Finlande - Suède (26 février 2006)

 

Finale des Jeux Olympiques de Turin 2006.

Voir un Suède-Finlande en finale des Jeux Olympiques a mis les deux pays en ébullition. Les médias suédois parlent du match du siècle, et du plus grand évènement du sport suédois depuis la finale de Coupe du monde de football Suède-Brésil en 1958. Les journaux populaires pimentent le derby en chambrant, dans le style de la presse anglaise. Le tabloïd Expressen a ainsi mis en une hier une photo de formulaire d'immigration en recommandant aux Finlandais de remplir ce document avant l'heure de la finale s'ils veulent pouvoir savourer une médaille d'or olympique... Ces provocations n'empêchent pas les experts suédois d'être lucides, et même eux, théoriquement les maîtres de la tactique, reconnaissent que la Finlande a réussi un match tactiquement parfait contre les Russes, et la placent comme favorite.

De leur côté, les Finlandais sont beaucoup plus calmes et sobres. Nul ne veut s'avancer à une prédiction ou à un mot de trop, et chacun attend fébrilement cette conclusion en apothéose ou cette fin amère d'une quinzaine olympique où la Finlande n'a pour l'instant remporté aucune médaille d'or.

En se référant à leurs précédentes confrontations, on peut tout attendre de cette finale idéale entre les deux nations nordiques : un match exceptionnel ou bien un duel défensif et fermé. Le premier tiers-temps préfigure plutôt la seconde hypothèse. Les deux équipes sont crispées, elles s'observent et se jaugent. La moindre faute a son importance. Hävelid accroche Ruutu, mais le jeu de puissance finlandais n'arrive pas à se développer et une passe d'Olli Jokinen est même interceptée par Axelsson pour une contre-attaque. Les Suédois sont un peu plus dangereux pendant une prison de Laaksonen avec un tour de cage du revers de Mats Sundin. La deuxième supériorité finlandaise, pour une faute de Jörgen Jönsson sur une bonne action de Niklas Hagman, est la bonne. Un lancer de la bleue de Kimmo Timonen trompe Henrik Lundqvist grâce à un écran bondissant de Saku Koivu (1-0 à 14'45"). La répression de l'accrochage frappe douloureusement les Suédois, et Fredrik Modin est le troisième à y succomber, une faute encore plus rageante car elle a été commise en zone offensive sur Berg. Vingt minutes conformes au plan de jeu appliqué par les Finlandais depuis deux semaines : la proie est dans leur toile grâce à cet important premier but, il leur reste encore à l'étouffer avec leur jeu défensif.

Au retour des vestiaires, les Finlandais semblent effectivement neutraliser les Suédois qui se laissent envenimer par un faux rythme. Le réflexe de survie est le retour sur la glace de Forsberg et Sundin à la quatrième minute. Ils réalisent une énorme présence, s'installent et provoquent une pénalité de Lydman, conservant très longtemps le palet jusqu'à ce que l'arbitre ait une crampe du bras. Ils ont beaucoup donné pour obtenir cette supériorité numérique, c'est maintenant à l'autre principale unité de powerplay de la concrétiser. Une passe devant la cage de Henrik Zetterberg est déviée par le patin de Berg entre les jambières de Niitymäki (1-1 à 24'42"). La machine finlandaise semble s'enrayer : quinze secondes après ce but, Olli Jokinen fait trébucher Jörgen Jönsson. Même si elle ne transforme pas cet avantage numérique, la Suède prend l'ascendant avec de belles occasions orchestrées par la ligne d'Alfredsson puis par celle des Sedin. Toute l'équipe participe à cette transformation radicale. C'est le retour d'une Tre Kronor entreprenante et audacieuse. Son capitaine Mats Sundin n'est évidemment pas en reste et Nummelin le retient derrière la cage.

La meilleure occasion de cette nouvelle supériorité suédoise est cependant offerte à Jere Lehtinen par Saku Koivu qui ranime l'âme finlandaise. Malheureusement, le capitaine blanc se fait piéger en accrochant son homologue Sundin après avoir perdu le palet. Comme les précédentes, la faute est légère, mais avec les nouvelles consignes, l'arbitrage est impitoyable. Les conséquences sont lourdes. Niklas Kronwall s'avance dans l'enclave à la réception d'une passe de Zetterberg, évite Laaksonen et donne l'avantage à la Tre Kronor (1-2 à 33'24"). Au moment où la Finlande pourrait douter, Ville Peltonen, l'homme du triplé en finale des Mondiaux 1995 (le seul titre de l'histoire finlandaise), reprend une passe du revers de Jussi Jokinen (2-2 à 35'00"). Du côté suédois, Tomas Holmström, boudé initialement par le sélectionneur mais réclamé par les supporters, essaie de faire ce pour quoi on l'a rappelé après la blessure de Näslund : mettre son gabarit devant la cage. Le seul résultat est une pénalité pour obstruction. Jussi Jokinen en commet également une sur Lundqvist et le tiers-temps se termine à quatre contre quatre, phase de jeu dans laquelle les deux équipes s'engagent avec précaution. On leur accorde ce droit de souffler, elles viennent de livrer une deuxième période magnifique.

Il faut se remettre de ses émotions car un tout autre match commence. Celui qui marquera le premier lors du troisième tiers-temps aura sans doute fait un pas vers l'or. Et il faut très exactement dix secondes à la Suède pour inscrire ce but. Une mise au jeu gagnée par le meilleur centre du tournoi Mats Sundin, une crosse cassée de Koivu, une entrée de zone de Forsberg, une passe-abandon de Sundin, et ce fantastique missile en lucarne de Nicklas Lidström (2-3 à 40'10"). Les trois buts suédois auront été marqués par des joueurs des Detroit Red Wings. Aussitôt Alfredsson accroche Selänne et le jeu de puissance finlandais se réinstalle, en vain. La Suède de son côté a plusieurs occasions de tuer le match, avec une percée individuelle de Påhlsson et une contre-attaque de Zetterberg, impérial dans cette finale, qui sert Samuelsson dont la reprise passe juste à côté du cadre. Il reste huit minutes à jouer quand Kronwall prend une pénalité pour une obstruction à la bleue sur Laaksonen. Mais c'est surtout au retour à cinq que la Finlande a sa grande occasion d'égaliser, un tir de l'enclave de Niklas Hagman qui ne fait pas trembler Lundqvist. La crosse haute de Lydman dans les cinq dernières minutes oblitère les chances finlandaises. La pénalité est tuée mais la Suède continue à gagner du temps en zone offensive. Enfin, à une minute et demie de la fin, la Finlande obtient un engagement en zone offensive et demande un temps mort. Les dernières secondes sont intenables, avec un arrêt déterminant du bouclier de Henrik Lundqvist qui s'est détendu in extremis face à Olli Jokinen passé devant la cage.

Les émotions ressortent lorsque la sirène retentit. Perdre une finale olympique est toujours un calvaire, la perdre contre la Suède est encore plus douloureux pour les Finlandais. Le visage déconfit de Teemu Selänne et celui fermé et immobile de Ville Peltonen sont ceux de deux vétérans qui savent qu'ils ne seront jamais champions olympiques. Le plus ému de tous paraît cependant être le "dur" Jarkko Ruutu, tellement loin de son sourire de vilain garnement après sa charge sur Jagr lorsqu'il reçoit au bord des larmes la médaille d'argent autour du hockey.

Le contraste est grand avec les visages rouge écarlate - comme toujours - des frères Jönsson, et celui épanoui de Peter Forsberg, spécialement acclamé lors de la remise des médailles. Ces trois joueurs sont doubles champions olympiques, mais l'émotion doit être encore plus forte pour tous ceux pour qui c'est une première.

Trois joueurs avaient la possibilité aujourd'hui de rejoindre le club des seize joueurs à avoir réussi le triplé Jeux Olympiques - Championnats du monde - Coupe Stanley. Ce ne sera pas l'attaquant défensif Jere Lehtinen, mais un autre parfait joueur de complément pour artistes du palet, Fredrik Modin. Et bien sûr, il y a Nicklas Lidström : ses accomplissements sous le maillot suédois avaient été limités jusqu'ici, mais cette fois son slap titanesque vient de rentrer dans l'histoire.

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match

Teemu Selänne (attaquant de la Finlande) : "C'est à la fois un moment de fierté et de tristesse. Il y a des moments en sport où, sous le coup de l'émotion, on ne peut pas voir le positif, et c'est le cas maintenant. Jusqu'ici nous avions été excellents dans tous les aspects du hockey. Peut-être qu'en finale les Suédois, qui avaient plus de vétérans, savaient mieux gérer les situations de stress. Quand j'étais enfant en Finlande et que je jouais au hockey en plein air, le grand rêve de ma vie était déjà de jouer une finale olympique contre la Suède. La différence est que, quand on mimait le match, la Finlande gagnait."

Saku Koivu (capitaine de la Finlande) : "Pour nous, c'était un rêve de jouer la finale olympique et de ramener l'or au pays. Nous avons pris le tournoi pas à pas et nous avons pris confiance. Quand l'on perd d'un but comme ça, les émotions qui se sont construites petit à petit s'en vont, et l'on se sent extrêmement vide. Mentalement, nous étions peut-être trop prudents. Quand nous aurions pu mettre la pression, nous avons voulu protéger notre but et nous ne jouions pas aussi relâchés qu'avant. Nous dominions pendant trois ou quatre présences, et puis nous nous remettions à jouer défensif. Quand on laisse du temps et de l'espace à une équipe talentueuse comme la Suède, c'est ce qu'elle recherche. C'est en faisant des erreurs qu'on apprend à gagner, c'est ce qui s'est passé pour la Suède. Nous serons dans la même situation la prochaine fois. Ce que nous avons fait depuis mon premier match international en 1995, c'est fantastique. Un jour ce sera notre tour."

Peter Forsberg (attaquant de la Suède) : "Nous avons enfin prouvé que cette constellation de grands joueurs suédois était capable de gagner ensemble. Il est difficile de décrire la pression de tout un pays : chacun savait que c'était la dernière chance olympique pour cet effectif. C'est pourquoi je voulais tant venir ici, parce que je savais que ce serait l'ultime opportunité de jouer avec Sundin et Lidström et Alfredsson. Si la Finlande nous avait battus, elle aurait fait une belle championne olympique. C'était dur de voir leurs visages abattus, mais il fallait un vainqueur, et je suis content que ce soit nous. À la sirène finale, Mats a proposé de prendre le premier avion pour Stockholm. Cela sera difficile d'y être ce soir, mais je soutiens cette idée. Je veux partager ce bonheur avec notre peuple !"

Niklas Kronwall (défenseur de la Suède) : "Je pense qu'Öhlund mérite plus cette médaille que moi. Je suis venu pour deux matches. Si nous n'obtenons pas d'autre médaille, je lui offre la mienne. J'aurais préféré jouer dans d'autres circonstances, je compatis pour lui. Tout est allé très vite. Il y a une semaine, j'étais encore à Detroit. C'est un grand sentiment d'être ici. C'est énorme pour le hockey suédois."

Nicklas Lidström (défenseur de la Suède) : "Beaucoup de gens m'ont demandé s'ils pouvaient avoir ma crosse. Mais je vais la garder pour moi. Personne n'aura celle-là. C'est probablement le plus grand but de ma carrière. Mats m'a laissé le palet, j'ai essayé de viser haut côté plaque, et il est allé parfaitement là où il fallait. J'ai tout mis dans ce lancer. Nous avons dit avant le match qu'il fallait essayer de tirer en hauteur sur [Niittymäki] si on a le temps d'armer."

 

Finlande - Suède 2-3 (1-0, 1-2, 0-1)

Dimanche 26 février 2006 à 14h05 au Palasport Olimpico de Turin. 8274 spectateurs.

Arbitrage de Paul Devorski (CAN) assisté de Milan Masik (SVK) et Thor Eric Nelson (USA).

Pénalités : Finlande 14' (2', 10', 2'), Suède 14' (6', 4', 4').

Tirs : Finlande 27 (7, 10, 10), Suède 28 (9, 11, 8).

Évolution du score :

1-0 à 14'45" : Timonen assisté de Selänne (sup. num.)

1-1 à 24'42" : Zetterberg assisté de Samuelsson et Bäckman (sup. num.)

1-2 à 33'24" : Kronwall assisté de Zetterberg (sup. num.)

2-2 à 35'00" : Peltonen assisté de J. Jokinen et O. Jokinen

2-3 à 40'10" : Lidström assisté de Sundin et Forsberg

 

Finlande

Gardien : Antero Niittymäki (sorti de sa cage de 58'30" à 59'26").

Défenseurs : Kimmo Timonen - Teppo Numminen ; Petteri Nummelin - Toni Lydman ; Aki-Petteri Berg - Antti-Jussi Niemi.

Attaquants : Jere Lehtinen - Saku Koivu (C) - Teemu Selänne ; Ville Peltonen - Olli Jokinen - Jussi Jokinen ; Ville Nieminen - Niko Kapanen - Niklas Hagman ; Jarkko Ruutu - Mikko Koivu - Antti Laaksonen.

Remplaçants : Fredrik Norrena (G), Lasse Kukkonen, Jukka Hentunen. Absents : Niklas Bäckström (troisième gardien), Sami Salo (blessé à l'épaule en quart de finale, remplacé par Kukkonen).

Suède

Gardien : Henrik Lundqvist.

Défenseurs : Nicklas Lidström - Niklas Kronwall ; Niclas Hävelid - Daniel Tjärnqvist ; Christian Bäckman - Kenny Jönsson.

Attaquants : Peter Forsberg - Mats Sundin - Fredrik Modin ; Per-Johan Axelsson - Samuel Påhlsson - Daniel Alfredsson ; Tomas Holmström - Henrik Zetterberg - Mikael Samuelsson ; Daniel Sedin - Henrik Sedin - Jörgen Jönsson.

Remplaçants : Mikael Tellqvist (G), Mika Hannula, Ronnie Sundin. Absents : Stefan Liv (troisième gardien), Mathias Öhlund (fracture d'une côte ; remplacé par Kronwall).

 

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