Russie - Suède (10 mai 2008)
Championnat du monde 2008, deuxième tour, groupe E.
La tension monte
Affoler les compteurs face aux Français et aux Danois est une chose, mais pour les Suédois, le chemin de la rédemption commence maintenant. Ils sont la dernière équipe à n'avoir pas encore croisé un autre des "sept grands", et une défaite ce soir ferait mauvais genre car ils risqueraient alors de retomber sur les Russes avec un désavantage psychologique. En plus de Niclas Wallin qui purge son second match de suspension pour sa charge sur Wick, la Tre Kronor est privée d'un autre défenseur, ni plus ni moins que son capitaine Kenny Jönsson, mis au repos pour des problèmes de dos. C'est donc Nicklas Bäckström qui hérite du "C" à seulement 20 ans.
La Suède a la première supériorité numérique quand Dmitri Vorobiev accroche Per Ledin contre la bande. Elle se fait une frayeur sur une perte de palet de Magnus Johansson en zone neutre, mais finit par concrétiser. Au moment où Vorobiev revient sur la glace, il ne peut revenir à temps sur Mattias Weinhandl qui convertit le superbe centre de Tony Mårtensson en tirant côté plaque de Nabokov (0-1). Le duo Mårtensson/Weinhandl, qui jouera en Russie l'an prochain, a encore frappé. "Frappé" n'est pas le terme le mieux choisi car il va prendre un sens plus propre...
Arrive l'incident majeur, à mi-période. Une rugueuse charge de Douglas Murray laisse Aleksei Morozov au sol. Les Russes, qui ont encore en mémoire ce qui s'est passé en demi-finale l'an passé (la défaite est partie de la blessure de Morozov) se ruent sur le plus Nord-Américain des Suédois, qui sera expulsé pour charge dans le dos. Une bagarre générale éclate, et Ilya Kovalchuk se bat avec Anton Strålman. La tension est extrême. Avec le capitaine Morozov blessé et la tête brûlée Kovalchuk expulsée, la Russie perd deux joueurs de première ligne d'un coup ! Quant à la Suède, en plus de devoir jouer cinq minutes en infériorité, il ne lui reste que quatre défenseurs. Un de ses quatorze attaquants, Johan Andersson, vient donner un coup de main derrière.
Les rouges passent à l'action. Ovechkin tente une bonne déviation puis est malmené par la défense en restant devant le gardien. Daniel Fernholm lui attrape la tête et les deux hommes vont à leur tour sur le banc. Les esprits s'échauffent encore, ça braille et ça s'invective de tous les côtés. En rentrant au banc, Afinogenov donne un petit coup de crosse dans la jambe de Warg, ce qui a pour effet d'annuler presque tout le reste des cinq minutes de supériorité russe. En fin de tiers, Aleksandr Ovechkin, chaud bouillant comme l'a montré sa grosse charge sur son coéquipier de club Bäckström, charge droit devant sur un des quatre arrières suédois restants, Alexander Edler, qui couvre à la bleue. Une vilaine charge genou contre genou... alors qu'Edler s'est fait soigner quelques minutes plus tôt pour avoir pris un palet dans ce même genou gauche. On ose espérer que ce n'était qu'une coïncidence... mais vu l'esprit dans lequel le jeu se déroule, on en doute.
Avec tout ça, tout le monde a oublié le score du match en cours : 0-1 à la pause. Evgeni Nabokov a effectué un arrêt important en attrapant de la mitaine un palet à la trajectoire élevée par une déviation de Patric Hörnqvist alors qu'il était déjà bas sur ses appuis.
La Russie est à trois au début du deuxième tiers-temps... et le reste. À peine Ovechkin est-il remonté sur la glace qu'il dégage au-dessus du plexi et ressort. Le tir de Mattias Weinhandl est repoussé par le poteau droit, et Nabokov est ensuite actif pour empêcher les Suédois de faire des passes trop près de sa cage.
Les Russes ne paraissent pas mentalement dans leur match, mais se réveillent sur une action individuelle d'Aleksandr Semin, qui monte sur la glace en bout de banc à la limite du surnombre et efface Edler en un contre un pour venir échouer de près sur Lundqvist. Puis c'est Radulov qui prend un tir direct entre les cercles sur un centre de Fedorov. Le jeu est très ouvert et chacun tente sa chance pour percer la défense adverse en solo : Nils Ekman (qui passe), Maksim Afinogenov (qui ne passe pas), Maksim Sushinsky (qui passe). Au bout de cette longue séquence sans arrêt de jeu, Henrik Lundqvist est le premier des deux gardiens à craquer : il laisse échapper un rebond sur sa gauche après un tir d'Ovechkin, et voit Aleksandr Semin plonger sur ce palet gagnant en devançant Daniel Fernholm (1-1).
Magnus Johansson accroche Zinoviev derrière la cage suédoise, mais la pénalité est tuée grâce notamment au bon travail d'Edler. Mieux que ça, la Suède arrive à reprendre l'avantage juste avant la pause. Tony Mårtensson est tout seul pour prendre le rebond après un tir en angle de Jonas Frögren qui rebondit sur le patin de Kalinin (1-2).
Dès qu'elle revient sur la glace, la Russie affirme son intention d'égaliser. Ovechkin provoque une faute et Semin tire sur le poteau pendant la supériorité. Le troisième larron des Washington Capitals, Sergei Fedorov, garde un temps de jeu important même s'il participe à la tournante des quatre centres russes qui restent pour seulement trois paires d'ailiers. Il vient prendre à ras glace le rebond d'un tir de Danis Zaripov dans la jambière droite de Henrik Lundqvist (2-2). Les rouges ne relâchent pas la pression, et un tir du poignet d'Aleksandr Ovechkin est dévié de justesse par Lundqvist, juste ce qu'il faut pour qu'il ne frappe que la transversale.
La Suède défend et gère la fatigue dans ce dernier tiers-temps. Présent à la fois dans sa zone et sur le front offensif, l'inépuisable Magnus Johansson aura passé plus de 50% du temps sur la glace dans ce match (30'36"), et devrait sûrement être le seul joueur à subir ce sort dans ce championnat du monde, par circonstances exceptionnelles...
La Tre Kronor passe déjà tout près du K.O. à l'avant-dernière minute quand Danis Zaripov fait le tour de la cage puis pivote sur son coup droit pour un tir du poignet... dans le masque de Lundqvist. Mais la Russie n'en a pas fini. Aleksandr Semin déborde le long de la bande et tire à la cage pour un rebond à bout portant d'Ovechkin. Le palet ricoche sur Lundqvist, s'élève et retombe dans le but à cinq petites secondes de la fin, Edler n'arrivant pas à sauver sur sa ligne (2-3).
Le sélectionneur suédois Bengt-Åke Gustafsson n'a même pas l'air désolé de ce dénouement. Cela semble presque l'amuser, comme s'il s'était blasé de ce genre de défaites cette saison et qu'il prenait ce scénario comme une nouvelle dose d'humour noir. Un que cela ne fait pas rire du tout, c'est Henrik Lundqvist, qui estime ne pas avoir mérité ça et en brise sa crosse de rage contre sa transversale, ce qui lui vaut une méconduite.
On aura tout vécu dans ce match : 10 minutes de round d'observation, 20 minutes de règlements de compte, 20 minutes de hockey spectaculaire et enlevé avec deux grands gardiens, puis 20 minutes de forcing russe qui a fini par payer. Le score aurait pu être bien plus haut sans deux grands gardiens (tous deux parmi les trois nominés pour le trophée Vezina avec Brodeur), et aussi sans quelques poteaux.
Désignés joueurs du match : Evgeni Nabokov pour la Russie et Magnus Johansson pour la Suède.
Compte-rendu signé Marc Branchu
Commentaires d'après-match
Douglas Murray (défenseur de la Suède) : "Un joueur russe a passé le palet le long de la bande, et Morozov s'apprêtait à le recevoir. J'ai fait en sorte que l'impact se produise à l'instant où le palet arriverait sur lui. Je l'ai frappé à la poitrine avec le bras. La décision de l'arbitre est une plaisanterie. J'aimerais qu'il vienne regarder la vidéo de l'action avec moi et m'explique comment ça pourrait être une charge par derrière."
Bengt-Åke Gustafsson (entraîneur de la Suède) : "À mon avis, la charge de Murray méritait deux minutes pour obstruction, mais en tout cas elle n'était pas par derrière. Maintenant, il est trop tard pour en parler. L'arbitre a pris la décision qu'il considérait nécessaire, et nous n'userons pas nos nerfs là-dessus. Ils ont infligé une pénalité de match, qui entraînera un match de suspension automatique. La question est close."
Vyacheslav Bykov (entraîneur de la Russie) : "Un seul match de suspension, c'est trop peu. Nous ferons une demande pour qu'un joueur qui inflige une blessure, surtout par une charge à la tête, passe le même nombre de matches que sa victime. Si Morozov ne joue plus du tournoi, Murray ne doit pas jouer non plus. Nous avons essayé de calmer les joueurs sur le banc puis durant la pause. Mais avec ces règles. À la fin de la troisième période, j'aurais aussi pu prendre n'importe lequel de mes joueurs et lui demander de laisser sur le carreau un des leaders de l'équipe suédoise, ce qui reviendrait à convertir le hockey en duel de gladiateurs. Nous ne l'avons pas fait, mais nous soulèverons la question. Ce n'est pas la premier cas concernant la Suède. Je connais bien les joueurs et entraîneurs suisses, et ils m'ont indiqué que leur joueur blessé [Wick] par un défenseur suédois ne peut même pas s'asseoir sur un vélo car sa tête lui fait constamment mal. Cela peut avoir des conséquences à vie ! Mais on exclut le coupable deux matches, et ensuite il va tranquillement revenir et blesser d'autres gens. [...] Nous n'avions pas le droit de laisser d'autres joueurs entrer sur la glace, sinon ce serait du cirque et plus du hockey. Ilya Kovalchuk a fait son devoir d'équipier, il s'est battu pour son partenaire."
Evgeni Nabokov (gardien de la Russie) : "Je connais bien Murray [son coéquipier à San José]. C'est son style. Mais cela n'a fait que provoquer nos joueurs, qui ont commencé à jouer avec plus d'émotions. Ils ont bien résisté deux fois de suite à trois contre cinq. Je ne sais pas si Douglas a avancé le coude ou pas, je ne ferai donc pas de commentaire là-dessus. Mais qu'il sache charger contre la bande, c'est sa signature. Je ne dirais qu'une chose : heureusement que ce n'était pas sur moi. Je connais très bien les possibilités physiques de Murray. Ce gars, c'est un tank. Il n'a pas une technique folle, mais il joue très bien en infériorité, c'est un défenseur purement défensif. [...] Aujourd'hui, pendant le match, je ne me souvenais même plus de ma saison de NHL. Mais durant les deux jours qui ont séparé la défaite contre Dallas de mon arrivée en sélection, c'était très dur émotionnellement. [...] C'est la première fois que je suis à Québec, mais je sais combien les gens adorent le hockey ici. J'espère que le hockey reviendra complètement au Canada, car notre sport a besoin de villes avec une telle ambiance."
Russie - Suède 3-2 (0-1, 1-1, 2-0)
Samedi 10 mai 2008 à 16h30 au Colisée Pepsi de Québec. 12665 spectateurs.
Arbitrage de Peter Orszag (SVK) et Daniel Piechaczek (ALL) assistés de Stefan Fonselius (FIN) et Chris de Haan (CAN).
Pénalités : Russie 39' (10'+5'+20', 2', 2'), Suède 66' (2'+5'+20'+25', 2', 2'+10').
Tirs : Russie 42 (15, 12, 15), Suède 30 (8, 17, 5).
Évolution du score :
0-1 à 07'15" : Weinhandl assisté de Mårtensson et Ledin
1-1 à 32'14" : Semin assisté d'Ovechkin
1-2 à 39'10" : Mårtensson assisté de Frögren
2-2 à 44'57" : Fedorov assisté de Zaripov (sup. num.)
3-2 à 59'54" : Ovechkin assisté de Semin et Grebeshkov
Russie
Gardien : Evgeni Nabokov.
Défenseurs : Andrei Markov - Ilya Nikulin ; Denis Grebeshkov - Konstantin Korneev ; Fedor Tyutin - Dmitri Vorobiev ; Dimitri Kalinin - Daniil Markov.
Attaquants : Ilya Kovalchuk [exclu à 10'04"] - Sergei Zinoviev - Aleksei Morozov (C) [blessé à 10'04"] ; Aleksandr Ovechkin - Sergei Fedorov (A) - Aleksandr Semin ; Danis Zaripov - Konstantin Gorovikov - Maksim Sushinsky (A) ; Aleksandr Radulov - Aleksei Tereshchenko - Maxim Afinogenov.
Remplaçant : Mikhaïl Biryukov (G). Absents : Aleksandr Eremenko (genou), Vitali Proshkin, Sergei Mozyakin (surnuméraires).
Suède
Gardien : Henrik Lundqvist.
Défenseurs : Douglas Murray [exclu à 10'04"] - Anton Strålman [exclu à 10'04"] ; Jonas Frögren - Alexander Edler ; Daniel Fernholm - Magnus Johansson (A) ; Johan Andersson.
Attaquants : Karl Fabricius - Nicklas Bäckström (C) - Patric Hörnqvist ; Nils Ekman - Rickard Wallin - Marcus Nilson ; Per Ledin - Tony Mårtensson - Mattias Weinhandl ; Robert Nilsson - [Andersson puis Warg à 20'00"] - Fredrik Warg puis Daniel Widing à 20'00".
Remplaçants : Stefan Liv (G), Michael Holmqvist. Absents : Mikael Tellqvist (G), Kenny Jönsson (dos), Niclas Wallin (suspendu).