Interview de Vyacheslav Bykov

 

On ne change pas les bonnes habitudes. Comme l'an passé, l'automne moscovite est synonyme de rencontre avec Viatcheslav Bykov, l'ancien champion devenu entraîneur du CSKA, le club qui l'avait révélé au monde entier. Le coach des Rouges et Bleus est un cas dans la petite confréries des entraîneurs russes. Comme il a passé de très longues années en Suisse, où il a perfectionné un français devenu parfait, Viatcheslav Bykov a incorporé à sa méthode des éléments psychologiques venus de l'Ouest et longtemps considérés comme incongrus dans un vestiaire soviétique : le respect de l'individu et la recherche personnalisée du développement du joueur pour un meilleur rendement collectif. L'homme hockeyeur au service de l'équipe. Ajoutez à cela un goût pour le jeu offensif et un profond respect pour le maillot aux quatre lettres mythiques du Club Sportif Central de l'Armée et vous avez le portrait d'un homme (très) attachant. Pourtant, ces qualités ont bien failli se transformer en défauts insupportables pour certains dirigeants du club qui ont demandé sa tête à l'intersaison, prétextant que le club ne s'était pas qualifié pour les quarts de finale en 2004-05. Mais, emmenée par l'ancien "maître de maison", Viktor Tikhonov, la résistance à la bêtise a eu raison des simples contingences mathématiques de place finale au classement, et Viatcheslav Bykov a eu l'autorisation de poursuivre pour la deuxième année son expérience à la tête de son cher club. C'est donc, comme l'an passé, dans le saint des saints des bureaux du siège du CSKA hockey que nous avons, pour France Info, rencontré Viatcheslav Bykov. Et pour ne pas changer une équipe qui gagne, comme l'an passé, j'ai vu le jour de l'entrevue mon voisin Viktor Tikhonov promener son chien dans le quartier... Il y a des signes qui ne trompent pas !

- La saison passée a été marquée, en Europe, mais particulièrement en Russie, par l'arrivée massive de joueurs en provenance d'Amérique du Nord, suite à la cessation d'activité de la Ligue Nationale de Hockey. Cette année, le conflit étant terminé, ces joueurs sont repartis. Est-ce que cela change quelque chose pour le niveau de la Superliga, où de toute manière, le réservoir russe en joueurs de talent est inépuisable ?

Le championnat sera certainement différent de l'an passé. Mais sans conteste la Russie possède un réservoir de joueurs suffisamment garni pour remplacer non seulement les joueurs venus l'an passé de la LNH, mais également ceux qui sont partis cette saison pour la première fois en Amérique du Nord. On attend avec sérénité que de nouveaux joueurs prennent la relève et l'on verra évidement apparaître de nouvelles stars.

- Est-ce que le fait que la Russie soit le seul pays européen à ne pas avoir signé avec la LNH et la fédération internationale l'accord sur les compensations financières aux clubs européens pour les années de formation en Europe des joueurs retenus en LNH peut être un problème pour la Russie qui risque ainsi de se voir piller de ses meilleurs éléments à n'importe quel moment ?

Non, je ne pense pas. La LNH est une organisation qui fait du business, et dans ce cadre, ils comprennent que ce n'est pas de leur intérêt de venir déstabiliser le championnat et le hockey russe en le pillant. Ils comprennent que la Russie est en train de changer sa législation du travail, pour que les contrats des joueurs soient reconnus dans le monde entier. Donc, je ne pense pas que la LNH va voler nos joueurs. D'ailleurs, les effectifs des clubs nord-américains sont déjà bien fournis, ainsi que ceux de leurs clubs réserves, en plus, il y a encore beaucoup de joueurs sans club sur le marché en Amérique du Nord, ce n'est donc pas dans leur intérêt de venir chercher des joueurs en Europe. Ils doivent plutôt nous laisser travailler tranquillement pour que nous mettions en place un système juridique qui nous permette à tous de parler un même langage. On ne pourra pas empêcher un ou deux cas de joueurs qui partiront en cours de saison, mais cela ne changera pas grand-chose.

- Contrairement à la saison précédente, où Kazan était le grand favori, on ne peut dire cette saison qu'une équipe se détache vraiment dans la lutte pour le titre. C'est également votre avis ?

Bien sûr, les équipes qui dominaient la saison passée seront encore dans le coup cette année. Il s'agit d'équipes avec de gros budgets, capables de recruter des joueurs de grande classe et de s'offrir des stars, mais contrairement à la saison passée, il y aura surtout plus d'équipes de même niveau. Le championnat sera donc plus intéressant, car il sera impossible de donner un vainqueur sur un match.

- L'an passé, c'était votre première saison comme entraîneur du CSKA. Votre équipe ne s'est pas qualifiée pour les play-offs. On vous l'a reproché ou est-ce que vos dirigeants vous ont facilement fait confiance pour travailler sur la longueur ?

En me faisant signer l'an passé comme entraîneur du CSKA Moscou, l'accord avec les dirigeants étaient de monter un projet à moyen et long terme. Donc, il était clair d'entrée que l'on ne pouvait bâtir en un an une équipe pour lutter pour les premières places. Les dirigeants ont donc été relativement compréhensifs, même s'il est vrai que l'objectif était d'essayer d'accrocher les play-offs. Avec les dirigeants, nous avons donc fait l'analyse des échecs de l'an passé et nous avons essayé de bâtir une équipe qui soit capable de poursuivre cette remontée vers les sommets cette année.

- Ce n'est jamais simple d'être entraîneur au CSKA, surtout lorsque l'on a été joueur de cette équipe auparavant. Est-ce que la pression est vraiment présente, ou est-ce que l'on vous laisse travailler ?

À mon avis, la réponse à la pression est différente pour chaque personne. Mais ce qui est valable pour chaque entraîneur, c'est qu'il est sous la pression de ses dirigeants, et ce, dans n'importe quelle équipe. Mais il est vrai que ces quatre lettres C.S.K.A. sont connues dans le monde entier. Alors évidemment de nombreuses personnes suivent avec intérêt les résultats du club. Mais moi, j'essaie de ne pas y penser. De rester concentré sur mon travail. De le faire correctement, avec beaucoup de respect pour les joueurs, pour leur travail. Je suis tout simplement suffisamment exigeant avec moi pour ne pas sentir la pression. Et puis de toute manière, c'est totalement inutile de se mettre sous pression.

- Les JO en février sont-ils un handicap dans la préparation d'une équipe ?

On est obligé de faire avec. Mais c'est la fête des sportifs et ce n'est qu'une fois tous les quatre ans. J'ai eu la chance de participer à deux Jeux Olympiques (NDLR, j'ai eu la chance de voir Viatcheslav Bykov en action à Méribel lorsqu'il a été champion olympique avec la CEI en 1992...) et je comprends parfaitement que les joueurs aient envie de participer à cette fête. Au CSKA, nous allons donc faire avec et préparer nos équipes en fonction de cet évènement. Ce sera tout simplement une nouvelle expérience à vivre avec une pause plus grande que d'habitude, et cela nous permettra de faire des essais et des expériences sur notre fonctionnement.

Propos recueillis le 21 septembre 2005 par Bruno Cadène

 

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