Journal d'un fou... de hockey (6)

 

Le journal d'un fou (de hockey) fait dans la mondialisation et se délocalise. Exit Moscou, direction Riga. D'ailleurs, comme les Lettons mettent des "s" de partout à la fin des mots, y compris des noms propres (c'est la déclinaison nominative en letton, si j'ai bien compris, que les lettonophones qui me lisent approuvent ou non...), je propose de débaptiser cette chronique et de l'appeler "Le journals d'un fols de hokejs en Latvijas".

Ma première impression du hockey letton... c'est un long chemin en taxi ! J'ai rendez-vous avec Viesturs Koziols, le président du HK Riga 2000, le principal club du pays, l'ancien Dynamo de Riga, seul club letton qui évoluait au plus haut niveau du temps de l'URSS. Or la patinoire du Riga 2000 n'est pas à Riga... mais à treize kilomètres de la capitale, dans le petit village de Pinki, sur la route de Liepaja. Un choix surprenant. Surtout que sur place, la patinoire "Siemens", du nom du sponsor allemand du club, n'est pas formid-formid-formidaaaable. Située au milieu de nulle part, sans liens avec le réseau de transports en commun, elle est certes assez jolie esthétiquement, mais vraiment minuscule en ce qui concerne la capacité spectateurs, un petit millier seulement. Mais le club y a installé ses bureaux et il y semble bien. Le président m'explique que le club est chez lui ici et qu'il a un projet de développement pour ce secteur... Bon, s'il le dit.

D'ailleurs, depuis l'indépendance retrouvée en 1991, la Lettonie a fait d'énormes progrès en matières de patinoires. À cette époque, il n'y en avait que deux, uniquement à Riga, dont une totalement obsolète, celle où évoluait le Dynamo. Cette dernière est d'ailleurs désormais inutilisable.

Désormais, il y a onze patinoires dans tout le pays, dont trois dans la capitale (plus celle du Riga 2000). En région, ces patinoires sont situées à Liepaja (port sur la Baltique), Daugavpils (deuxième ville du pays, près du Bélarus et peuplée pratiquement que de russophones), Ventspils (au bord de la Baltique, où se tiennent les championnats du monde féminins de D1), à Jelgava, mais également dans des petites villes comme Aizkraukle et Ikskile. C'est donc un énorme effort de développement du hockey qui a été effectué depuis le retour à l'indépendance. Surtout que cinq nouvelles patinoires sont prévues pour les mois à venir.

Bon, alors évidement, il y a le problème national (voir international, puisque Guilhem Rougé pose la question directement à la présidente de la République sur l'antenne de France Inter...) des deux grandes patinoires à construire pour le Mondial 2006. La Lettonie a les moyens financiers de les construire. Le problème réside pour après les championnats du monde. Comment rentabiliser ces équipements dans un pays où il n'y a pas (encore) de championnat professionnel de hockey ? Aux dernières nouvelles (lorsque j'étais à Riga, soit fin-février, début mars), des investisseurs estoniens seraient prêts à mettre l'argent sur la table.

Les clubs ne sont pas riches, les sponsors non plus. Il faut donc limiter les frais. Tous les déplacements se font en bus. Y compris lorsqu'il faut aller jouer à Kiev ou à Moscou en Ligue d'Europe de l'Est ! Je ne sais pas si vous pouvez vous imaginer un déplacement en bus en traversant la moitié de la Lettonie, tout le Bélarus et le nord de l'Ukraine... Il n'y a que trois clubs professionnels. À l'indépendance, il n'y avait que le Riga 2000. Puis en 1998, le combinat métallurgique de Liepaja a décidé de construire une patinoire et de créer un club pro. Le FHK Metalurgs Liepaja est né en prenant pas mal de joueurs au Riga 2000. Deux clubs qui par la force des choses sont devenus des rivaux. Et puis l'an passé, la fédération a eu une idée. Elle a créé à Ogre, au sud-est de Riga, une troisième équipe professionnelle. En fait, c'est un club militaire. L'ASK Ogre accueille les joueurs qui font leur service militaire d'un an et propose ensuite à ceux qui le souhaitent de devenir à la fois militaire et hockeyeur pro. La Lettonie n'a rien inventé, c'était le système en cours du temps du communisme avec les "SKA" en URSS (ou CSKA pour Moscou, "C" ou "Ts" en russe signifiant "central") ou les "Dukla" en Tchécoslovaquie. Quoi qu'il en soit, cela a permis au hockey letton d'avoir un troisième club de bon niveau. Pour le quatrième, il fait appel à son voisin lituanien de l'Energija Elektrenai, une petite ville entre Vilnius et Kaunas qui est la capitale du hockey lituanien depuis des décennies. Les deux joueurs lituaniens de NHL (dont Kasparaitis qui a choisi de représenter la Russie en 1991) sont tout deux originaires d'Elektrenai.

Le championnat letton "élite" compte donc neuf clubs. Les autres sont de petites équipes. Il y en a deux en province : le Zemgale Jelgava et le SK Ozollapas Kandava, deux clubs nés en 2001. Les trois autres sont à Riga. Ils sont totalement différents. Le HS Riga 85 est très original. C'est le club de l'école municipale de hockey de Riga. Ce sont donc des juniors, issus de cette école de hockey crée par la ville de Riga. Elle fait un travail de fond auprès des écoles de la ville, principalement celles du quartier où est installée la patinoire. Particularité tout à fait lettone, l'école de hockey travaille à part égale avec l'école lettone et l'école russophone du quartier. Mais l'on reparlera des relations entre les deux communautés. Les enfants s'entraînent et mangent à l'école de hockey. Comme les parents n'ont pas forcément des moyens financiers importants, les repas sont pris en charge. Le HK Prizma-Riga 86 est un autre exemple de l'ingéniosité lettone pour trouver des solutions. Cette équipe est un mélange des meilleurs juniors 18 ans du pays, plus des jeunes du club de hockey mineur Baldera HS Riga et des joueurs séniors du HK Prizma Riga. Cela permet à tout le monde de s'y retrouver.

Enfin, il y a un autre cas à part, le HK Vilki Riga. Les "Loups" sont un club composé en grande partie d'anciens (très) bons joueurs qui veulent continuer à jouer à bon niveau tout en travaillant. Un club qui est présidé et surtout financé par l'une des stars lettones de NHL, Sandis Ozolinš (Les Américains disent Ozolinsh car c'est la prononciation phonétique de son nom, transcription du cyrillique du temps où le joueur était soviétique, même si aujourd'hui c'est incohérent puisqu'ils écrivent par ailleurs "Karlis Skrastins"). Ce sont des copains du vainqueur de la Coupe Stanley qui ont créé le club en 2000. C'est le club qui "monte" puisque, s'il a été éliminé en quart de finale par Elektrenai en trois manches, il a fait bonne impression dans ce championnat. Cet investissement d'un joueur letton de l'étranger n'est pas unique, puisque l'autre vedette locale Arturs Irbe est très impliqué dans le hockey de son pays. Il devrait financer la construction d'une patinoire prochainement. Petite parenthèse pour préciser l'incroyable popularité d'Irbe. Durant mes deux semaines lettones, je l'ai vu très souvent en couverture de nombreux journaux et magazines...

Il y a actuellement 4 Lettons en NHL, 6 en AHL, beaucoup dans les ligues mineures nord-américaines, 4 en Superligue russe (plus deux au Spartak en Vyschaya Liga : Ignatievs et Cipruss) et énormément dans toute l'Europe. En France, l'entraîneur du Riga 2000 me rappelle qu'il y a eu un Letton qui venait de Riga : le Brestois Igor Akoulinine (Igors Akulinins en letton). On se demande d'ailleurs, vu le niveau de ces joueurs, pourquoi les recruteurs italiens ou danois par exemple font venir des Lettons alors que les Français se tournent toujours vers les mêmes filières... Non, je ne tends pas une perche à Guilhem...

Ensuite, il reste seize équipes qui font essentiellement de la formation. Il existe également une seconde division avec sept clubs. En tout, 73 équipes de jeunes sont engagées en championnat soit 1600 gamins. Il y a 1200 seniors. La création de patinoires, la formation des jeunes d'un côté, la forte implication des "exilés", ce sont les clés du succès letton. Mais le plus important, ce qui a été l'élément déclencheur de cette réussite, c'est bien sûr l'équipe nationale. Comme me le disait l'attaquant international et capitaine du Riga 2000, Artis Abols : "Lorsque nous sommes montés en groupe A mondial, cela a créé un enthousiasme incroyable dans le pays. Soudainement, les Lettons ont pris conscience qu'ils pouvaient réussir quelque chose, même en étant un petit pays. Cela a dépassé le cadre du sport." Aujourd'hui, les supporters lettons sont parmi les plus nombreux à suivre leur équipe nationale à chaque championnat du monde. Entre cinq et sept mille.

Un enthousiasme pour le hockey qui a également eu une importance politique. Dans chaque équipe de hockey lettone et donc dans l'équipe nationale, il y a autant de Lettons de souche que de russophones. Le sport sert de ciment national. J'ai eu la chance d'accompagner en bus l'équipe de Riga 2000 en déplacement à Liepaja. C'est une équipe soudée qui se bat pour le même maillot, et personne ne cherche à savoir qu'elle est la langue natale de l'autre. Idem dans les gradins de la patinoire de Liepaja. À ma gauche, mes voisins sont russophones, à ma droite, ils sont lettons. Avant le match, on joue l'hymne national. Toute la patinoire s'est levée, sans la moindre animosité d'une partie de l'assistance. Au contraire mes voisins russophones se sont même découverts. Si la situation était telle que nous la présentent les nationalistes russes (en Russie), si l'on était dans une situation comme en Bosnie, au Kosovo ou en Macédoine, pensez-vous que des Serbes de Bosnie ou des Albanais du Kosovo ou de Macédoine se lèveraient et enlèveraient leur chapeau pour écouter l'hymne bosniaque pour les uns, serbe ou macédonien pour les autres ? Bien sûr que non. Cette histoire est une manipulation. Tous les russophones rencontrés lors des reportages, que ce soit par moi ou par mes collègues, ont montré une communauté russophone qui souhaite rester vivre en Lettonie et qui vit en bonne intelligence avec ses voisins. Certes, il y a une tension actuellement au sujet de l'enseignement du letton dans les écoles russophones. Actuellement ces écoles doivent assurer 52% de leur enseignement en letton, la nouvelle loi va faire passer ce pourcentage de 52 à 60% progressivement, étalé dans le temps. Franchement, il faut quand même chercher les atteintes aux droits de l'homme dans cette histoire. En tout cas, vous ne rencontrerez pas un joueur de hockey de l'équipe nationale lettone ou d'un club pour affirmer qu'il est brimé à cause de la langue qu'il parle ou qu'il ne veut pas défendre le maillot de son pays. Pour terminer sur ce chapitre, j'ai quand même remarqué, que cela soit dans l'équipe de hockey de Riga 2000, dans son encadrement (l'entraîneur est letton, ses deux adjoints russophones) ou simplement dans les bars de Riga, que quand un Letton s'adresse à un compatriote russophone, il le fait en russe, l'inverse n'arrivant pratiquement jamais. L'effort de parler la langue de l'autre est presque à sens unique et effectué par les Lettons de souche.

En tout cas, cette double culture est une force certaine pour le hockey letton. Petite remarque, un officiel de la fédération me signalait que comme le hockey letton était déjà développé avant-guerre, les Soviétiques (les Russes, quoi...) ont demandé l'aide de techniciens lettons lorsque le hockey russe a été fondé. Ensuite, en sens inverse, le Dynamo de Riga a été entraîné par Viktor Tikhonov avant qu'il ne prenne en main les destinés du CSKA et de l'équipe nationale soviétique (russe, quoi...).

Ceci dit, le hockey letton connaît deux problèmes importants actuellement (en dehors de cette histoire de patinoires pour le Mondial 2006). Le premier est cette "fronde" des clubs lettons contre leur fédération. Les clubs, autour du président du Riga 2000, reprochent à leurs dirigeants de ne pas assez s'investir dans la création d'un championnat pro. Les seconds répliquent qu'il ne faut pas mettre le sprat dans la boîte de conserve avant de l'avoir fumé et mis dans l'huile (la version lettone du bśuf et de la charrue) et qu'il est d'abord capital de construire des patinoires et de former des jeunes. Dans un premier temps, on était vraiment au bord du clash, depuis les choses se calment et les deux parties tentent de trouver un compromis.

Plus gênante, la décision bélarussienne de faire capoter la Ligue d'Europe de l'Est de Hockey. Comme le championnat bélarussien est désormais assez fort pour se passer de ses voisins, la ligue transfrontalière (clubs du Bélarus, de Lettonie, de Lituanie, d'Ukraine et même de Russie) a été balancée par-dessus bord. D'après mes informations, cette décision ne vient pas des clubs bélarussiens. C'est une décision politique du président de la république, le dictatorial et moustachu (une habitude pour les tyrans d'être moustachu ?) Alexandre Loukachenko (Loukanchenka en bélarussien). Ce dernier étant (totalement) mégalo, mais fou de hockey (notre seul point commun...), il a imposé la création de patinoires dans tout le pays. Aujourd'hui, il y a suffisamment d'équipes, il a donc obligé les clubs à renoncer à cette ligue. Un sacré problème pour les clubs lettons, en mal de matches de haut niveau. Finalement, comme cela embêtait tout aussi fortement les clubs bélarussiens, les deux principaux clubs lettons (Riga 2000 et le Metalurgs Liepaja) ont été autorisés à participer au championnat du Bélarus, mais pas le club de l'armée lettone, faut pas exagérer. Du coup, les dirigeants lettons sont à la recherche d'autres pays pour reconstituer cette ligue dissoute. Ils regardent vers la Pologne, l'Estonie, la Lituanie (Elektrenai, toujours prêt !), voire la Russie ou même la Scandinavie.

Voilà à quoi ressemble le hockey letton. Une dernière chose, si vous pensez déjà à vos vacances de cet été. N'hésitez pas, profitez de l'élargissement de l'UE pour découvrir nos nouveaux concitoyens européens. Je vous assure que vous ne regretterez pas un séjour à Vilnius, Riga ou Tallinn...

Brunos Cadènes

 

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