Canada - Suisse (18 février 2006)

 

Jeux Olympiques de Turin 2006, groupe A.

Après avoir battu les Tchèques champions du monde en titre à la surprise générale, la Suisse affronte le Canada, champion olympique qui remet sa couronne en jeu.

On a à peine débuté que Rick Nash est pénalisé. Les Suisse s'installent dans le camp adverse et se créent même une occasion sur un centre mais la passe ne parvient pas à Bezina, seul de l'autre côté, car elle dévie sur le patin de Patrick Fischer. Cependant, ce jeu de puissance n'est que de courte durée, car Blindenbacher a le tort d'élever son bâton au visage de Shane Doan. Puis quelques secondes plus tard, Mathias Seger charge Dany Heatley dans le dos et écope d'un 2'+ 10'. Les Canadiens s'installent et mettent immédiatement une grosse pression et des opportunités échoient à Jarome Iginla et Brad Richards, mais tous se heurtent à un gardien qui va s'illustrer : Martin 'Tinu' Gerber.

Todd Bertuzzi se fait ensuite stupidement pénaliser en zone offensive. Les Suisses démontrent dans la foulée qu'ils veulent crânement tenter leur chance avec une percée de Bezina et le jeu semble s'équilibrer. Toutefois, le capitaine Mark Streit se fait pénaliser pour rudesse au moment précis où les protégés de Pat Quinn se retrouvent au complet. Bertuzzi se trouve bien placé, mais il n'a pas d'angle devant Gerber. Le Canada ne se montre guère dangereux jusqu'à ce que le portier emmentalois manque l'interception d'une rondelle derrière ses filets, ce dont Simon Gagné ne peut profiter. Streit revient du banc des pénalisés et se crée aussi une occasion en s'approchant de Brodeur en coupant sur son revers.

L'arbitre russe Monsieur Bulanov se montre sans concession et punit Beat Forster pour une faute peu évidente, ce qui sort quelque peu l'entraîneur Ralph Krueger de son flegme. Néanmoins, le jeu de puissance des joueurs à la feuille d'érable reste stérile et oublient de tirer au but. Goran Bezina, très en vue en ce début de match, veut charger Nash qui parvient à l'esquiver, ce qui précipite le défenseur helvétique aux racines croates de l'autre côté de la bande les quatre fers en l'air, au grand amusement du public. Non, ce n'était pas un changement volant !

On a alors passé les dix premières minutes et les Helvètes prennent confiance, tout comme leurs partisans, que l'on commence à entendre donner de la voix. Wichser se montre même dangereux suite à un débordement sur le côté gauche et son centre échoue de peu sur Lemm.. Le match est plaisant mais Plüss se fait pénaliser à son tour pour avoir fait trébucher Ryan Smyth. Cela commence à faire beaucoup et l'on se dit que le Canada va finir par trouver la faille et que la Suisse va s'épuiser à force de tuer les punitions, mais il n'en est rien car Sakic et consorts manquent singulièrement d'inspiration et de vitesse d'exécution en jeu de puissance. C'est même à priori l'impensable qui se produit à la dix-huitième minute : Martin Plüss contre avec à propos Joe Thornton au centre de la glace, Paul Di Pietro se saisit du contrôle du disque resté libre, pénètre dans la zone canadienne et sert Patric Della Rossa derrière le filet. L'attaquant de Zoug gagne son duel face au défenseur canadien et remet à Di Pietro qui fait mouche (0-1 à 18'19"). Ce but est à l'image de la prestation d'ensemble de la troupe à Krueger où tout le monde se montre discipliné, volontaire sur chaque rondelle ainsi que dans chaque duel malgré un déficit en taille (mais pas en patinage) et s'engage à fond pour l'équipe tout en se montrant prêt à saisir la moindre chance offerte.

La deuxième période débute et Romano Lemm est envoyé au cachot pour avoir fait trébucher Heatley. Les Canadiens semblent remporter davantage de mises au jeu, mais les joueurs à la feuille d'érable ne montrent rien de convaincant. Seul Bertuzzi se signale par une mise en échec rude mais légale sur Bezina. L'infériorité numérique est un festival de dégagements suisses, et sur la dernière sortie de palet de Flavien Conne, il prend un coup de coude au niveau du cou de Shane Doan qui est pénalisé justement. Le Suisse ne l'a jamais vu venir et a beaucoup de mal à se relever.

Le jeu de puissance suisse est plus vif que celui des Canadiens et Blindenbacher inquiète Brodeur de loin sur un tir sur réception, suite à un service d'Adrian Wichser. À peine revenus au complet, les sélectionnés de Wayne Gretzky encaissent de nouveau des pénalités. Heatley pris de vitesse retient Jenni et est rejoint en prison par Foote. Double avantage numérique pendant 52 secondes pour la Suisse. Ça chauffe mais Brodeur finit par s'interposer sur un tir de Streit. Mais le lent Pronger se permet un double-échec dans le dos (ce n'était pas le premier...) à l'encontre de Paterlini, ce qui contraint le Canada à évoluer en infériorité de deux hommes pendant plus longtemps encore. L'engagement est gagné par le petit Plüss, Streit sert Bezina qui tire sur réception, et son missile dévie sur le patin de Regehr pour échouer sur la canne de Di Pietro qui a le filet ouvert et conclut victorieusement (0-2 à 28'47"). Et le natif de Sault Sainte Marie en Ontario, vainqueur de la Coupe Stanley avec le Canadien de Montréal en 1993 (qui a acquis depuis lors la nationalité suisse) de jouer un vilain tour à ses compatriotes, puisque les "petits Suisses", supposés inférieurs, mènent 2-0 sans que l'on puisse parler de hold-up ! À voir la tête consternée de Gretzky dans les tribunes, cela prend des allures de drame national.

De surcroît, les Suisses bénéficient toujours d'un avantage numérique pendant deux minutes et ont l'occasion de tuer le match. Wichser, suite à un essai de Streit, puis Rüthemann ne passent pas loin d'aggraver encore le score. Les Canadiens se voient refuser un but à la trente-septième minute, puisque Bertuzzi se trouvait illégalement posté dans la zone du gardien, mais semblent retrouver des couleurs. Peu après Gerber, s'impose face à Iginla. Cependant, les Helvètes restent présents et profitent du moindre contre. Dès lors le jeu devient plus intense, les pénalités plus fréquentes, toutefois aucune des deux formations ne sait en tirer profit.

Un des tournants du match se situe certainement à la trente-huitième minute, lorsque Martin Gerber réussit un splendide arrêt réflexe de la mitaine sur une reprise à bout portant de Rick Nash. L'arbitre russe doit consulter la vidéo même s'il semble a priori que le puck ait franchi la ligne, puisque la mitaine se trouve à l'intérieur de la cage. Après dix minutes interminables, Monsieur Bulanov ne peut avoir de réelle certitude d'après les images qu'on lui propose et, dans le doute, refuse le but aux Canadiens. Voilà le "Torino no goal" après le "Wembley goal" de la finale de la Coupe du monde de football de 1966 : l'arbitre a dû trancher, mais on ne saura jamais vraiment et chacun aura son opinion sur le sujet. Cette décision a pour effet de tuer le momentum des joueurs à la feuille d'érable qui pressaient alors sérieusement, et Gerber de prendre un ascendant psychologique sur les attaquants. Les Suisses doivent encore tuer une pénalité infligée à Forster, mais seul Joe Sakic parvient à se montrer dangereux, sans trouver de trou dans l'équipement du Bernois de l'Emmental. Les Canadiens commencent à en faire un fromage, mais Jenni et Fischer s'approchent dangereusement de Brodeur, si bien que Brad Richards se voit contraint d'accrocher l'ancien joueur de Färjestad. Lemm se trouve idéalement placé mais son envoi passe de peu à côté, puis, dans l'action, se trouve pénalisé à son tour. On joue donc à quatre de chaque côté. C'est alors que Thierry Paterlini part de sa propre ligne bleue et se met sur son revers pour adresser un tir dans la botte de Brodeur, un peu à l'image de son but victorieux contre les Tchèques.

Lors de la troisième période, les protégés de Pat Quinn jouent leur va-tout et dominent nettement aux tirs aux buts mais manquent singulièrement de lucidité, à l'image d'un Bertuzzi qui n'arrive pas à rentrer en zone face à Conne et se fait pénaliser inutilement alors que son équipe joue en supériorité numérique. Martin Gerber réalise un match énorme qui témoigne de sa forme actuelle avec Carolina et en plus bénéficie parfois de la réussite qui vient en aide aux grands. Certes, les Canadiens pressent et se créent une grosse occasion sur un des rares rebonds accordés par le portier suisse, mais ils se montrent toujours aussi indisciplinés et Vincent Lecavalier charge Wichser par derrière, ce qui le conduit au cachot avec 2'+10'. Les Helvètes ne se contentent pas de tuer le temps et Blindenbacher inquiète Brodeur sur un lancer de la bleue. Il reste moins de minutes à l'horloge. Gerber réalise une intervention face aux ex-Davosiens Nash et Thornton, le puck s'en venant même mourir sur la ligne.

En infériorité numérique, Martin Plüss se permet d'administrer une leçon de technique et de patinage dans la défense statique de l'adversaire du jour. Mais la situation devient pénible pour la Suisse, car le lutin de Frölunda en Suède ouvre accidentellement Joe Sakic au visage et écope d'un 2'+2'. Ça chauffe avec Nash et Thornton, puis le gros et fort défenseur Chris Pronger utilise son élan mais pas son cerveau et écope d'une pénalité inutile en zone offensive, alors qu'il reste cinq minutes.

Non, les Canadiens ne sont pas dans un grand jour, à l'image de Heatley qui tombe tout seul. Monsieur Bulanov ne laisse absolument rien passer jusqu'à la fin et le défenseur du Canadien de Montréal et capitaine de la sélection helvétique Mark Streit est pénalisé à son tour pour un cross-check sur Bertuzzi... juste avant qu'Iginla ne soit sanctionné dans la foulée pour une crosse dans les patins de Bezina. Pat Quinn sort son gardien, mais Nash commet également une irrégularité et le Canada ne finira pas la rencontre au complet.

C'est la première fois que la Suisse parvient à vaincre le Canada lors de championnats du monde ou de Jeux Olympiques, la formation helvétique avait juste obtenu un match nul 1-1 lors des Mondiaux de 1992 (les Français avaient également soutiré un match nul de 3-3 aux Canadiens cette année-là).

Compte-rendu signé Stéphane Matthey

 

Commentaires d'après-match

Ralph Krueger (entraîneur de la Suisse) : "Sans la continuité et l'expérience d'un noyau de joueurs, nous n'aurions eu aucune chance. Nos joueurs comptent une moyenne de cent sélections internationales. L'équipe est mature mais n'a pas encore atteint ses objectifs. Ils pourront se remémorer cette période pour le reste de leur vie avec fierté, mais ils ne vont pas se reposer là-dessus dès maintenant. Je le sais. Techniquement nous avons encore beaucoup à faire, mais ces victoires apportent de la confiance à notre programme et à nos jeunes. Nous sommes comme la Finlande il y a vingt ans, nous frappons à la porte du groupe des meilleurs. Je crois que la Suisse en fera partie un jour, mais le chemin est encore long."

Mark Streit (capitaine de la Suisse) : "C'est la preuve que tout est possible en sport. Nous avons joué si souvent contre le Canada sans même pouvoir penser à la victoire. Maintenant j'espère que certains là-bas commenceront à comprendre que même dans la petite Suisse on joue au hockey, et qu'on mérite du respect. Maintenons nous sommes confiants d'être capables de gagner n'importe quel match."

Goran Bezina (défenseur de la Suisse) : "Cette victoire constituera une excellente publicité pour nos jeunes et aussi pour moi, car je ne suis pas si vieux. La clé du succès ? Il n'aurait servi à rien d'affronter en un contre un des joueurs physiquement impressionnants comme Blake. Alors nous avons préféré envoyer les palets derrière la cage pour les contourner."

Pat Quinn (entraîneur du Canada) : "Je ne crois pas que nous ayons sous-estimé les Suisses. Toutes nos observations indiquaient qu'il faudrait travailler dur contre une équipe avec une grande éthique de travail. Nous avons pris de mauvaises habitudes. Le jeu de puissance n'est pas efficace et la défense ne se bouge pas. Si nous nous fions seulement à notre talent, nous n'irons pas loin. La Finlande va probablement jouer un jeu proche du nôtre - excepté que j'espère que nous jouerons notre jeu."

Martin Brodeur (gardien du Canada) : "Le match des Suisses a été ennuyeux, au fond ils ont marqué deux buts chanceux et puis ils se sont fiés à Gerber."

 

Canada - Suisse 0-2 (0-1, 0-1, 0-0)

Samedi 18 février 2006 à 15h35 à Torino Esposizioni. 4769 spectateurs.

Arbitrage de Vyacheslav Bulanov (RUS) assisté de Miroslav Halecky (SVK) et Kevin Redding (USA).

Pénalités : Canada 34' (4', 10', 10'+10'), Suisse 42' (12'+10', 6', 14').

Tirs : Canada 49 (12, 13, 24), Suisse 18 (6, 11, 1).

Évolution du score :

0-1 à 18'19" : Di Pietro assisté de Della Rossa

0-2 à 28'47" : Di Pietro assisté de Bezina et Streit (double sup. num.)

 

Canada

Gardien : Martin Brodeur (sorti de sa cage de 58'48" à 59'00" et de 59'20" à 60'00").

Défenseurs : Chris Pronger - Rob Blake ; Wade Redden - Adam Foote ; Robyn Regehr - Jay Bouwmeester ; Bryan McCabe.

Attaquants : Dany Heatley - Vincent Lecavalier - Martin Saint-Louis ; Todd Bertuzzi - Brad Richards - Ryan Smyth ; Kris Draper - Joe Sakic (C) - Jarome Iginla ; Simon Gagné - Joe Thornton - Rick Nash ; Shane Doan.

Remplaçant : Roberto Luongo (G).

Suisse

Gardien : Martin Gerber.

Défenseurs : Beat Forster - Mathias Seger ; Mark Streit (C) - Olivier Keller ; Goran Bezina - Severin Blindenbacher ; Julien Vauclair - Steve Hirschi.

Attaquants : Ivo Rüthemann - Thomas Ziegler - Thierry Paterlini ; Patric Della Rossa - Martin Plüss - Paul Di Pietro ; Romano Lemm - Sandy Jeannin - Adrian Wichser ; Patrick Fischer - Flavien Conne - Marcel Jenni.

Remplaçant : David Aebischer (G).

 

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