États-Unis - Suisse (24 avril 1920)

 

Jeux Olympiques 1920, quart de finale.

Les États-Unis avaient initialement envisagé de faire comme le Canada et d'envoyer aux Jeux olympiques le club qui remporterait le titre de champion national (amateur). Mais la fédération s'est vite rendue compte que ça poserait un problème : les équipes américaines comptent des joueurs canadiens dans leurs rangs, et ne pourraient pas envoyer un effectif assez fourni pour un tel voyage.

Roy Schooley, manager de l'équipe de Pittsburgh et directeur de la patinoire locale (le Duquesne Center), a donc pu se faire une idée de la force des joueurs adverses venus de Boston et de St Paul lors des finales pour la Fellowes Cup décernée au champion amateur américain. Ces rencontres de sélection ne se sont pas déroulées selon les mêmes règles que l'équipe olympique : on y a joué selon les règles progressivement adoptées sur la côte Est, à cinq joueurs plus un gardien, et non pas avec un demi ou "rover" comme dans le reste du continent nord-américain et en Europe. Mais cela ne devrait perturber la formation américaine. Elle dispose d'un spécialiste du poste, Frank Goheen, le joueur de St. Paul qui joue toute l'année en tant que rover puisqu'on joue à sept dans le Minnesota. Schooley lui-même n'a finalement pas pu accompagner l'équipe, retenu à Pittsburgh.

La sélection se fait de manière assez naturelle car il faut tenir compte des problèmes d'éligibilité. Le club de Pittsburgh s'est en effet bâti autour de joueurs qui ont tous appris le hockey au Canada. De l'autre côté de la frontière, le Ottawa Journal pointe du doigt ces faux Américains en listant les carrières de tous les joueurs canadiens de Pittsburgh. Dans le cas de Frank "Dinny" Manners, du capitaine et défenseur Ed Nagle, et du meilleur marqueur de l'équipe Russ McCrimmon, la polémique s'éteint d'elle-même : grands artisans du titre de Pittsburgh, ils sont citoyens canadiens et ne peuvent être sélectionnés. En revanche, les autres joueurs cités ont bien la nationalité américaine, le gardien Ray Bonney parce qu'il est né aux États-Unis et les frères McCormick, natifs du Québec, parce qu'ils ont été naturalisés le 17 mars 1920... la veille de l'article du Ottawa Journal. Leur naturalisation peut donc sembler assez opportune, au motif qu'ils ont servi dans l'US Army pendant la Première Guerre mondiale dans le corps des transports, ce qui est aussi le cas de la star de l'équipe Herb Drury.

Les joueurs de St Paul et de Boston ne soulèvent pas les mêmes questions : ce sont bien des locaux qui proviennent des deux berceaux du hockey américain, le Minnesota et le Massachussets. Mais le lendemain, le Ottawa Journal a trouvé un autre angle d'attaque : le passé professionnel de Gerry Geran, qui a déjà joué quatre matches de NHL en 1917/18. Pour autant, le statut amateur n'est pas encore le sujet majeur du mouvement olympique qu'il sera les années suivantes, et la présence de Geran ne sera jamais remise en cause.

Même si certains journalistes canadiens se sont crispés au sujet de cette équipe américaine, elle n'est normalement pas censée menacer la médaille d'or de leur pays. La meilleure preuve est qu'elle a joué trois rencontres de préparation contre les "Winnipegs" avec des scores serrés de 4-3, 2-3 et 3-1 (buteurs américains : Joe McCormick 4, Geran 3, Drury et Conroy 1). Or, les Winnipeg Falcons - qui représentent le Canada ici à Anvers - avaient battu ces mêmes Winnipegs dans les éliminatoires du Manitoba pour la Coupe Allan... sur les scores écrasants de 5-0 et 10-1. La comparaison suggère une différence de niveau.

De plus, les joueurs américains ne se sentent pas dans les meilleures conditions. Le paquebot qui les transportaient, le S.S. Finland, a pris du retard durant les premiers jours de la traversée de l'Atlantique à cause du mauvais temps. Ils sont aussi peu satisfaits de leur hébergement dans un hôtel de seconde zone ainsi que de la qualité nourriture et de l'eau. On peut se dire qu'il ne faut pas être trop exigeant en arrivant dans un pays meurtri par la guerre, mais ces conditions ne sont pas les mêmes pour tout le monde... Le président de la fédération américaine (ISHU) Cornelius Fellowes est pour sa part logé dans le Grand Hôtel, un luxueux 3 étoiles !

Même en jeûnant et après une nuit blanche, les Américains ne risqueraient rien face à leur premier adversaire, la Suisse. Celle-ci maîtrise mal les changements de direction en patinage et ne trouve aucun moyen de défendre. Les États-Unis sont impitoyables et dominent de façon outrageuse. Même quand le centre Herb Drury - qui sert parfaitement ses ailiers et devient vite le chouchou du public par ses dribbles - est pénalisé pour cinq minutes pour avoir joué le palet avec le patin en début de seconde période, ils continuent d'attaquer. C'est seulement lorsque Conroy est sanctionné à son tour, et parce qu'ils ont deux joueurs de moins, les États-Unis doivent établir une muraille défensive pendant quelques minutes. Le reste du temps, le score (29-0) se passe pudiquement de commentaires.

Marc Branchu

États-Unis - Suisse 29-0 (15-0, 14-0)
Samedi 24 avril 1920 à 17h00 au Palais de Glace d'Anvers, Belgique.
Arbitrage de Raoul le Mat (USA/SUE).

Buteurs : Conroy 8, J. McCormick 7, Goheen 6, Drury 6, Fitzgerald 1, Tuck 1.

États-Unis

Attaquants : Tony Conroy - Herb Drury - Joe McCormick (C)

Demi : Frank Goheen

Défenseurs : Ed Fitzgerald - Leon Tuck

Gardien : Ray Bonney

Non alignés : Cyril Weidenborner (G), Gerry Geran, Frank Synnott, Larry McCormick.

Suisse

Attaquants : Rodolphe Cuendet - Max Sillig - Max Holsboer

Demi : Louis Dufour

Défenseurs : Paul Lob - Marius Jaccard

Gardien : René Savoie

Non aligné : Bruno Leuzinger

 

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