Dans l'intimité des Scorpions

 

Article des Dernières Nouvelles d'Alsace (21 décembre 2000).

Si les supporteurs des Scorpions sont de plus en plus nombreux, peu connaissent l'envers du décor. Des vestiaires au banc de touche, visite guidée d'une soirée de match dans l'intimité des joueurs du HC Mulhouse. A 12 h 12 se termine la mise en jambes. A mi-chemin entre décrassage et révision tactique. Après trois quarts d'heure, les joueurs regagnent les vestiaires, les uns après les autres. En entrant, on change de planète. La première chose qui frappe est l'odeur de cette pièce. Désagréable, voire repoussante.

Vestiaire surchargé

La transpiration des efforts passés est imprégnée. L'humidité la retient, la puanteur ne s'en va pas. Malgré tout, on s'y habitue. Même si cette odeur réapparaît après chaque séjour à "l'air libre". On n'y échappe pas longtemps. Autre surprise, la taille du réduit : vingt mètres carrés environ. Pour accueillir vingt joueurs, c'est peu. Surtout quand on voit la masse de ce qui y est entreposé. Dès l'entrée, une vingtaine de crosses obstruent le passage. Si un "civil" parvient à se glisser sans difficulté, l'aventure se complique pour un hockeyeur équipé. Deux ne peuvent s'y croiser. Place aux équipements des joueurs. Rien à voir avec les autres sports. Pas de vestiaire vide qui se remplit de sacs à l'arrivée des joueurs.

Entre deux poubelles

Ici, tout reste en place. Chaque joueur dispose de son box. Les plus proches de la sortie sont les gardiens, à l'abri du passage. Normal, quand on voit la difficulté avec laquelle ils se déplacent une fois changés. Frasier, le cadet dernier venu, doit se contenter d'une vulgaire chaise au centre du vestiaire, entre deux poubelles. Avant de recevoir Dunkerque, l'ambiance est décontractée. Pommier est le premier à en faire les frais. Une énorme bosse orne son front. << Il ressemble à Maître Bergès (de Sans aucun doute). >> C'est le surnom du jour. Un coup d'œil sur les décorations des casiers en raconte long sur le côté bricoleur des joueurs. Chaque centimètre carré est exploité.

Joueurs bricoleurs

David et Rénier ont récupéré des crosses cassées pour en faire des tringles. Pommier les a découpées pour en faire des montants pour ses étagères. A l'intérieur y circulent librement quelques cafards. << L'humidité est idéale pour eux >>, affirme Rénier. Piquemal précise : << Avant, quand il y avait un élevage, on leur disait bonjour chaque matin. >> Un message placardé dans le casier de Dumenil, et écrit en slovaque, rappelle que son prénom est Thomas. Un pense-bête géant destiné à Konstantinidis, qui oublie souvent le prénom de son défenseur. Un autre joueur a un string pour orner son casier. Ça le motive. Si l'ambiance est bonne, certains ne s'attardent pas.

Une armure

Boirin et Turcotte sont les premiers à occuper les deux seules douches. Ils évitent l'embouteillage. Le vestiaire a pris une nouvelle dimension. Les vêtements utilisés pendant le décrassage s'entassent au pied de chaque joueur. Une version allégée de l'équipement de match. Qui prend quand même une certaine place. 12 h 40. Presque tous les joueurs ont libéré le vestiaire. Pas de repas commun. Chacun rentre chez soi. Seuls Pommier et Flinck discutent encore. Comme souvent, Pommier partira le dernier. 16 h 30, les premiers commencent à se changer. L'équipement est impressionnant. Il est aussi "à la carte". Tout d'abord, une paire de chaussette classique.

Fétichismes

Puis, un "quatre-pattes" (justaucorps), pour lutter contre le froid. Et là, les approches diffèrent. Certains n'en mettent pas. D'autres coupent les manches (Labat) ou les racourcissent (Flinck). Vient ensuite la coquille. Puis le "porte-jarretelles", destiné à maintenir le bas en place. Arrivent les jambières, sortes de protège-tibias géants contre les chocs. Pour finir, une culotte et la housse pour la recouvrir. Pour le haut, même principe. Des coudières, des épaulières et des gants. Sans oublier le casque. C'est là qu'apparaît le fétichisme de chacun. Pommier n'aime pas les gants neufs et essaye de les user le plus vite possible pour être à l'aise. D'autres, comme David, y glissent du talc.

Personnalisé

Différence aussi au niveau des crosses. Très dures pour Flinck et David, au risque de se faire mal à chaque tir. Ou assez molles pour Piquemal. Konstantinidis, lorsqu'il strappe sa cheville, fait toujours le même nombre de tours avec la bande. D'autres ont leur période. Piquemal utilisait toujours le même "quatre-pattes" et les mêmes chaussettes pour ses matchs. Depuis quelques temps, il y a renoncé. A 16 h 54, le match approche rapidement. Pas de grand discours de la part de l'entraîneur-joueur, Konstantinidis. Le collectif est rôdé, le match sans réel enjeu. Chacun sait ce qu'il a à faire. David se fait remarquer en oubliant d'enfiler sa housse, sur sa culotte. Tout le monde le voit. Personne ne le lui dit.

Silence total

Les paris sont lancés : quel sera son temps de réaction ? Trois minutes avant un retour précipité au vestiaire. Les autres sont déjà tous sur la glace. Chacun s'échauffe à sa manière. Les mêmes exercices, répétés inlassablement chaque semaine. Les joueurs reviennent tour à tour vers le bord de la patinoire. Pour boire ou apporter les dernières modifications d'avant-match. Rénier se strappe le poignet droit, Boirin le gauche. Il ajoute une nouvelle couche de tape (bande adhésive protectrice) sur la crosse. Le médecin du club prépare un plateau avec des vitamines pour chacun. 17 h 14. Comme toujours, Flinck est le premier aux vestiaires.

Regard fixe

Il est suivi de près par Piquemal. Le match approche. La concentration augmente. Neckar n'est pas satisfait: il y a trop d'eau devant sa cage. Tout le monde regagne sa place. Les maillots d'échauffement sont récupérés. Le silence est total. Petit à petit émergent bruit du scotch et des scratches utilisés pour fixer l'équipement. Avant que les joueurs ne démarrent un va-et-vient incessant. 17 h 26 : les discussions reprennent. Elles n'ont rien à voir avec celles du matin. Elles sont axées sur le hockey et murmurées. En capitaine, Vaillant motive les siens. Tout le monde l'écoute. Même le coach, Konstantinidis, est attentif. Le discours terminé, chacun reprend sa concentration.

Geste à chacun

Faith semble dans un autre univers. Le regard fixe, aucune expression ne marque son visage. Il reste ainsi pendant de longues minutes. Jusqu'à l'entrée du médecin avec ses vitamines. Konstantinidis entre en scène. Pour un message aussi simple que bref. << C'est le dernier match. Faites plaisir aux supporteurs. Faites-vous plaisir. Jouez à fond. Bon match. >> Surgit le traditionnel cri d'avant match : << Qui a peur du loup ? Pas nous ! >> L'armada des Scorpions peut aller livrer bataille. Posté devant la porte du vestiaire, Boirin a un petit geste pour chaque coéquipier. Un coup de crosse sur la jambière, une tape sur le casque, un coup de coude sur le torse.

Trebaticky blessé

Tous ont leur truc à eux pour exprimer les encouragements d'avant match. Pommier respecte la tradition et quitte sa place en dernier. 17h40 : moins d'une minute de jeu et les Scorpions mènent déjà. Tout le monde reste calme. Le banc ne s'agite pas. A quelques mètres, Pommier est debout. Prêt à rentrer. Il ne s'assoit jamais. Tout se passe bien pour Mulhouse. Le score enfle rapidement. Konstantinidis laisse faire et ne donne ses premières consignes qu'après dix minutes. Si les joueurs sont calmes, un homme est débordé. Benziger découpe à la chaîne les papiers destinés à essuyer les visières pendant la partie. Grand consommateur, Roh le fait souffrir.

Points de suture

18h 14 : Trebaticky a la lèvre entaillée et rejoint le vestiaire. Soigné, il revient rapidement sur la glace. 19 h 10 : le HC Mulhouse encaisse son seul but du match. Le silence sur le banc est impressionnant. Il rappelle celui d'avant-match. A 19 h 15 se termine le 2e tiers. Le match est déjà gagné. Chacun récupère, personne ne parle. Le coach fait tourner l'effectif. Les nouveaux entrant vont prendre les consignes avec lui hors du vestiaire. 20 h 02 : dernier événement de la soirée. Trebaticky prend encore un mauvais coup, son arcade ne tient pas le choc. En sang, il quitte la glace. Il ne reviendra pas et devra rejoindre l'hôpital pour dix points de suture.

Sans effusion

20 h 10 : fin du match. Pas d'effusion de joie, la victoire n'a pas de réelle importance. Chacun récupère. Certains vont courir, d'autres prennent de suite une douche. D'autres encore quittent le vestiaire pour aller fumer. Boirin est le premier changé. Les derniers - Piquemal, Dumenil et Pommier - seront encore dans les vestiaires une heure après le match.

Gérald Husser

 

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