Le cartonnier de l'ASGA

 

Article d'Angers Journal (18 juin 2000).

Maurice-Paul Huteau est cartonnier. C'est aussi le président de l'ASGA, un club de nouveau bien droit sur ses patins depuis deux ans.

Maurice-Paul Huteau n'est pas tombé dans la glace quand il était petit. On l'a poussé dedans quand il était grand. Depuis il creuse un sillon autour de la petite patinoire du Haras.

Pendant que les Ducs mouillent le maillot face à l'élite du hockey professionnel français, Huteau se ronge le sang et vit des moments intenses en faisant son tour comme un cheval au bout d'une longe. Il fut président d'une société hippique rurale. << Des semaines de préparation pour une minute trente de course, dit-il. Une minute intense >>.

Avec le hockey, Huteau a son compte ; il en prend pour deux heures trente à chaque match, de quoi user la moquette du Haras. << J'ai de plus en plus de mal à rester en place pendant les matches >> reconnaît-il. Pas de quoi s'arracher les cheveux, il n'en a plus.

A ce jour, l'ASGA est le club professionnel angevin, << semi-professionnel >>, dit Huteau, évoluant au plus haut niveau, ce que n'indique pas son pourcentage des subventions du conseil général (110 000 francs, trois fois moins que l'ABC par exemple). Le club, il y a deux ans à peine, agonisait sous le poids d'une dette de 1,5 million de francs, de bisbilles entre présidents au sein du club et une ligue inepte à imaginer une quelconque organisation cohérente et pérenne.

Aux rênes depuis l'automne 1997, Huteau rend d'honorables bilans financiers - la dette remboursée dès la fin de cette saison - et sportifs - l'ASGA est la seule équipe angevine à passer un tour de Coupe d'Europe cette saison. Et, surprise, la ligue et la fédération ont fini par bien dépoussiérer les cadres. << Ça se goupille plutôt bien >>, dit Huteau.

Du sport, Huteau ne connaissait pourtant pas grand chose, sinon de les avoir tous essayés. << J'étais moyen dans tous >>. Aucun regret donc. Après un détour par le collège Marie Talet à St Serge, David d'Angers et "sup de buissonnière", le jeune Maurice-Paul, pas encore 20 ans et un père gravement malade, doit reprendre la boutique, Cartonnages Huteau, maison établie à Angers en 1883.

Depuis cette date, les pères transmettent aux fils leur savoir-faire du carton, plat d'abord, aujourd'hui ondulé. Quatre générations que ça dure. Hier les petites boîtes d'apothicaire, les cartons à chapeau, les cartons à costume et autres boîtes à parapluie. Aujourd'hui des boîtes de cinq centimètres de côté et des containers de deux mètres cube. Un million et demi de chiffre d'affaire et douze employés en 1980, 35 millions et 40 employés en 2000. << C'est sympa de continuer quelque chose là où ça a été créé sur quatre générations >>, avoue Huteau, heureux de faire mentir le dicton. Cartonniers à Angers depuis plus d'un siècle, une tradition à perpétuer ? << Pourquoi pas. Ça me plairait que l'un de mes deux enfants perpétue la tradition, à moins qu'ils ne choisissent médecine puisque la maman est médecin >>.

<< Angevin pure beurre >> comme il dit, Huteau sponsorise à droite et à gauche, un peu au foot, un peu au basket, un peu au hockey. C'est au hockey que Huteau et quelques-uns des ses clients passent leurs meilleures soirées. << C'est un sport spectacle. Ça va vite, il y a de l'action, des buts et les spectateurs ont le nez sur la glace >>.

De quoi finir par s'intéresser à l'équipe. De quoi être enfin gentiment invité << je ne dirai pas contraint et forcé >> à prendre au dernier moment les rênes d'un club à la dérive qui n'a pas fini son recrutement, qui n'a plus un rond et où joueurs, dirigeants et joueurs sont découragés. Bonjour le cadeau empoisonné !

<< Avec un peu de patience et de recul, on s'est mis au travail, on a regardé ce qu'il fallait faire, on a recalculé les budgets, on s'est appliqué, on a recréé une véritable cohésion et redonné confiance à tout le monde >>, explique Huteau , en une phrase. Puis il cite Roselyne Lambert, sa proche collaboratrice, l'entraîneur Derek Hass, << il a un jugement sûr >>, puis tous les bénévoles. A la caisse Simone, 18 ans de présence au club, avoue n'avoir jamais été aussi heureuse. << De tous les dirigeants que j'ai connus, Maurice-Paul est le meilleur >>, dit-elle. Et tous les habitués du petit bureau des Ducs d'approuver avec un bel ensemble.

En misant sur l'affectif et la loyauté, Huteau a raflé la mise. Ses joueurs n'ont pas, comme c'est la pratique, de primes de match en cas de victoire. Ils n'ont que l'assurance de savoir qu'ils auront ce qui a été promis. Victoire ou défaite ne signifie rien à court terme sur leur compte en banque. S'ils ont envie de gagner, c'est pour eux-mêmes donc, et leur entraîneur, et le public, et le club. Quand un joueur est blessé, Huteau est à l'infirmerie. "Semi-professionnels" en effet !

Si en onze ans, ils n'ont rien gagné, les Ducs ont une âme et défendent âprement leur place au sein de l'élite. Une place que des clubs prestigieux mais au bord de la faillite lui envie. Sans frime cependant, le boulet est passé trop près.

L'ASGA enrichi d'avoir payé ses dettes, Huteau voudrait trouver pour l'an prochain de 600 000 à un million de francs pour que ses joueurs, rincés d'être si peu nombreux à tant donner, ne se fassent pas écrabouiller en playoffs comme tous les ans. Sauf que les projets d'une patinoire moderne, et avec elle les capacités améliorées d'accueil du public et des sponsors, sont tombés dans la Maine quand Jean Monnier a passé la main. << On fera avec. Les choses évoluent dans le bon sens. Tant que je ne passe pas plus de temps à la patinoire qu'au bureau >>.

 

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