Mémoires de Thierry Monier

 

Les débuts

Mon premier contact avec la glace, c'est le lac d'Enghien gelé où j'étais allé avec ma tante. C'est un souvenir vague, je me rappelle simplement qu'il y avait des mobylettes qui tractaient des gens. Je suis venu au hockey complètement par hasard, et tout a commencé lorsque ma voisine de palier m'a accompagné à la patinoire de Molitor.

Ma première équipe était celle des Français Volants, et j'ai pu apprendre le hockey sur glace grâce à mon premier entraîneur, le meilleur des meilleurs, l'ex-capitaine de l'équipe de France et joueur de la grande ACBB, président-fondateur de Courbevoie, Philippe Lacarrière.

Parmi les garçons de l'époque dont je me souviens, mon meilleur ami, Bernard Cabanis, ex-joueur de l'équipe de France, les frères Préchac, Thierry Lacarrière, et puis Marc Moudoulaud, Thierry Paillette, Patrick Leleux, Jean-Yves Lamande, Éric Esparre...

Le choc au sommet

En 1972, pour la première partie de la série du siècle, Patrick Francheterre et moi étions au Forum de Montréal. C'est Jean Béliveau, le n° 4 des Canadiens, qui nous avait donné les billets. La presse du lendemain était terrible et les grands bénéficiaires de cette défaite ont été les professeurs du hockey de l'époque, Gaston Marcotte, Georges Larivère, Christian Pellechat, Charles Thiffault et un autre dont j'ai oublié le nom.

J'ai passé du temps dans beaucoup de pays de hockey et côtoyé de grands entraîneurs. La conclusion que j'en ai tirée, c'est qu'en attaque, il faudrait faire du hockey canadien, et défensivement, du hockey européen, où il y a beaucoup de rigueur. Il y a plein de différences entre les écoles de hockey : au Canada, on patine plus droit, alors que dans les pays de l'est, on patine plus arc-bouté.

C'est pareil dans tous les sports : quand un entraîneur de foot arrive dans une autre culture, il a beaucoup de difficultés, parce que c'est une formation qui commence tout petit. J'ai fait des stages en URSS avec Tarasov : pour remercier un enfant, il l'embrasse ! Il y a une notion de solidarité, ils se tiennent... Pour punir un athlète, au Canada, on lui fait faire des pompes, et en URSS, des roulades. Tout est différent.

Courbevoie, entraîneur pendant 33 ans

Ma première présence sur la glace à Courbevoie est un souvenir impérissable dans ma mémoire. Il y avait soixante-quinze gamins sur la piste qui n'avaient pour ainsi dire jamais vu un entraîneur, et lorsque j'ai sifflé dans un coin de la patinoire, certains sont venus voir la bête curieuse avec un sifflet, d'autres ont continué à s'amuser sur la glace, et un autre dont je ne dirai pas le nom est allé voir une jeune fille qui était au bord de la piste et lui a demandé : "c'est qui, le con qui siffle ?". Cette jeune fille était mon amie de l'époque et cela nous a bien fait rire après coup.

Je possède un record qui mériterait d'être inscrit dans le livre des records, je suis depuis le 13 septembre 1973 à Courbevoie. Si à l'époque nous prenions des 0-29, il arrive aujourd'hui que nos minimes gagnent sur des scores semblables. Le secret de cette progression, c'est la fidélité et la stabilité. Pour moi, le pire affront, c'est lorsqu'un jeune ou un dirigeant qui m'a côtoyé ne vient pas me dire bonjour. C'est la suprême insulte. Malheureusement, le hockey français a été victime plus souvent qu'à son tour de présidents "supporters" qui ne pensent qu'à leur équipe "fanion".

Ma vie dans le hockey n'est qu'un bonheur. J'ai tout fait, tout dirigé, tout encadré, sauf être l'entraîneur en chef de notre équipe nationale senior. Assistant oui, chef non, mais je ne suis ni amer ni triste, le hockey est ma vie et j'ai fait de mon loisir et de ma passion mon métier. Je souhaite à tous nos joueurs d'avoir autant de plaisir à pratiquer ce sport que j'en ai eu depuis 1965.

Les sélectionneurs nationaux

Le meilleur, pour moi, c'était indiscutablement Dany Dubé. C'est celui qui pensait au hockey français, et pas à sa gueule.

Kjell Larsson était plus un très bon adjoint qu'un grand coach. Il n'était pas un meneur sur le banc, ce n'était pas son tempérament, mais il analysait très bien le jeu. C'était un technicien reconnu, malheureusement nous - entraîneurs et techniciens français - n'avons pas eu la chance de profiter de ses connaissances. Il nous a pris pour les Portugais du hockey. À son arrivée, il nous a fait un cours sur le forecheck, niveau débutant. Des choses tellement basiques qu'on les connaissait depuis longtemps. On le regardait avec des yeux ronds, un peu intrigués. Et là il nous sort : "Je vois à vos têtes étonnées que vous avez encore beaucoup à apprendre"...

Bien sûr, une personnalité qui ne s'oublie pas, c'est Pete Laliberté. C'est le premier à avoir porté une cravate, parce qu'il considérait qu'en tant qu'entraîneur national tu te devais d'être l'ambassadeur de ton pays. Il appliquait les principes canadiens. C'était un bourreau de travail et un meneur d'hommes, très convivial bien que ne buvant pas. Sa seule faiblesse est qu'il n'avait pas de connaissance du hockey international.

L'escroc

Le pire des sélectionneurs, ce fut évidemment celui dont j'ai été l'adjoint, Jacques Tremblay, et pas uniquement parce qu'il a failli mettre beaucoup de monde sur la paille [NDLR : il avait créé une société d'organisation de stages et la mère de Thierry Monier, gérante de la société lui avait versé des chèques destinés à payer des fournisseurs qu'il avait gardés pour lui avant de rentrer au Québec]. Au Canada, il avait déjà une réputation. Il s'était fait une spécialité d'escroquer les gogos sur les terrains de golf.

Jacques Tremblay avait été recommandé par Bernard Goy. Il avait été entraîneur à Saint-Gervais où, déjà, il y avait eu des combines. À cette époque, les joueurs de St-Ger piquaient des caddies pleins au supermarché de Sallanches en passant par une porte de derrière. Cela avait fait toute une histoire parce que le supermarché était un sponsor du club.

Tremblay avait une drôle d'opinion des gens. Un jour, il m'a dit : "Pars du principe que les joueurs sont tous des enc..., et si tu te trompes, tu es content."

En équipe de France, il se faisait rapporter les propos des joueurs. Du coup, certains me soupçonnaient d'être son espion, vu que j'étais son adjoint, mais ce n'était pas moi. Il prenait plaisir à manipuler les joueurs avec ses discours. C'était un bateleur, un menteur, qui était capable de vendre un frigo au Pôle nord.

Le joueur marquant

De tous les hockeyeurs que j'ai vus - même en comptant ceux de la série du siècle - le joueur qui m'a le plus impressionné dans ma vie, c'est Helmut Balderis. Il a souffert des divergences entre les diverses nationalités en URSS [NDLR : il était letton], donc il avait des problèmes dans le collectif soviétique, mais je n'ai jamais vu un joueur aussi exceptionnel, avec un patinage fantastique.

Propos recueillis par Marc Branchu, 2005

 

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