Saveurs d'ailleurs au palet

 

Article de La Liberté de l'Est (18 novembre 2001).

L'arrivée massive de ressortissants étrangers dans le championnat de France de Nationale 1 est un phénomène inquiétant pour le hockey hexagonal. Ce choc culturel remet en cause la formation et du même coup l'avenir du hockey français.

Quatre-vingt-un : c'est le nombre de joueurs étrangers évoluant dans le championnat de France de Nationale 1 de hockey-sur-glace pour la saison 2001-2002.

Ce chiffre impressionnant est la résultante de la démesure dans laquelle se sont engagés plusieurs clubs. Cet état de fait est également la conséquence de l'ouverture des frontières et de l'application de l'arrêt Bosman. Une faille administrative et juridique qui a permis à certaines formations de s'attirer les services de joueurs méconnus dans leur pays et en quête de se faire une place au soleil de l'occident. Avec l'objectif de s'assurer un avenir reluisant tout en pratiquant sa passion. Par exemple, le fait de porter les couleurs d'un club français est une véritable aubaine pour des joueurs tchèques ou slovaques qui sont légion à ce niveau de la compétition. Il est vrai que les émoluments dont disposent cette cohorte de joueurs est un véritable pont d'or par rapport au niveau de vie de leur pays, jusqu'à six fois le salaire moyen.

En constante progression depuis plusieurs saisons, la forte présence de joueurs étrangers dans l'hexagone est aujourd'hui inquiétante. Point de nationalisme exacerbé dans cette constatation, mais plutôt le souci de préserver le patrimoine du hockey français qui semble en lente décrépitude depuis quelques années.

Toutefois, à la différence de la Nationale 1, la ligue Elite a fait cette année le choix de limiter les renforts étrangers à six unités. En revanche, à l'étage inférieur, c'est la porte à toutes les exagérations et il n'est pas rare dans quelques cas de dénombrer la bagatelle de douze étrangers sur une feuille de match de vingt éléments.

Quand l'économie prime sur la raison

En première ligne dans cet épineux dossier, la fédération est pourtant sensibilisée par l'urgence du phénomène comme le confirme Alex Escale, membre de la fédération : "Bien sûr, c'est quelque chose qui nous interpelle. Mais cela ne se règle pas d'un coup de baguette magique. Il s'avère aussi qu'il y a une pénurie de joueurs français sur le marché. Cela montre également que la formation est en retard. Mais ce n'est pas avec des moyens répressifs que l'on parviendra à nos fins. Il faut élargir la base, mais c'est un travail de longue haleine qui passe par le développement de la formation. L'arrivée d'étrangers est générale aux sports collectifs. Et puis, il faut reconnaître que pour pas mal de clubs c'est intéressant sur le plan financier. Le hockey français doit retrouver une certaine crédibilité en conservant ses meilleurs joueurs dans notre championnat. Pour l'instant, les internationaux jouent tous à l'étranger car ils ont des revenus plus élevés."

L'aspect économique est une réalité de notre temps qui fait pencher la balance à l'heure de constituer les alignements. Néanmoins, il reste encore de farouches défenseurs de tradition comme les équipes alpestres qui tentent de mettre en place toute une série d'avantages pour retenir les gens du cru mais aussi attirer des représentants français : "Avec l'aide du président, nous faisons tous les efforts possibles pour avoir une équipe avec des Briançonnais ou des Français en leur proposant un travail à mi-temps. Il faut aussi que les joueurs fassent des sacrifices . Nous n'avons peut-être pas l'équipe la plus forte du championnat mais cela nous convient. Je ne crois pas que recruter des étrangers à outrance soit la bonne solution. Et puis chez nous, le public a besoin de s'identifier à l'équipe. Nous avons la chance de disposer dans notre région d'un gros vivier de recrutement. A mon avis, la Nationale 1 devrait s'aligner sur l'Elite. La solution est de travailler dès la base en privilégiant les écoles de hockey. C'est parfois ce qu'oublient de faire les grandes villes que sont Dijon, Strasbourg ou encore Epinal. Le secret serait peut-être de regrouper les places fortes des Alpes pour soutenir la comparaison avec les équipes de la plaine en Elite", remarque Michel Leblanc, l'entraîneur-joueur de Briançon, qui ne compte qu'un Finlandais dans son groupe.

Un avenir plus qu'incertain

En tout cas, cette lente dérive pose le problème de la pérennité du hockey en France. La qualification des Juniors pour le groupe A mondial en décembre prochain en République Tchèque est sans doute l'arbre qui cache la forêt puisque le hockey français ne retrouvera de la crédibilité qu'avec une vitrine fiable. Et l'Elite actuelle, à sept clubs, n'est sans doute pas la meilleure des promotions. Des projets d'élargissement sont en cours d'étude mais combien de clubs souhaiteront franchir le pas au printemps prochain ? Il y a fort à parier que peu de candidats se bousculeront au portillon. De surcroît, la descente de l'équipe nationale en deuxième division mondiale voici deux saisons n'est pas de nature non plus à rassurer des investisseurs potentiels. Avec l'arrêt, après les Jeux Olympiques des fers de lance de la sélection que sont Bozon et bien d'autres, l'avenir ne dit rien qui vaille. L'avenir du hockey français sera inévitablement liée à une médiatisation accrue.

Mais l'héritage d'un sport en proie à des guerres intestines et aussi d'une gestion de bric et de broc lors de la décennie écoulée est un lourd handicap qui aura bien du mal à s'effacer du jour au lendemain.

 

En chiffres

La fourchette des salaires

Le sujet des salaires est souvent tabou dans le sport mais le président de Tours, Jean-Marie Bonneau, a bien voulu révéler les cachets qu'il verse à ses joueurs étrangers sans pratiquer la langue de bois. "Chez nous, les étrangers sont payés entre 3000 F et 7000 F accompagnés d'avantages en nature (voir par ailleurs). Dans leurs contrats, ils sont également chargés de prendre en charge une équipe de jeunes. Cela change des Français qui veulent jusqu'à 9000 F. Quand Viry a déposé le bilan, nous avons essayé d'en récupérer quelques-uns, mais ils ne voulaient pas moins de 8000 F par mois. Notre masse salariale est de 500 000 F pour la saison. Notre gardien de but slovaque Hiadlovsky touche 5500 F par mois et il est très bon depuis le début de saison."

Les tarifs en Elite

En ce qui concerne les salaires en ligue Elite, il sont de l'ordre de 20 000 F pour les internationaux français et dans le même ordre d'idée pour les étrangers. En revanche, les expatriés en Suisse ou en Allemagne multiplient cette somme par quatre, voire plus pour Bozon l'an dernier à Lugano dont la fiche de paye tournait autour de 200 000 F.

Les étrangers en Nationale 1

Besançon (11), Briançon (2), Cergy (5), Clermont-Ferrand (8), Dijon (7), Dunkerque (5), Epinal (8), Gap (4), Megève (2), Nantes (5), Saint-Gervais (1), Strasbourg (9), Tours (10), Villard-de-Lans (4).

 

J-M Bonneau : Les jeunes n'ont plus les pieds sur terre

Le président tourangeau Jean-Marie Bonneau a pris à l'intersaison le pari de constituer son équipe autour d'une grosse ossature de joueurs étrangers. Explication et point de vue de l'intéressé.

Comment expliquez-vous votre choix de recruter dix joueurs étrangers ?

Ce n'est pas compliqué, c'est avant tout un choix financier. A Tours, les étrangers gagnent des sommes raisonnables. Bien sûr, nous leur offrons l'hébergement mais ils logent à trois ou quatre dans le même appartement. Recruter un joueur français est aujourd'hui impossible, la plupart du temps, il me demande un salaire trop important et beaucoup d'avantages matériels. Bien entendu, j'aurais voulu prendre des Français, mais il faut qu'ils soient persévérants, plus rigoureux et plus disciplinés. L'an dernier, j'avais contacté le jeune Paillet qui joue à Amiens. Il m'a répondu qu'il avait un bon contrat, même s'il ne jouait que très peu en Elite. Rester sur le banc, c'est leur choix, mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution. Pour les jeunes juniors champions du monde, c'est un cas identique, ils veulent des sommes faramineuses alors qu'ils n'ont pas prouvé grand chose. Ils n'ont pas les pieds sur terre.

Quelle réponse apportez-vous à vos détracteurs que sont les clubs alpins ?

Les clubs des Alpes vivent dans un monde à part, c'est un peu une spécialité de la région. Je n'ai pas de remontées mécaniques à Tours pour pouvoir employer des joueurs et les laisser s'entraîner comme bon leur semble. Il faut aussi dire que ce sont les municipalités qui rémunèrent les joueurs. Et puis, lorsque nous formons les jeunes, les grands clubs comme Rouen viennent nous piller.

Quelles solutions préconisez-vous pour sortir de l'impasse ?

Il n'y a pas d'autres solutions que de privilégier la formation, mais la fédération ne semble pas disposée à faire les efforts nécessaires et ne nous appuie pas dans notre volonté. Là-dessus, la fédération vient nous pondre un règlement particulier pour la Coupe de France sans nous tenir au courant de quelque chose, c'est vraiment n'importe quoi. Nous devons absolument nous secouer en France, car depuis l'ouverture des frontières à l'intérieur de la CEE, la situation est grave et elle risque de ne pas évoluer dans le bon sens.

Anthony Perchat

 

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