Russie - Canada (22 février 2006)

 

Quart de finale des Jeux Olympiques de Turin 2006.

Depuis la défaite contre la Suisse, les Canadiens ne cessent de répéter que le tournoi ne commence qu'en quarts de finale et de rappeler le précédent de Salt Lake City, où une première phase mitigée ne les avait pas empêchés d'être champions olympiques. Il y a quatre ans, les mots de Wayne Gretzky avaient réveillé la fierté canadienne, mais cette fois, sa déclaration invitant "les jeunes" à prendre à leur tour le leadership ont été mal comprises. Qui visaient-elles au juste puisque cette équipe a été bâtie sur l'expérience internationale ? Était-ce un aveu d'échec implicite de la sélection telle qu'elle a été constituée ? Cela n'a sûrement pas calmé les critiques qui s'abattent sur tous les rouages du management canadien, avec en premier lieu le coach Pat Quinn.

Quoi de mieux comme test ultime de cette équipe canadienne que d'affronter la Russie ? Les deux rivaux historiques ne s'étaient plus croisés aux Jeux olympiques depuis la finale des JO d'Albertville, et ils se retrouvent ici dans le petit palais des expositions turinois, la patinoire principale ayant été réservée aux premiers de poule. Une glace qui ne réserve pas que de bons souvenirs aux Canadiens puisqu'ils y avaient été blanchis par les Suisses et par les Finlandais...

Dès la première présence, le Canada ne fait pas mystère sur ses intentions, avec Gagné et Iginla qui chargent le même joueur. À la quatrième minute de jeu, Afinogenov accroche Iginla, et le jeu de puissance canadien n'est dangereux que pendant les dernières secondes de la supériorité, ce qui est suffisant pour que Zhukov soit à son tour sanctionné pour avoir retenu Smyth devant la cage. Avantage annulé par une crosse haute de Gagné sur Markov. À quatre contre quatre, la vitesse de Kovalchuk peut déjà s'exprimer par un lancer en angle fermé. Même avec les deux équipes au complet, l'accélération d'Ovechkin met le feu, et Pronger qui a gêné son tir part en prison. Mais le jeu de puissance russe n'est pas plus convaincant que son homologue canadien, avec un bon travail de Shane Doan en infériorité. Les prisons continuent à se succéder. Nash prend une pénalité bête en bousculant Nabokov derrière sa cage, et les Russes commencent enfin à prendre les positions préférentielles, à l'instar de Sushinsky pour une bonne occasion. Depuis son arrivée à Turin en cours de tournoi, le jeune réserviste Andreï Taratukhin est à la peine physiquement pour sa première grande compétition. Il n'arrive pas à déraciner le gabarit de Rick Nash du slot et ses tentatives désespérées pour le faire bouger lui valent finalement une pénalité. Mais l'évènement marquant de cette supériorité est que Simon Gagné se relève difficilement après une charge - régulière - du redouté Darius Kasparaitis. Le Canada perd alors un de ses joueurs rapides et créatifs.

Les Canadiens n'arrivent pas à appliquer un jeu direct à la cage et les Russes se contentent principalement de percées individuelles. Des deux côtés, on se craint et on ne veut pas se livrer totalement au risque de s'oublier en défense. Zéro à zéro, c'est le score à la fin du premier tiers-temps, et aussi le bilan pour les deux jeux de puissance. À la sirène, le banc canadien a le mauvais goût de prononcer des mots à l'intention des arbitres qui valent à son équipe de revenir sur la glace en infériorité... Ce n'est qu'à la fin de cette pénalité que Gagné sort des vestiaires pour rejoindre son banc en traversant la glace au su de tous. Aurait-il pu le faire dès la pause et a-t-on attendu pour accentuer l'impact psychologique que son retour signifie comme symbole de la détermination canadienne ? En fait, le Québécois ne fera que peu de présences, et sa place sur la première ligne sera prise par Dany Heatley, qui n'a pas été plus productif que son coéquipier jusqu'ici mais dont on connaît depuis le Mondial 2003 la capacité à marquer des buts importants.

De Kasparaitis à Doan, tout le monde finit ses mises en échec. Et à ce jeu-là, Ryan Smyth, qui avait un peu contribué à une pénalité de Maksim Sushinsky un peu plus tôt en le poussant sur Brodeur, est pris à la faute quand il lève son bâton face à Daniil Markov qui le charge. Durant cette infériorité, Robyn Regehr coupe une passe potentiellement mortelle de Sushinsky, avant qu'elle parvienne à Ovechkin avec le but ouvert, et Martin Brodeur réagit vite sur un tour de cage bien exécuté par Sushinsky. Malgré leur domination, les Russes ne sont pas à l'abri d'une erreur, comme ce palet perdu en zone neutre par Fedor Tyutin. Ils sont encore en supériorité quand Richards fait trébucher Gonchar, mais ils n'arrivent pas à s'imposer et Brodeur, avec son jeu habile à la crosse, est prompt à la relance pour ne pas concéder de mise au jeu dans sa zone. Les meilleures occasions sont même pour Iginla et Doan en infériorité. Une dernière pénalité contre Ovechkin confirme que les jeux de puissance n'arrivent pas à décider le match.

Est-ce une raison pour prendre des pénalités inutiles ? Si c'est ce qu'a pensé Bertuzzi en revenant sur la glace, il s'est trompé. Son obstruction pour dégager la route à Nash a au contraire pour effet d'encombrer la voie pour son équipe. Les défenseurs canadiens sont trop brouillons pour sortir le palet de leur zone, et Viktor Kozlov, impressionnant de constance dans l'effort ce soir, récupère la rondelle derrière la cage et l'offre à Aleksandr Ovechkin pour une reprise imparable (1-0 à 41'30"). Le Canada n'est pas loin d'en prendre un deuxième, mais le lancer d'Aleksandr Kharitonov, servi à la bleue par une belle longue passe de Sergueï Gonchar, ne trouve pas le cadre. Gonchar est à son tour pénalisé pour une obstruction sur Smyth et la défense russe se fait peur sur des rebonds qu'elle tarde à dégager. Ce sera le cas durant tout ce troisième tiers-temps. En fait, les Russes ne sont pas à l'aise quand ils doivent se replier et préserver un score. Leur défense n'est pas toujours bien placée : sur une entrée de zone de Ryan Smyth sur la gauche, jamais Martin Saint-Louis n'aurait dû se trouver seul au second poteau. La défense canadienne, elle, ne se laisse pas mettre hors de position par les contre-attaques et les permutations offensives de Sushinsky et consorts. La Russie enchaîne donc les périodes délicates dans sa zone défensive, mais avec une capacité à vite ressortir le palet. C'est ce que fait Viktor Kozlov alors qu'Ovechkin va à la cage, mais il ne peut reprendre la passe au second poteau avec la cage ouverte. En fonçant sans cesse vers le but comme vers un aimant, les jeunes Ilya Kovalchuk et Aleksandr Ovechkin ont peut-être surpassé les Canadiens à leur propre jeu ce soir.

L'agressivité des Canadiens n'épargne pas le gardien Nabokov et ils se ruent sur tous les palets. Joe Thornton marque ainsi en force mais l'arbitre avait déjà sifflé avant. Les dernières minutes sont terribles car les Russes ont toujours autant de mal à évacuer les rebonds. Suite à un énième cafouillage devant le but russe, Heatley vient titiller Nabokov avec sa crosse tandis que Lecavalier, situé dans la zone du gardien, se fait plaquer par Evgueni Malkin qui prend une pénalité de match pour un mouvement malintentionné du patin sur le joueur au sol. Une esquisse de geste qui obscurcit un peu la victoire russe puisqu'il prive le junior de la demi-finale et empêchera la Russie de jouer à quatre lignes offensives. Lecavalier ayant pris pour sa part une pénalité mineure, on joue à quatre contre quatre, et c'est une configuration intéressante pour le Canada en sortant son gardien. C'est alors que Chris Pronger commet une dernière erreur irréparable : il perd le palet à sa ligne bleue face à Kovalev et fait faute pour empêcher le contre : une dernière action qui résume malheureusement tout son tournoi. Supériorité numérique russe et engagement en zone offensive, c'est comme si c'était fini. Pour bien faire les choses, le capitaine Alekseï Kovalev marque pour ne plus laisser le moindre doute sur la qualification en demi-finale (2-0 à 59'37").

Pour la première fois de son histoire, le Canada a participé aux Jeux Olympiques sans accéder au carré final. Un évènement encore plus étonnant compte tenu de la participation de toutes les stars de NHL. L'impuissance offensive de cette équipe aux cent millions de dollars n'a pas fini de faire parler...

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match

Wayne Gretzky (directeur exécutif du Canada) : "Quand on perd, les gens pointent généralement du doigt les joueurs de qualité, les superstars. Mais quand on passe onze périodes sur douze sans marquer, ce n'est pas un ou deux ou trois joueurs, c'est toute l'équipe, collectivement. [...] Je me sens pleinement responsable que nous n'ayons pas gagné. Et franchement, je vais réfléchir à ce que je ferai dans le futur. Hockey Canada est une merveilleuse organisation, et j'adore mon pays. Mais je suis humain, aussi. C'est usant pour les nerfs. Ces trois derniers mois ont été terribles pour moi [il a perdu sa mère et sa grand-mère]. Quand on avance dans la vie, la santé devient le plus important. C'est encore plus dur que comme joueur parce qu'on se demande ce qu'on aurait dû dire ou faire. La dévastation est la même, mais il y a l'aspect responsabilité, on se sent comme un parent qui aurait lâché ses enfants. Notre hockey est en bonne forme, ce n'est pas comme si la panique devait s'emparer du pays. C'est pourquoi notre victoire de 2002 était si spéciale, c'est un tournoi difficile à gagner. Ceux qui étaient là en 2002 sont encore plus accablés parce qu'ils savent combien c'est beau de gagner. C'est horrible de perdre. Notre pays sera de retour en 2010 et nous garderons la tête haute. D'ici là je répondrai à toutes les questions et je j'endosserai toute la responsabilité."

Pat Quinn (entraîneur du Canada) : "C'est la première fois que je vois une équipe de Russie jouer en 1-4, alors qu'elle a toujours joué en 2-1-2 depuis les années 70. Cela m'a surpris. Mais la raison de notre défaite, c'est que nous n'avons pas marqué en supériorité, alors que nous avons encaissé notre premier but à quatre contre cinq. Nous n'avions été battus qu'en double infériorité jusqu'ici. Nous allons probablement repenser beaucoup à notre inefficacité offensive. Je sais que nous avons tous regardé les cassettes chaque soir et que nous avons pensé que c'était un groupe assez talentueux qui a marqué et marque encore en NHL. Mais pour mettre des buts, il faut du bon travail collectif, et nous n'étions pas l'équipe que nous devions être. Je suppose que l'on nous reprochera la sélection. Il y a toujours d'autres joueurs que l'on peut ajouter. Mais ces jeunes gens sont venus et ont joué avec leur cœur, et ils ne sentent pas très bien maintenant. Je suis sûr qu'ils ont le sentiment d'avoir déçu certaines personnes, y compris eux-mêmes."

Vladimir Krikunov (entraîneur de la Russie) : "Notre équipe est équilibrée entre jeunesse et expérience. Un but est d'Ovechkin, l'autre de Kovalev. Dans les buts, Nabokov a encore été excellent. Nous avons analysé la demi-finale du Mondial 2005 et nous avons compris qu'il était extrêmement important de ne pas prendre de but d'entrée. C'était un match à qui marquerait le premier. Même contre le Bélarus [entraîné par Krikunov] à Salt Lake City, le Canada a joué en 1-4 dès le premier engagement. Qui a joué défensif ? Après deux tiers-temps, nous menions 27 à 16 aux tirs. Malheureusement, nous avons perdu Korolyuk, joueur utile en infériorité, expérimenté et sûr. Il s'assure toujours du repli quand Taratukhin, avec l'insouciance de sa jeunesse (il fête ses 23 ans aujourd'hui) file vers le but adverse. C'est une perte sérieuse. On va appeler Nepraïev pour le remplacer. Avec la disqualification de Malkin, je ne sais pas qui mettre au centre. Kozlov y a commencé le tournoi, mais il joue très bien depuis qu'il est à l'aile de Yashin. Peut-être qu'on va essayer Kharitonov au centre."

Pavel Bure (manager général de la Russie) : "Les joueurs se sont battus sur chaque palet et Nabokov a été magnifique. Ils étaient à 110% et j'ai cru en eux de la première à la dernière minute. J'étais mentalement avec eux. Et quand Kovalev a marqué, j'ai compris que nous avons défait les champions olympiques, que nous ne battions plus depuis longtemps. Ces Canadiens n'étaient pas moins bons que leurs prédécesseurs. Si on ne leur a laissé aucune possibilité de 1 contre 0 ou de 2 contre 1, cela en dit long sur notre discipline défensive."

 

Russie - Canada 2-0 (0-0, 0-0, 2-0)

Mercredi 22 février 2006 à 20h35 à Torino Esposizioni. 4130 spectateurs.

Arbitrage de Dennis LaRue (USA) assisté de Joacim Karlsson (SUE) et Anthony Sericolo (USA).

Pénalités : Russie 41' (6', 4', 6'+25'), Canada 18' (6', 6', 6').

Tirs : Russie 33 (11, 16, 6), Canada 27 (7, 9, 11).

Évolution du score :

1-0 à 41'30" : Ovechkin assisté de Kozlov (sup. num.)

2-0 à 59'37" : Kovalev assisté de A. Markov (sup. num.)

 

Russie

Gardien : Evgeni Nabokov.

Défenseurs : Andreï Markov - Daniil Markov ; Fedor Tyutin - Anton Volchenkov ; Darius Kasparaitis (A) - Sergei Gonchar ; Vitali Vishnevsky - Sergei Zhukov.

Attaquants : Ilya Kovalchuk - Pavel Datsyuk - Alekseï Kovalev (C) ; Aleksandr Ovechkin - Alekseï Yashin (A) - Viktor Kozlov ; Aleksandr Kharitonov - Evgeni Malkin - Maksim Sushinsky ; Aleksandr Korolyuk [puis Ovechkin à 40'00"] - Andreï Taratukhin - Maksim Afinogenov.

Remplaçant : Maksim Sokolov (G).

Canada

Gardien : Martin Brodeur (sorti de sa cage de 58'59" à 59'27").

Défenseurs : Robyn Regehr - Rob Blake ; Wade Redden - Adam Foote ; Chris Pronger - Jay Bouwmeester ; Bryan McCabe.

Attaquants : Simon Gagné - Joe Sakic (C) - Jarome Iginla ; Kris Draper - Brad Richards - Dany Heatley ; Todd Bertuzzi - Joe Thornton - Rick Nash ; Ryan Smyth - Vincent Lecavalier - Martin Saint-Louis ; Shane Doan.

Remplaçant : Roberto Luongo (G).

 

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