Gustav Jaenecke

 

Il existe différentes manières d'évaluer la postérité d'un hockeyeur. On peut mesurer ses faits d'armes, son palmarès, sa popularité, mais aussi la trace qu'il a laissée dans la conscience sportive d'une nation. Parmi les hockeyeurs d'avant-guerre, une personnalité réunit le mieux toutes ces deux approches : Gustav Jaenecke, loué par ses contemporains, admiré pendant sa carrière, reconnu longtemps au-delà. Cinquante ans après ses exploits, il a été élu meilleur ailier gauche de l'histoire de l'Allemagne par les lecteurs du Eishockey Magazin. Il a eu l'honneur à la fois d'une autobiographie publiée de son vivant et d'une biographie publiée 70 ans plus tard, fait unique pour un hockeyeur européen de son époque.

Gustav Jaenecke est né le 22 mai 1908, trois mois avant l'acte de naissance du hockey sur glace allemand, l'ouverture de l'Eispalast de Berlin, première grande patinoire artificielle en Europe. On peut donc dire qu'il est né avec son sport, et de fait, il en deviendra l'incarnation. Objet d'une véritable passion populaire, Jaenecke sera l'enfant chéri du Sportpalast de l'entre-deux-guerres. Son destin est le reflet d'une époque troublée et complexe, d'un milieu social bientôt disparu, mais aussi des tourments politiques qui ont déchiré l'Allemagne comme aucune autre nation au XXe siècle.

 

Le bottier de l'empereur

Avant même d'enfiler des patins, cette histoire commence... dans la chaussure. Wilhelm Breitsprecher dirige alors ce que certains décrivent comme la plus grosse entreprise artisanale au monde. Les bottes de cuir rutilantes, indissociables du "chancelier de fer" Bismarck, ont été confectionnées par la maison. L'Empereur Guillaume II compte également parmi ses clients. Le titre prestigieux de "fournisseur royal", bien connu dans la couronne britannique mais qui existe dans toute l'Europe du Nord, peut se transmettre par héritage. Or, Wilhelm n'a qu'une fille, considérée de ce fait comme un des plus beaux partis de Berlin. Le père pose une condition : son futur gendre devra maîtriser son métier pour être capable de reprendre son entreprise. Bien qu'issu d'une famille d'artisans (son père était menuisier, également fournisseur de la cour), le prétendant Gustav Jaenecke est banquier de profession : il doit passer un examen de cordonnier sur mesure pour pouvoir épouser sa dulcinée. Le couple aura quatre enfants, Wilhelm, Uli, Hanni (la seule fille) et Gustav.

Dans la haute société, l'aîné porte naturellement le flambeau de la famille. Wilhelm épouse ainsi la fille de Friedrich Ebert, le premier président (social-démocrate) de la République de Weimar après l'abdication de Guillaume II après la Première Guerre Mondiale. Poursuivi et fugitif en 1933 à la prise de pouvoir des Nazis, il restera établi en Allemagne, mais avec une interdiction de travail. Wilhelm passera la guerre avec quelques opposants amis, puis s'établira en Argentine, où son fils fera ses premières armes dans un journal antifasciste de langue allemande, l'Argentinische Tageblatt : ce fils (et donc neveu du véritable sujet de la présente biographie), c'est Heinrich Jaenecke, qui deviendra un fameux journaliste et écrira plusieurs livres historiques (sur la guerre d'Espagne, sur la partition allemande, sur l'histoire de l'Afrique du Sud et de la Pologne).

Venons-donc à notre principal sujet. Le benjamin de la fratrie, Gustav, a la charge de porter le même nom que son père : il ne pouvait décemment pas rester en retrait de cette ascendance prestigieuse. Le petit dernier grandit dans un cocon : s'il bénéficie d'une aisance sociale, il a aussi la chance de bénéficier du soutien constant de ses parents dans ses activités.

Gustav se fait les dents

Le jeune Gustav Jaenecke intègre très tôt le Berliner Schlittschuh-Club (littéralement le club de patinage de Berlin), prestigieuse association sportive où il pratique le tennis l'été et le hockey sur glace l'hiver. Mais il n'a jamais connu de glace artificielle, car il n'y en a plus depuis la ruine de l'Eispalast en 1913. Le hockey sur glace est alors un sport confidentiel. L'équipe du BSC n'a guère d'adversaire à sa mesure, et c'est encore plus vrai des "Schüler", les jeunes joueurs du club âgés de quatorze-quinze ans. Alors, ils se trouvent comme rival principal le Ruder-Club Tegel : il s'agit d'un club d'aviron qui se met au hockey l'hiver quand les lacs gèlent. Bien évidemment, les rameurs ont des carrures d'athlètes, et la comparaison physique est disproportionnée face aux gamins du BSC, néanmoins bien plus doués. Dans un choc à pleine vitesse, le jeune Gustav Janecke y laisse ainsi deux dents...

L'hiver qui suit cet accident (1923/24) est cependant une bénédiction pour le jeune passionné de hockey. Le temps est en effet très rude, et la saison de hockey se rallonge enfin. Gustav et ses amis peuvent donc patiner à loisir pendant des semaines sur la blancheur immaculée du lac Tegel... Pas tout à fait. Un petit détail cloche dans la description. Les cheminées de la firme de locomotives Borsig - dont les propriétaires sont d'ailleurs des membres éminents du club d'aviron - dominent le lac, et la fumée noire qu'elles crachent dépose une couche noire par-dessus la glace. Les chutes sont donc particulièrement salissantes pour les hockeyeurs...

L'équipe première du Berliner SC ne profite pas totalement de cet hiver, car l'Allemagne est toujours sous boycott sportif depuis la guerre. Les visiteurs étrangers ne se bousculent donc pas, même si le club allemand part à Davos disputer la première Coupe Spengler. En revanche, ces hockeyeurs chevronnés n'en ont que plus de temps pour s'occuper des jeunes. Les parents Jaenecke engagent l'un d'eux, Rolf Reschke, comme professeur particulier pour corriger les défauts.

Les gamins commencent à prendre du galon, et à Noël 1924, l'équipe première leur propose de venir avec elle passer les fêtes à Davos. Là-bas, on leur trouve un adversaire à leur mesure : ils partagent les victoires - une chacune - avec l'équipe de Madrid, qui dispose d'une glace artificielle depuis deux ans mais patine tout de même depuis moins d'années que les jeunes Allemands.

L'année suivante, le cadeau de Noël arrive avec un mois d'avance : le 25 novembre 1925, le Sportpalast de Berlin ouvre enfin une patinoire artificielle - alimentée par les machines frigorifiques construites à l'usine Borsig ! - dans une grande soirée festive du BSC. Dorénavant, les hockeyeurs de la capitale s'entraînent 1h15 tous les soirs, du lundi au jeudi, et développent enfin leur condition physique et leur rythme de jeu. Le hockey sur glace n'est plus un loisir réservé à une élite, il se démocratise puisque des milliers de spectateurs peuvent assister aux rencontres dans des conditions confortables. Le Berliner SC devient en effet une adresse renommée et recrute plusieurs des meilleurs hockeyeurs européens, le défenseur suisse Holsboer et plusieurs attaquants suédois. Cela rend l'accès à l'équipe première encore plus difficile pour les jeunes. Bien qu'il obtienne son premier titre de champion d'Allemagne dès 1926, Jaenecke n'est en fait que remplaçant. Les changements de ligne sont encore très rares, et on ne joue encore qu'à un ou deux substituts.

Un pullover en cadeau d'excuses

Il est en fait plus facile de faire son trou dans l'équipe d'Allemagne, autorisée de nouveau à prendre part aux compétitions internationales aux championnats d'Europe 1927. Pour ce grand retour, le fondateur du hockey allemand Herman Kleeberg ose intégrer deux jeunes joueurs de 18 ans, Horst Orbanowski et Gustav Jaenecke. Bien lui en prend car ils s'affirment déjà comme les meneurs offensifs. Gustav Jaenecke marque de 40 mètres face à la Pologne et son lancer puissant y gagne une réputation internationale. À la fois puissant et agile, il inscrit 6 des 10 buts de son équipe. Les Allemands reviennent avec une médaille de bronze. La consécration interviendra trois ans plus tard.

En 1930, la Ligue Internationale de Hockey sur Glace décide d'organiser pour la première fois un championnat du monde, avec la présence du Canada, qui affrontera la meilleure équipe européenne. La France l'organise à Chamonix, haut lieu du hockey hivernal. Malheureusement, le f hn souffle et fait fondre la neige et la glace. L'attente de conditions climatiques favorables met les nerfs des participants à rude épreuve. La délocalisation des championnats est décidée, et on est prêt à partir pour Davos, quand le président belge de la LIHG Paul Loicq fait descendre tout le monde du bus car les températures ont enfin chuté. L'Allemagne entre en jeu sur une glace encore molle et est menée 0-2 par les Anglais après la première période. Avoir tant attendu pour être éliminé dès le premier match : ce serait un calvaire ! Erich Römer et Gustav Jaenecke retournent la situation avec deux buts chacun. Ce match a représenté tellement d'émotions pour Jaenecke qu'il s'en souviendra toute sa vie. Ce joueur si solide craque nerveusement en quittant la glace en se mettant à pleurer.

Les émotions ne sont pas terminées dans cette compétition à élimination directe. Jaenecke marque trois fois contre la Hongrie (4-1) et deux fois contre la Pologne après avoir encaissé le premier but (3-1). Comme la météo continue de jouer des tours, la fin du tournoi est déplacée au Sportpalast de Berlin. L'Allemagne a l'occasion de devenir championne d'Europe pour la première fois, et elle a la chance de jouer cette finale à domicile contre la Suisse. Elle est encore une fois menée au score, mais Jaenecke égalise sur une passe millimétrée de Rudi Ball, et Erich Römer, qui fait parler son métier dans les grands rendez-vous, inscrit le but gagnant.

Le lendemain, les Allemands jouent donc pour le titre de champion du monde face au Canada, qu'ils n'ont encore jamais affrontés. Tout Berlin se passionne pour l'évènement, et donc pour le hockey sur glace. Mais les adversaires viennent presque d'une autre planète : aux Jeux olympiques, les Canadiens ont toujours battu les équipes européennes par plus de dix buts d'écart. Transcendés par le soutien du public, ils commencent à faire douter les maîtres de ce sport qui butent sur le gardien bavarois Walter Leinweber. Et l'impensable se produit : Gustav Jaenecke passe son défenseur d'une belle feinte de corps, attire le gardien et les autres adversaires, et décale alors Rudi Ball pour le 1-0. Le Sportpalast s'enflamme.

Le Canada joue de plus en plus physique, et alors que Jaenecke essaie encore de transpercer la défense, le massif Alexander Park le met en échec à pleine puissance, de manière régulière : le choc est rude et l'idole du Berliner SC souffre malheureusement d'une fracture compliquée de la clavicule. En son absence, l'équipe allemande orpheline perd 1-6. Après leur large victoire, le capitaine canadien Howard Armstrong va chercher Jaenecke pour que le public lui accorde à lui aussi une ovation inoubliable à l'issue de cette soirée exceptionnelle. Lorsque le héros malheureux du soir rentrera finalement au vestiaire, il découvrira que, dans l'enthousiasme général, des spectateurs se sont emparés, en souvenir, de la tenue dans laquelle il a joué. Il ne gardera donc pas de maillot de ce match, mais il aura un autre souvenir (outre son épaule qui guérira mal car il reprendra le jeu trop tôt). Plusieurs semaines plus tard, il recevra un colis du Canada, contenant une lettre de Park, s'excusant d'avoir provoqué cette blessure, et en cadeau un pull-over décoré de la fameuse feuille d'érable.

Le meilleur joueur d'Europe en observateur du hockey pro

Après ce moment de gloire, Jaenecke est le premier cité quand la presse tchèque demande à Josef Malecek - le joueur de référence sur le continent - qui sont les meilleurs hockeyeurs européens. Mais le Tchèque ne peut pas se nommer lui-même. Pour un classement complet, il faut donc se référer à un juge de paix neutre. Un journal français ferait-il l'affaire ? Fin 1931, le quotidien sportif L'Auto (ancêtre de L'Équipe) classe Jaenecke devant son compatriote Ball et Malecek.

Voilà le sommet du hockey européen, mais sur l'autre rive de l'Atlantique, il existe un autre monde, qui a plus de trente ans d'avance dans l'organisation de ce sport. Du hockey nord-américain, les Européens ne connaissent que les équipes en tournée, les meilleurs amateurs du pays, qui leur apparaissent comme autant de joueurs d'exception. Gustav Jaenecke sera l'un des très rares hockeyeurs européens à voir l'autre côté du miroir. Les Jeux olympiques 1932 sont attribués à Lake Placid, aux États-Unis, mais dans un monde frappé par la crise économique de 1929, les voyages coûtent extrêmement cher. Outre les Canadiens et les Américains, seuls deux pays envoient une équipe de hockey sur glace : l'Allemagne et la Pologne. Avec quatre participants, Jaenecke et ses coéquipiers n'ont donc qu'un seul adversaire à battre pour décrocher une médaille olympique, récompense prestigieuse qui brille un peu moins que de coutume dans ce contexte. On comprend que le titre de champion d'Europe ait une valeur sportive beaucoup plus grande à l'époque.

Cette longue tournée en Amérique du nord aura cependant permis à Gustav Jaenecke de découvrir de visu le hockey professionnel depuis les tribunes. Il est impressionné par la présence d'un gardien remplaçant, de deux paires de défenseurs, et de trois lignes d'attaque, alors qu'en Europe, les arrières passent tout leur temps sur la glace et on ne joue qu'à deux lignes offensives. En revanche, il existe un fossé philosophique entre sa conception du sport et ce monde où l'idéal amateur si prisé en Europe n'existe pas, où l'argent est la valeur de toute chose et de tout homme. La NHL comprend alors des hockeyeurs essentiellement canadiens, mais cinq équipes jouent aux États-Unis et trois au Canada. Or, si le public canadien apprécie le hockey sous toutes ses facettes, Jaenecke se dit aussi choqué par le comportement des spectateurs américains, qui ne semblent s'exciter que par les débordements et les gestes douteux.

Les amis, les amours, les emmerdes

Gustav Jaenecke est alors une vedette si populaire à Berlin que la moindre de ses apparitions publiques avec la jeune star norvégienne du patinage artistique Sonja Henie (comme sur la photo ci-contre) fait la joie des gazettes et aimente les ragots sur une possible liaison entre les deux idoles sportives.

Championne d'Europe pour la seconde fois en 1934, après une nouvelle victoire 2-1 sur la Suisse, grâce à une égalisation du doyen Römer à trois secondes de la fin, l'Allemagne vit pourtant un désastre l'année suivante à Davos avec trois défaites au premier tour. Pire, au dernier match de classement (pour la neuvième place...) face à la Pologne, Gustav Jaenecke a le tendon d'Achille déchiré par le patin d'un adversaire dans une chute. On appelle en vain un médecin : aucun n'a été prévu autour de la patinoire ! On en fait venir un qui recoud aussitôt la blessure sans anesthésie. Jaenecke passe quatre semaines sur un lit d'hôpital en Suisse et, de retour au pays, il quitte la gare de Berlin sur un chariot à bagages car il ne peut pas marcher. Pourtant, en mars, six semaines après sa blessure, il porte de nouveau les couleurs du Berliner SC pour devenir champion de Berlin face à Brandenburg (3-1) ! Il ne pourra pas correctement plier le pied avant un an, même si cela ne se ressent pas quand il rechausse les patins et file sur la glace.

Le déclin de l'équipe d'Allemagne est en partie lié à l'absence des trois frères Ball, partis à Saint-Moritz (Suisse) puis à Milan (Italie). Ils ont fui la politique raciale du Troisième Reich car ils ont des origines juives. Or, Gustav Jaenecke lie son destin à celui de son ami et partenaire Rudi Ball. C'est un dilemme pour les dirigeants nazis : ils doivent choisir entre leurs idéaux de pureté raciale et la réussite sportive de leur équipe de hockey aux Jeux Olympiques de Garmisch-Partenkirchen, qui doivent servir la propagande. Un compromis est trouvé : Rudi Ball, "l'alibi", est sélectionné. En fait, il a échangé son retour en Allemagne - où il sera protégé des persécutions - contre la possibilité pour le reste de sa famille de s'exiler en Afrique du Sud. Il ne les y rejoindra qu'après la guerre.

Les deux individualités saillantes du hockey allemand sont complémentaires. Plus petit gabarit de l'équipe, Rudi Ball se distingue par des percées rapides. Il est très vif, comme en dehors de la glace où il vit à cent à l'heure. Lui aussi est un produit de l'insouciance typique de la société berlinoise très libéralisée des années 20, si détestée des Nazis. Avec le temps, Jaenecke a en revanche changé de style. Il n'est plus ce fringant ailier gauche mais, tout en devenant capitaine, il commence lors ces JO 1936 sa reconversion au poste de défenseur. Il est maintenant l'organisateur offensif et défensif, qui ouvre le jeu par des passes et neutralise les attaques adverses. De l'arrière, ses tirs lointains restent aussi un danger. L'Allemagne élimine les rivaux suisses avec un match splendide de Jaenecke qui fait pencher la balance d'un slalom solitaire. Elle accroche aussi le nul contre les Britanniques, futurs champions olympiques avec une équipe composée quasi-exclusivement de Canadiens, mais perd 2-6 contre les "authentiques" Canadiens et est éliminée du carré final. C'est une déception pour une audience assez chauvine, reproche parfois émis par un Jaenecke qui préfèrait un public plus connaisseur qui ferait l'effort d'apprendre le jeu et ses règles avant de réagir.

Parallèlement à sa carrière de hockeyeur, Jaenecke est aussi un tennisman émérite. Lors de ses quelques sélections en Coupe Davis, il côtoie Gottfried von Cramm, double vainqueur du tournoi de Roland-Garros, et se lie d'amitié. En 1937, Von Cramm divorce de sa femme Lisa von Dobeneck, la petite-fille du banquier (juif) Louis Hagen. Cela fait longtemps que ce couple n'est plus qu'une façade pour les photographes des magazines. Von Cramm mène une double vie. Peu de temps après son mariage, il a commencé à entretenir une relation homosexuelle avec un acteur, juif qui plus est... De quoi ulcérer les Nazis, qui l'emprisonneront l'année suivante malgré sa grande popularité, mais finiront par le libérer. Lisa von Dobeneck se recase très vite. Cette sportive émérite, surtout en hockey... sur gazon, a de grandes affinités avec Gustav Jaenecke, qui la fréquente aussitôt puis l'épouse en 1939, année où commence la Seconde Guerre Mondiale.

La propriété, c'est du vol

L'entreprise familiale Wilhelm Breitsprecher est alors désignée d'importance stratégique pour la guerre, parce qu'elle construit des chaussures spéciales pour les invalides. Ses dirigeants sont donc dispensés d'intégrer l'armée. Parmi eux, le fils Gustav, qui a suivi les traces de son père en suivant une formation de banquier... puis de cordonnier. Sans avoir jamais pris la carte du parti nazi, il est donc protégé par sa profession, en plus de ses mérites sportifs. Il passe toute la guerre à Berlin, et remporte son dixième titre de champion d'Allemagne pour le compte de "l'association de guerre" entre son club du Berliner SC et le SC Brandenburg, qui fusionnent pour former une équipe en l'absence des anciens hockeyeurs envoyés au front.

Le père Jaenecke meurt en 1944. Restée seule face à l'avancée des Soviétiques, la mère est ensuite expulsée par l'Armée rouge de la résidence familiale de vacances sur la Mer Baltique, le Waldschösschen de Prerow (qui sera restitué à la famille Jaenecke après la chute du Mur puis revendue pour devenir un hôtel qui existe toujours). Elle reste dans la même ville, avec un train de vie bien plus modeste. Pendant ce temps à Berlin, Gustav Jaenecke - le fils - tente de perpétrer la tradition familiale. Mais il sera le tout dernier gérant de la prestigieuse maison Breitsprecher, sans pouvoir empêcher sa fin...

Le siège de l'entreprise, qui comprend les ateliers, dispose d'une situation excellente, sur la "Neue Wilhelmstraße", la partie nord de la rue où se concentre tout le pouvoir, et à l'angle d'Unter den Linden, l'avenue de prestige de Berlin. Le parlement, les ministères, les ambassades (française, britannique, russe) : tous les bâtiments importants sont situés dans un rayon de 300 mètres. Cette localisation qui faisait sa force va conduire l'entreprise à sa perte. Ce centre-ville se trouve juste à l'Est de la porte de Brandebourg, ce bâtiment symbolique devant lequel s'érigera bientôt un Mur. Celui-ci n'est pas encore construit, mais la ville est déjà divisée. Et la maison Breitsprecher se trouve du "mauvais" côté, dans la zone soviétique. L'entreprise privée y est bannie, et Gustav Jaenecke est donc exproprié.

Avec une valise pour tout bien, Gustav Jaenecke quitte la capitale pour se réfugier à Burgdorf, près de Hanovre, dans la propriété des Donebeck, la famille de sa femme. Il n'y trouvera pas le hâvre de paix espéré. Une tentative de remonter un commerce de chaussures avorte. Il finit par divorcer de son épouse. Le hockey sur glace est alors sa bouée de sauvetage : il part dans les Alpes bavaroises, vers la ville olympique de Garmisch-Partenkirchen, où le SC Riessersee l'engage, y compris pour entraîner les jeunes. Il y devient champion d'Allemagne trois fois de plus : 13 titres nationaux au total !

Quand il raccroche les patins, Gustav Jaenecke s'installe à Bad Neuenahr, près de la nouvelle capitale ouest-allemande Bonn. Un ami, connu lors de ses études bancaires à Berlin, lui obtient un poste dans l'agence locale de la Spielbank, dont il deviendra directeur. Dans sa nouvelle maison, en 1952, il accueille sa mère, qui s'est décidée à fuir l'Allemagne de l'Est, ayant perdu ses dernières illusions après une condamnation pour "vol de biens publics" : pour se chauffer, elle avait ramassé du bois sans autorisation dans la forêt qui lui appartenait autrefois... Hormis un passage à Berlin dans les dernières années de sa carrière de banquier (il montera alors un groupe de soutien au Berliner SC, son club de toujours), c'est à Bad Neuenahr que l'ancienne vedette du hockey allemand se remarie et finit sa vie jusqu'à sa mort à 77 ans.

Marc Branchu

 

 

Statistiques internationales

                                                 MJ   B  A  Pts   Pén 
1927 Allemagne          Championnats d'Europe     5   6  0   6   0'
1928 Allemagne             Jeux Olympiques        2   0  0   0
1929 Allemagne          Championnats d'Europe     2   1  0   1
1930 Allemagne          Championnats du Monde     5   9  2  11
1932 Allemagne             Jeux Olympiques        6   1  0   1    4'
1932 Allemagne          Championnats d'Europe     4   0  1   1    1'
1933 Allemagne          Championnats du Monde     6   2  5   7
1934 Allemagne          Championnats du Monde     7   2  3   5
1935 Allemagne          Championnats du Monde     7   5  3   8
1936 Allemagne             Jeux Olympiques        6   3  4   7    2'
1937 Allemagne          Championnats du Monde     2   0  2   2    0'
1938 Allemagne          Championnats du Monde     5   2  2   4    3'
1939 Allemagne          Championnats du Monde     8   7  2   9    6'
1939 Allemagne            Wintersportwoche        2   4  1   5    0'
1939 Allemagne          Championnats du Monde     3   1  1   2
Totaux en équipe d'Allemagne                     82  43

 

Palmarès

Champion d'Europe 1930 et 1934

Vice-champion du monde 1930

Médaillé de bronze des Jeux Olympiques 1932

Champion d'Allemagne 1926, 1928, 1929, 1930, 1931, 1932, 1933, 1936, 1937 (Berliner SC), 1944 (BSC/Brandenburg), 1947, 1948 et 1950 (Riessersee)

Vainqueur de la Coupe Spengler 1926 et 1928

 

 

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