Bilan des Jeux Olympiques de Vancouver

 

Résultats de la compétition

 

Le balancier oscille toujours de manière parfaite : depuis le retour des joueurs de NHL aux Jeux Olympiques, deux finales 100% européennes ont alterné avec deux finales Canada - États-Unis, à chaque fois sur le sol nord-américain. Ces deux pays confirmeront-ils dans quatre ans à Sotchi chez une Russie revancharde ? Éviteront-ils un nouveau renversement de tendance ? Pour y parvenir, ils auront besoin de la présence des joueurs de NHL. Or, la ligue pro nord-américaine n'a toujours pas donné son accord pour continuer à observer la rêve olympique, en partie pour garder la participation aux JO comme argument à opposer aux exigences financières des joueurs lors de la prochaine négociation de convention collective en 2011/12.

Pourtant, la NHL ne pouvait pas rêver de meilleure promotion indirecte que cette finale idéale, du point de vue nord-américain. Un dénouement à grand suspense, parfaite apothéose sportive et médiatique de la quinzaine olympique, avec comme buteur gagnant la star parfaite, Sidney Crosby, dont le visage angélique est vendu comme la vitrine reconnue par tous du hockey sur glace, à l'instar d'un Gretzky en son temps. La contrepartie de cette exposition, c'est de faire l'effort de participer à toutes les compétitions olympiques, même quand le décalage horaire est moins favorable.

La qualité de jeu du tournoi olympique n'a pas déçu. Après une première phase souvent très spectaculaire, la tactique a parfois pris le dessus lors du passage à élimination directe, mais ce ne sont pas les défenses qui ont gagné. Certes, les combinaisons collectives à l'européenne ont été rendues impossibles en zone neutre par l'étroitesse de la glace. Mais pour autant, le jeu d'attente n'a pas non plus triomphé. Pour ces premiers JO sur une patinoire aux dimensions nord-américaines, c'est logiquement l'intensité de jeu et l'activité qui ont prévalu. Ceux qui reculaient ont généralement eu tort, alors que ceux qui avançaient ont eu raison.

 

Savourer une victoire à domicile, ce n'était plus arrivé à un pays organisateur dans une compétition internationale officielle depuis 24 ans. Pour le Canada, le but de Crosby a marqué un moment magique qui restera gravé dans les mémoires de toute une génération, puisque 80% des Canadiens ont regardé au moins une partie du match à la télévision ! Cette médaille d'or est beaucoup plus belle que celle de Salt Lake City, parce qu'elle vient couronner des Jeux Olympiques triomphants piour le sport canadien, mais aussi parce que l'équipe a cette fois été totalement convaincante, une des plus fortes et des plus denses de l'histoire.

Pourtant, ce succès n'a pas été une évidence. En début de tournoi, le Canada n'arrêtait pas de remanier ses lignes, comme s'il ne trouvait pas la bonne formule. Puis tout un pays a flagellé ses idoles après la défaite "interdite" en poule contre les Américains, une défaite due à des erreurs des trois joueurs les plus âgés : le gardien Martin Brodeur (37 ans) et les défenseurs Scott Niedermayer (36 ans) et Chris Pronger (35 ans). Le malheureux Brodeur, cloué au pilori pour un geste plus proche de baseball qui a coûté un but, y a perdu sa place et n'a jamais eu l'occasion de se rattraper. Le capitaine Niedermayer a pu le faire en revanche avec une solide phase éliminatoire.

Il n'est pas innocent, quatre ans après le débâcle d'un vieillissant Canada à Turin, de constater que ce sont les trois joueurs les plus jeunes qui méritent le plus de louanges. Drew Doughty (20 ans) a été encore plus impressionnant qu'aux derniers championnats du monde et a vite quitté la position de septième défenseur, tant pis pour Seabrook dont la complémentarité avec Keith n'était plus un argument suffisant. Jonathan Toews (21 ans) a été le meilleur joueur de son équipe, réagissant toujours intelligemment en configuration offensive comme défensive. Il a réussi l'exploit d'être le meilleur marqueur des siens, sans jamais se départir de son devoir premier qui était de neutraliser les meilleurs joueurs adverses (fonction majeure dévolue au trio Toews-Richards-Nash, et remplie remarquablement). Aucun autre pays au monde ne dispose d'un joueur de cet âge aussi complet que Toews, aligné à l'aile mais tout aussi compétent au centre. L'attaquant des Blackhawks de Chicago était chargé de prendre les mises au jeu les plus cruciales en zone défensive, signe de la totale confiance des entraîneurs.

Et enfin, on ne peut que féliciter Sidney Crosby (22 ans). Bien sûr, il n'a pas dominé le tournoi, mais il faut se rendre compte de tout ce que ce gamin superstar porte sur ses épaules. L'attention se focalise sur lui, et il n'a pas le droit à un jour sans. Même s'il travaille fort, il suffit d'une occasion manquée pour qu'il soit pointé du doigt. C'est tout à son honneur dans ces conditions d'avoir été décisif, aussi bien dans le pénalty gagnant contre la Suisse que dans le but en prolongation en finale. C'est dans ces moments-là que les plus grands joueurs de l'histoire se forgent leur légende, et la sienne est déjà incroyable à son âge.

 

Médiatiquement, ce tournoi a rappelé à la fois les limites et le potentiel du hockey sur glace aux États-Unis. La chaîne NBC n'a pas diffusé les premières rencontres de l'équipe nationale sur le canal principal mais sur une chaîne annexe (MSNBC), et encore le direct commençait-il régulièrement en retard pour attendre la fin d'un match de curling. Mais la finale, elle, a attiré une moyenne de 27,6 millions de téléspectateurs. C'est dix millions de plus qu'en 2002, mais moins qu'en 1980, et trois fois moins que le record du Superbowl. Cependant, le pic d'audience (34,8 millions) est supérieur au nombre total d'habitants du Canada, et au nombre cumulé de Finlandais, Slovaques, Suédois et Tchèques.

Même sans rentrer dans le trio de tête des sports collectifs, le hockey sur glace américain dispose donc d'un bassin de population qui le rend redoutable. Depuis dix ans, il est correctement exploité, grâce au programme de développement mis en place par la fédération (USA Hockey) qui reçoit 8 millions de dollars par an de la NHL.

Ce tournoi en est la consécration : les États-Unis se sont appuyés sur la qualité de leur gardien (Ryan Miller), sur une défense qui s'est énormément reposée sur la paire complémentaire Suter-Rafalski, et sur de vrais guerriers en attaque comme Ryan Kesler, dominant aux mises au jeu et en infériorité. Quant aux leaders offensifs, ils ont pris du volume au fil de la compétition, à l'image de Zach Parisé, nouvelle idole du pays avec sa détermination sans faille, récompensée par une égalisation tardive en finale qui a fait rêver des millions d'Américains et trembler des millions de Canadiens.

Contrairement aux précédents exploits sans lendemain de leur équipe nationale, les États-Unis ont les moyens de capitaliser sur cette performance-ci, car elle est le fruit d'une équipe d'avenir. Mais la prochaine échéance olympique à Sotchi est incertaine, et le président de USA Hockey n'a pas l'air de croire lui-même que la NHL y libèrera ses joueurs. Un signal contraire pourrait enrayer le travail effectué jusqu'ici, qui demande à être confirmé aux championnats du monde.

 

La moisson de médailles continue pour la Finlande : quatre sur les cinq derniers tournois olympiques, alors que le Canada n'en a obtenu que trois... même si leur métal brillait un peu plus. Alors que les Finlandais méritaient souvent d'être plus haut sur le podium, ce bronze de 2010 est sûrement le moins reluisant.

Dans un tournoi olympique où un match raté est parfois fatal, les Finlandais sont totalement passés à côté de deux rencontres : face à la Suède (0-3) et bien sûr en demi-finale face aux États-Unis. Il aura suffi d'une relance ratée du gardien Miikka Kiprusoff pour que les Américains marquent avant même de s'être créé la moindre occasion, ouvrant la voie à une déroute de la défense finlandaise (0-6 en vingt minutes).

La Finlande a cependant fait valoir son statut de "championne du monde des matchs pour la troisième place" pour compléter la collection olympique de sa génération dorée. Teemu Selänne tire donc sa révérence avec le record de points marqués aux Jeux olympiques, mais la ligne légendaire Selänne-Koivu-Lehtinen n'a pas marqué le moindre but. Les "nouveaux leaders" Mikko Koivu et Tuomo Ruutu ont eux aussi déçu, et ce sont le troisième trio (efficacité offensive de Niklas Hagman et de l'autre retraité Olli Jokinen) et le quatrième trio (efficacité défensive de Peltonen-Kapanen-J.Ruutu) qui ont été les meilleurs.

Le temps où la Finlande se distinguait par une ligne de rêve est donc révolu : dans les prochaines années, c'est sur sa densité besogneuse qu'elle devra s'appuyer.

 

La Slovaquie balance entre le soulagement de connaître une telle résurrection de son hockey, promis à une lente décrépitude, et le regret d'avoir échoué à un souffle de l'exploit contre le Canada puis la Finlande. Aucune médaille olympique ne viendra probablement récompenser la carrière de Pavol Demitra (35 ans), mais il a réussi un tournoi exceptionnel. Les supporters des Canucks de Vancouver, qui le voient toute la saison, n'ont pas reconnu leur joueur, transcendé sous le maillot national. Il est vrai que la présence à ses côtés d'un ailier de la qualité de Marian Hossa, lui aussi excellent, change beaucoup de choses.

Ce tournoi olympique n'est cependant pas la fin. Seul le défenseur Martin Strbak, devenu recordman des sélections, a annoncé sa retraite internationale. Satan et Palffy n'ont rien annoncé, mais malheureusement pour eux, leurs prestations ont parlé à leur place : ils ne sont plus ce qu'ils ont été. Les autres anciens, comme l'étonnant Zednik, pourraient continuer jusqu'aux championnats du monde 2011 à Bratislava et Kosice, qui permettent de donner une perspective à l'équipe actuelle avant un changement de génération que tout le monde sait problématique.

Brusquement, on s'agite de nouveau dans le monde du hockey slovaque. Cela vaut mieux que l'agonie dans l'indifférence. Le test positif de Lubomir Visnovsky s'est vite réglé : le défenseur avait signalé lors du contrôle le médicament donné par le médecin d'Edmonton Oilers qui l'a fait dépasser le seuil autorisé de pseudo-éphédrine, et il n'a donc reçu qu'un avertissement puisqu'il était négatif avant et après le jour dit. Mais après cette frayeur, la presse se remet à spéculer sur un autre sujet, le possible remplacement anticipé de Jan Filc, dont le contrat devait se terminer le 30 juin. Pour mieux préparer l'échéance de 2011, la fédération aimerait mettre en place un nouvel entraîneur canadien dès le Mondial allemand de mai, et les noms de la fine fleur des sélectionneurs sont envisagés (Ralph Krüeger, Glen Hanlon). Le poste de coach de la Slovaquie serait-il soudain devenu intéressant ? Ce ne serait pas le moindre exploit réussi par cette équipe olympique.

Lire aussi : les Jeux olympiques vus de Slovaquie.

 

Depuis que les Jeux Olympiques se jouent à élimination directe (Albertville 1992), la Suède rejoue exactement le même scénario. Lorsqu'elle est tête de série en quart de finale après un bon premier tour, elle se fait éliminer. Mais lorsqu'elle se fait discrète en première phase, elle finit par remporter le tournoi ! Si elle avait été plus superstitieuse, elle aurait peut-être choisi de perdre son dernier match de poule contre la Finlande...

Ce n'est évidemment pas ce reproche-là qui est fait à Bengt-Åke Gustafsson. Son obstination à s'en tenir à ses principes a cependant joué en sa défaveur cette fois. L'alchimie n'était clairement pas au rendez-vous entre les Sedin et leur compagnon d'autrefois Weinhandl, qui avait l'air d'un intrus au milieu des deux jumeaux se passant le palet entre eux. Pourtant, BÅG s'est entêté à conserver les mêmes alignements alors qu'un seul trio a fonctionné au cours du tournoi : celui qui était dirigée de main de maître par Nicklas Bäckström, vrai meneur de jeu entre Daniel Alfredsson, vétéran affichant encore une belle forme, et le jeune Loui Eriksson, du coup plus efficace qu'aux derniers Mondiaux.

Le jeu de possession qui fait la force de la Tre Kronor n'a donc pu s'imposer cette fois-ci. Le piège slovaque s'est refermé en quart de finale : deux pénalités inutiles et deux erreurs des défenseurs de Detroit Nicklas Lidström et Niklas Kronwall ont scellé l'affaire (3-4). Alors que le doublé JO-Mondiaux de 2006 avait fait sa gloire, Bengt-Åke Gustafsson n'a rien gagné depuis et a donc perdu aussi les lauriers olympiques. Il lui reste une dernière chance de partir en beauté en mai en Allemagne avant la fin de sa mission, qui aura quand même été réussie dans l'ensemble.

 

La Russie rêvait d'une finale idéale, elle a en fait affronté le Canada dès les quarts de finale, comme il y a quatre ans. Mais cette fois, c'est elle qui a sombré corps et biens. Prise à la gorge, elle a été incapable de réagir. Comment analyser un tel naufrage ?

Les commentateurs nord-américains se sont empressés d'interpréter ce résultat comme la supériorité évidente de la NHL sur la KHL. C'est opportuniste, mais c'est de bonne guerre, car les Russes en auraient fait autant dans le cas inverse. Seulement, c'est un travetissement un peu facile. Les joueurs de KHL n'ont vraiment pas été bons... mais les stars de NHL non plus. Ovechkin a été neutralisé. Les centres ont été laminés : Zinoviev sur une jambe, Fedorov avec deux jambes qui accusent le poids des ans, Malkin complètement dévoré par Nash, et même Datsyuk sous l'éteignoir. Comme ce ne sont pas les ailiers russes qui risquent de revenir défendre, les arrières ont été livrés à eux-mêmes et dépassés. Bien sûr, on peut toujours regretter l'absence d'un attaquant responsable défensivement comme Frolov, mais celui qui lui a "pris sa place" (Afinogenov) n'était sur la glace pendant aucun des sept buts encaissés... Ce n'était pas une question de personnes.

Les entraîneurs russes Bykov et Zakharkin ont insisté sur le point positif : le courage de Sergei Zinoviev qui a tenu à jouer ce match avec une rupture des ligaments croisés en sachant que sa saison serait ensuite terminée ! C'est méritoire, mais parfois la glorification d'un héros est une manière de se bercer d'illusions. Le problème est qu'il n'y avait guère d'alternative. Ne prendre que 12 attaquants était trop risqué.

La Russie a été trop traditionnelle dans son approche. Elle s'est refusée à "matcher" les lignes adverses, parce qu'elle avait déjà pré-défini les rotations : les premières lignes devaient venir en jeu de plus en plus fréquemment pour accélérer le rythme. Mais cela implique d'imposer son jeu, comme le faisait l'URSS autrefois. Le Canada ne lui en a pas laissé le temps. Comme rien ni personne ne répondait dans l'équipe, que Bykov pouvait-il faire pour réagir ? Changer de gardien plus tôt ? Sans doute, mais il semble que ses joueurs l'en aient dissuadé à la pause en se déclarant solidaires de Nabokov... Une attitude sympathique et bravache, comme celle de Zinoviev, mais là encore assez vaine.

Et dire que lors de la finale de Québec, sur petite glace, le tandem Bykov/Zakharkin avait gagné la bataille du coaching face à Ken Hitchcock... Cette fois, il a été échec et mat devant une équipe de quatre entraîneurs (Babcock, Lemaire, Hitchcock, Ruff) complétée par un manager à plein temps, Steve Yzerman, qui a passé quatre mois à sillonner la NHL pour constituer une formation façonnée, de son propre aveu, avant tout pour battre la Sbornaïa. Le plan anti-russe, conçu de longue date, a parfaitement fonctionné. La vengeance est un plat qui se mange froid.

Si la Russie veut sa revanche à Sotchi, elle devra donc y mettre les moyens. Elle a la seule équipe à avoir un staff aussi maigre : deux entraîneurs occupés parallèlement en club, plus le cumulard Vladislav Tretiak qui est président de fédé, député, peut-être manager et éventuellement entraîneur des gardiens. Après cette déroute, Tretiak a annoncé qu'il réactiverait un "manager pour l'Amérique du nord" chargé de suivre les joueurs de NHL : c'était un poste important à l'époque où ceux-ci refusaient la sélection, mais aujourd'hui cela paraît insuffisant par rapport à l'enjeu.

 

Cela fait trois ans que ça dure. Trois ans que "cela aurait pu basculer de l'autre côté", que "pas loin mais presque". Il n'empêche que le résultat est toujours le même : une élimination en quart de finale. Comment se fait-il que la République Tchèque, pourtant non dépourvue de talent offensif, soit en panne d'efficacité au moment le plus important ?

Et il est vrai que ça se joue à peu de choses. Par exemple le fait que Jaromír Jágr, parti pour dominer le tournoi, n'a plus été le même après avoir été groggy par la mise en échec d'Ovechkin. Ou encore cette petite indiscipline récurrente dans les faits les plus anodins, comme de garder la lanière trop souple de son casque. C'est ainsi qu'on risque de le perdre sur le but fatal, pour ensuite accuser la malchance ou le règlement... C'est ce qui est arrivé au défenseur triple champion du monde Pavel Kubina, qui a pris sa retraite internationale après ce tournoi raté pour sa part.

La génération la plus titrée du hockey tchèque s'en va ainsi peu à peu, et les jeunes sont prêts à prendre le relais, à en juger par un Lukas Krejci prometteur qui peut être le futur meneur de jeu de l'équipe. Mais la relève peut-elle assumer tout l'héritage ?

Beaucoup en doutent, et le président de la fédération TomᚠKrál lui-même dresse un constat cinglant : "Quand je suis arrivé à ce poste [NDLR : 2008], j'ai hérité d'une structure en faillite. Avant tout, il faut obtenir de meilleures conditions économiques. Et les conditions morales ? C'est le gros problème. Quand toute la société est malade, pourquoi le hockey serait-il épargné ? Les joueurs quittent l'école, pas comme en Scandinavie où elle est importante pour chaque hockeyeur. [...] Après la révolution [de velours], on a abandonné le sport. J'ai fait une recherche sur l'équipe nationale des moins de 16 ans. Devinez combien d'entre eux sont en échec scolaire ? 16 sur 22 ! C'est incroyable. On produit des illettrés qui n'ont aucun respect pour l'école. Pourquoi en auraient-ils pour le hockey ou pour les entraîneurs ?"

 

Dans un tournoi raccourci où les confrontations américano-européennes auront été relativement rares du fait de la composition des groupes, la Suisse a affronté deux fois les Américains et une fois les Canadiens, et elle s'en est sortie honorablement, bien mieux que des nations réputées plus établies.

Les adieux de Ralph Krueger furent donc réussis : sa troupe a récolté des louanges pour sa prestation collective sans fausse note, où personne n'a failli. Même le défenseur Yannick Weber, mal en point lors des deux premières rencontres, a bien été recadré et s'est montré plus concentré dans sa zone après avoir passé un match sur le banc (le "vieux lion" Mathias Seger a tout de même pris sa place auprès du capitaine Streit en première ligne). Il ne sera donc pas facile de sacrifier pour le nouvel entraîneur Sean Simpson de sacrifier certains des joueurs présents pour introduire des éléments à sa convenance et imprimer sa patte sur l'effectif.

Les successeurs de Krueger pourront s'appuyer sur des acquis, dans l'état d'esprit du groupe comme dans la qualité du jeu sans palet. Pour que les joueurs helvétiques prennent plus de responsabilités avec le palet, il faudra cependant en premier lieu le conquérir : les Suisses ont tous perdu la majorité de leurs engagements, seul Plüss ayant à peu près équilibré son bilan. Sur ce point-là, les nombreuses confrontations avec les Nord-Américains ont un effet statistique impitoyable... L'engagement physique démontré dans les phases défensives doit se traduire aussi dans les phases offensives, y compris devant le but adverse.

 

Le Bélarus a été l'équipe la plus passive du tournoi, recroquevillée comme souvent dans une tactique très défensive. Cela a failli lui suffire pour se qualifier en quart de finale, par la grâce des mains d'or de ses joueurs-vedettes comme Kalyuzhny ou Kostitsyn. La main de ce dernier a cependant tremblé au moment fatidique, aux tirs au but contre la Suisse. Le hold-up n'ayant pas réussi, les critiques se tournent donc vers l'organisateur du braquage : Mikhaïl Zakharov.

Après des années de spécialistes nord-américains, le retour derrière le banc de Zakharov a jeté un froid chez les amateurs de hockey biélorusses. Ils n'avaient pas confiance en lui... et ils n'ont pas révisé leur avis. Il a été moqué pour ses déclarations aveuglément pro-russes, sur lesquelles il a pourtant insisté contre vents et marées. Après l'élimination du Bélarus, il a expliqué que le hockey russe était le meilleur et qu'il serait heureux si "l'arrogance canadienne" était punie en quart de finale... On imagine son désenchantement.

Zakharov ressemble assez à la vieille garde des entraîneurs russes qui ressassent sans cesse des excuses : c'est la faute à tel ou tel joueur, au manque de préparation, ou au mauvais travail effectué au Dynamo Minsk, l'équipe de KHL qu'il a toujours combattue. Mais parallèlement à ces récriminations, il a aussi promis que, pour peu que les "Dynamistes" rattrapent leur retard physique, son équipe sera en demi-finale du prochain championnat du monde !

Le problème, c'est que personne ne le croit. Un sondage indique que près de 90% des supporters ne souhaitent pas qu'il dirige l'équipe en mai en Allemagne. En faire un bouc émissaire serait cependant trop facile. Il n'est que l'entraîneur intérimaire d'un pays qui a aussi un président de fédération intérimaire, en attendant les nouvelles élections prévues pour la mi-mars. Le gagnant aura beaucoup de dossiers à reprendre, et l'identité du sélectionneur des seniors n'est pas le plus fondamental.

 

La Norvège a présenté une ligne de très haut niveau. Ce n'est pas une nouveauté, puisque cela fait plusieurs années. Mais cette fois, elle est encore montée d'un cran. Le centre Tore Vikingstad a réussi son meilleur tournoi avec l'équipe nationale. Patrick Thoresen a été digne des louanges de son coach en club Vyacheslav Bykov, qui a déclaré en décembre qu'il l'aurait pris dans son équipe nationale s'il était russe ! Voilà un compliment inédit dont aucun joueur norvégien n'avait été gratifié, et qui n'a pas paru du tout démérité.

Mais la nouveauté, c'est l'éclosion de Mats Zuccarello Aasen. Encore discret aux championnats du monde, il a brillé de mille feux à ces Jeux olympiques et a logiquement rejoint la ligne de parade. Malgré sa taille (1,71 m) normalement rédhibitoire, les voix sont de plus en plus nombreuses à lui imaginer un avenir en NHL. La Norvège a été la preuve que les "petites nations" peuvent participer à la beauté d'un tournoi olympique. Son premier trio a été l'un des plus spectaculaires d'une compétition pourtant gorgée de stars, et le match contre la Suisse a sans doute été le plus beau de la quinzaine.

Même si Tommy Jakobsen et les siens ont souffert en défense, cette performance norvégienne aurait pu donner une très belle publicité au hockey sur glace dans un pays qui néglige ce sport. Malheureusement, il aura suffi d'un geste pour assombrir cette vitrine idéale. Après l'élimination contre la Slovaquie, les médias scandinaves ne parlaient presque pas de la belle résistance norvégienne, mais uniquement de la mauvaise charge de Tollefsen qui a blessé Bartecko. Tout ce que l'on retiendra, c'est l'image du joueur slovaque en sang au sol, une image violente qui va coller à la réputation du hockey sur glace et gâcher la meilleure propagande qui soit.

 

L'Allemagne n'avait jamais assemblé autant de hockeyeurs de NHL, mais elle n'a jamais obtenu un aussi maigre résultat à des Jeux Olympiques. Pour autant, on ne peut rien reprocher aux titulaires de la ligue nord-américaine, car ils ont tenu leur rôle et tiré l'équipe. En revanche, beaucoup de joueurs ont montré leurs limites. Les stars de la DEL Michael Wolf et Thomas Greilinger ont été dépassés par l'intensité du jeu. La moitié de la défense a été à la rue, soit par lenteur (Ficenec, Schmidt, Bakos), soit par des erreurs individuelles (Sulzer).

Mais ce qui a le plus agacé les téléspectateurs allemands, ce ne sont pas tant les défaites, relativement attendues, que les commentaires qui les accompagnaient. La télévision publique a confié le micro à Günter-Peter Ploog, qui n'est pas un intrus dans le hockey sur glace : il le commentait régulièrement dans les années 90, à la fois sur les chaînes publiques et payantes, jusqu'à ce qu'il se fasse souffler les droits de diffusion par une offre financière plus chère d'une télévision exclusivement à péage à l'existence brève. Ce fut l'une des plus grosses erreurs de la DEL, et Ploog ne l'a pas digérée. Au lieu de commenter le match, il a passé son temps à critiquer le hockey allemand et la DEL, qualifiée de "ligue de troisième zone". Les supporters n'ont pas été les seuls à se plaindre : le secrétaire général de la fédération Franz Reindl a dénoncé l'incompétence et la médisance du commentateur. Il est certain que le hockey allemand espérait autre chose que cette "contre-publicité" pendant les Jeux olympiques. Relativisons cependant : les matches de l'Allemagne passaient dans la nuit, et la finale diffusée à heure de grande écoute a bénéficié d'un commentateur plus enthousiaste.

Même les mécontents des critiques de Ploog n'en pensent pas moins. Cet échec olympique a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les supporters, fâchés contre la DEL qui ignore leur avis et ne corrige pas ses erreurs, préparent une action concertée pendant une journée de championnat pour "porter le deuil du hockey allemand" en s'habillant en noir et en respectant une minute de silence. À deux mois du Mondial à domicile, l'atmosphère se fait pesante.

 

La Lettonie n'a toujours pas gagné un match aux Jeux olympiques, mais elle s'y attendait un peu. Elle a vécu un tournoi plutôt monotone, avec uniquement des adversaires de l'est de l'Europe pratiquant un hockey proche du sien mais avec un talent supérieur. Dépassée par les Russes et les Slovaques, elle a juste su profiter des relâchements tchèques. Après 230 minutes sans grand évènement, les Baltes ont remonté deux buts de retard dans les huit dernières minutes et fait trembler la République Tchèque en la poussant en prolongation.

Les Lettons ont ainsi prouvé qu'ils étaient toujours motivés et prêts à jouer les trouble-fête, même si objectivement ils pâlissaient de la comparaison quand l'adversaire était à fond. Ils n'ont pas eu de leader capable de tirer l'équipe, mais ils ont tout de même montré une meilleure homogénéité qu'il y a quatre ans de Turin. Certes, la paire défensive Lavins-Galvins est franchement passée à côté de son tournoi, mais il n'y pas de quoi s'affoler dans l'ensemble.

La Lettonie est aujourd'hui à même de présenter un effectif dense, avec des jeunes capables de bosuculer la hiérarchie établie. Kaspars Daugavins, qui a repris son développement après sa méforme de 2008/09, a effectué un bon retour en équipe nationale, depuis la quatrième ligne pour ne pas toucher les trois lignes déjà formées. C'est tout l'enjeu des prochaines années : il faudra peu à peu intégrer de nouvelles têtes à l'équilibre du moment.

Marc Branchu

 

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