Rouen, les lauriers ou les sénateurs ?
Il fut un temps où les Dragons établissaient une dynastie impériale sur le hockey français. De nos jours, ils sont devenus républicains ! Leurs adversaires découvrent ainsi, à leur grande joie, l'alternance. Ils ont pris l'habitude de voir Rouen éprouver des difficultés à enchaîner deux saisons pleines et se régalent d'avance des ouvertures ainsi laissées. Une inconstance qui semble avoir toujours la même origine : à être trop supérieur en talent, on tombe dans la facilité, on se relâche, et on oublie toutes les vertus qui vous ont fait roi...
En fait de démocratie, le vestiaire normand a parfois viré à l'anarchie. La vérité a éclaté au grand jour : Rouen est aujourd'hui dirigé par... des sénateurs ! L'éloquence de ces brillants esprits s'exprime dès qu'on leur accorde le palet. Leurs mouvements sont gracieux, leurs gestes sont élégants, leur charisme leur vaut l'admiration de leur auditoire. Mais lorsque l'attention n'est plus focalisée sur eux, ils s'assoupissent, s'affaissent sur leurs fauteuils, se reposent sur leurs lauriers, qui datent du printemps précédent et ne se renouvellent donc pas.
Il est sûrement trop long, le mandat de ces sénateurs, n'a pas manqué de s'avouer le président Thierry Chaix. Il ne pouvait cependant pas les destituer, fermement accrochés qu'ils étaient à leurs sièges et à leurs privilèges. Conformément aux pratiques républicaines, il ne lui restait d'autre choix que de démettre le premier ministre, en l'occurrence l'entraîneur Alain Vogin. On sait qu'il n'est pas le principal coupable, mais la règle veut qu'il serve de fusible. Il y a des postes comme ça...
Deux pions pour siffler la fin de la récré
À ceux qui ont eu la peau de Vogin, Chaix a envoyé un message clair. Vous avez profité lâchement des liens amicaux tissés par le précédent coach ? Vous le regretterez. Dans le hockey russe, on qualifie ce type de changement de passage d'un entraîneur "démocrate" à un "dictateur". Mais au RHE, il n'y a pas de dictateur sur le banc. Pas d'homme fort qui fait la pluie et le beau temps dans le club. Ce n'est pas dans la culture locale.
Cela fait bien longtemps en effet que l'entraîneur n'a pas le pouvoir suprême à Rouen. On ne concentre pas l'autorité dans une seule main. Le tandem instauré entre Christian Pouget (interview) et Rodolphe Garnier reste ainsi équilibré. Aucun des deux n'aurait eu la légitimité immédiate pour occuper seul ce poste. Pouget s'imaginait devenir adjoint d'Ari Salo et n'avait pas prévu une entre en matière aussi précipitée. Garnier, pour sa part, reste sur l'échec de la relégation de Caen il y a deux ans.
L'important, c'est que l'un et l'autre ont la réputation d'être de fortes têtes. Les caractères du vestiaire trouveront ainsi à qui parler. Et puis, contrairement à Vogin, Pajon et d'autres, les nouveaux entraîneurs constituent une solution externe : ils n'ont pas côtoyé les joueurs au quotidien, ils n'ont pas joué avec eux sur la glace. C'est une situation plus pratique pour porter un regard objectif et affirmer une autorité indiscutable sans susciter d'arrières-pensées.
Un public à satisfaire
Le recrutement de Christian Pouget a pu surprendre, parce que son aventure rouennaise s'était terminée au bout d'une seule saison, sur une dispute avec l'entraîneur Benoît Laporte (voir biographie de Pouget). Les supporters normands ne vont cependant pas ressasser de vieux souvenirs, qui ont fait l'objet d'explications. Par contre, ils ont été plus nombreux à s'offusquer que leur nouvel entraîneur déclare qu'il n'avait pas pour mission de remporter le titre dès la première année. Un projet sur deux ans ? Une saison pour apprendre ? Voilà de très curieux concepts qui ne font partie du vocabulaire rouennais. Encore moins après une saison sans titre qui a fait croître l'impatience. À Rouen, la pression du résultat est permanente, qu'on le veuille ou non. Ce n'est pas le président qui la décrète... C'est le public !
La première exigence de l'île Lacroix, c'est le spectacle. L'offensive a toujours été une nécessité impérieuse. C'est en cela que la dernière saison a été frustrante. Avec 129 buts marqués au lieu de 161 un an plus tôt, Rouen a perdu 20% de ses filets et a obtenu sa plus basse moyenne depuis la mise en place de la Ligue Magnus un an plus tôt. Pourtant, les attaquants étaient les mêmes. Bouchard étant revenu à l'automne, les Dragons disposaient de la même puissance de feu. Personne ne prétendrait que le remplacement de Houde par Peltola avait amenuisé le talent de l'équipe.
Ce talent, indéniable, a d'ailleurs éclaté lors de la Coupe Continentale. Les performances de Rouen ont montré que les Dragons pouvaient se mesurer offensivement à du très haut niveau. Alors, pourquoi les "Quatre Fantastiques" n'ont-ils pas dominé la Magnus comme en 2007/08 où ils avaient occupé les quatre premières places des compteurs. Ce n'est assurément pas qu'ils ont perdu leurs qualités. Sans ses soucis d'adducteurs qui l'ont contraint à une pause forcée en décembre, Marc-André Thinel aurait certainement terminé meilleur marqueur. Éric Doucet et Julien Desrosiers ont été les deux principaux chasseurs de filets, les seuls à dépasser la marque d'un but par match.
Il manque cependant Carl Mallette à ce tableau d'honneur. Sa déchirure abdominale a sévèrement handicapé l'équipe, qui s'est piégée elle-même par la perspective de son retour, sans cesse retardé. Plus l'attente se prolongeait, plus on l'enveloppait de folles espérances. Mallette n'est cependant pas le Messie, et lorsqu'il est redescendu parmi les siens avant la demi-finale contre Grenoble, il n'a pas évité l'élimination en trois manches. Les simples mortels autour de lui se sont déchargés de leurs responsabilités. L'avantage de la glace a sans doute été déterminant dans cette série, et Rouen a pâti de sa troisième place en saison régulière. Il ne doit plus être question cette année de laisser Villard, Épinal et Morzine venir gagner sur l'île Lacroix. Il en va d'une réputation : le Dragon doit rester maître dans sa tanière.
Une concurrence réouverte
Cette horreur de la défaite, Jonathan Zwikel l'incarne bien. Il revient dans son club formateur, mais il en était parti à 19 ans, faute de temps de jeu, et les supporters se souviennent surtout de ses années rémoises, amiénoises puis morzinoises. Zwikel peut être irritant comme adversaire, y compris par ses déclarations, et il faudra qu'il se fasse réadopter à Rouen. Le retour du jeune retraité de l'équipe de France est un signe qu'il croit dans le projet des Dragons : on lui a certes proposé une reconversion, mais d'autres comme Briançon aussi. Il a adhéré à un discours qui en fait le centre de la troisième ligne, chargé de transmettre ses valeurs aux jeunes, plus valorisés selon lui qu'à l'époque.
Son demi-frère Luc Tardif junior (les deux hommes ont la même mère, Zwikel étant né à Bruxelles d'un précédent mariage) sera d'ailleurs à ses côtés : lui aussi avait quitté Rouen à 19 ans et "s'est fait ailleurs". Le travail de formation rouennais ne profitera donc plus qu'aux autres.
Souvent, les jeunes ne servaient qu'à boucher les trois derrière deux lignes majeures qui avaient tout le temps de jeu. Cette année, comme il y aura deux étrangers de moins (Peltola et l'inutile Strozynski qui a fini les play-offs sur le banc) pour recruter des cadres français capables de former une troisième ligne forte, cela ouvre une place pour les jeunes qui vont devoir se battre pour le privilège de jouer aux côtés des quatre Fantastiques.
Tous savent combien une telle mise en valeur est importante. L'an passé, Jérémie Romand avait passé un mois avec Mallette et Desrosiers, et il avait alors été convoqué en équipe de France, avant malheureusement de se blesser. Cette année, Loïc Lampérier et Lionel Tarantino ont honoré à leur tour leurs premières sélections lors du premier regroupement des Bleus. Tous savent que leurs prochaines convocations dépendent de leur temps de jeu avec les Dragons, avec pour l'instant avantage à Lampérier qui figure pour l'instant en deuxième ligne. Cela augure d'une belle concurrence pour convaincre les entraîneurs au jour le jour.
Alexandre Mulle et surtout le capitaine des cadets Anthony Rech poussent déjà derrière... On a même failli voir débarquer Teddy Da Costa, qui a proposé ses services et s'est entraîné avec l'équipe en août. Rouen l'aurait vu avec plaisir sur sa troisième ligne, mais après le recrutement forcé d'un nouveau gardien, le plafond de masse salariale n'autorisait pas d'accueillir le jeune international qui est finalement retourné en Pologne.
L'unique recrue étrangère en attaque est Ilpo Salmivirta, venu d'Épinal. Son arrivée marque une rupture dans le recrutement. Le manager Guy Fournier préférait en général utiliser ses contacts et ses agents de confiance plutôt que de piocher chez l'adversaire. Cela faisait quatre ans que Rouen n'avait pas engagé un étranger figurant dans un autre club de Ligue Magnus. Ceci dit, personne n'avait regretté à l'époque d'engager un certain Ramon Sopko, arrivant alors de Tours, et aujourd'hui parti à Briançon après quatre années qui auront laissé plus de bons que de mauvais souvenirs. Avec un joueur vu sous un maillot rival, on sait exactement ce qu'on a. En l'occurrence, dans le cas de Salmivirta, un joueur qui semble capable de remplacer avantageusement Bouchard : il peut être aussi énergique et efficace pour aller s'engager physiquement dans le slot et marquer des buts de raccord, mais le Finlandais est en même temps plus discipliné et maître de ses nerfs que le Canado-Belge.
Une défense remusclée
Si le problème de l'attaque rouennaise était plus psychologique qu'intrinsèque, ce n'est pas forcément le cas de la défense. On attendait monts et merveilles des deux recrues de l'été, finalement décevantes. Jaako Niskavaara, pourtant un ancien meilleur défenseur des championnats d'Europe juniors, n'a fait illusion que quelques semaines, avant que l'on se rende compte qu'il n'avait pas le niveau escompté. Jean-François David, pour sa part, n'a pas réussi à masquer par son apport offensif ses réelles lacunes défensives.
On reprend donc tout à zéro. Les deux recrues sont reparties, ainsi que Glad. Il ne reste donc plus que les deux piliers de confiance, l'éternel Daniel Carlsson et le solide Petri Virolainen. Plutôt que de chercher une perle assez aléatoire, le recrutement a été réorienté vers des défenseurs défensifs au jeu sobre et physique. Leurs origines sont contraintes par la limitation des extra-communautaires : ne s'imaginant pas renoncer à ses Canadiens en attaque, le RHE engage forcément des défenseurs européens.
Deux défenseurs frogés dans le moule de l'Allsvenskan, la compétitive deuxième division suédoise, augurent de ce nouveal profil recherché. Pas impressionnant de prime abord, ce Magnus Eriksson, formé à Brynäs, sait faire le ménage dans sa zone. C'est encore plus vrai de David Holmqvist, patineur moyen qui mise tout sur son physique et ses mises en échec.
Daniel Babka a des caractéristiques proches, mais plus visibles : son mètre quatre-vingt-seize se remarque, et son palmarès aussi, puisqu'il a été international pour la Slovaquie et qu'il a fait toute sa carrière entre l'Extraliga slovaque et son homologue tchèque. Il a remporté la Coupe Continentale avec Martin sur l'île Lacroix en janvier dernier, et Rouen a donc déjà repéré ce géant.
Une tête connue aussi, celle de Kaj Öhberg, mais elle ne dépassait pas autant... La Mestis n'est pas forcément une référence qui fait rêver. Une saison discrète avec Mont-Blanc n'a pas vraiment marqué les esprits rouennais. Mais il avait à l'époque pour capitaine un certain Christian Pouget, qui est aujourd'hui son entraîneur. Il est donc idéalement placé pour évaluer ce joueur qu'il faut juger sur pièce. Les premiers échos de la patinoire rouennaise font état de prestations plus intéressantes que son CV.
Il y a donc six défenseurs pros au lieu de cinq, ce qui réduit de fait les perspectives de Cédric Custosse. Ceci dit, ce recul est assez théorique puisque son temps de jeu était déjà faible l'an passé, Rouen préférant tourner à cinq derrière. Le sort du jeune Français dépendra surtout de l'opinion que les nouveaux entraîneurs se forgent de lui. En tout cas, il ne dépare pas dans cette nouvelle défense au style plus physique.
Couvert à tous les postes
Cette défense solide et homogène donne une certaine assurance à Rouen. Tout semblait posé et clair. Fabrice Lhenry, le gardien de l'équipe de France, devait rentrer au pays et amener son expérience. Et puis, patatras ! Il se rompait le tendon d'Achille au premier entraînement. Une absence de plusieurs mois était envisagée, trop longue pour confier le filet au jeune Adrien Fénart, quand on se souvient du traitement impitoyable infligé par les supporters rouennais à Pierre Pochon pour un mauvais match.
Lhenry donnait lui-même la solution en recommandant Trevor Koenig, le triple champion de Grande-Bretagne qu'il a croisé la saison passée au Danemark comme adversaire. Son style semble moins sobre et rassurant que celui de l'international. Quelques audaces peuvent parfois décontenancer. Mais l'île Lacroix, qui a connu les débuts d'un Groeneveld, en a vu d'autres... Il restera à gérer la situation lorsque le gardien français reviendra de blessure. L'intérimaire "de luxe" cèdera-t-il la place gracieusement ?
Avec deux gardiens et six défenseurs pros, plus des lignes offensives toujours talentueuses mais rééquilibrées, Rouen a les atouts pour gagner dès cette année. La pression du résultat ne pourra pas être évacuée, même par l'arrivée de jeunes entraîneurs français. En effet, les difficultés financières grenobloises ont modifié le paysage : le RHE apparaît comme le seul club de référence en France et devient incontournable dans les pronostics.
Marc Branchu
Gardiens
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2008/09 MJ Min Moy. Pén 1 FÉNART Adrien 19/01/1989 182 72 Wasquehal Amiens FRA-1 4 143 4,20 0' 33 LHENRY Fabrice 29/06/1972 180 82 Esbjerg DAN-1 41 2534 3,71 0' 35 KOENIG Trevor 10/12/1974 175 88 (Canadien) Rødovre DAN-1 57 2036 2,27 0'
Défenseurs
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2008/09 MJ B A Pts Pén 4 VIROLAINEN Petri 18/09/1974 194 102 (Finlandais) Rouen FRA-1 42 1 8 9 88' 7 CARLSSON Daniel 24/02/1977 188 88 (Suédois) Rouen FRA-1 41 0 8 8 22' 8 ÖHBERG Kaj 13/10/1979 180 87 (Finlandais) KooKoo FIN-2 35 2 10 12 26' 20 BABKA Daniel 30/03/1972 196 104 (Slovaque) Martin SVK-1 47 6 15 21 82' 22 HOLMQVIST David 23/04/1984 189 91 (Suédois) Växjö SUE-2 39 0 8 8 28' 32 CUSTOSSE Cédric 10/11/1989 172 76 Asnières Rouen FRA-1 37 0 1 1 2' 62 ERIKSSON Magnus 12/10/1979 185 93 (Suédois) Comet NOR-1 25 2 13 15 14'
Attaquants
N° NOM Prénom Naissance cm kg Club formateur Club & Ch 2008/09 MJ B A Pts Pén 9 LAMPÉRIER Loïc 07/08/1989 185 82 Louviers Rouen FRA-1 39 2 5 7 18' 10 MULLE Alexandre 11/05/1989 180 77 Le Havre Rouen FRA-1 3 0 0 0 0' 13 ZWIKEL Jonathan 11/09/1976 183 84 Rouen Morzine FRA-1 38 15 27 42 58' 17 ROMAND Jérémie 28/02/1988 193 95 Saint-Gervais Rouen FRA-1 37 9 21 30 52' 19 MALLETTE Carl 17/11/1981 185 88 (Canadien) Rouen FRA-1 23 27 25 52 52' 21 RECH Anthony 09/07/1992 180 76 Chamonix Rouen U18 FRAcd 19 13 16 29 28' 23 TARANTINO Lionel 14/04/1988 179 78 Toulouse Rouen FRA-1 40 4 8 12 38' 24 THINEL Marc-André 24/03/1981 183 81 (Canadien) Rouen FRA-1 38 21 57 78 61' 25 SALMIVIRTA Ilpo 17/10/1983 188 90 (Finlandais) Épinal FRA-1 31 23 20 43 12' 42 DESROSIERS Julien 14/10/1980 180 83 (Fra/Canadien) Rouen FRA-1 41 37 44 81 46' 71 DOUCET Éric 27/02/1975 172 77 (Canadien) Rouen FRA-1 41 37 40 77 22' 84 TARDIF Luc jr 30/11/1984 186 85 Rouen Morzine FRA-1 39 15 14 29 75'
Départs : Alain Vogin (entraîneur, Valpellice, ITA), Ramon Sopko (G, Briançon, 2486' et 2,70), Ronan Quemener (G, Gap, 70' et 5,14), Jaako Niskavaara (D, Stavanger, NOR, 5+17), Jean-François David (D, Elmira, ECHL, 7+41), Jarkko Glad (D, LeKi Lempäälä, FIN-2, 4+14), Mikko Peltola (A, 14+35, arrêt), Olivier Bouchard (A, Louvain, BEL, 14+7), Sébastien Strozynski (A, 11+8), Édouard Dufournet (A, Strasbourg, 4+6), Peter Bourgaut (A, Briançon, 0+0).
Entraîneurs : Christian Pouget (43 ans) et Rodolphe Garnier (41 ans).
Revoir la présentation 2008/09