Pologne - URSS (8 avril 1976)

 

Championnats du monde 1976, première journée.

La Pologne avait organisé les deuxièmes championnats du monde de l'histoire, dans la station de sports d'hiver de Krynica. Elle aura mis 45 ans à les accueillir de nouveau. Autant dire que la fête est à la hauteur de l'évènement à Katowice, capitale de la Silésie. Les 10 000 spectateurs du Spodek assistent à la cérémonie d'ouverture organisée avant le dernier match de la journée, celui que tout le monde attend. Le pays organisateur y affronte la grande Union Soviétique, championne olympique et championne du monde en titre.

Bien entendu, l'affiche est déséquilibrée. La Pologne a perdu ses 25 confrontations face à l'URSS avec des scores toujours larges : 31 buts marqués et 255 encaissés. Aux derniers Mondiaux, elle a été écrasée 13-2 et 15-1. Il y a deux mois aux Jeux olympiques, elle a subi une nouvelle leçon 16-1. Mais avec le soutien de son public, elle espère une prestation plus honorable. L'entraîneur Józef Kurek a effectué plusieurs changements courageux dans l'intervalle, sans s'attacher à la renommée des joueurs. Il a notamment sorti de l'équipe Tadeusz Oblój, la star du club local, le Baildon Katowice. Il a annoncé : "Nous ne pensons pas à établir un combat équilibré, mais nous lutterons pour le meilleur résultat possible."

Pour les Soviétiques, ce match est l'occasion de roder une attaque pas si souveraine que d'habitude lors des deux rencontres de préparation en Suède (1-2 et 2-2). L'entraîneur Boris Kulagin a choisi entre-temps d'écarter le centre de la première ligne Vladimir Petrov, avec lequel il était en conflit. Il veut prouver que son équipe peut gagner sans Petrov. Mais du coup, elle se retrouve avec deux centres majeurs qui reviennent juste de blessure et n'ont pas joué les matches amicaux. Maltsev a mal au poignet, ce qui le gêne dans les passes fortes et longues et bien sûr dans les tirs du poignet. Shadrin souffre de l'épaule lors des mouvements brusques et des contacts. Ils ne prennent donc pas les mises au jeu (Kharlamov et Shalimov les remplacent). Il leur faut vite retrouver la forme pour les rencontres les plus sérieuses. Ce soir, les Russes doivent s'imposer même avec une ligne de centres affaiblie. Comme il est d'usage face à un adversaire du niveau de la Pologne, le gardien Tretiak est laissé au repos et sa doublure Aleksandr Sidelnikov prend place dans les cages.

Ce qui frappe immédiatement, c'est l'ambiance enfiévrée. Chaque récupération de palet par les Polonais, en maillot rouge, provoque une clameur de la foule. Les Soviétiques en ont sans doute vu d'autres. Ils sont rapidement en avantage numérique car Zabawa part en prison. Sur une relance partie de derrière la cage, l'accélération de Maltsev laisse Góralczyk sur place et il se retrouve à 2 contre 0 avec Mikhaïlov. Le gardien Andrzej Tkacz intercepte de la crosse la passe entre les deux Russes ! Quand la pénalité se termine, les fiers "Polska, Polska" résonnent dans le Spodek. Le grand Tkacz est très réactif et fait front à tous les dangers avec ses vifs lancers de bottes.

La résistance est plus coriace que prévu. La Pologne tient le 0-0 après dix minutes, même si elle n'a pas encore tiré au but. Il suffit d'une fois... Jaskierski contre le palet à Vladimir Golikov à la ligne bleue, effectue un une-deux avec Ziętara et cueille à froid le gardien russe Sidelnikov au niveau de sa botte gauche (1-0). Une minute plus tard, le défenseur Szewczyk ne se laisse pas prendre au dribble de Kharlamov. La transition est rapide et Stefaniak lance sur l'aile gauche Andrzej Zabawa, dont le revers en angle échoue sur Sidelnikov.

Le gardien soviétique doit aussi écarter promptement la jambière sur un lancer de Kokoszka, alors que Shadrin est en prison pour crosse haute. Au moment où l'URSS revient à cinq joueurs, elle encaisse un nouveau but ! La ligne de Łódź - choix inattendu du sélectionneur - fait mouche : Stefaniak gagne la mise au jeu en zone défensive face à Vladimir Golikov et la passe de Włodarczyk utilise la bande pour envoyer en échappée Nowiński, parti dans le dos de Tsygankov (2-0). On attend une réaction des Russes, mais on dirait qu'ils ont perdu leur jeu collectif et tentent des exploits individuels et des dribbles souvent vains. Les Polonais gagnent la majorité des duels, mais quand Shadrin en remporte un en zone neutre face à Marcinczak, cela permet à Yakushev de partir seul au but. Il se met sur son revers, mais l'acrobatique Tkacz signe un arrêt d'anthologie, la jambière dressée à la verticale.

Alors que Kharlamov vient d'être pénalisé, Maltsev attend dans son camp et Nowiński commet une faute de naïveté en l'accrochant dans les dernières secondes. La deuxième période commence donc à 4 contre 4. Boris Mikhaïlov ne se pose pas de questions, accélère plein axe, dribble Góralczyk et bat le gardien (2-1). Conformes à leur réputation, les Soviétiques ne célèbrent pas leur but. C'est juste un début de retour à la normale... Mais les Polonais, eux, patinent avec fureur dès qu'ils récupèrent le palet. Ils foncent à l'assaut et font passer des frissons dans les tribunes. Le véritable ordre naturel des choses, c'est donc qu'ils reprennent leurs deux buts d'avance : Wieslaw Jobczyk file sur l'aile droite, met incroyablement dans le vent Yuri Liapkin et marque du revers en angle (3-1).

Kulagin fait alors rentrer Helmut Balderis. Le Letton fait parler sa vitesse, arrive au poteau droit, mais personne ne reprend sa passe en retrait. Le palet arrive alors à la ligne bleue à Sergei Babinov, dont le tir est contré par Zietara. Jaskierski fonce en contre-attaque et arme un slap puissant qui passe sous les bottes de Sidelnikov (4-1). Les Polonais quittent leur banc pour féliciter le buteur. Le public est en délire. Sidelnikov, qui a vécu une soirée de cauchemar, est sorti du match. Tretiak fait son entrée.

Une pénalité de Nowinski intervient au bon moment pour les Soviétiques. La première ligne ne trouve pas la faille, mais les Spartakistes y parviennent avec un parfait jeu en triangle Shalimov-Shadrin-Yakushev (4-2). Mais le jeune attaquant de 22 ans Wieslaw Jobczyk réplique avec une présence pleine d'intensité physique : il envoie d'abord à terre Kapustin d'un coup d'épaule pour lui prendre le palet en zone neutre, puis il va presser Tsygankov en fond de zone au point de provoquer une mauvaise passe que capte Kokszka. Babinov parvient à contrer le palet, mais Jobczyk chipe une seconde fois le palet à Tsygankov pour le propulser en lucarne (5-2).

Les spectateurs polonais ne manquent pas d'occasions de s'enflammer : la charge à la hanche spectaculaire de Marcinczak sur Yakushev, les lancers de Kokoszka ou de Zabawa, mais aussi les phases défensives où les joueurs locaux bloquent les tirs avec vaillance. Il y a de quoi se demander qui est qui : ce sont bien des Polonais transcendés qui dominent, combinent et pressent en zone offensive, avec un impact physique bien supérieur. Tretiak doit faire des miracles pendant que Mikhaïlov est en prison. Le monde du hockey n'en croit pas ses yeux. L'invincible Union Soviétique est menée de trois buts par un adversaire qu'elle devrait écraser. Et le résultat, aussi étonnant qu'il paraisse, est mérité.

L'entraîneur soviétique Boris Kulagin - dont le discours ne semble plus faire effet - et son adjoint Konstantin Loktev n'entrent même pas dans le vestiaire durant la seconde pause. L'Union Soviétique applique certes une nette domination en troisième période, mais elle est stérile face à des adversaires très actifs qui n'ont plus de raison de douter de l'exploit. Aleksandr Maltsev se crée les plus belles occasions, il transperce la défense mais Tkacz lui fait barrage. Le gardien polonais tient toujours même s'il semble parfois perdre l'équilibre sur des actions en mouvement. Si l'URSS n'en a pas profité, on en déduit qu'elle n'a pas joué autant en mouvement que d'habitude.

L'URSS termine le match à deux lignes (avec Kapustin à la place de Shadrin). Cela permet d'utiliser plus souvent son premier trio, le seul qui surnage ce soir. À huit minutes de la fin, Boris Mikhaïlov sert de derrière la cage Valeri Kharlamov, qui tire sur le poteau et prend son propre rebond (5-3). Ce but ne remet pas en cause la confiance du public qui continue de chanter avec la même foi. La Pologne pousse fort pendant une punition de Mikhaïlov qui lui offre deux minutes de répit.

À 4 contre 4 après deux pénalités simultanées de Jaskierski et Liapkin, la Russie joue à trois attaquants pour un défenseur : Tkacz réussit un incroyable plongeon face à Mikhaïlov, puis Jaszczok fait tomber Maltsev en zone neutre, laissant le palet à Wieslaw Jobczyk qui arme un slap et signe un triplé personnel (6-3). Une mêlée se forme autour du héros inattendu du soir qui en perd son casque. Douze secondes plus tard, la passe en retrait d'Aleksandr Maltsev heurte un genou polonais et Valeri Kharlamov rabat ce palet flottant dans les filets (6-4), mais il est trop tard. Il reste cinquante secondes. Tkacz bloque un dernier tour de cage de Maltsev et la Pologne tient l'exploit le plus renversant et le plus improbable de l'histoire du hockey mondial.

Ce n'est pas qu'une sensation, c'est un tremblement de terre. Jamais personne n'aurait cru un tel résultat possible, et surtout pas les Soviétiques qui ont sans doute sous-estimé leurs adversaires. Les Polonais se sont montrés en bonne condition physique. Ils ont bien patiné et ont bloqué les Russes dès la zone neutre avec beaucoup d'engagement physique et un dévouement formidable. Ils ne pouvaient rêver meilleur démarrage pour leur championnat du monde. Seront-ils capables de répéter une performance aussi exceptionnelle ?

 

Pologne - URSS 6-4 (2-0, 3-2, 1-2)
Jeudi 8 avril 1976 à 20h30 au Spodek de Katowice. 10000 spectateurs.
Arbitrage de Stig Karlsson (SUE) et André Lagasse (CAN).
Pénalités : Pologne 8' (2', 2', 2') ; URSS 12' (4', 2', 6').

Évolution du score :
1-0 à 10'21" : Jaskierski assisté de Ziętara
2-0 à 14'33" : Nowiński assisté de Stefaniak
2-1 à 20'31" : Mikhailov assisté de Maltsev
3-1 à 22'44" : Jobczyk assisté de Kokoszka
4-1 à 23'06" : Jaskierski assisté de Ziętara
4-2 à 25'14" : Yakushev assisté de Shadrin et Shalimov (sup. num.)
5-2 à 26'40" : Jobczyk
5-3 à 53'50" : Kharlamov assisté de Mikhailov
6-3 à 58'57" : Jobczyk assisté de Jajszczok
6-4 à 59'09" : Kharlamov
 

Pologne

Attaquants :
7 Stefan Chowaniec (+1) - 17 Mieczysław Jaskierski (+1, 2') - 12 Walenty Ziętara (0)
22 Ryszard Nowinski (+1, 4') - 9 Józef Stefaniak (+1) - 24 Zdisław Wlodarczyk (+1)
15 Andrzej Zabawa (+1, 2') - 11 Leszek Kokoszka (+2) - 8 Wiesław Jobczyk (+2)

Défenseurs :
23 Andrzej Szczepaniec (0) - 5 Robert Góralczyk (C, 0)
20 Jerzy-Andrzej Potz (+1) - 21 Stanisław Szewczyk (+1)
25 Marek Marcińczak (+2) - 19 Kordian Jajszczok (+2)

Gardien :
1 Andrzej Tkacz

Remplaçants : 2 Henryk-Tomasz Wojtynek (G), 3 Henryk Gruth (D), 16 Henryk Pytel, 10 Karol Żurek (A).

URSS

Attaquants :
17 Valeri Kharlamov (+1, 2') - 10 Aleksandr Maltsev (+1) - 13 Boris Mikhaïlov (C, +1, 4')
15 Aleksandr Yakushev (-1) - 19 Vladimir Shadrin (-1, 2') - 9 Viktor Shalimov (0)
23 Aleksandr Golikov (-2) [11 Helmut Balderis (-2) de 22'44" à 40'00"] - 18 Vladimir Golikov (-4) - 8 Sergei Kapustin (-4)

Défenseurs :
3 Vladimir Lutchenko (+1) - 21 Valeri Vasiliev (+1)
5 Yuri Liapkin (-2, 4') - 2 Sergei Korotkov (-1)
7 Gennadi Tsygankov (-4) - 4 Sergei Babinov (-4)

Gardien :
1 Andrei Sidelnikov puis 20 Vladislav Tretiak à 23'06"

Remplaçants : 12 Aleksandr Filipov (D), 22 Viktor Zhluktov (A).

 

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