Russie - République Tchèque (18 mai 2006)

 

Quart de finale des championnats du monde 2006.

Que d'occasions !

C'est certainement le quart de finale qui s'annonce le plus indécis entre deux prétendants au titre. Les cotes annoncées chez certains sites de paris sportifs ont de quoi surprendre : certes les Russes sont invaincus, mais les Tchèques, même en mal d'efficacité jusqu'ici, restent redoutables, et il serait présomptueux de désigner un favori évident. Ce match électrise déjà la Riga Arena avant même de commencer, et on n'a encore rien vu...

Alois Hadamczik maintient sa confiance en Milan Hnilicka, qui a les moins bonnes statistiques de tous les gardiens du championnat du monde, alors que certains observateurs tchèques pariaient sur une titularisation de Svoboda, qui n'a pas encore joué une seule minute. C'est aussi faute de vraie alternative que Vladimir Krikunov aligne de son côté son homme d'expérience Maksim Sokolov, bien que celui-ci ne soit lui-même pas vraiment sûr de sa forme alors qu'il a tout juste repris la glace après son opération.

La République Tchèque avait annoncé vouloir soigner sa défense, c'est raté. Dès la troisième minute, l'homme qu'il fallait surveiller à tout prix, Aleksandr Ovechkin, est laissé libre de tout marquage, et il reprend une passe d'Evgeni Malkin qui avait attiré les deux défenseurs Krajicek et Hejda. Ovechkin met toute sa puissance dans ce lancer et finit les quatre fers en l'air, faisant admirer ses patins dorés (1-0, 02'30"). Le danger peut aussi venir vite chez les Tchèques : Plekanec déborde sur la gauche et centre pour Zbynek Irgl dont le tir du poignet vite décoché oblige Sokolov à une bonne mitaine. Après avoir perdu un palet porté trop longtemps, Semin commet une obstruction et prend la première pénalité du match à la onzième minute. Un peu lent dans ses mouvements, Michalek se fait contrer à la bleue, et il doit accrocher Zaripov sans empêcher pour autant un breakaway non concrétisé d'Emeleïev.

La supériorité numérique change donc de camp. Malkin fait un petit pont à Krajicek et son tir est détourné par l'épaule de Hnilicka. Les Tchèques souffrent et Kaberle charge Sushinsky contre son poteau. La crosse haute de Plekanec, qui atteint Ovechkin à la lèvre (2'+2'), prolonge même la situation de cinq contre trois de deux minutes supplémentaires ! La Russie peut tuer le match, mais Ovechkin, qui a la crosse à trente centimètres du but grand ouvert, manque l'immanquable sur une passe forte au second poteau de Malkin... Cette très longue infériorité numérique tuée est importante psychologiquement, même si les Tchèques ont dépensé beaucoup d'énergie et d'influx.

Le vent tourne en deuxième période. Arkhipov retient une crosse, et la supériorité numérique tchèque, mal commencée avec une passe ratée d'Erat qui a donné le palet à Malkin, est transformée par une passe du coin de David Vyborny pour Tomas Kaberle dans l'enclave (1-1, 25'45"). Ce but redonne du tonus aux Tchèques, plus agressifs sur la cage avec leur troisième bloc, mais le duel des quatrièmes lignes tourne ensuite à l'avantage de la Russie. Nikulin accroche Plekanec dans le coin mais cette pénalité est tuée. Le jeu s'accélère après la mi-match avec, sur la même action, deux contre-attaques ultra-rapides de Malkin et Ovechkin entrecoupées d'une situation de 3 contre 2 tchèque, sur laquelle Jan Hejda, qui a bien appuyé l'offensive en troisième homme, tire au-dessus du cadre. Trop haut également, le tir en bout de palette de Jan Hlavac servi dans le dos de la défense pendant la prison de Bykov. Ce dernier obtient de la compagnie car Balastik provoque une faute de Zhukov devant la cage. À trois contre cinq, Evgeni Malkin intercepte une passe à la bleue de Michalek à Kaberle, s'échappe en solitaire, feinte Hnilicka et... perd le contrôle du palet. Les Tchèques repartent de l'avant et Plekanec pousse au fond un palet posé sur la jambière de Sokolov, mais l'arbitre avait sifflé avant. Il n'empêche que les Russes, qui avaient installé leur domination en première période, ont accumulé les pénalités et permis à leurs adversaires de revenir pleinement dans le match.

Un tiers-temps partout : il en reste donc un pour faire la décision. Après un cinglage de Zaripov sur Michalek, la ligne-phare du jeu puissance tchèque (soit le premier bloc avec Balastik à la place de Hlavac) reste comme souvent longtemps installé sans trouver la solution malgré les tentatives de la bleue répétées de Michalek et Kaberle. Au retour au complet, Maksim Sokolov se rate sur un lancer à mi-hauteur côté mitaine de Jaroslav Hlinka (1-2, 43'49"). La quatrième ligne russe, qui reste sur quelques matches moyens, redevient décisive : un tir direct sur engagement de Sergueï Mozyakin passe entre les jambières de Hnilicka (2-2, 45'10"). Le monde à l'envers, car c'est ensuite le meilleur joueur russe, Aleksandr Ovechkin, qui se rend coupable d'une obstruction inutile. Sur l'avantage numérique, Hlinka ne parvient pas à contrôler une passe près de la cage mais il se retourne et a encore le temps de donner le palet du revers à Patrik Stefan embusqué devant la cage. Très décevant jusqu'ici, l'attaquant d'Atlanta ne pouvait pas mieux choisir son moment pour inscrire son premier but du tournoi (2-3, 47'06").

Vladimir Krikunov rassemble ses forces offensives en alignant Sushinsky avec Ovechkin et Malkin. Le trio applique une grosse pression mais le lancer d'Atyushov, qui s'est joint à l'offensive sur un rebond, est contré par un défenseur. Malgré ce choix de concentrer ses meilleurs joueurs sur un même bloc, Krikunov continue quand même de tourner à quatre lignes. Chaque présence de la super-ligne est donc attendue impatiemment. La suivante, sur laquelle Ovechkin joue lui-même - et perd - l'engagement, ne donne pas grand-chose. La pénalité de Hubacek, dont le cinglage casse la crosse de Mikhnov, hâte le retour des stars, mais le manque de pratique commune se fait sentir dans cette ligne inédite : au lieu de servir Sushinsky mieux placé, Malkin a conservé ses habitudes et joue avec Ovechkin, qui glisse. Dans cette fin de match, la défense tchèque est bien regroupée et très appliquée. Le seul qui arrive à se sortir de ses griffes, c'est le talentueux mais inconstant Aleksandr Semin, à deux minutes de la fin. Après un temps mort, Krikunov donne maintenant toute confiance à son trio majeur, et il lui adjoint un sixième homme puisqu'on joue le tout pour le tout : Aleksei Mikhnov. Les 104 kg de l'attaquant de Yaroslavl se placent devant la cage pour prendre un rebond à bout portant (3-3, 58'55"). Décidément, la puissance de Mikhnov est un atout important pour débloquer les situations dans ce Mondial.

La prolongation à quatre contre quatre semble un peu tourner à l'avantage des Russes, avec un lancer de Zaripov sur passe-abandon de Suhsinsky puis un redoublement de passes transversales entre Ovechkin et Malkin. Mais la plus grosse frayeur est aussi russe quand une passe indolente de Semin est contrée par Irgl dans sa zone. En fin de compte, c'est le capitaine tchèque David Vyborny qui détient la clé de ce match avec son expérience. Il avait été frustré de ne pas avoir pu prendre l'engagement précédant l'égalisation russe à cause d'un moment de confusion sur le banc tchèque. Il aura sa revanche sur une mise au jeu en zone offensive qu'il prépare soigneusement en donnant les consignes. Il remporte le palet face à Emeleïev et parvient également à attirer le défenseur placé à l'intérieur, Andrei Kruchinin. Celui-ci a naïvement laissé libre devant la cage Zbynek Irgl, ce que recherchait évidemment Vyborny. L'attaquant de Vitkovice reçoit la passe et a même le temps de dribbler Sokolov pour glisser le palet dans les filets (3-4, 67'58").

Vladimir Krikunov, qui ne cessait de se plaindre de l'usure qu'a représenté sa mission de sélectionneur pendant une année olympique cumulée à une saison difficile avec le Dynamo Moscou en pleine crise financière, est enfin débarrassé. Mais il aurait sans doute espéré quitter son poste par une toute autre conclusion. Son dernier match ne manquera pas de soulever de nouvelles questions sur son coaching et son obstination à faire tourner tout son banc quelles que soient les situations de jeu. Pourquoi n'a-t-il pas restreint ses lignes, au point de se retrouver avec son moins bon défenseur sur la glace (et il le considère comme tel puisqu'il l'a mis en balance avec le réserviste Misharin) lors d'un engagement décisif en zone défensive ?

Que d'occasions dans ce match à rebondissements ! Celles, incroyables et ratées, d'Ovechkin et Malkin reviendront bien sûr en mémoire dans le camp des vaincus. L'élimination des Russes est un crève-cœur, mais il n'y a la place que pour quatre équipes en demi-finale. À l'issue d'un match palpitant dont l'intensité est allée crescendo, il fallait un vainqueur. Et l'expérience compte dans ces moments-là. Or, un seul pays au monde a les moyens d'aligner comme capitaine un quintuple champion du monde... La victoire appelle la victoire : on retrouve le principe qui a guidé les Tchèques dans leurs nombreux titres mondiaux ces dernières années.

Désignés joueurs du match : Maksim Sokolov pour la Russie et Milan Hnilicka pour la République Tchèque.

Compte-rendu signé Marc Branchu

 

Commentaires d'après-match

Vladimir Krikunov (entraîneur de la Russie) : "Les Tchèques ont joué avec beaucoup d'organisation, et il nous a été difficile d'entrer dans leur zone et d'accéder à leur cage. La réussite nous a souri à la fin sur l'égalisation, mais malheureusement, nous avons encaissé un but à deux minutes des tirs au but. Je suis néanmoins reconnaissant envers tous les joueurs sans exception. Cette équipe est jeune, tous ont un grand avenir et ce tournoi a été une bonne école. J'espère que beaucoup joueront l'an prochain les championnats du monde de Moscou. Les buts que nous avons encaissés ne sont pas la faute du gardien mais des défenseurs. Si l'on creuse la question, en ayant quatre gardiens dans toute la Russie, il est difficile d'en choisir un qui puisse jouer de façon stable à un super niveau. Au rythme où ça va, on va bientôt en arriver à la situation où on ira aux championnats du monde sans le moindre gardien..."

Maksim Sushinsky (attaquant de la Russie) : "Ça fait mal, à cause des tonnes d'occasions non concrétisées et de ces cages vides non exploitées. Beaucoup de choses dépendent du jeu de puissance. Même si nous faisions comme la presse, comme si tout allait bien en supériorité, nous en avons parlé des journées entières. Je veux dire qu'il a été très agréable de jouer dans cette équipe. Les relations étaient bonnes entre le management et les joueurs, nous étions un groupe soudé, ce n'était pas notre jour."

Alois Hadamczik (entraîneur de la République Tchèque) : "Je suis convaincu que nous avons été témoins d'un grand match. Les Russes ont une équipe magnifique, orientée vers l'attaque. Nous avions confiance. Je voudrais remercier toute l'équipe et en particulier notre gardien Milan Hnilicka pour avoir adopté cet esprit conquérant."

Patrik Stefan (attaquant de la République Tchèque) : "Quel match ! C'est extraordinaire d'en avoir fait partie. C'était un grand match pour le public et pour le hockey. Quand ils ont égalisé, c'était évidemment décevant, mais la coupure de trois minutes entre la troisième période et la prolongation nous a fait du bien. Cela nous a donné une chance de reprendre nos esprits. Nous n'avions pas bien joué contre les États-Unis, mais cela n'a plus d'importance. Nous sommes en demi-finales et ils rentrent chez eux. On ne peut jamais regarder en arrière. Il faut regarder devant."

 

Russie - République Tchèque 3-4 après prolongation (1-0, 0-1, 2-2, 0-1)

Jeudi 18 mai 2006 à 16h15 à l'Arena Riga. 8082 spectateurs.

Arbitrage de Marcus Vinnerborg (SUE) assisté de Leo Takula (SUE) et Tobias Wehrli (SUI).

Pénalités : Russie 18' (4', 10', 4', 0'), République Tchèque 16' (10', 4', 2', 0').

Tirs : Russie 34 (13, 8, 7, 6), République Tchèque 36 (9, 13, 9, 5).

Évolution du score :

1-0 à 02'30" : Ovechkin assisté de Malkin et Kulemin

1-1 à 25'45" : Kaberle assisté de Vyborny et Erat (sup. num.)

1-2 à 43'49" : Hlinka (sup. num.)

2-2 à 45'10" : Mozyakin assisté de Gorovikov

2-3 à 47'06" : Stefan assisté de Hlinka et Kaberle (sup. num.)

3-3 à 58'55" : Mikhnov assisté d'Atyushov et Ovechkin

3-4 à 67'58" : Irgl assisté de Vyborny

 

Russie

Gardien : Maksim Sokolov (sorti de sa cage de 58'44" à 58'55").

Défenseurs : Kirill Koltsov - Vitali Atyushov ; Sergei Zhukov - Ilya Nikulin ; Denis Kulyash - Dmitri Bykov ; Andrei Kruchinin - Vadim Khomitsky.

Attaquants : Aleksandr Ovechkin (A) - Evgeni Malkin - Nikolaï Kulemin [puis Sushinsky] ; Aleksandr Semin - Denis Arkhipov (A) - Aleksei Mikhnov ; Danis Zaripov - Igor Emeleïev - Maksim Sushinsky (C) [puis Kulemin] ; Sergei Mozyakin - Konstantin Gorovikov - Igor Grigorenko.

Remplaçant : Sergei Zvyagin (G). Absents : Aleksandr Fomichev (G), Georgy Misharin (surnuméraire), Aleksandr Kharitonov (genou).

République Tchèque

Gardien : Milan Hnilicka.

Défenseurs : Tomas Kaberle (A) - Zbynek Michalek ; Lukas Krajicek - Jan Hejda ; Martin Skoula - Martin Richter.

Attaquants : Jan Hlavac - David Vyborny (C) - Martin Erat ; Jan Bulis - Patrik Stefan - Petr Tenkrat ; Petr Hubacek - Jaroslav Hlinka (A) - Jaroslav Balastik ; Tomas Rolinek - Tomas Plekanec - Zbynek Irgl.

Remplaçants : Adam Svoboda (G), Jaroslav Bednar, Zdenek Kutlak.

 

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