un immense sourire ne quittera plus le visage d'un Jaromir Jagr hilare d'être devenu enfin champion du monde.

Mauvais perdants

Si les Tchèques ont appris à perdre pendant ces dernières années, il serait bon que les Canadiens en fassent autant, en particulier deux joueurs qui espéraient graver leur nom dans l'histoire du hockey de leur pays avec un troisième titre de champion du monde consécutif : le capitaine-symbole Ryan Smyth, en donnant cinq coups de crosse consécutifs (!) dans les chevilles de Fischer, ou Dany Heatley, qui provoque un Vokoun impassible, donnent une bien piètre image d'eux-mêmes. Cela n'est pas sans rappeler l'ignominieuse bagarre des Mondiaux 1997 où les Canadiens avaient fait dégénérer un match contre la République Tchèque où leur défaite était consommée. Le contexte est différent aujourd'hui, où l'on a plutôt l'impression de voir une équipe qui, à force de se convaincre de son invincibilité "naturelle" dans les matches à enjeu, a refusé que sa suprématie puisse être contestée. D'où les visages défaits et incrédules en voyant la joie tchèque.

Il est rare que la finale soit le plus beau match d'un tournoi. Après trois quarts de finale exceptionnels et une demi-finale Canada-Russie renversante, il était difficile de rivaliser. Cette finale ne pouvait pas offrir un tel spectacle. Elle a surtout été une vraie démonstration de force de la République Tchèque, qui est apparue ce soir aussi sûre d'elle-même qu'à l'époque où elle collectionnait les titres. Cette confiance inébranlable a rendu la victoire inexorable. La défense tchèque, qui n'a sans doute jamais été aussi solide, n'a jamais laissé l'attaque canadienne s'imposer.

Après avoir fait oublier l'élimination des Mondiaux de l'an passé en prenant sa revanche sur Andy Roach en quart de finale, Tomas Vokoun a effacé ce soir son mauvais but contre le Canada à la coupe du monde et a chassé tous les doutes. Après ce blanchissage mérité, il s'est inscrit dans la lignée des grands gardiens tchèques qui ont su mener la sélection au titre.

Élus meilleurs joueurs du match : Vaclav Prospal pour la République Tchèque et Martin Brodeur pour le Canada.

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match

Vaclav Varada (attaquant de la République Tchèque) : "Les entraîneurs nous ont sermonnés tous les jours. Ils nous ont rappelé que nous avions bien joué l'an passé dans les premiers tours, mais que nous n'avions pas su répondre présent en élimination directe face aux Américains. Cette année, nous avons eu un peu de chance en quart de finale et en demi-finale, mais nous avons dominé la finale. Nous savions que Jagr jouait avec un doigt cassé, ce n'était pas facile pour lui, mais il a continué. S'il nous avait quittés, peut-être que nous aurions pris un coup au moral et que nous ne serions pas ici avec la médaille d'or."

Jaromir Jagr (attaquant de la République Tchèque) : "En fait, je pouvais contrôler le palet, mais je ne pouvais pas tirer. Je n'ai même pas essayé, d'ailleurs. Je me concentrais sur les passes. Le Canada le savait. En supériorité, ils étaient malins et couvraient tous les autres joueurs pour m'obliger à tirer. [...] Ils ne peuvent pas tout gagner. Ils l'ont fait ces dernières années. Cette fois, nous avons eu plus de réussite. Je pense que c'est une question de chance. Battre le Canada est toujours quelque chose de grand, ils ont les meilleurs joueurs et personne d'autre ne peut en dire autant, à part peut-être les Russes. Ils pourraient gagner l'or avec seize équipes différentes, c'est un gros avantage."

Dan Boyle (défenseur du Canada) : "Peut-être qu'une autre équipe se satisferait de cette médaille d'argent, mais nous étions venus pour l'or. Cette année, c'était notre Coupe Stanley [qu'il a remportée l'an dernier avec Tampa Bay]. Ils sont très mobiles et ils tirent avantage de l'absence de ligne rouge et de la grande glace, qui ont été utilisées contre nous comme dans les deux derniers tiers-temps hier contre la Russie. Ils nous ont éteints. Nous n'avons pas eu le sentiment de créer quoi que ce soit."

Ryan Smyth (capitaine du Canada) : "Nous aurions aimé ouvrir notre compteur, mais ils ont tenu bon. Ils jouent sur leurs points forts. Ici on peut agripper l'adversaire et c'est rarement pénalisé. Nous n'utilisons pas ça comme une excuse. Ils ont bien joué, ils avaient la meilleure équipe. Ce n'est pas tant pour moi que je suis déçu que pour les gars qui n'avaient jamais remporté de médaille d'or. Quelqu'un comme Brodeur, qui aurait pu faire quelque chose de vraiment spécial [NB : le triplé Coupe Stanley - Jeux Olympiques - Championnats du monde, mais ce sont Jagr et Slegr qui l'ont réalisé], ou Sheldon Souray, donc c'était le premier tournoi international."

Martin Brodeur (gardien du Canada) : "Une médaille d'argent, c'est une défaite. Ce n'est pas quelque chose dont nous sommes réellement fiers. C'était excitant de participer à ce tournoi, mais c'est la victoire qui compte. Ils n'ont pas fait grand-chose offensivement. Ils ont marqué un premier but chanceux et m'ont battu sur ce tir lointain en troisième période. Ils sont restés derrière. Ils nous ont battus comme les New Jersey Devils [son équipe de NHL] gagnent les Coupes Stanley. Les équipes européennes sont censées être plus offensives. Ce n'est pas le jeu que nous attendions de leur part. Tomas Vokoun a pu voir tous les lancers dirigés vers lui. Il faut féliciter ces gars. Ils ont mis leurs bottes de travail et ont laissé leurs ego de côté."

 

République Tchèque - Canada 3-0 (1-0, 0-0, 2-0)

Dimanche 15 mai 2005 à 20h15 à la Stadthalle de Vienne. 7999 spectateurs.

Arbitrage de Thomas Andersson (SUE) assisté d'Antti Hämäläinen (FIN) et Joacim Karlsson (SUE).

Pénalités : République Tchèque 20' (4', 4', 12'), Canada 30' (4', 2', 14'+10').

Tirs : République Tchèque 27 (12, 7, 8), Canada 29 (10, 11, 8).

Engagements : République Tchèque 41 (9, 13, 19), Canada 33 (10, 10, 13).

Évolution du score :

1-0 à 04'13" : Prospal assisté de Rucinsky et Jagr

2-0 à 43'12" : Rucinsky assisté de Jagr et Cajanek

3-0 à 59'07" : Vasicek (cage vide)

 

République Tchèque

Gardien : Tomás Vokoun.

Défenseurs : Tomás Kaberle - Jirí Slegr ; Pavel Kubina - Jaroslav Spacek ; Jirí Fischer - Marek Zidlický ; Jan Hejda - Frantisek Kaberle.

Attaquants : Martin Rucinský - Petr Cajánek - Jaromír Jágr ; Martin Straka - Václav Prospal - Radek Dvorák ; Jan Hlavac - David Výborný - Ales Hemsky ; Václav Varada - Josef Vasícek - Petr Sýkora.

Remplaçant : Milan Hnilicka (G). Absents : Radim Vrbata, Petr Prucha (surnuméraires).

Canada

Gardien : Martin Brodeur [sorti de sa cage de 58'25" à 59'07"].

Défenseurs : Robyn Regehr - Ed Jovanovski ; Wade Redden - Chris Phillips ; Scott Hannan - Dan Boyle ; Sheldon Souray [sur la glace lors du premier but, laissé sur le banc ensuite].

Attaquants : Ryan Smyth - Brendan Morrison - Dany Heatley ; Simon Gagné - Joe Thornton - Rick Nash ; Shane Doan - Kris Draper - Kirk Maltby ; Brenden Morrow - Patrick Marleau - Scott Walker.

Remplaçants : Roberto Luongo (G), Mike Fisher.

 

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